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Oncologie : Article pp.160-164 du Vol.9 n°3 (2015)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Rétinoblastome de l ’ enfant : étude qualitative de l ’ expérience subjective des parents et de leur compréhension de la consultation d ’ oncogénétique à la recherche d ’ une prédisposition génétique

Child with Retinoblastoma: Qualitative Study about the Subjective Experience of Parents and of their Understanding of the Oncogenetic Consultation Looking for a Genetic Predisposition

M. Delage (Psychologue clinicienne) · F. Alajane (Psychologue stagiaire) · H. Pacquement (Pédiatre oncologue) · E. Seigneur (Pédopsychiatre)

Reçu le 18 août 2015 ; accepté le 23 août 2015

© Lavoisier SAS 2015

RésuméLa prise en charge d’un enfant atteint de rétinoblas- tome nécessite une approche multidisciplinaire et une étroite collaboration entre ophtalmologues et pédiatres oncologues.

Outre le traitement en lui-même du rétinoblastome et les consultations médicales pendant la durée de ce traitement ou après l’arrêt de celui-ci, la possibilité pour les parents de rencontrer un généticien est systématiquement proposée.

Lors de cette consultation d’information génétique, le géné- ticien reprend l’histoire familiale de l’enfant et évalue, en fonction de son histoire personnelle et de ses antécédents familiaux, la probabilité d’une prédisposition génétique au rétinoblastome. Il peut alors proposer ensuite une étude génétique. L’objectif de cette étude qualitative est de rendre compte de la façon dont les parents ont vécu subjectivement cette consultation et ce qu’ils disent en avoir compris.

Mots clésRétinoblastome · Génétique · Parents · Compréhension · Expérience subjective

AbstractThe care of the child with retinoblastoma needs a multidisciplinary approach and a close collaboration between ophthalmologists and pediatrician oncologists. Beyond the treatment of retinoblastoma and the medical consultations during the treatment or the follow-up, the opportunity for the parents to meet a genetician is systematically offered.

During this consultation of genetic information, the genetician enters upon the family history of the child and evaluates, according to the family background, the probability of a gene-

tic predisposal to the retinoblastoma. He then proposes a genetic study. The aim of this qualitative study is to give account of the parents’ subjective experience during the consultation and to give information about what they say they have understood.

Keywords Retinoblastoma · Genetics · Parents · Understanding · Subjective experience

Introduction

Le rétinoblastome est une tumeur cancéreuse de la rétine.

C’est une tumeur particulière à plusieurs titres. C’est d’abord une pathologie rare (elle touche chaque année, en France, un enfant sur 15 000 à 20 000 naissances). Elle concerne parti- culièrement les bébés ou les très jeunes enfants (le diagnostic est fait le plus souvent avant l’âge de cinq ans) [1–3]. C’est ensuite une tumeur qui touche l’œil, organe dont on connaît la valeur symbolique [4–6].

Les traitements conservateurs sont de plus en plus nom- breux : cryothérapie, curiethérapie par disques radioactifs, thermochimiothérapie (association laser + chimiothérapie), photocoagulation, plus rarement radiothérapie et enfin chi- miothérapie. Dans certains cas cependant, pour éviter que le cancer ne se généralise, lorsque la tumeur est très volumi- neuse, la meilleure solution thérapeutique est l’énucléation, c’est-à-dire l’ablation chirurgicale de l’œil [7–10]. Enfin, le rétinoblastome est un cancer qui a une composante géné- tique et qui peut être héréditaire s’il existe une prédisposition génétique (retrouvée dans 15 % des cas environ en cas de rétinoblastome unilatéral et systématiquement lorsque le rétinoblastome est bilatéral) [11,12]. Le pronostic vital de cette maladie est excellent et proche de 100 % en France

M. Delage (*) · F. Alajane · H. Pacquement (*) · E. Seigneur (*)

Institut Curie, département d’oncologie pédiatrique, adolescents et jeunes adultes, 26, rue dUlm, F-75248 Paris cedex 05, France

e-mail : michele.delage@curie.fr, helene.pacquement@curie.fr, etienne.seigneur@curie.fr

DOI 10.1007/s11839-015-0527-1

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métropolitaine, mais il existe un risque de second cancer en cas de prédisposition génétique.

C’est généralement en un temps très court que les parents reçoivent toutes ces informations. La brutalité du diagnostic et la rapidité avec laquelle s’enchaînent ensuite annonces, déci- sions et gestes médicaux et chirurgicaux, dont l’énucléation lorsque celle-ci est indiquée, participent à l’aspect excessive- ment traumatique de ces situations. L’âge de l’enfant, l’organe touché et la blessure narcissique profonde ressentie alors par les parents rendent compte de la particularité de cette tumeur qui les plonge dans le plus grand désarroi [13]. Les études consacrées spécifiquement à cette pathologie montrent que la détresse des parents est majeure au moment où l’on commence à suspecter une pathologie grave. L’arrivée dans le service spécialisé est plutôt jugée rassurante, mais les dis- cussions au sujet des décisions thérapeutiques ont tendance à réactiver l’angoisse des parents [4].

De nombreuses recherches ont été consacrées au devenir des enfants traités pour un rétinoblastome. Il semble que l’impact traumatique de l’énucléation soit plus difficilement verbalisable par les enfants énucléés avant l’âge de deux ans qui n’ont pas de mémoire de l’énucléation et donc plus de difficulté à l’évoquer et y donner du sens [10]. Les parents des enfants énucléés ont tendance à évoquer plus fréquem- ment leur perception d’une mauvaise estime de soi chez leur enfant [14]. Concernant la qualité de vie des personnes soi- gnées pour un rétinoblastome durant l’enfance, celle-ci est évaluée plus positivement par les adolescents et adultes trai- tés dans l’enfance que par leurs parents. Elle semble relati- vement comparable à celle de la population normale à condi- tion que l’acuité visuelle soit conservée. Le handicap visuel, au travers notamment de ses répercussions sur le parcours scolaire, et la crainte de la survenue d’un cancer secondaire chez les personnes à risque, du fait de la présence d’une prédisposition génétique, sont en effet des facteurs d’anxiété et d’altération de l’estime de soi [5,15–18].

Contexte et objectif de l

étude

Bien que dans une grande majorité les parents se disent satis- faits de la prise en charge globale de leur enfant et des infor- mations reçues tant au moment du diagnostic que pendant le traitement, les nombreux entretiens cliniques menés dans le service auprès des parents montrent que les informations médicales communiquées lors de la consultation d’informa- tion génétique leur semblent souvent difficiles à intégrer, et ils disent appréhender cette consultation avec angoisse [13].

Lorsque les parents évoquent la consultation d’informa- tion génétique, ils considèrent que l’on a répondu à leurs questions (origine de la maladie, risques pour d’autres mem- bres de la famille, risques pour la descendance de l’enfant atteint), mais ils expriment des opinions divergentes : cer-

tains trouvent la consultation« difficile »,« compliquée », alors que d’autres la trouvent« nécessaire »,« rassurante ».

Les parents sont souvent ambivalents quant au besoin de recevoir des informations concernant l’aspect génétique de la maladie. En effet, ils expriment leur désir d’un savoir, tout en redoutant ce savoir. Ils trouvent la consultation de géné- tique trop tardive par rapport au moment du diagnostic, alors qu’ils la retardent assez fréquemment. Ils regrettent de ne pas avoir « d’informations réelles » et d’être « laissés dans le noir », mais en même temps ils ne souhaitent pas entendre

« des choses qui angoissent ». La consultation d’information génétique semble être appréhendée comme le lieu, le moment assignant une cause à la maladie, une cause prenant la forme d’une faute et amenant les parents au cœur de la question de la responsabilité et de la culpabilité.

C’est en tenant compte de toutes ces préoccupations exprimées par les parents que nous avons choisi de mettre en place une étude qualitative dont l’objectif est d’évaluer le ressenti émotionnel des parents lors de la consultation d’information génétique ainsi que ce qu’ils disent compren- dre des informations qui leur sont données à ce moment-là.

En effet, en tentant de spécifier de manière plus précise ce que les parents ressentent et ont l’impression de comprendre, nous pourrions apporter des éléments de réflexion aux équi- pes engagées dans les entretiens concernant l’aspect géné- tique du rétinoblastome.

Méthodologie et population étudiée

L’étude a été proposée à 20 familles successives d’enfants atteints de rétinoblastome à qui la proposition d’une consul- tation d’information génétique à l’institut Curie avait été faite, celle-ci étant programmée. Les familles ont été sollici- tées pour participer à cette étude par un courrier envoyé un mois avant le jour de la consultation d’information géné- tique, puis par téléphone quelques jours avant celle-ci.

Parmi ces 20 familles, trois ont refusé l’étude et deux qui avaient accepté ne se sont pas présentées.

Sur les 15 familles participantes, deux enfants ont eu un traitement conservateur, 13 enfants avaient été énucléés d’un œil (dix avec une forme unilatérale et trois avec une forme bilatérale). Douze enfants avaient une forme unilatérale non familiale et trois enfants avaient une forme bilatérale non familiale. L’âge des enfants (12 filles, 3 garçons) au moment du diagnostic allait de quatre mois à six ans et demi.

Dans le cadre de cette recherche, deux entretiens ont eu lieu : le premier juste après la première consultation d’infor- mation génétique et le second, à distance du premier, le même jour qu’une consultation de suivi ophtalmologique et avant la consultation de génétique consacrée à la remise des résultats par le médecin généticien. L’étude a duré de mars 2009 à août 2010, soit 17 mois pour les premiers entretiens, et d’octobre

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2009 à février 2011, soit 16 mois pour les seconds entretiens.

Pour la plupart, le temps écoulé entre les deux entretiens a été de trois à six mois mais, pour deux familles, il a été de huit mois, et pour une famille, de dix mois.

Les entretiens étaient semi-directifs avec une trame d’une dizaine de questions, cette technique qualitative permettant des interactions et offrant la possibilité aux participants de livrer plus librement leurs émotions et leurs représentations.

Ces entretiens ont eu lieu dans le bureau de la psychologue, dans le service d’oncologie pédiatrique. Leur durée a été de 12 à 27 minutes pour les premiers, et de 11 à 38 minutes pour les seconds. Ils ont été enregistrés puis retranscrits de manière anonyme et confidentielle. Neuf entretiens ont eu lieu avec les mères seules, cinq avec le couple parental, et un avec le père seul.

Résultats issus des entretiens semi-directifs

Les raisons qui conduisent à accepter la proposition d’une consultation d’information génétique

Sollicités à propos des raisons qui les ont amenés à venir à cette consultation d’information génétique, les parents mettent en avant le risque d’avoir un autre enfant atteint en cas de future grossesse, la descendance de l’enfant lui-même, leur poten- tielle responsabilité dans la pathologie de leur enfant. Les parents disent ensuite qu’ils sont venus sur simple proposition du médecin, pour connaître le risque d’un second cancer ou de l’atteinte du secondœil dans les formes unilatérales, pour lever la surveillance de la fratrie, pour compléter les informations sur le rétinoblastome qu’ils avaient déjà et pour les valider.

Extrême complexité de l’information génétique et difficulté à la retransmettre

D’une manière générale, les familles ont montré un intérêt pour l’aspect concret de la consultation(« dessins », « arbre généalogique »), mais ils sont dans l’incapacité de décrire le déroulement de la consultation, de construire un récit dans un discours organisé. De même, lorsque l’on demande aux parents de qualifier l’entretien et de dire ce qu’ils en retiennent, ils décrivent une consultation « rassurante »,

« agréable », « bénéfique ». Mais on obtient d’eux des réponses brèves, floues, hésitantes. Les parents reconnais- sent la plupart du temps une complexité à l’information délivrée lors de cette consultation. L’on constate qu’ils sont en fait dans l’incapacité de restituer une synthèse claire et cohérente des informations reçues, et ce de manière totale- ment indépendante du niveau d’instruction des parents.

Par ailleurs, lorsque les parents sont interrogés sur ce qui leur aurait éventuellement échappé, à l’exception d’un parent, tous disent avoir compris l’essentiel ou la totalité

des informations données par le médecin généticien, ce qui est en contradiction avec ce qu’ils pouvaient affirmer précé- demment durant l’entretien. Par exemple, le même parent pourra dire : « Non, on a compris. C’est assez clair quand même »et un peu plus tard :« C’est difficile de vous répon- dre. L’idée principale : je ne sais pas quoi dire.»

Perceptions des parents au sujet de cette consultation d’information génétique

Nous avons tenu également à connaître le ressenti des parents avant, pendant et après la consultation. Concernant le temps qui précède la consultation, les parents se disent aussi bien« plutôt tendus »et« inquiets »que« plutôt déten- dus » et « sereins ». D’autres, en nombre égal, se disent

« indifférents ». Si peu de parents se sont exprimés sur ce qu’ils ont ressenti pendant la consultation, une majeure par- tie d’entre eux se sont dits« rassurés », « plutôt bien »après celle-ci.

Pourtant, dans l’ensemble, les parents disent que la consultation n’a pas correspondu à ce à quoi ils s’atten- daient. En effet, sans l’avoir décrit dans leurs attentes pre- mières, les parents s’attendaient à subir eux-mêmes des exa- mens médicaux : « prise de sang », « test génétique »,

« examens »…

Quoi qu’il en soit, les parents pensent que cette consulta- tion est arrivée« au bon moment »quand elle a eu lieu dans les deux à trois mois qui suivent le diagnostic. Mais au-delà des trois mois qui suivent le premier fond d’œil, certains parents disent que la consultation est arrivée« trop tard ».

Enfin, les remarques des parents concernant cette consul- tation ont été largement positives, principalement en raison des explications« claires »et« impeccables »données par le médecin généticien. Les parents ayant fait part de leurs sug- gestions ont souhaité être mieux informés par avance du but et du déroulement de la consultation, ils ont souvent émis le souhait que la consultation se déroule hors de la présence de l’enfant. Ils ont soumis également l’idée de repartir avec un support : livret ou film permettant de garder une« trace »des informations. Ils ont enfin suggéré la rencontre avec d’autres parents dans un temps plus collectif, sous forme de réunion.

Au sujet du second entretien après la deuxième consultation de génétique

Si les deux entretiens ont bien eu lieu avec l’ensemble des familles dans le cadre de l’étude, nous choisissons de ne pas détailler les résultats de ces seconds entretiens dans la mesure où ils n’ont fait, la plupart du temps, que reprendre et confir- mer les premiers. En effet, les parents s’expriment de la même manière sur le déroulement de la consultation, ce qui les avait amenés à consulter, leurs éventuelles connaissances en géné- tique, les informations retenues, ainsi que sur leurs ressentis

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(indifférence, sérénité, inquiétude…) au décours de la pre- mière ou de la deuxième consultation de génétique.

Nous ferons seulement état des résultats de deux ques- tions qui n’apparaissent pas dans les premiers entretiens.

La première concernait la recherche d’autres informations à propos de l’aspect génétique du rétinoblastome après la consultation d’information génétique. Dans une très grande majorité, les parents n’ont pas cherché à compléter les infor- mations données par la généticienne. Quand ils l’ont fait, ils ont eu recours à Internet, mais pour recueillir des informa- tions sur l’aspect général de la maladie. La seconde question portait sur leur ressenti à l’approche des résultats de l’étude génétique. Le sentiment qui dominait alors était une grande angoisse, par exemple :« On a peur…savoir si c’est géné- tique ou pas. Peur pour elle, pour l’avenir, pour ne pas que ça se redéveloppe. On est tout le temps dans le stress. » D’autres parents se trouvent quant à eux dans l’ambivalence :

« Je ne dis pas que la veille je serai très tranquille. Mais ça n’est pas quelque chose qui m’inquiète. »

Commentaires et discussion

Une information compliquée à saisir et à restituer

Ce qui apparaît en premier lieu, c’est que les entretiens menés dans le cadre de cette recherche avec les parents d’enfants atteints de rétinoblastome ont été courts (entre 12 et 28 minu- tes) et marqués par de nombreux balbutiements, silences, etc.

Il a été difficile d’obtenir des réponses à certaines questions, et leurs réponses ont été brèves dans l’ensemble. On relève dans leur discours de nombreux« euh », « enfin », « bon », « bah »,

« voilà », ainsi qu’une grande quantité de silences. Les élé- ments d’informations retenus sont très confus, suggérant une sidération en lien avec un potentiel traumatisme psychique propre à cette pathologie. Par exemple :« Les bilatéraux, c’est souvent, ce n’est pas forcément familial », « Moi, je pense… euh…enfin…je savais pas par rapport au…»

Si la majorité des parents décrivent une consultation

« claire », « intéressante », « rassurante », « informative », certains parents ont manifesté de l’inquiétude pour qualifier la consultation d’information génétique, inquiétude qui se rattache à la culpabilité d’être porteur de l’anomalie géné- tique, et de l’avoir transmise.

Pour expliquer tout cela, nous proposons deux fils conduc- teurs : la complexité de l’information d’une part et la réso- nance fantasmatique de cette même information d’autre part.

La génétique en effet est un domaine qui fait appel à un réseau de termes scientifiques et à des connaissances médica- les complexes, difficiles à retenir et à élaborer pour la popu- lation générale et pour ces parents en particulier. Il faut pré- ciser que, s’agissant du rétinoblastome, cette information est particulièrement complexe à saisir tant les situations sont

variées selon que le rétinoblastome est unilatéral (15 % de formes héréditaires) ou bilatéral (100 % de formes héréditai- res), qu’il corresponde ou non à une forme familiale, que l’on parle d’une altération constitutionnelle du gène RB ou acquise au niveau de la rétine et enfin que la possibilité d’une mosaïque dans les gamètes parentaux soit évoquée [3,11,12].

Par ailleurs, la génétique renvoie à la généalogie, la transmis- sion, la filiation, à des notions de transmission d’un patri- moine, pour ce qui nous occupe d’un gène défaillant, pouvant entraîner une culpabilité inconsciente et génératrice de refou- lement de toutes ces représentations [19].

Inquiétude et angoisse face aux risques, à l’anormal et au monstrueux

S’agissant des émotions ressenties avant la consultation, nous pouvons avancer que l’état de tension et d’inquiétude de certains parents se justifie par une mauvaise compréhen- sion du but de celle-ci qui entraîne une certaine angoisse (par exemple : prise de sang, présence de l’enfant, crainte d’une annonce grave…). En ce qui concerne les parents qui se disent« sereins »ou« indifférents », cela peut se compren- dre par le fait qu’ils n’y voient pas d’enjeu véritable ou bien qu’ils comparent et hiérarchisent avec d’autres étapes de la maladie qui ont été plus anxiogènes, mais également, car ils n’avaient pas d’attente particulière.

Effectivement, cette consultation semble n’avoir pas répondu aux attentes de la grande majorité des parents.

Comme s’il s’agissait pour eux d’associer la compréhension des questions de génétique (risques, causes, etc.) à des exa- mens cliniques. Comme si pour eux, seule une prise de sang pouvait déterminer la réponse à leurs attentes. En résumé, il s’agit d’attentes qui ne correspondent pas à ce qu’on propose dans la réalité. Face au flou psychique, et au flou de l’infor- mation, les parents ont besoin d’une réponse concrète, objec- tive, d’une sorte de réponse dans la réalité.

Malgré l’existence de connaissances objectives, certains parents commettent des erreurs de compréhension. L’hypo- thèse sous-jacente est la difficulté sur un plan psychique d’affronter ces notions. En effet, la question de la génétique suscite de nombreuses représentations inconscientes : problé- matique de filiation, problématique œdipienne, secrets de famille, fantasmes de scène primitive (moment de la concep- tion, gènes qui se rencontrent), problématiques de l’archaïque, l’originaire…

Par ailleurs, les parents mettent beaucoup en avant« les risques » sans les nommer. Ce terme qui revient souvent reflète un vécu global de la consultation comme étant inquié- tante, et ce malgré, des discours défensifs de type« c’était super », « très clair », « très agréable ». Nous supposons qu’il y a là un enjeu délicat même s’ils n’arrivent pas à ver- baliser leurs émotions. Ce terme de « risques » traduirait

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ainsi un véritable état d’esprit, une angoisse que l’on ressent bien au travers de ces entretiens.

Autre terme souvent employé par les parents, celui d’« anomalie », qui renvoie très probablement à quelque chose qu’on ne comprend pas, difficilement intégrable, d’« anormal »et d’inquiétant en lien avec une représentation inconsciente du monstrueux, tel le cyclope ou encore le borgne. Au fond, les parents eux-mêmes se sentent condam- nés à une parentalité anormale marquée du sceau de cette

« monstruosité ». Ces notions d’anomalie génétique et d’inquiétante étrangeté en lien avec celle-ci sont en effet ren- forcées par le fait que le rétinoblastome est un cancer qui, même guéri, confronte dans la plupart des cas l’enfant ainsi que ses parents au handicap, handicap visuel parfois, mais surtout celui lié à l’énucléation et à l’absence de globe ocu- laire, quelle que soit par ailleurs la qualité esthétique de la prothèse oculaire portée par l’enfant.

Conclusion

Le rétinoblastome est un cancer qui touche le très jeune enfant, donc de « jeunes » parents en plein processus de parentalité, pour qui la confrontation à l’enfant réel, versus l’enfant idéal, provoque une grande blessure narcissique.

À la suite de l’analyse des entretiens menés auprès des parents au cours de cette étude, on ne peut ignorer la réso- nance fantasmatique de l’information à caractère génétique et l’existence d’une dimension prophétique qui lui est asso- ciée. Les gènes convoquent l’intime et le profond, ce qui caractérise notre identité individuelle. Le fait que l’inscrip- tion du destin dans nos gènes se trouve, au moyen de la médecine, portée à notre connaissance peut alors résonner comme une sorte de transgression. Le risque potentiel est qu’en figeant l’avenir sans appel, le résultat de l’étude géné- tique redouble potentiellement le traumatisme de la maladie et de son traitement sachant qu’une maladie comme le réti- noblastome, parce qu’elle touche de très jeunes enfants, est souvent décrite par les parents comme liée à la fatalité, à un coup du sort, voire au destin…

Si on ajoute à ces éléments, la complexité du domaine scientifique que représente la génétique, complexité qui se trouve renforcée par la culpabilité qui peut s’y rattacher, nous pensons donc qu’une anticipation plus approfondie de cette consultation permettrait aux parents de mieux appré- hender celle-ci, notamment les réponses qu’elle est suscep- tible d’apporter ou non dans la réalité à leurs questions. Une discussion sur les attentes et représentations des parents à l’encontre de cette consultation permettrait probablement d’éviter certains malentendus quant aux objectifs de cette consultation [19–22]. Et ce malgré l’accueil satisfaisant et les explications claires que les parents disent lors de cette étude avoir tous reçus.

Liens d’intérêts :les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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