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Oncologie : Article pp.170-178 du Vol.9 n°3 (2015)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Découverte d ’ une grossesse pendant le traitement d ’ un jeune enfant atteint de cancer : accompagnement psychothérapique des parents

Discovery of a New Pregnancy during the Cancer Treatment of a Young Child:

Psychotherapeutic Accompaniment of the Parents

E. Seigneur

Reçu le 20 août 2015 ; accepté le 25 août 2015

© Lavoisier SAS 2015

RésuméPour les parents d’un jeune enfant en cours de trai- tement pour un cancer, la découverte d’une grossesse est un événement relativement rare, mais émotionnellement boule- versant, car les parents doivent alors décider, dans ce contexte si particulier, de poursuivre ou non cette grossesse. Dans cet article, nous avons décrit et analysé le parcours et le chemi- nement psychique de deux couples de parents d’un jeune enfant traité pour une tumeur cancéreuse et qui ont été confrontés à cette situation complexe. Le travail du psycho- logue ou du pédopsychiatre est d’accompagner ces parents dans leur cheminement psychique, mais aussi de proposer un cadre d’écoute subjective et d’élaboration des mouvements psychiques à l’œuvre, marqués par une forte ambivalence, afin de permettre les conditions d’une prise de décision sans chercher à influencer celle-ci.

Mots clésCancer · Grossesse · Parents · Enfant · Décision

AbstractFor the parents of a young child in the course of treatment for cancer, the discovery of a pregnancy is a relati- vely rare event but very upsetting because the parents must then decide whether to continue the pregnancy or not. In this article, we describe and analyze the course and the psychic advancement of the parents of a young child treated for a cancerous tumor who are confronted with this complex situa- tion. The work of the psychologist or child psychiatrist is not only to accompany these parents in their psychic advance- ment but also to propose a framework of subjective listening

and elaboration of the psychic movements at work, marked by a strong ambivalence, in order to allow the conditions of deci- sion making without seeking to influence this one.

Keywords Cancer · Pregnancy · Parents · Child · Decision

Introduction

Les parents des enfants soignés en oncohématologie pédia- trique sont en âge de procréer pour la plupart d’entre eux et encore engagés bien souvent dans la constitution de leur famille. Pour les parents de très jeunes enfants et particuliè- rement ceux dont l’enfant malade est le premier enfant, la question de concevoir un autre enfant se pose régulièrement, le plus souvent au décours de la maladie alors que l’enfant traité est en rémission, voire guéri. Cette question est géné- ralement discutée avec le pédiatre oncologue référent qui oriente le plus souvent les parents vers une consultation d’information génétique afin d’évaluer au mieux les risques éventuels pour l’enfant à naître et proposer ainsi, s’il y a lieu, la recherche d’une prédisposition génétique pouvant conduire à un diagnostic prénatal, voire préimplantatoire.

Dans d’autres cas, la mère de l’enfant chez qui on vient de diagnostiquer un cancer est déjà enceinte, et là aussi, face aux questions que se posent les parents, une consultation d’information génétique peut être proposée en urgence afin d’évaluer les risques et éventuelles mesures à prendre pour l’enfant à naître au sujet de la surveillance de la grossesse et/

ou de la période néonatale.

Dans cet article, nous traitons d’une situation plus rare liée à la découverte d’une grossesse pendant le traitement d’un jeune enfant atteint de cancer. Cette situation est parti- culière, car elle plonge immédiatement les parents dans une réflexion quant à la possibilité, à leur capacité et enfin à leur désir de poursuivre ou pas cette grossesse alors même que leur petit enfant est en cours de traitement pour une

E. Seigneur (*)

Pédopsychiatre, institut Curie, département d’oncologie pédiatrique,

adolescents et jeunes adultes (DOPAJA) et unité de psycho-oncologie (UPO), 26, rue d’Ulm, F-75005 Paris, France

e-mail : etienne.seigneur@curie.fr DOI 10.1007/s11839-015-0528-4

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pathologie cancéreuse grave. Choisir de donner ou pas la vie à un autre enfant, alors même que son propre enfant est menacé par un cancer, place les parents face à d’importants dilemmes à différents niveaux d’un point de vue psychique.

Nous avons été confrontés, dans notre pratique clinique et de manière simultanée, à deux situations de parents d’un très jeune enfant atteint de cancer, parents que nous avons accompagnés autour de la découverte d’une grossesse. Ces deux couples, mères et pères, ont cheminé de manière diffé- rente, ce qui les a conduits à prendre des décisions différen- tes quant à la poursuite de cette grossesse. La juxtaposition de l’accompagnement de ces deux couples nous a amené à réfléchir aux enjeux psychiques, conscients et inconscients, qui sous-tendent ces cheminements ainsi qu’au travail que peut réaliser dans ces situations le psychologue ou le pédo- psychiatre du service d’oncologie pédiatrique où le jeune enfant est soigné.

Alors que de nombreux travaux et ouvrages sont consa- crés notamment à la question de l’interruption volontaire de grossesse, au devenir parent, et plus globalement au champ de la psychologie ou de la psychiatrie périnatale [1–6], il n’existe à notre connaissance aucun travail spécifique à cette situation clinique relativement rare à laquelle nous avons néanmoins été confrontés à deux reprises de manière simul- tanée. Loin de proposer une généralisation sur la base de deux situations cliniques singulières, nous souhaitons propo- ser des éléments de réflexion susceptibles de guider les équi- pes soignantes et notamment les collègues psychologues et pédopsychiatres qui accompagnent ces couples. Après le récit, volontairement assez descriptif de ces deux histoires cliniques, nous tenterons de dégager des axes de compréhen- sion des enjeux psychiques liés à cette question de la décou- verte d’une grossesse alors même qu’un jeune enfant est en cours de traitement pour un cancer.

Histoire de Pierre et de ses parents

Pierre est un nourrisson âgé de 14 mois lorsqu’il est hospi- talisé en urgence dans le service d’oncologie pédiatrique.

C’est un bébé sans antécédent particulier avec un dévelop- pement psychomoteur tout à fait satisfaisant jusque-là et qui a marché sans aide dès ses 12 mois. Depuis environ deux mois, ses parents avaient constaté une modification du contact avec leur enfant, sans symptomatologie neurolo- gique particulière. La semaine précédant son hospitalisation, au décours d’une banale rhinite, Pierre a commencé à pré- senter des troubles de la marche qui ont motivé une consul- tation aux urgences pédiatriques où un diagnostic de rhume de hanche a été évoqué. La radiographie du bassin et du fémur ne retrouve alors pas de lésion ni d’image lytique.

La persistance puis l’aggravation de cette symptomatologie conduisent alors ses parents le lendemain aux urgences de

l’hôpital de proximité où le médecin qui examine Pierre constate une perte de la station debout et une diminution de la motricité des membres inférieurs. Une scintigraphie osseuse est alors réalisée et met en avant de nombreuses anomalies de fixation en regard du rachis dorsal. Cet examen est complété par la réalisation en urgence d’une IRM qui met en évidence la présence d’une volumineuse masse posté- rieure gauche sus-diaphragmatique avec une extension intra- canalaire responsable d’une compression médullaire.

Pierre est alors adressé en urgence dans le service pour que soit initiée une chimiothérapie par voie intraveineuse ainsi qu’une corticothérapie à forte dose. Les parents sont alors reçus par le médecin pédiatre oncologue qui leur annonce qu’il s’agit d’une tumeur cancéreuse et le diagnostic très probable de neuroblastome thoracique avec compression médullaire, on parle aussi de neuroblastome thoracique en sablier du fait de sa présentation en imagerie médicale.

D’emblée, il leur est indiqué, en dépit du bon état général de Pierre constaté par le médecin et de la qualité des inter- actions avec lui lors de l’examen médical, l’impossibilité actuelle de se prononcer sur la récupération neurologique de Pierre.

Trois semaines plus tard, Pierre est revu en consultation par le médecin pédiatre oncologue référent en prévision de la réalisation de la deuxième cure de chimiothérapie cette fois en hôpital de jour. À part quelques passages dans l’hô- pital pédiatrique de proximité liés à des pics fébriles en période d’aplasie, la tolérance de la première cure est décrite comme très correcte sur le plan général. Durant cette période, Pierre a été vu en consultation dans un centre pédia- trique de rééducation neurologique où des soins plus spéci- fiques vont être mis en place, en particulier en kinésithérapie et en psychomotricité, conjointement au traitement de la maladie cancéreuse. Lors de cette consultation, un début de récupération neurologique des membres inférieurs est rapporté par les parents et confirmé par l’examen médical.

Il est également annoncé aux parents de Pierre que les carac- téristiques de la tumeur cancéreuse (absence d’amplification de certains gènes) la font classer dans les tumeurs de bas risque. Le traitement de Pierre consistera donc probable- ment, sous réserve des résultats de l’IRM d’évaluation, en deux autres cures de chimiothérapie supplémentaires, soit quatre au total.

C’est lors de cette consultation que les parents de Pierre évoqueront auprès du pédiatre la découverte récente d’une grossesse en cours et leur interrogation quant à la poursuite de celle-ci dans le contexte actuel. À leur demande, une consultation d’information génétique sera organisée pour qu’ils soient informés du risque pour un bébé à venir d’être porteur de la même pathologie que Pierre. Le pédiatre leur propose alors également de rencontrer l’un des « psys » du service, ce qu’ils acceptent volontiers.

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Je rencontre donc quelques jours plus tard les deux parents de Pierre en consultation externe, ils sont venus seuls pour cette consultation en dehors de tout rendez-vous médi- cal ou soin pour Pierre qui est gardé par sa grand-mère. Ce sont de jeunes parents dont Pierre est le premier enfant. Dans leur histoire personnelle, on note plusieurs antécédents tumoraux dans la fratrie de la grand-mère paternelle de Pierre. Assez spontanément, les parents de Pierre font la nar- ration des événements qui les ont conduits dans ce service et le choc que l’annonce du cancer a représenté pour eux. Ils parlent aussi d’un deuxième choc, tout aussi traumatique, lié à leur passage dans le centre de rééducation neurologique où ils ont été confrontés à des enfants lourdement handicapés.

La mère de Pierre est très émue en évoquant cette visite et la vision insupportable des enfants en fauteuil roulant, venant comme préfigurer le handicap possible de son fils. Tous deux disent l’incertitude dans laquelle les laisse la médecine quant au devenir neurologique de Pierre, et tous deux disent également leur espoir face à des signes évoquant une récu- pération neurologique mais aussi les doutes et les craintes à l’idée d’une bataille qui serait peut-être gagnée face au can- cer, mais qui laisserait toutefois leur fils potentiellement lourdement handicapé…

C’est alors que la mère évoque une autre difficulté à laquelle le couple se trouve actuellement confronté du fait de la découverte récente d’une grossesse de quelques semai- nes. La mère de Pierre explique s’être initialement sentie très débordée et démunie par cette nouvelle, et elle s’est alors posé la question de poursuivre ou pas cette grossesse.

Cependant très rapidement, elle dit s’être « ressaisie », et sa réflexion depuis ne cesse de se préciser et de se confirmer autour d’une certitude qu’il lui faut poursuivre cette gros- sesse. C’est pour cette raison qu’elle évoque très rapidement durant cet entretien le fait qu’elle a déjà pris sa décision et qu’il lui paraît désormais inconcevable d’imaginer revenir sur celle-ci. Elle décrit en particulier un moment qui a consti- tué un véritable tournant pour elle, à savoir la première écho- graphie, il y a quelques jours. La visualisation de l’embryon, sa forme, et surtout« son petit cœur qui bat », l’a alors véri- tablement projetée dans une position de future mère avec un bébé,« mon bébé », c’est ce qu’elle dit, et depuis il n’existe plus qu’une évidence en elle, garder ce bébé. Évidence qu’elle se sent prête à défendre coûte que coûte et quelles que soient les difficultés qu’il pourrait alors s’agir de traver- ser avec Pierre.

Pour le père de Pierre, les choses paraissent un peu plus compliquées, il semble plus hésitant quant à la poursuite de cette grossesse et fait part de son souci pour son épouse, de sa préoccupation quant à la capacité de cette dernière de mener de front cette grossesse et les soins de Pierre. Il s’interroge aussi sur son propre rôle et sa place de « chef de famille », ce qu’il pourrait faire éventuellement pour aider sa femme dans un moment où le handicap de Pierre le met

très en difficulté par rapport aux activités motrices et ludi- ques qu’il avait l’habitude de partager avec lui. Il entend bien la détermination de son épouse, mais il a peur de ce qui pour- rait advenir avec cette grossesse. Comment donner naissance à un deuxième enfant alors même que le devenir neurolo- gique de Pierre reste encore si incertain pour lui…Il exprime sa crainte pour sa femme, tout ce à quoi elle devrait faire face, et sa peur qu’elle ne s’effondre. Il évoque aussi les réactions des personnes proches à propos de leur question- nement :« Ben c’est vrai que les autres quand on leur parle de ça et qu’ils comprennent qu’on a fait l’amour alors que Pierre était malade, on voit bien que ça les dérange, on se sent jugés…»Cette évocation par le père de Pierre renvoie à une question taboue, quasiment jamais évoquée en pratique clinique, et qui concerne l’activité sexuelle des parents d’un enfant gravement malade et la possibilité de celle-ci, alors même que toutes les représentations spontanées convoquent plutôt un refoulement ou une répression de la sexualité en raison de la préoccupation parentale envers l’enfant malade.

Le père de Pierre parle aussi ici d’une forme de culpabilité, celle de se sentir responsable de cette situation face à laquelle il se sent profondément impuissant, ne sachant pas bien comment aider son épouse, à qui reviendrait la tâche d’assumer physiquement la poursuite de la grossesse, tout comme son fils face à la maladie et à son handicap. Il évoque aussi longuement la situation de sa propre mère, dont l’amai- grissement important, en cours d’exploration, lui fait crain- dre la découverte d’une néoplasie, rappelant alors les nom- breux antécédents de cancer aussi bien de la branche maternelle que paternelle. Il redoute d’avoir à assumer conjointement la maladie de son fils et potentiellement celle de sa mère, ce qui lui paraît peu propice avec la perspective de la poursuite de cette grossesse.

Lorsque je rencontre à nouveau les parents de Pierre une semaine plus tard, la situation semble s’être à la fois clarifiée et harmonisée entre eux. Ils sont tout d’abord très heureux de m’annoncer que la récupération neurologique de Pierre est en bonne voie et qu’ils ont assisté avec beaucoup d’émo- tions au fait que Pierre a repris la marche à quatre pattes à la maison il y a quelques jours. La mère décrit ce moment en utilisant l’expression suivante : « c’était un véritable cadeau, un bonheur », mêlant la surprise et le ravissement éprouvés alors. Ils ont également rencontré juste avant notre entretien la généticienne qui semble les avoir rassurés quant au risque éventuel pour l’enfant à venir. Le neuroblastome, m’expliquent-ils, entre rarement dans le cadre d’une prédis- position génétique, puisque les formes familiales concernent seulement 3 % des cas. Le risque de récurrence dans la fra- trie est donc minime, inférieur à 1 %, et ne justifie pas une étude constitutionnelle du gèneALKimpliqué. Par ailleurs, elle estime qu’il n’existe pas de lien entre l’histoire du neu- roblastome et les antécédents familiaux paternels. Forts de toutes ces bonnes nouvelles, ils ont donc décidé ensemble

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de poursuivre la grossesse, et le père dit n’avoir plus d’in- quiétude et s’être laissé convaincre sans trop de difficulté par sa femme qui n’a jamais cessé de se montrer absolument résolue.

Je les rencontre une troisième fois en présence de Pierre environ deux semaines plus tard lors d’un de leurs passages en hôpital de jour. Ils décrivent une période très difficile liée à toutes les complications qui ont suivi la précédente cure de chimiothérapie. Pour la première fois, ils se montrent très abattus et décrivent un sentiment d’isolement pénible du fait de la maladie de Pierre. Celui-ci a en effet dû être hospitalisé longuement dans le service de pédiatrie de l’hôpital de proxi- mité. Voir leur enfant extrêmement affaibli a été très éprou- vant et en particulier pour la mère de Pierre qui ressentait une fatigue aussi bien physique que morale. Elle se rassure cependant, car si tout se passe bien, il ne reste plus qu’une seule cure de chimiothérapie. Pendant tout cet entretien, pen- dant lequel les parents reviennent sur leurs difficultés actuel- les et leur épuisement, Pierre ne cessera de se déplacer dans la pièce en rampant pour explorer son environnement. Il montera également un vif intérêt pour les différentes stimu- lations et interactions proposées durant cet échange.

Deux mois plus tard environ, je croisais Pierre et ses parents dans la salle d’attente du service. Ils attendent la consultation avec la pédiatre oncologue référente de Pierre.

Celui-ci à l’air très en forme et se tient sur ses deux jambes, agrippé au bord d’une table basse, il porte un jouet à sa bou- che qu’il tend ensuite dans ma direction lorsque je m’adresse à lui. Ses parents m’expliquent que le traitement est terminé, que Pierre est en excellent état général et qu’il marche désor- mais seul. Tout en poursuivant la rééducation en kinésithé- rapie et en psychomotricité deux fois par semaine, il va pro- chainement intégrer la crèche. Il est en rémission complète en dehors d’un reliquat paramédullaire qui sciemment n’a pas été opéré, les parents préfèrent attendre quelques mois avant d’envisager l’ablation du Port-a-Cath®. Je regarde la mère de Pierre et son ventre arrondi, le père m’annonce alors qu’ils attendent un deuxième garçon,« Pierre aura donc un petit frère d’ici un peu moins de quatre mois », me dit-il…

Histoire de Safa et de ses parents

Safa est une petite fille de neuf mois adressée dans le service suite à la découverte d’une masse abdominale gauche. Dans les suites d’un épisode de gastroentérite aiguë, son pédiatre a perçu, en l’examinant, une masse développée aux dépens du pôle inférieur du rein gauche, confirmée par l’échographie réalisée le lendemain. La pédiatre oncologue explique alors aux parents qu’il s’agit très probablement d’un néphroblas- tome. Ce cancer, développé à partir du rein, sera confirmé par l’analyse de la pièce opératoire. Safa doit subir préala- blement à la néphrectomie, quatre cures hebdomadaires de

chimiothérapie en hôpital de jour. La pédiatre oncologue qui la reçoit décide de l’hospitaliser pour réaliser le bilan d’extension de la maladie ainsi que la première cure de chimiothérapie.

Safa est la première enfant du couple, elle est née à terme, elle grandit et se développe absolument sans aucun problème depuis sa naissance. Elle est gardée à domicile par sa mère et est en cours de diversification alimentaire.

Quelques jours plus tard, au cours de cette première hos- pitalisation, je rencontre les parents de Safa qui viennent à leur demande en entretien, sans leur petite fille. Ils sont encore sous le choc de l’annonce diagnostique récente, comme le sont toujours les parents dans cette situation, mais je suis sensible lors de ce premier entretien à la qualité et à l’intensité des angoisses de mort exprimées par les deux parents. Leur discours est en effet émaillé en permanence par l’évocation de la possibilité qu’ils puissent perdre leur fille si elle ne guérissait pas. Les paroles des médecins, rela- tivement rassurantes pour ce néphroblastome localisé, sem- blent ne pas contenir l’angoisse de ces deux parents. Sa mère en particulier paraît extrêmement inquiète quant à la capacité de sa fille à supporter les cures de chimiothérapie, la pre- mière cure ayant pourtant été administrée le jour même sans difficulté particulière relevée par l’équipe soignante. Elle ne cesse de rappeler qu’elle est tellement petite et surtout qu’elle la sent fragile…Le père évoque alors le fait qu’il a connu, dans son cadre professionnel, les parents d’un enfant soigné dans le service et qui est décédé récemment. Même s’ils savent que la pathologie de cet enfant était différente, ils sont néanmoins très choqués de se retrouver à leur tour dans un service dont ils avaient précédemment entendu parler.

Pourtant, ils vont s’attacher très rapidement à ce service, à l’équipe dans son ensemble mais aussi de façon plus élective à certains soignants, comme l’interne qui les a initialement reçus et qui s’est occupé de Safa durant toute la première hospitalisation. Cet attachement s’accompagnera d’une grande réticence de leur part face à la proposition que des soins plus simples puissent être réalisés dans le service de pédiatrie de l’hôpital de proximité, plus proche du domicile des parents. L’équipe médicale finit par accepter que toute la prise en charge de Safa soit réalisée au sein du service.

S’agissant des entretiens dans le « bureau des secrets », c’est le nom donné à la pièce où ont lieu les entretiens avec les psys, ils demandent un rendez-vous chaque semaine, le jour de la chimiothérapie en hôpital de jour et à la même heure, durant les quatre semaines initiales de la chimiothérapie néoadjuvante.

Lors de cet entretien initial, après l’évocation de leurs fortes inquiétudes au sujet de la guérison de Safa, sa mère va évoquer« l’autre souci »comme elle le nomme, auquel ils doivent également faire face. Elle vient en effet de décou- vrir qu’elle est enceinte, ce qu’elle pressentait en raison d’un retard de règles. Le résultat positif du test de grossesse doit

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être confirmé par la réalisation d’une échographie, mais elle n’a« aucun doute là-dessus » précise-t-elle. Elle explique également que cette découverte l’a plongée dans une sorte de panique et qu’elle a immédiatement eu le sentiment qu’elle ne pouvait pas envisager de la poursuivre. Elle se répète inlassablement que Safa a besoin d’elle, qu’elle se doit d’être complètement disponible pour elle. Les souvenirs du dernier trimestre de sa grossesse sont revenus : elle était épuisée et quasiment incapable de se mouvoir. Cet état lui paraît incompatible avec l’attention que requiert Safa, sur- tout si les résultats après la chirurgie n’étaient pas bons et que la maladie venait à se compliquer…Je me tourne alors vers le père de Safa et l’interroge sur ce qu’il pense des paroles de sa femme. Il me répond alors que« c’est à elle de décider », qu’il ne peut pas se mettre à sa place. Elle intervient pour préciser qu’ils ont le souhait d’avoir d’autres enfants. D’ailleurs, elle a déjà fait deux fausses couches avant la naissance de Safa et, si Safa n’était pas malade, ils garderaient le bébé,« mais là, ce n’est vraiment pas pos- sible…». Je leur demande alors s’ils en ont parlé à la pédia- tre oncologue référente de Safa, ce qu’ils n’ont pas fait. Je leur indique qu’en parler leur permettrait d’avoir une discus- sion avec elle, notamment sur la manière concrète dont les soins de Safa doivent se dérouler dans les prochains mois à venir, ce qui apaiserait peut-être leurs craintes. La mère de Safa me répond alors qu’elle ne veut pas lui en parler, que ce n’est pas son affaire à elle puisqu’elle est là pour s’occu- per de la maladie de Safa. « C’est une décision qui nous regarde…», me dit-elle…

La semaine suivante, je revois les parents de Safa en entretien à l’occasion de la deuxième cure de chimiothé- rapie. Ils semblent globalement un peu moins inquiets quant à la survie de leur fille même s’ils évoquent à plusieurs repri- ses le fait que les médecins sont confiants, mais qu’on ne sait jamais, « il faut attendre les résultats de l’opération » répètent-ils. La mère de Safa raconte qu’elle est allée passer l’échographie qui a confirmé la grossesse en cours, elle dit avoir été très émue de ce moment,« je me suis rendu compte que j’attendais vraiment un bébé », dit-elle. Elle réitère son souhait d’interrompre la grossesse, ne pouvant pas imaginer ne pas être pleinement disponible pour sa fille, assurant qu’elle est actuellement« sa priorité ». Puis elle se tourne vers son mari puis s’adresse à lui en disant« Lui, il ne me dit pas ce qu’il pense, mais je suis sûre qu’au fond il n’est pas d’accord…»À la suite de ces paroles, le père de Safa recon- naît sa grande tristesse à l’idée de l’interruption de cette grossesse, mais estime ne pas avoir le droit d’imposer cela à sa femme, il dit la comprendre et répète que, malgré sa tristesse, il respecte la décision de sa femme. Celle-ci évoque ensuite les pressions familiales qui s’exercent sur elle, pres- sions qu’elle juge très influencées par les croyances religieu- ses musulmanes de la famille, qui lui conseillent de garder cet enfant.

Elle explique alors être allée rencontrer un médecin dans un centre avec lequel elle a parlé de sa grossesse et de son souhait d’interrompre celle-ci. Le médecin l’a écoutée et lui a conseillé de prendre un peu de temps pour réfléchir, il l’a également rassurée sur le fait qu’elle était dans les délais légaux pour envisager sans urgence une interruption de gros- sesse avec des médicaments si tel était son choix.

« Ma décision est prise »est justement son annonce au début de notre troisième entretien, toujours en présence de son mari. Elle a revu le médecin du centre, et la prise d’un médicament visant à interrompre la grossesse est prévue dans les prochains jours. Est-ce cette décision prise qui lui permet durant notre entretien de verbaliser une forme d’am- bivalence et l’expression d’une tristesse, voire d’un regret jusque-là inaccessibles ? Toujours est-il qu’elle évoque alors sa tristesse et ses doutes à l’idée de ne pas permettre la nais- sance de cet enfant, me rappelant ses difficultés préalables à la naissance de Safa pour concevoir et mener à terme une grossesse. Elle évoque aussi sa crainte de ne plus réussir à avoir d’autres enfants plus tard, comme une forme de sanc- tion possible après sa décision. Enfin, se représentant Safa plus grande, elle se demande si sa fille ne pourrait pas elle- même lui en vouloir aussi de ne pas avoir permis la nais- sance de cet enfant, frère ou sœur à venir.

Le dernier entretien avant l’intervention de néphrectomie, correspondant donc à la quatrième semaine de chimiothé- rapie, est assez difficile. Les deux parents sont présents, la mère de Safa est très inquiète, car Safa a de la fièvre, une fièvre inexpliquée au vu des examens réalisés et qui poten- tiellement pourrait différer la réalisation de la quatrième cure de chimiothérapie. Elle trouve que Safa n’est pas en forme, la semaine passée à la maison a été difficile, marquée par une grande fatigue et d’importants troubles digestifs. Elle est très préoccupée par l’intervention chirurgicale, la manière dont celle-ci va se dérouler et surtout par la perspective des résultats anatomopathologiques qui détermineront, au travers de l’évaluation de la réponse à la chimiothérapie pré- opératoire, les modalités et la durée du traitement adjuvant.

Pour la première fois, les parents de Safa disent qu’elle est

« une enfant difficile, qui a un caractère fort, même déjà avant la maladie », ils trouvent qu’elle ne s’intéresse pas longtemps à ses jouets, qu’il faut sans cesse l’occuper par des activités différentes et que son sommeil est très tardif avec des endormissements longs et difficiles qui leur lais- sent peu de répit en soirée.

Puis sa mère évoque ses difficultés depuis notre dernier entretien, conjointement à celles de Safa. Elle a présenté après la prise du médicament pour interrompre sa grossesse des saignements importants qui l’ont conduite aux urgences de l’hôpital à deux reprises. À la suite de plusieurs examens, les médecins ont conclu à l’inefficacité de la méthode médicamenteuse, ce qui arrive de façon assez rare, lui a-t-on dit. Elle doit donc subir une interruption chirurgicale de

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grossesse par aspiration et/ou curetage utérin, et elle est hos- pitalisée pour cela dès le lendemain. Je mesure alors le sens de son expression« Ça ne veut pas s’arrêter… », expression qu’elle a déjà prononcée à plusieurs reprises durant cet entre- tien et qui paraît s’adresser tout autant aux symptômes très inquiétants de sa fille, liés aux effets secondaires de la chimio- thérapie, qu’à cette grossesse dont l’interruption souhaitée s’avère difficile.

Je reverrai les parents de Safa, cette fois en présence de celle-ci, après l’intervention chirurgicale. Rassurés par les bons résultats histologiques, les parents de Safa sont plus détendus et abordent plus sereinement les six mois de chi- miothérapie prévus et décrits comme s’accompagnant de peu ou pas d’effets secondaires. Safa elle-même se porte bien et a parfaitement et rapidement récupéré dans les suites de la néphrectomie. Pourtant, sa mère s’inquiète de son dévelop- pement psychomoteur qu’elle juge insuffisant, bien que la psychomotricienne du service ne repère pas d’anomalie par- ticulière et relève au contraire les progrès moteurs impor- tants, même si elle ne marche pas encore, et dans les prémi- ces du langage. Durant le début de la période postopératoire, alors que le père de Safa a repris son travail, sa mère n’arrive plus à sortir de chez elle et présente une humeur dépressive,

« je n’ai qu’une envie, c’est de rester chez moi dans le noir avec elle ». Lors d’un entretien suivant, alors que la thymie dépressive s’est améliorée, elle parle de la persistance de son inquiétude au sujet de sa fille, en expliquant que« souvent je me dis que j’aurais pu la perdre… ». La persistance de ses interrogations au sujet du développement de Safa, son angoisse permanente, ses inquiétudes quant à ses compéten- ces maternelles et à la prise de conscience du caractère anor- mal de celles-ci, en dépit même du contexte particulier du néphroblastome de Safa, l’amènent à accepter la proposition d’un entretien individuel puis d’un suivi psychothérapeu- tique à l’extérieur.

Il n’aura été presque pas question de manière directe de cette interruption de grossesse, après sa réalisation, durant les entretiens correspondant à la période postopératoire pour Safa. Une seule fois, sa mère l’évoquera avec une expression de tristesse, mentionnant le fait qu’elle pense parfois à l’en- fant qu’elle aurait pu avoir, puis se ressaisira ensuite très vite en redisant« De toute façon, je n’avais pas le choix…»

Discussion

Ces deux situations cliniques permettent de réfléchir aux thé- matiques sensibles dans le discours des parents confrontés à cette situation de la découverte d’une grossesse durant le traitement d’un jeune enfant atteint de cancer. Nous souhai- tons, dans les limites de ce que les entretiens conduits ici en présence des deux parents ont rendu possible, mettre au jour leurs mécanismes psychiques conscients et inconscients pré-

sidant au processus de décision de poursuivre ou non la gros- sesse. Bien entendu, le caractère limité et subjectif de ces deux situations cliniques ne nous autorise pas à généraliser nos observations, mais à éclairer, au travers des similitudes et des différences entre ces deux situations, les diverses modalités du cheminement psychique auquel sont contraints ces parents.

Survenue et découverte de la grossesse

La première question interroge la survenue même de la gros- sesse dans ce moment particulier où ces deux jeunes couples se trouvent confrontés à la maladie cancéreuse de leur pre- mier enfant. Pour les parents de Pierre comme pour ceux de Safa, la manière dont la survenue de cette grossesse est rap- portée au clinicien est marquée par le sceau de la surprise et de l’inattendu. Or, il est difficile de ne pas s’interroger sur les mécanismes psychiques, probablement en grande partie inconscients, qui ont présidé à la conception de cet enfant dans une période très particulière où la survie même de son puîné est menacée par le cancer. On peut imaginer que la grossesse vient ici lutter contre la menace de mort qui plane sur l’enfant vivant mais aussi sur la parentalité même de ces parents qui, si le jeune enfant venait à mourir, en seraient alors privés et perdraient, de fait, la qualité de parents. Cela interroge également la question, extrêmement taboue dans nos services cliniques, ayant trait à la sexualité des parents et de la fonction de celle-ci alors qu’ils se sentent attaqués de toutes parts par la maladie grave de l’enfant. Se réunifier dans l’acte sexuel en tant que couple homme–femme permet peut-être d’échapper transitoirement à ce processus parental si menacé et source de blessure narcissique. Concevoir et redonner vie à un enfant vient peut-être comme le signe de la lutte contre la pulsion de mort et suggère potentiellement une fonction propre dévolue à cet enfant à naître comparable à ce que l’on a pu décrire de l’enfant dit « de remplacement » conçu après le décès d’un enfant puîné [7]. Même si cette thématique n’a pas pu vraiment être abordée avec ces deux couples, on en trouve probablement certains indices dans ce que le père de Pierre a pu dire au sujet de la culpabilisation de la sexualité du couple par les autres, en miroir probable- ment de son propre désir sexuel dans un moment où il appa- raît à beaucoup inconcevable. La mère de Pierre a pu dire combien l’idée d’être mère à nouveau, de porter un enfant, était aussi une occasion de se sentir restaurée dans ses com- pétences maternelles là où la maladie grave est source d’une culpabilité majeure du fait notamment de la proximité entre la conception et la grossesse de l’enfant malade. Toutes les mères de très jeunes enfants atteints de cancer sont traversées par le fantasme plus ou moins présent psychiquement, que le processus malin a débuté en elle et qu’elles sont alors res- ponsables de ce « quelque chose » qui ne s’est pas bien passé durant la grossesse. Concevoir un autre enfant serait donc un

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moyen, sinon une tentative, de faire exister un processus de vie à côté du risque de mort, de se rassurer quant à sa capa- cité à donner vie à un enfant normal non malade et de res- taurer ainsi une capacité à être un bon parent. Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer l’idée d’un enfant qui potentielle- ment viendrait garantir à ces parents la présence d’un enfant vivant à leur côté, au cas où notamment l’enfant malade viendrait à décéder.

Influence des éléments de réalité : pathologie, traitement et pronostic de l’enfant, risque génétique

Un aspect, dans ces deux situations, tient à la place apparem- ment mineure faite aux éléments de réalité, en particulier d’ordre médical, dans le cheminement et le processus déci- sionnel de ces parents. Les parents de Safa, envahis par une très grande angoisse quant à la survie de leur fille, ne nous ont pas semblé en capacité d’entendre et d’intégrer le pro- nostic relativement favorable et le traitement assez « simple » que leur fille allait devoir subir. Bien évidemment, les repré- sentations des parents ne sont pas équivalentes à celle des soignants, en face, précisément, d’une situation médicale et d’une pathologie, comme le néphroblastome localisé de Safa, considérées comme assez « simples » par les soignants au regard de situations de pronostic beaucoup plus réservé.

Le fait également qu’ils aient toujours refusé d’en parler au médecin les a à la fois privés d’un avis médical rassurant concernant la maladie de Safa, mais aussi de la possibilité d’une consultation d’information génétique qui aurait peut- être pu les aider dans leur cheminement décisionnel. Il n’est pas aisé d’être face à des parents qui nous paraissent prendre une décision qui semble découler surtout de leurs propres représentations psychiques davantage que des aspects objec- tifs réels. La place du psychologue ou du pédopsychiatre, nous y reviendrons, n’est ici pas aisée.

À l’inverse, les parents de Pierre ont fait fi, à leur manière, des incertitudes pronostiques tant vis-à-vis de la maladie que de la récupération neurologique. Leur décision nous est appa- rue découler là aussi d’une conviction, essentiellement mater- nelle, quant à la poursuite ou non de la grossesse. Dans leur cheminement, la réalisation de la consultation d’information génétique n’est venue que confirmer une décision annoncée dès le départ par la mère de Pierre comme déjà prise. Notre propos n’est évidemment pas de minimiser l’importance de ces éléments de réalité médicale ni de remettre en question la possibilité et l’importance pour ces parents d’avoir accès à une information susceptible de les aider à prendre une déci- sion « éclairée », au sens d’une information complète. En revanche, il vise à préciser que dans ces situations extrêmes, les décisions prises par ces parents semblent se fonder davan- tage sur des éléments essentiellement d’ordre subjectif, pro- pres à l’histoire individuelle et familiale de chacun.

Place du père : une décision du couple ou de la mère ?

Nous nous sommes également longuement interrogés sur la place des pères dans ce processus de décision et sur leur présence plutôt silencieuse durant les entretiens. Tous deux étant volontiers enclins à considérer que c’était une question ou tout du moins une décision qui revenait davantage à leur femme. La manière dont ils se sont tous deux exprimés laissait entendre qu’ils ne se sentaient pas légitimes pour décider et que leur position ne pouvait être en quelque sorte que « consultative » et devait obligatoi- rement s’effacer derrière la position de leur femme, seule à même au final de décider car devant en assumer le coût physique, c’est-à-dire porter l’enfant dans les mois à venir.

Sans remettre en question le droit fondamental accordé par la loi aux femmes de décider d’une grossesse, nous nous interrogeons sur la manière dont les pères, dans ces situa- tions où la maladie grave d’un jeune enfant les place fon- damentalement en situation d’impuissance accrue, peuvent réellement exprimer leur opinion et participer pleinement au processus décisionnel et au soutien de leur épouse et de leur enfant.

S’agit-il donc d’une affaire de femme ou bien d’une ques- tion pour le couple ? Revient-il à la femme de prendre sa décision puis de convaincre ensuite son mari, comme nos deux histoires le laissent peut-être supposer ? Il y a lieu de penser davantage la place du père dans ces situations et une manière sans doute différente de les entendre, de légitimer leur place et leur opinion, ce que revendiquent d’ailleurs leurs épouses. Elles sollicitent elles-mêmes leur soutien face à une décision difficile et source d’une culpabilité majeure, quelle que soit cette décision.

Le couple enfin n’est pas seul face à cette situation, l’on observe en effet combien le groupe familial avec notam- ment ses spécificités culturelles, religieuses exerce une opinion dont il peut être difficile de s’extraire, en particu- lier si le jeune parent, homme ou femme, est encore très pris dans des enjeux de loyauté familiale à l’encontre de ses propres parents. Les deux couples ont chacun à leur manière évoqué l’opprobre familiale ressentie, pour des raisons différentes, à l’idée d’interrompre la grossesse récemment découverte. Pour les femmes en particulier, il peut être excessivement difficile de soutenir leur position face à leur propre mère du fait de la complexité des enjeux psychiques alors impliqués.

Travail et position du psy

Ce que nous évoquions dans le paragraphe précédent au sujet de la difficulté d’accéder à la parole du père interroge plus globalement la question du cadre mis en place par le psy, qu’il soit psychologue ou pédopsychiatre, pour travail- ler avec les parents et les accompagner dans le processus

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décisionnel concernant la poursuite de la grossesse. Rappe- lons que cette problématique émerge dans un lieu qui n’a pas vocation ni compétence particulière pour traiter ces ques- tions, puisque l’objectif principal du service est le traitement de la pathologie cancéreuse de l’enfant et l’accompagnement global de ce dernier et de ses parents. Jusqu’où accepter d’être sollicité par ces parents au sujet de cette question et quelles collaborations avec des services plus expérimentés dans son traitement psychique auraient pu être mises en place et développées à cette occasion ? La difficulté tient au fait que les parents sont extrêmement mobilisés auprès de leur jeune enfant malade et bien souvent n’ont pas la dis- ponibilité matérielle et psychique que requerrait une appro- che spécifique.

L’autre difficulté tient au fait qu’il s’agit d’aborder dans le même temps et le même lieu les parents du jeune enfant malade d’une part et les potentiels futurs parents de l’enfant à naître. De plus, le couple parental est une entité à part entière, mais le récit de nos deux histoires met bien en évi- dence le besoin d’une écoute individuelle pour les mères sans doute prioritairement, mais tout autant pour les pères dont la parole est entravée à bien des égards nous semble- t-il. Ainsi, la proposition d’un entretien à la mère de Safa pour elle-même a permis de mieux comprendre la préoccu- pation maternelle anxieuse de cette jeune femme devenue très tôt « parent » de ses propres parents, sacrifiée en quelque sorte dans une vigilance permanente à l’égard de ses parents analphabètes et surtout d’une mère très dépressive. Cet exemple nous montre combien l’analyse fine de ces situa- tions nécessite une attention dévolue spécifiquement à la mère et aux processus maternels mis à mal par le cancer du jeune enfant et déterminants dans le cheminement psychique de ces jeunes femmes.

« Vous avez déjà rencontré des parents comme nous, enfin qui sont dans notre situation ? »m’a demandé, lors d’un des premiers entretiens, le père de Safa. Face à cette question qui interpelle le psy dans la réalité mais aussi dans sa supposée ou espérée expérience, le risque est double me semble-t-il.

Celui d’y répondre dans la réalité tout d’abord en oubliant les enjeux psychiques et subjectifs d’une telle question et celui, qui n’est pas tout à fait superposable au précédent, qui reviendrait, au travers d’une réponse quelle qu’elle soit, à quitter une position de neutralité nécessaire à la décision difficile des parents. Le travail du psy est ici délicat, car il s’agit de faire émerger les conditions d’une décision sans toutefois infléchir sa nature même, là où tout nous pousse- rait à avoir un avis ou encore un espoir quant à la décision finale du couple. Ainsi, la connaissance et la perception de la gravité de la situation médicale du jeune enfant ne sont évi- demment pas sans influence sur la manière dont le psy va percevoir et analyser le discours parental, autant que les mouvements contre-transférentiels suscités par le couple ou par chacun de ses membres séparément. Il est important éga-

lement de réfléchir à ce que les parents, ou plutôt chacun des parents, attend du psy dans cette situation. L’analyse des mouvements identificatoires et des mécanismes projectifs dont il fait l’objet est également indispensable. Cette diffi- culté nous paraît amplifiée, comme dans la situation de Safa, lorsque les parents ne souhaitent pas confier la grossesse débutante au médecin pédiatre référent de l’enfant malade.

Le psy se trouve alors seul dépositaire de cette question et de l’angoisse qui s’y rapporte. Il est important de respecter la confiance des parents et la confidentialité lors des entretiens.

Cependant, il est sans doute utile de proposer aux parents de réfléchir à la raison pour laquelle ils ne souhaitent pas en parler au pédiatre. Les inciter à le faire en les assurant de la capacité du médecin mais également de l’ensemble de l’équipe à les écouter sans jugement, en respectant leurs opi- nions et sans chercher à les influencer, est sans doute une mission dévolue au psy. Le psy occupe alors une place tierce et une passerelle de transition entre les parents et le corps médical mais aussi entre l’enfant malade dans la réalité et l’enfant à venir, porteur de toutes les représentations fantas- matiques qui lui sont associées.

Conclusion

La découverte d’une grossesse pour les parents d’un jeune enfant en cours de traitement pour un cancer est une situation relativement rare mais qui place le couple dans une situation éminemment délicate, puisqu’il s’agit alors de décider de poursuivre ou non la grossesse dans ce contexte si particu- lier. Au travers de l’analyse de ces deux situations cliniques, nous espérons avoir montré combien les enjeux médicaux et plus particulièrement psychiques sont complexes et multi- ples. Ils concernent tout à la fois le jeune enfant malade, l’enfant possiblement à venir mais aussi la mère et le père ainsi que le couple qu’ils forment ensemble. Le travail et le rôle du psy en oncohématologie pédiatrique, qu’il soit psy- chologue ou pédopsychiatre, est ici de déployer un espace d’écoute de la subjectivité de chacun qui doit permettre les conditions d’une décision sans toutefois chercher à orienter la décision des parents. Une élaboration de l’ambivalence fondamentale à l’œuvre à l’encontre de cette grossesse, par ailleurs légitime dans ce contexte, tout comme celle qui se retrouve également dans le lien au jeune enfant gravement malade, nous paraît tout particulièrement nécessaire. Cela afin de pouvoir accompagner le cheminement de ces parents très malmenés par le cancer de leur jeune enfant et de leur permettre de prendre leur décision de la manière la plus

« libre » possible au regard de leur position subjective.

Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Références

1. Bydlowski M (2010) Je rêve un enfant. Lexpérience intérieure de la maternité. Odile Jacob, Paris

2. Bydlowski M (2008) La dette de vie : itinéraire psychanalytique de la maternité. Presses universitaires de France, Paris

3. Soulé M (2011) Échographie de la grossesse. Promesses et verti- ges. Collection À laube de la vie. Eres, Toulouse

4. Missonnier S, Blazy M, Boige N, et al (2012) Manuel de psycho- logie clinique de la périnatalité. Elsevier Masson, Paris

5. Mellier D, Belot RA, Candilis-Huisman D, et al (2015) Le bébé et sa famille. Place, identité et transformation. Collection inconscient et culture. Dunod, Paris

6. Soubieux MJ (2013) Le berceau vide : deuil périnatal et travail du psychanalyste. Eres, Toulouse

7. Porot M (1996) Lenfant de remplacement. Éditions Frison-Roche, Paris

Références

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