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Oncologie : Article pp.31-36 du Vol.9 n°1 (2015)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Quand perte de sens rime avec souffrance : analyse qualitative du vécu des médecins à l ’ annonce d ’ une mauvaise nouvelle en oncologie

When Loss of Meaning Rhymes with Suffering: Qualitative Analysis of Physicians’ Experience when Breaking Bad News in Oncology

A. Desauw · P. Antoine · S. Cattan · V. Christophe

Reçu le 16 janvier 2015 ; accepté le 26 janvier 2015

© Lavoisier SAS 2015

RésuméCette étude vise à explorer l’expérience subjective des médecins confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie. Elle repose sur l’analyse qualitative (Ana- lyse interprétative phénoménologique) de 22 entretiens menés auprès de médecins hospitaliers. Cette analyse révèle que le sens que les médecins donnent à l’annonce et à leur rôle est déterminant dans leur vécu émotionnel de l’annonce.

Ces résultats amènent de nouveaux éléments de compréhen- sion du vécu des médecins à l’annonce d’une mauvaise nou- velle en cancérologie à intégrer aux formations des médecins.

Mots clésAnalyse interprétative phénoménologique · Annonce de mauvaise nouvelle · Cancer · Médecin · Vécu émotionnel

Abstract The aim of this study is to explore physicians’ subjective experience when breaking bad news in oncology.

This study is based on a qualitative analysis (Interpretative Phenomenological Analysis) of 22 interviews of physicians working in hospitals. The analysis shows that the meaning that physicians give to the announcement and their role was a decisive element on their emotional experience of the announcement. These results present new elements of our understanding of physicians’ experience when breaking bad news in oncology, which should be integrated into physicians’training.

Keywords Interpretative phenomenological analysis · Breaking bad news · Cancer · Physician · Emotional experience

Introduction

L’annonce d’une mauvaise nouvelle se définit couramment dans la littérature par une information qui vient modifier radicalement et négativement l’idée que se fait le patient de son avenir [1]. En oncologie, l’annonce d’une mauvaise nou- velle peut concerner celle d’un diagnostic initial de cancer, d’une rechute, d’un échec thérapeutique, de l’évolution de la maladie, de l’orientation en soins palliatifs, etc. Il s’agit d’un exercice particulièrement difficile qui requiert de la part du médecin qu’il transmette une information au patient au plus près de la vérité médicale, tout en laissant la place à l’espoir [2,3]. Ces situations d’annonce sont particulièrement anxio- gènes pour les médecins [4–8]. Le stress éprouvé au moment de l’annonce dépend des caractéristiques du médecin, du patient, de la relation médecin–patient, de la maladie, de l’institution et des imprévus médicaux [9]. Parmi les facteurs de stress des médecins face à l’annonce apparaissent : la peur d’être tenu pour responsable, la peur des réactions émotion- nelles des patients, la peur d’exprimer ses émotions, celle de ne pas savoir répondre aux questions des patients ou encore la peur de leur propre mort [1,10–12].

A. Desauw (*) · P. Antoine · V. Christophe (*)

Laboratoire UMR-CNRS 9193 SCA-Lab, Université Lille 3, Domaine Universitaire du Pont de Bois, BP 60149, F-59653 Villeneuve dAscq Cedex, France e-mail : armelle.desauw@gmail.com, veronique.christophe@univ-lille3.fr A. Desauw

Psychiatrie et Psychologie Clinique de Liaison, CHRU Nancy, rue du Morvan, F-54511 Vandoeuvre-Lès-Nancy, France S. Cattan

Maladies de l’Appareil Digestif et Nutrition, Hôpital Huriez, CHRU Lille, 1, Avenue Polonovski, F-59037 Lille Cedex, France P. Antoine · V. Christophe

Maison européenne des sciences de lhomme et de la société (MESHS), USR CNRS 3185, 2, rue des Canonniers, F-59000 Lille, France

V. Christophe

SIRIC OncoLille, Cancéropôle Nord-Ouest,

6, rue du Professeur Laguesse - CS 50027, F-59045 Lille Cedex DOI 10.1007/s11839-015-0503-9

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Si la recherche quantitative a permis de mesurer le stress des médecins à l’annonce d’une mauvaise nouvelle et d’identifier ses facteurs externes, la littérature apporte peu d’éléments de compréhension sur les processus psychiques sous-jacents qui expliquent le ressenti des médecins. À notre connaissance, peu d’études de type qualitatif ont été menées afin d’explorer cette problématique (Tableau 1). Or, comme le soulignent Stiefel et Guex [17], p. 424, « les stresseurs intrapsychiques aident à la compréhension du stress lié au travail puisqu’ils constituent le lien entre réalité intrapsy- chique et monde externe du clinicien » (Tableau 1).

Du constat de l’insuffisance d’études traitant de cette pro- blématique dans la littérature, une recherche visant à identi- fier les processus psychiques qui sous-tendent le vécu des médecins confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie nous est apparue nécessaire. Plus précisé- ment, cette étude qualitative a pour objectifs d’étudier :

lexpérience subjective des médecins face à l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie ;

la disparité de leur vécu émotionnel ;

les processus psychiques sous-jacents.

Méthode Participants

Vingt-deux médecins ont été sollicités par courriel pour par- ticiper à une étude portant sur leur vécu de l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie. Ces médecins exer- çaient dans différents services hospitaliers, mais tous avaient en commun d’être amenés à annoncer des mauvaises nou- velles à leurs patients, en lien avec des affections cancéreu- ses. Leurs caractéristiques sociodémographiques sont pré- sentées dans le Tableau 2.

Procédure

Les entretiens ont été menés par la psychologue en charge de l’étude, sur le lieu d’exercice des médecins. Chaque partici- pant a pris connaissance d’une lettre d’information puis signé un consentement de participation. Les entretiens semi-structurés suivaient une grille d’entretien volontaire- ment brève, afin de répondre aux contraintes de temps des participants (Tableau 3). Les entretiens étaient enregistrés puis intégralement retranscrits. Cette étude a obtenu l’avis favorable du comité d’éthique de l’université de Lille 3.

Analyse des entretiens

La durée moyenne des entretiens était de 20 minutes (57 % des entretiens duraient entre 15 et 25 minutes). Les entretiens ont fait l’objet d’une analyse qualitative s’appuyant sur la méthode IPA (Interpretative Phenomenological Analysis) [18]. L’analyse phénoménologique a pour but d’étudier non pas les faits réels, mais la perception et l’expérience que les individus en ont, en mettant en évidence la singula- rité et la variabilité entre les individus, à travers un travail d’interprétation [13]. Afin de limiter toute interprétation abu- sive, les analyses ont été réalisées conjointement par deux chercheurs.

Résultats

L’analyse des 22 entretiens a permis de mettre en évidence deux thèmes principaux :

quand il ny a plus rien à faire : entre sentiment d’injustice et nouvelle philosophie de vie ;

parvenir à trouver de nouveaux projets de soins lorsque guérir n’est plus possible.

Tableau 1 Études qualitatives explorant le vécu des médecins à lannonce dune mauvaise nouvelle.

Auteurs Participants Méthode danalyse des entretiens

Principaux résultats

Friedrichsen et Milberg [13]

30 médecins exerçant en cancérologie

IPA (Interpretative Phenomenological Analysis)

Mise en évidence du sentiment de perte de contrôle au moment de lannonce, en lien avec des pensées existentielles

Supe [14] 12 internes Grounded Theory Identification des difficultés rencontrées au moment de lannonce

Shaw et al. [15] 28 médecins exerçant dans différentes spécialités

IPA Mise en évidence des réactions émotionnelles

et des stratégies de coping des médecins face à lannonce Stenmarker et al. [16] 10 médecins exerçant

en oncopédiatrie

Grounded Theory Identification des stratégies dadaptation

dans les contextes dannonces de pronostics défavorables

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Thème 1 : Quand il n’y a plus rien à faire :

entre sentiment d’injustice et nouvelle philosophie de vie

Ce premier thème renvoie au sens que les médecins donnent à l’annonce de mauvaises nouvelles. L’analyse des entretiens révèle une représentation commune à tous les participants,

pour qui l’annonce est synonyme « qu’il n’y a plus rien à faire » (M21). Les médecins se perçoivent dans une absence de solutions médicales, une absence de guérison, avec la fin de vie en filigrane :

Concernant la mauvaise nouvelle, ce n’est pas l’annonce du diagnostic initial où il y a encore un trai- tement potentiellement curatif, pour moi, […], ce sont vraiment des mauvaises nouvelles où l’on ne peut pas donner, aucune roue de secours, aucun espoir de gué- rison. […] C’est vraiment quand on annonce le début de la fin. (M17).

On a aussi un sentiment d’injustice

Au-delà de cette représentation commune, les médecins se différencient dans le sens qu’ils donnent à l’annonce. Quel- ques médecins dénoncent l’injustice qu’ils perçoivent dans ces situations de mauvaises nouvelles, et ce qu’elles impli- quent, comme l’explique le médecin (M20) :« Elle a subi ses quatre cures de chimiothérapie, […], malade comme une bête […], pour rien, puisqu’elle est morte, […], c’est pas juste ». Derrière cette injustice transparaissent leurs valeurs personnelles concernant le sens de la justice, de la vie et de la mort : «Les enfants ce n’est pas fait pour mourir, une per- sonne âgée qui a une maladie et qui est en bout de course voilà, je dis pas qu’il y a un âge, mais 80 ans ou 70 ans bon ça va » (M2). Ainsi, l’annonce d’une mauvaise nouvelle vient se heurter aux propres valeurs des médecins, ce qui la rend insensée. Elle n’est acceptable ni pour le patient, ni pour le médecin, qui la vit difficilement :

Mais annoncer à des gens qui sont « en bonne santé » leur dire que leur vie va changer, car on a trouvé quelque chose, on n’a pas envie d’être là, on a envie de dire on s’est trompé. (M2).

La difficulté éprouvée face à l’annonce est telle que ce médecin exprime son refus de l’annonce, son désir de fuite et d’échappement.

J’en fais une rencontre

D’autres médecins, considérant l’annonce comme une tâche inhérente à leur travail, vont parvenir à lui trouver un sens acceptable, ce qui va la rendre bien plus supportable et moins coûteuse émotionnellement, comme en témoigne le médecin M1 : «Autant que j’accepte et que je me dise, il faut que ça se passe au mieux pour la personne qui est en face. […] J’en fais une rencontre, donc c’est aussi enrichissant pour moi ».

Par ce processus de « mise en sens », ce médecin parvient à faire de l’annonce de mauvaises nouvelles une expérience personnelle constructive.

Tableau 3 Grille dentretien.

Questions posées aux médecins

Sur quels critères vous basez-vous pour dire quune annonce de mauvaise nouvelle sest bien déroulée ?

Pouvez-vous rappeler lannonce dune mauvaise nouvelle que vous avez dû effectuer ?

Pouvez-vous mexpliquer comment vous lavez vécue ? Y-a-t-il dautres éléments sur cette thématique que vous souhaiteriez rajouter ?

Tableau 2 Tableau de données sociodémographiques des médecins.

Pourcentage (effectifs) Sexe

Femme 59,1 (9)

Homme 40,9 (13)

Âge

Moins de 35 31,8 (7)

De 35 à 40 22,7 (5)

De 41 à 45 9,1 (2)

De 46 à 50 9,1 (2)

De 51 à 55 13,6 (3)

Plus de 55 13,6 (3)

Moyenne (écart-type) 41,9 (10,4) Spécialité

Hématologie 22,7 (5)

Oncologie générale 31,8 (7) Oncologie sénologie 9,1 (2) Oncologie urologie et digestive 4,5 (1)

Radiothérapie 4,5 (1)

Soins palliatifs 4,5 (1)

Pneumologie 13,6 (3)

Gynécologie 4,5 (1)

Gastroentérologie 4,5 (1) Ancienneté

Moins de 5 ans 22,7 (5)

De 5 à 10 31,8 (7)

De 11 à 15 13,6 (3)

De 16 à 20 13,6 (3)

De 21 à 25 4,5 (1)

Plus de 25 13,6 (3)

Moyenne (écart-type) 12,1 (9,6)

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On observe cependant une variabilité entre les médecins quant au sens donné à l’annonce. Certains font de l’annonce un moment privilégié d’échanges et d’authenticité avec le patient :

Personnellement, les choses qui me plaisent pas mal dans cette discipline c’est de pouvoir parler de quelque chose de sérieux avec le patient. (M3).

D’autres médecins vont la considérer comme un chal- lenge professionnel, dont les enjeux principaux sont la trans- mission de l’information et le bien-être du patient :

Je prends ça comme un moment important de l’infor- mation. Je ne fuis pas l’annonce, en fait, mais j’aime bien réfléchir sur la façon dont le médecin (…) essaie le mieux possible de s’adapter au patient, etc. Quand je sais que je dois faire ça, ça m’intéresse ! (M13).

L’annonce devient alors source d’intérêt pour les méde- cins, elle n’est pas redoutée et elle est même parfois appréciée.

Enfin, un médecin décrit son développement personnel et l’acquisition d’une nouvelle « philosophie de vie » à travers l’expérience d’annonces de mauvaises nouvelles, redéfinis- sant ses priorités de vie :

Parce que, certainement, je suis confrontée de façon quotidienne à la mort, donc, j’ai l’impression, je pense être beaucoup plus à distance des soucis financiers […] on apprécie beaucoup plus la vie, globalement […] on a une philosophie de la vie je pense, qui est différente, […] on profite de tout. (M22).

Thème 2 : Parvenir à trouver de nouveaux projets de soins lorsque guérir n’est plus possible

Ce second thème décrit le sens que les participants donnent à leur rôle de médecin au moment de l’annonce. À nouveau, une représentation commune émerge : les médecins se per- çoivent comme le messager d’une nouvelle, à l’origine d’une rupture du parcours de vie du patient :« En fait, c’est un peu être porteur d’une nouvelle qui fait tout s’écrouler pour le patient »(M4). Au-delà de cette représentation commune, des différences apparaissent parmi les médecins.

Médecine, c’est soigner, ce n’est pas écouter

Un premier groupe de médecins se perçoit dans le rôle du médecin « guérisseur », dans le « cure » :« Médecine, c’est soigner, ce n’est pas écouter »(M2). L’annonce de mauvai- ses nouvelles vient se heurter au sens qu’ils donnent à leur rôle. À partir de leur idéal professionnel, ils élaborent des objectifs de soins qui semblent peu réalistes et peu compati- bles avec le contexte de mauvaises nouvelles, tels que ne pas déclencher d’émotions chez le patient :« Une annonce s’est

bien déroulée forcément si la patiente ne s’effondre pas. » (M2). L’annonce devient source d’appréhension :« On va comme si on allait à l’échafaud pour annoncer la nouvelle » (M2). Le désir d’échappement est prégnant dans leur dis- cours :« Pas envie d’y aller. Pas envie d’y aller. C’est la veille de la Passion. Pff, on se dit, bon sang, qu’est-ce que je fous là ? »(M9). La détresse émotionnelle des patients est particulièrement anxiogène, difficile à gérer et à l’origine d’une sensation de malaise au moment de l’annonce :

On n’aime pas trop que les gens soient très expressifs, car c’est difficile à vivre pour nous. […] on ne sait pas trop quoi dire, on n’a pas trop les mots magiques on ne sait pas quoi dire pour la consoler, on ne sait plus où se mettre. (M2)

Si j’anticipe, bon, ben, si on est mal à l’aise, c’est parce qu’il y a la détresse du patient. Et alors avant, ben, la veille, on dit mince, ben, cette patiente-là, qu’est-ce que je vais raconter, j’en sais rien. Je ne sais plus, je ne sais pas comment faire. (M9).

Enfin, le décalage entre cet idéal du médecin « guérisseur » et la réalité de l’annonce fait naître un sentiment d’impuis- sance et d’échec face à l’annonce :

On se rend compte, que l’on n’a pas notre rôle de soi- gnant, on n’est pas au maximum, mais on ne peut pas faire autrement ! Après, c’est difficile parce que vous avez toujours ce sentiment un peu d’échec. (M10).

On a gagné sa journée, on en tire une vraie fierté

Si les médecins du premier groupe témoignent de leur diffi- culté face aux annonces de mauvaises nouvelles, ceux du second groupe relatent un tout autre vécu de l’annonce.

Ces médecins décrivent un nécessaire processus d’accepta- tion des limites de la médecine et de leur rôle en tant que médecin, afin de se protéger psychiquement :

Je pense que si on veut faire de la cancéro, il faut accep- ter que l’on ne peut pas toujours guérir les patients, parce que sinon, ce n’est pas vivable. […] si on veut absolument sauver les patients, on deviendrait dingue.

(M15).

Loin du rôle de médecin « guérisseur », ils se perçoivent dans le rôle du médecin qui prend soin, accompagne et ras- sure le patient. Ils élaborent des objectifs de soins qui parais- sent réalistes au regard des situations d’annonces, tels que transmettre une information médicale, aller au rythme du patient, le soutenir ou l’aider à préparer sa fin de vie.

On ne peut pas changer la maladie, parce qu’elle existe et c’est indépendant de nous, mais on peut chan- ger plein de petites choses autour. (M15).

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Moi je ressors de la consultation en me disant que ça s’est bien déroulé si j’ai l’impression […] que ça allait entre guillemets à la vitesse du patient. (M1).

Ce processus semble prémunir ces médecins du sentiment d’impuissance : «Et ça, c’est après, le travail que l’on fait par la suite, et qui je dirais, permet de, de supporter l’an- nonce diagnostique difficile du patient, […] on s’investit davantage dans l’accompagnement » (M15). L’atteinte de ces objectifs réalistes et congruents au sens qu’ils donnent à leur rôle de médecin leur permet également de se sentir bien au moment de l’annonce, voire d’éprouver une satisfac- tion après l’annonce :

En général, on est entre guillemets quand même

« satisfait » d’avoir pu avancer, […] pas la satisfaction de leur avoir dit quelque chose qui est terrible, mais plutôt la satisfaction de l’accompagner au mieux.

(M1).

On a pu aller dans l’explication et dans la vérité. […] Et quand on arrive sur cette même longueur d’onde là, et ben on a gagné sa journée quoi, enfin, on est rentré chez soi, on en tire une vraie fierté d’arriver à ce niveau-là. (M19).

Discussion

L’objectif de l’étude était d’apporter des éléments de compré- hension de l’expérience subjective des médecins confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie. L’analyse des entretiens a permis de faire émerger une représentation commune des médecins concernant l’annonce qui est syno- nyme d’absence de guérison, et leur rôle qui est celui du mes- sager d’une nouvelle à l’origine d’une rupture chez le patient.

Au-delà de cette représentation commune, des disparités émergent parmi les médecins de notre étude, au niveau du sens qu’ils donnent à l’annonce (thème 1), et à leur rôle (thème 2), faisant apparaître deux profils distincts de médecins.

Les premiers vivent l’annonce comme un non-sens au regard de leurs valeurs personnelles (de leur sens de la jus- tice) et professionnelles (de leur représentation du médecin

« guérisseur »). Ils élaborent des objectifs peu réalistes face à la réalité médicale, de telle sorte que l’annonce est vécue difficilement : elle est source d’appréhension et fait naître un sentiment d’injustice, d’impuissance et d’échec.

Les seconds parviennent à donner à l’annonce de mauvai- ses nouvelles un sens acceptable, à en faire une expérience personnelle positive et enrichissante. Le sens qu’ils donnent à leur rôle de médecin est davantage dans le « prendre soin » et l’accompagnement. Dans cette perspective, ils élaborent des objectifs qui semblent réalistes au moment de l’annonce.

Ainsi, l’annonce n’est pas redoutée ; elle est appréciée et devient source de satisfaction.

Ces résultats font écho à ceux de deux études menées en soins palliatifs. Ainsi, Jackson et al. [19] ont souligné l’impor- tance du sens donné par les médecins à leur rôle en soins palliatifs, en identifiant deux profils d’oncologues, opposant ceux qui avaient une perception exclusivement biomédicale de leur rôle et éprouvaient un sentiment d’échec dans l’accom- pagnement des patients en fin de vie, contrairement à ceux qui avaient une perception biomédicale et psychosociale de leur rôle et éprouvaient une satisfaction dans leur travail. Ces résultats soulignent l’importance, pour les médecins, d’élabo- rer une représentation de leur rôle qui soit congruente à la réalité médicale [20,21]. Une autre étude de Sinclair [22] a montré que les soignants exerçant auprès de patients en fin de vie développaient une nouvelle philosophie de vie, telle qu’apprendre à vivre l’instant présent, et se sentaient en har- monie avec eux-mêmes, pourvu qu’ils acceptent leurs limites.

Effectivement, trouver un sens dans son travail en accord avec ses valeurs personnelles et professionnelles favorise le bien- être des médecins, leur satisfaction au travail et les prémunit du burn-out [20,21,23–27].

Ces résultats nous apportent donc une nouvelle perspec- tive dans la compréhension de l’expérience émotionnelle des médecins confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie. Au-delà de la complexité de l’annonce, c’est la représentation que se fait le médecin de son rôle, ainsi que le sens qu’il met derrière l’annonce, qui déterminent son vécu émotionnel de l’annonce.

Il est cependant nécessaire de prendre en considération les limites de notre étude dans l’interprétation de ces résultats et leur portée. La première limite concerne le choix méthodo- logique du recours à l’IPA qui ne permet pas la généralisa- tion des résultats du fait de la taille restreinte de l’échantil- lon. La deuxième concerne les participants eux-mêmes ; la volonté des médecins de participer à cette étude suppose un intérêt et une réflexion de leur part autour de leur vécu de l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie, ce qui n’est probablement pas le reflet de l’ensemble des médecins.

En termes d’implications cliniques, les résultats de notre étude amènent de nouveaux éléments à intégrer dans les for- mations des médecins à la communication et à l’annonce de mauvaises nouvelles. Ainsi, comme le suggèrent Shanafelt et al. [28–30], un questionnement autour du sens que les médecins donnent à l’annonce et à leur rôle, et l’exploration de leurs valeurs personnelles et professionnelles pourraient contribuer à diminuer la difficulté des médecins face à l’an- nonce, augmenter leur satisfaction personnelle et prévenir le burn-out.

RemerciementsLes auteurs remercient les médecins pour leur participation à cette étude.

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Liens d’intérêts : les auteurs remercient également le Comité Nord de la Ligue Contre le Cancer et le Conseil Régional du Nord Pas-de-Calais pour leur soutien financier.

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