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Cet horizon de reconnaissance mutuelle prend ancrage dans l’idéal du respect réciproque qui est la clé de voûte de la « recherche de l’harmonie commune qui se trouve à la base de la démocratie208 ». Rechercher l’harmonie, c’est considérer l’universalité non seulement sous l’angle de ce que les Hommes partagent, mais surtout dans la perspective du « projet humain » auquel Jolibert fait référence comme un devoir être, un idéal et une réflexion à accomplir sur les choix moraux que l’on souhaite établir en tant que communauté209. Leroux affirme en ce sens que la diversité au sein d’une société ne constitue en rien un obstacle à l’édification d’une culture partagée. Elle représenterait au

204 Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 134 205 Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 61

206 Fleuri dansFernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les Presses

de l’Université Laval, 2005, p. 165

207 Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 147 208 Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 133-134 209 Bernard Jolibert, op. cit.

contraire un « réservoir de différences susceptibles d’enrichir les valeurs communes210 » via un processus délibératif. Là se dessine le rapport dynamique entre les deux finalités du programme d’ÉCR : la reconnaissance de l’autre alimente la constitution d’un vivre- ensemble qui, basé sur l’édification d’un cadre moral partagé, permet à son tour une reconnaissance de l’autre comme valeur initiale.

Il est entendu que la poursuite du bien commun va également de pair avec la réalisation d’un idéal démocratique. L’éducation civique est à cet effet l’un des principaux domaines d’application des deux finalités du programme. En d’autres mots, la culture citoyenne est un aspect capital de l’éducation pluraliste, puisque l’on admet d’emblée que tout individu vivant au Québec jouit du principe d’égalité qui lui donne le ticket de participation à la vie citoyenne, et ce avec ses particularités symboliques (croyances, pratiques, etc.). Il doit toutefois faire siennes les valeurs qui sont reconnues comme la base de la société civique. Ainsi, la création d’un lien civique basé sur la promotion de valeurs citoyennes est l’une des finalités sous-entendues du programme d’ÉCR, bien que la frange « Éducation à la citoyenneté » ait été recoupée du cursus pour être intégrée au programme d’histoire. Nous sommes d’avis que les enseignants auraient à gagner de miser sur cet idéal en classe de façon à mettre la table à une éducation civique prometteuse pour l’architecture sociale à refaire. Or, le projet citoyen qui est souhaitable dans un cadre pluraliste n’est pas de type « classique » qui, dépeint par François Jacquet-Francillon, s’appuie sur un contrat social largement articulé autour de l’idée d’essence nationale et faisant abstraction des identités particulières211. La représentation d’une citoyenneté qui sied à un Québec pluraliste en est une, évidemment, de solidarité, d’humanité et de reconnaissance des particularités où chacun, dans un cadre normatif accepté de tous, a sa place dans la délibération sociale. Pour Leroux, respecter la liberté de conscience de chacun est à cet effet le premier pas de la délibération démocratique212.

210 Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 140

211 Jacquet-Francillon dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui,

Villeneuve d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 120

Il est par ailleurs intéressant d’établir un parallèle entre ce mode de délibération à l’échelle citoyenne et l’aptitude au dialogue que l’on souhaite voir développer chez les élèves pendant leur parcours scolaire. Tous deux sont fondés sur ce que Taylor appelle la « nature fondamentalement dialogique de l’être humain », moteur de formation identitaire et d’interprétation du monde. Dialoguer, c’est entrer en contact avec l’Autre tout en développant des stratégies pour le faire de manière appropriée. Avouons que c’est ce que requiert la participation citoyenne, tout autant que ce que les élèves sont appelés à déployer en classe lors de situations de dialogue. C’est également au croisement de la reconnaissance de l’autre et de la poursuite du bien commun que le dialogue devient possible et fertile. Il apparaît donc avantageux d’utiliser le dialogue en classe en visant l’acquisition par l’élève d’une série de comportements. Parmi ceux-ci, nous souhaitons qu’il s’exerce à élaborer un argumentaire fondé, à évacuer de son discours ce qui pourrait entraver l’échange avec autrui et à se montrer ouvert au point de vue de son interlocuteur. Qui plus est, et cela nous mène à la question de l’identité, la nature dialogique de l’être humain présente l’idée que c’est à la rencontre de l’Autre que l’individu se construit, se définit puis appréhende le monde dans lequel il vit. Là émerge la double fonction du dialogue, c’est-à-dire la définition de soi ainsi que l’apprentissage d’une participation profitable à l’échange citoyen.

2.4 LA LAÏCITÉ

Nous avons vu en début de parcours que différentes acceptions de la laïcité sont recevables. D’une part, une définition stricte du concept infère l’évacuation totale de la religion de la sphère publique et la négation de toute démonstration des convictions religieuses. Dans cette perspective, les individus sont égaux sur la base de la sécularité. Une définition permissive de la laïcité pose d’autre part le postulat qu’aucune religion ne prime sur les autres. Cette définition déverrouille donc à l’opposé un espace croyant sur la base de l’égalité. De surcroît, il a été mentionné en introduction que le Québec, devant un phénomène de diversification culturelle provoqué par diverses vagues d’immigration et un repositionnement commun par rapport à l’Église catholique, avait tacitement fait le choix d’adopter une position d’ouverture face au phénomène religieux. En effet, son code génétique n’était plus désormais marqué exclusivement par un héritage judéo-chrétien monolithique, mais plutôt multiple et surtout changeant La multiplication des convictions et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens était donc le nouvel état de fait avec lequel le Québec devait désormais composer. C’est dans le Rapport Proulx que les contours d’une laïcité de neutralité et de dialogue, donc pluraliste, ont été tracés. Cette perspective colle à la définition qu’en donne Jean-Paul Delahaye, à savoir celle d’une disposition étatique qui vise à enrichir la culture générale sans porter atteinte à la liberté de conscience, présupposant de fait la « neutralité concernant la pluralité des options spirituelles213 ». Aussi ce type de laïcité s’inscrit-il dans la perspective selon laquelle les états démocratiques et libéraux sont appelés à « accorder un respect égal à des individus ayant des visions du monde et des schèmes de valeurs différents214 » et à garantir à tous les individus le choix de leurs convictions215. Ce faisant, la laïcité ne doit en aucun cas être perçue comme le choix en faveur ou en défaveur de la religion : elle doit être comprise comme « la condition de la coexistence des individus » et la « manifestation tangible du vivre-ensemble »216.

213 Delahaye dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :

Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 83

214 Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 29 215 Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit.