Théorie des représentations : le Rekazator
On regarde le déterminant comme image du projecteur associé à une composante isotypique, [1, Corollaire X-B.12].
Exemple 0.1 (Le déterminant vu comme image de π
).
Un exemple déjà bien connu (par l’étudiant de licence) de ce genre de projecteurs se voit dans la célèbre formule explicite du déterminant. Effec- tivement, la recherche d’une forme n-linéaire alternée peut se comprendre de la façon suivante : l’espace des formes n-linéaires sur K
nest muni d’une action linéaire de S
npar
σ · ϕ(u
1, · · · , u
n) = ϕ(u
σ(1), · · · , u
σ(n)), u
1, · · · , u
n∈ K
n.
Trouver une forme n-linéaire alternée revient alors à trouver une forme ϕ telle que σ · ϕ = (σ)ϕ, pour tout σ de S
n. Pour construire une telle forme, on part de la forme ψ donnée par
ψ(u
1, · · · , u
n) = e
∗1(u
1) · · · e
∗n(u
n),
où (e
∗1, · · · , e
∗n) est la base duale de la base canonique de K
n. On calcule donc π
(ψ) pour trouver
π
(ψ)(u
1, · · · , u
n) = 1 n!
X
σ∈Sn
e
∗1(u
σ(1)) · · · e
∗n(u
σ(n)).
On retrouve le déterminant, en omettant le facteur
n!1(ce qui permet au passage d’être valable en toute caractéristique).
Maintenant, le fait encore bien connu que le déterminant est, à constante multiplicative près, la seule forme n-linéaire alternée se traduit par la formule
1 n!
X
σ∈Sn
(σ)n
cσ= 1,
où c
σest le nombre de cycles (y compris les cycles de longueur 1) dans la
décomposition en cycles disjoints de σ. En effet, on vient de voir que la
S
n-représentation ρ sur les formes n-linéaires, avait une multiplicité 1 en la
représentation signature. Il en résulte que
n!1P
σ∈Sn
(σ)χ
ρ(σ) = 1. Or, si l’on prend pour base de l’espace, les formes n-linéaires données par
e
f(u
1, · · · , u
n) = e
∗1(u
f(1)) · · · e
∗n(u
f(n)),
où f parcourt l’ensemble des applications de {1, · · · , n} vers lui-même, on se rend facilement compte que S
npermute cette base, et que le nombre d’éléments fixés par σ (donc, le caractère) est exactement égal
1à n
cσ.
Exercice 0.2 (Complexes et géométrie : le théorème de Thébault). On peut s’amuser à utiliser des techniques d’analyse harmonique dans cer- tains problèmes de géométrie. Ici, c’est l’invariance, pour un groupe cy- clique, d’une construction géométrique qui donne l’idée de faire appel à cette technique. Voilà qui ouvre encore des perspectives...
Soit ABCD un parallèlogramme du plan euclidien. On construit les points E, F , G, H, I, J , K, L, de sorte que ABF E , BCHG, CDJ I et DALK soient des carrés, tournant dans le sens trigonométrique inversé.
On considère les centres respectifs A
0, B
0, C
0, D
0de ces carrés. On veut montrer qu’alors, A
0B
0C
0D
0est lui-même un carré. On confondra dans la suite de l’énoncé un point et son affixe dans C , et, par extension un quadrilatère et le quadruplet d’affixes associé dans C
4.
1. Soit V := C
4, muni de l’action linéaire de G := Z /4 Z par k · (z
1, z
2, z
3, z
4) = (z
k+1, z
k+2, z
k+3, z
k+4), où les indices sont considé- rés modulo 4. Décomposer la représentation V en représentations irréductibles. Décrire, en termes de sous-représentations, le sous- espace des parallélogrammes et le sous-espace des carrés dans le sens trigonométrique, resp. trigonométrique inversé.
2. Montrer que l’application α qui envoie un quadrilatère ABCD vers A
0B
0C
0D
0est un morphisme de représentations, puis déduire le théorème annoncé.
Soluce
1. La représentation V n’est rien d’autre que la représentation régulière, c’est-à-dire, la représentation par permutation associée à l’action à gauche du groupe sur lui-même. On sait qu’elle se décompose en toutes les représentations irréductibles de G avec une multiplicité égale à la di- mension du caractère, c’est-à-dire 1, puisque le groupe est abélien. On
1. Dans le même ordre d’idée, juste en remplaçant la signature par le caractère trivial, on peut s’amuser à montrer sans peine la formule combinatoire n!1 P
σ∈Snncσ = 2n−1n−1 .
note C
ωla droite complexe C (1, ω, ω
2, ω
3), pour toute racine 4-ième de l’unité ω. La droite C
ωest la représentation associée au caractère k 7→ ω
k. La décomposition de V est donc :
V = C
1⊕ C
i⊕ C
−1⊕ C
−i.
Comme Z /4 Z permute la base canonique de C
4, G agit par des ma- trices de permutations, et donc la forme hermitienne canonique est G-invariante (puisque les matrices de permutations sont des matrices hermitiennes).
La condition « ABCD est un parallélogramme » s’écrit par la condition linéaire z
A−z
B+z
C−z
D= 0 (par exemple, les diagonales se coupent en leurs milieux). Dit autrement, l’ensemble des parallélogrammes (éven- tuellement dégénérés en un segment, voire, en un point) est l’hyperplan orthogonal à C
−1, pour la forme hermitienne G-invariante. C’est donc bien une sous-représentation de V , qui, de plus, est forcément égale à C
1⊕ C
i⊕ C
−i, par unicité de la décomposition en sous-espaces isotropes.
Dans la sous-représentation des parallélogrammes, la condition « ABCD est un carré dans le sens trigonométrique » s’écrit par la condition li- néaire z
C− z
A= i(z
B− z
D) = 0 (les diagonales sont orthogonales de même longueur et l’angle de −−→
BD vers −→
AC est direct). C’est donc l’or- thogonal de C
−i(attention, ne pas oublier la conjugaison dans la forme hermitienne !). Cela constitue donc bien une sous-représentation égale à C
1⊕ C
i. De même, l’ensemble des carrés dans le sens trigonométrique inversé est une sous-représentation de V égale à C
1⊕ C
−i.
2. La construction des points A
0, B
0, C
0, D
0n’utilise que des similitudes
directes (pour construire les carrés) et des barycentres (pour les mi-
lieux). L’application est donc bien C -linéaire. De plus, il est clair, par
construction, que si ABCD s’envoie sur A
0B
0C
0D
0, alors BCDA s’en- voie vers B
0C
0D
0A
0; l’application commute avec l’action du groupe cy- clique. C’est donc bien un morphisme de représentations.
On sait que chaque composante isotypique est préservée par l’applica- tion, et donc, il suffit de voir que C
−1s’envoie vers 0, cela assurera que C
1⊕ C
i⊕ C
−is’envoie vers C
1⊕ C
iet donc, que les parallélogrammes se tranforment en carrés. Or, par construction, on voit immédiatement que le quadrilatère (1, −1, 1, −1) a une image nulle.
Remarque. Comment ça, on aurait pu se contenter d’un calcul ? Un calcul peut-il remplacer le bonheur de la découverte d’un beau point de vue sur la géométrie ? Et surtout, les perspectives qu’ouvrent une telle approche. On peut voir par exemple que toute construction cyclique (commutant à l’action de Z /4 Z ) et n’utilisant que des similitudes directes (donc C -linéaires) trans- forme un parallélogramme en un parallélogramme. On peut voir également de façon très naturelle, en regardant les valeurs propres de α, que si l’on part d’un quadrilatère, alors la construction du théorème de Thébault, après n itération, tend vers un carré. Enfin, si on ne veut pas entendre parler de représentations, mais simplement de diagonalisation, on peut plus modeste- ment dire que α commute à une matrice de permutation cyclique, et donc, est un polynôme en cette matrice.
On peut également comprendre en un clin d’oeil le théorème de Napoléon qui est l’équivalent du théorème de Thébault où l’on a remplacé les paral- lélogrammes par des triangles quelconques et les carrés par des triangles équilatéraux. Le problème se résout à vue à l’aide des représentations de Z /3 Z .
Exercice 0.3 (Nombre de solutions d’une équation dans G). Soit G un groupe et x
i∈ G, 1 ≤ i ≤ n, appartenant respectivement à la classe de conjugaison C
i. On souhaite montrer la formule
{(g
1, · · · , g
n), Y
i
g
i= e, g
i∈ C
i}
= 1
|G|
X
χ∈Irr(G)
Q
ni=1
|C
i| χ(x
i) χ(1)
n−2. 1. Soit ρ une représentation irréductible de G de caractère χ sur un
espace V . Montrer par récurrence la formule 1
|G|
nX
t1,···,tn∈G
ρ
n
Y
i=1
(t
ix
it
−1i)
= Q
ni=1
χ(x
i)
χ(1)
nId
V,
et en déduire 1
|G|
nX
t1,···,tn∈G
χ
regn
Y
i=1
(t
ix
it
−1i)
= X
χ∈Irr(G)
Q
ni=1
χ(x
i) χ(1)
n−2,
où χ
regdésigne le caractère de la représentation régulière.
2. Soit N le cardinal de {(t
1, · · · , t
n) ∈ G
n, Q
ni=1
(t
ix
it
−1i) = e}. Dé- duire l’égalité
N = |G|
n−1X
χ∈Irr(G)
Q
ni=1
χ(x
i) χ(1)
n−2.
3. En déduire la formule souhaitée.
4. Application : expliquez comment détecter, à partir de la table de caractères de G, l’existence de sous-groupes de G isomorphes à D
m, à A
4, S
4, A
5...
Soluce
1. Montrons la formule par récurrence. Tout d’abord, pour n = 1, on voit que l’endomorphisme P
t1∈G
ρ(t
1x
1t
−11) de V commute à l’action de G, et définit donc un morphisme de représentations. Comme ρ est irréductible, c’est une homothétie, par le lemme de Schur. En calculant la trace par deux manières, on trouve que le rapport de l’homothétie est égal à
1
dim V tr X
t1∈G
ρ(t
1x
1t
−11)
= |G|
dim V χ(x
1) = |G| χ(x
1) χ(1) .
Supposons maintenant le résultat prouvé à l’ordre n, et montrons-le à l’ordre n + 1. Soit y dans G. Multiplions à droite l’égalité obtenue à l’ordre n par ρ(y), ce qui nous donne
1
|G|
nX
t1,···,tn∈G
ρ
n
Y
i=1
(t
ix
it
−1i)y
= Q
ni=1
χ(x
i) χ(1)
nρ(y).
On obtient alors |G| égalités en posant y = t
n+1x
n+1t
−1n+1, t
n+1par- courant G. En prenant la moyenne de ces égalités et en réutilisant l’assertion pour n = 1, on obtient
1
|G|
n+1X
t1,···,tn,tn+1∈G
ρ
n+1
Y
i=1
(t
ix
it
−1i)
= Q
n+1i=1
χ(x
i)
χ(1)
n+1Id
V.
D’où la récurrence.
En prenant la trace des deux côtés de l’égalité à l’ordre n, il vient 1
|G|
nX
t1,···,tn∈G
χ
n
Y
i=1
(t
ix
it
−1i)
= Q
ni=1
χ(x
i) χ(1)
n−1. Maintenant, on rappelle que χ
reg= P
χ
χ(1)χ. Donc, en effectuant une combinaison linéaire des égalités obtenues pour tous les caractères irréductibles χ, on obtient bien la formule annoncée.
2. Cela découle directement du fait que
|G|1χ
regest la fonction caractéris- tique de e.
3. L’application (t
1, · · · , t
n) 7→ (t
1x
1t
−11, · · · , t
nx
nt
−1n) définit (bien) une surjection de {(t
1, · · · , t
n) ∈ G
n, Q
ni=1
(t
ix
it
−1i) = e} vers l’ensemble {(g
1, · · · , g
n) ∈ G
n, Q
i
g
i= e, g
i∈ C
i}.
On sait que si g
iest dans la classe C
i, alors l’ensemble des éléments k
itels que k
ix
ik
i−1= g
iest une classe à gauche modulo le stabilisateur (ici, le centralisateur) Z
ide x
i. L’image réciproque d’un élément (g
1, . . . , g
n) est donc de cardinal
n
Y
i=1
|Z
i| =
n
Y
i=1
|G|
|C
i| .
On déduit alors facilement la formule voulue en divisant N par ce cardinal.
4. Trouver un sous-groupe isomorphe au groupe diédral D
mrevient à trou- ver des éléments r et s dans G tels que r est d’ordre m, s est d’ordre 2, et srs
−1= r
−1. Cela revient à trouver g
1dans une classe C
1d’éléments d’ordre m, g
2, g
3dans des classes C
2, C
3(éventuellement égales), d’élé- ments d’ordre 2, avec g
1g
2g
3= e. En effet, si l’on pose r := g
1, s := g
2, on aura bien r d’ordre m, s d’ordre 2 et rsg
3= e, ce qui implique rs d’ordre 2, puis, srs
−1= r
−1. Réciproquement, à partir de r et s, on pose g
1= r, g
2= s, et g
3= (rs)
−1.
Pour détecter l’existence de sous-groupes de G isomorphes à D
m, il suffit de calculer
|G|1P
χ∈Irr(G) Q3
i=1|Ci|χ(Ci)
χ(1)