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Article pp.53-55 du Vol.4 n°1 (2014)

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CAS CLINIQUE /CASE REPORT

Difficultés de prise en charge des intoxications au méthanol en Afrique subsaharienne

Difficulties in Management of Methanol Poisoning in Sub-Saharan Africa

Y.D. Tetchi · A. Ouattara · K.T. Coulibaly · C.M. Abhé · Y.F. N’guessan · Y. Brouh

Reçu le 11 août 2013 ; accepté le 9 décembre 2013

© SFMU et Springer-Verlag France 2014

Introduction

L’alcool méthylique ou méthanol est un alcool de synthèse que l’on trouve dans l’alcool frelaté et dans de nombreux pro- duits industriels [1,2]. L’intoxication aiguë au méthanol sur- vient le plus souvent après ingestion accidentelle ou dans un but suicidaire et est fréquemment le fait d’intoxication mixte [3,4]. Le diagnostic et le traitement doivent être précoces, seules conditions pour un meilleur pronostic visuel et parfois vital [5]. Nous rapportons deux cas d’intoxication aiguë au méthanol compliqués d’une cécité bilatérale définitive.

Observation 1

Un adolescent de 18 ans (70 kg) sans antécédent particulier a présenté au mois de mars 2013 des vomissements, une agita- tion psychomotrice et des céphalées, après une virée nocturne où il aurait consommé de l’alcool traditionnel. Ces signes ont été attribués par son entourage à une ivresse éthylique. Cette symptomatologie s’est aggravée en quelques heures de trou- bles de conscience et d’une dyspnée qui ont motivé son admission en réanimation au CHU de Cocody (Abidjan, Côte-d’Ivoire). À l’admission (28 heures après l’intoxication), le patient présentait un coma avec un score de Glasgow à 5, les pupilles en mydriase aréactive, une hypotonie générali- sée et une polypnée superficielle à 39 c/min. L’examen ophtalmologique a montré unœdème papillaire bilatéral de stade 2. La gazométrie artérielle montrait une acidose méta- bolique avec un pH à 7,10, une bicarbonatémie à 10 mmol/l et une hypoxémie avec une PaO2à 65 mmHg à l’air ambiant. Le trou anionique était à 36 mmol/l. On ne notait pas de pertur- bation significative sur le reste du bilan (rénal, hépatique, la

glycémie, l’ionogramme sanguin). Une intubation orotra- chéale avec assistance ventilatoire, un apport de bicarbonate de sodium 1,4 % (1 l en 4 heures et 2 l en 14 heures), une hydratation et un apport glucosé en continu ont été réalisés.

L’éthanol a été administré par la sonde nasogastrique à raison de 48 g (150 ml de whisky à 40°) en dose de charge et de 5 g/h en continu sur trois heures. Cette dose a été interrompue pen- dant deux heures devant la profondeur du coma puis a été progressivement réduite jusqu’à la 48e heure avec parfois des pauses d’une heure pour apprécier la profondeur du coma.

La profondeur du coma, les variables hémodynamiques, la diurèse et une glycémie capillaire étaient contrôlées plusieurs fois par heure. Il a aussi bénéficié d’une corticothérapie de courte durée associée à un complexe vitaminique contenant de la vitamine B. Les troubles acidobasiques ont été corrigés au bout de 18 heures et le patient a été extubé au troisième jour de son hospitalisation. L’évolution s’est faite vers une normalisation de l’état de conscience au bout de cinq jours, une persistance de la cécité et la survenue du décès au bout de 50 jours dans un contexte d’infection nosocomiale.

Observation 2

Un homme de 40 ans (85 kg), enseignant, sans antécédent particulier est admis en réanimation au CHU de Cocody au mois d’avril 2013 pour troubles de la conscience associés à une détresse respiratoire et une cécité bilatérale. Cette symptomatologie s’est installée progressivement après l’ingestion de 150 ml de liqueur dénommée « Rhome Royal » contenant 42 % d’alcool. Les signes ont été pris par l’entourage pour une ivresse éthylique. Devant la sur- venue d’une dyspnée de plus en plus importante associée à une cécité, le patient a été admis en réanimation. L’exa- men clinique environ 30 heures après la consommation de l’alcool frelaté montrait une obnubilation avec un score de Glasgow à 12, les pupilles en mydriase bilatérale aréactive et une hypotonie généralisée. On notait aussi une polypnée

Y.D. Tetchi · A. Ouattara (*) · K.T. Coulibaly · C.M. Abhé · Y.F. Nguessan · Y. Brouh

Service d’anesthésie-réanimation, CHU Cocody, 04 BP 2376 Abidjan 04, Côte-dIvoire e-mail : doc_ablo@yahoo.fr

Ann. Fr. Med. Urgence (2014) 4:53-55 DOI 10.1007/s13341-014-0402-2

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superficielle à 35 c/min, une tachycardie à 120 c/min et une saturation périphérique en oxygène à l’air ambiant à 88 %.

Le fond d’œil montrait unœdème et une hémorragie papil- laire bilatérale associés à une maculopathie bilatérale. On notait à la gazométrie artérielle une acidose métabolique avec un pH à 7,16, une bicarbonatémie à 14 mmol/l et une hypoxémie avec une PaO2à 72 mmHg à l’air ambiant. Le trou anionique était à 32 mmol/l. Le dosage sanguin de toxique n’a pas été réalisé ; cependant, l’analyse toxicolo- gique de la liqueur consommée « Rhome Royal » a mis en évidence : 231,6 g/l de méthanol ; 0,05 g/l de N-hexyl acétate ; 0,21 g/l de 2-furfural et 1,05 g/l de biéthyl phtalate. On ne notait pas d’anomalie importante sur le reste du bilan (créa- tininémie, transaminases, taux de prothrombine, glycémie, ionogramme sanguin). La prise en charge a consisté en une oxygénothérapie, une perfusion de bicarbonate de sodium 1,4 % (500 ml en 2 heures et 2 l en 20 heures), de solutés isotoniques et une corticothérapie intraveineuse de courte durée associée à un complexe vitaminique B. L’éthanol a été administré par voie orale à raison de 48 g (150 ml de whisky à 40°) en dose de charge et de 5 g/h avec des inter- ruptions d’une heure toutes les quatre heures au premier jour.

La dose a été par la suite réduite progressivement jusqu’à l’arrêt à la 48eheure. L’évolution a été marquée par la norma- lisation de la conscience et de la respiration au bout de trois jours et la persistance de la cécité bilatérale jusqu’à ce jour.

Discussion

Le méthanol est métabolisé au niveau du foie et est transformé sous l’action de l’enzyme alcool-déshydrogénase (ADH) en formaldéhyde, puis en acide formique qui est un métabolite toxique fonctionnel et potentiellement lésionnel [4]. Cette toxicité est surtout neurologique et ophtalmique mais peut être systémique avec atteinte multiviscérale [6]. On y retrouve aussi une acidose métabolique avec un trou anionique élevé.

Celui-ci prend son intérêt à la phase tardive de l’intoxication, car il est directement lié à la concentration de formiate (qui est difficilement mesurable dans nos régions). L’intoxication évolue de façon spontanée en trois phases. La première phase est une ivresse initiale (30 à 60 minutes) et est liée à la résorp- tion rapide de l’alcool. La véritable ivresse est peu fréquente, et cette phase est plutôt dominée habituellement par des céphalées, des vomissements et des douleurs abdominales.

Suit un temps de latence de plusieurs heures lié à la métabo- lisation hépatique lente du méthanol avec formation de for- mate puis enfin une symptomatologie principalement visuelle accompagnée d’une détresse respiratoire [6]. La survenue d’une phase d’ivresse, d’une atteinte oculaire et d’une acidose métabolique avec un trou anionique élevé dans les deux observations a fait suspecter une intoxication au méthanol qui a été confirmée par l’analyse toxicologique de la liqueur.

Le coma, l’acidose métabolique importante et la cécité asso- ciée à la mydriase bilatérale aréactive témoignent de la sévé- rité de l’intoxication [4,7]. La prise en charge des intoxica- tions au méthanol doit être instaurée dès les premières heures après l’ingestion. Elle vise le contrôle de l’équilibre métabolique par perfusion de bicarbonate, l’élimination de l’agent toxique par hémodialyse et l’interruption des transfor- mations métaboliques par inhibition (le fomépizole) ou par saturation du système enzymatique (ADH). L’alcool éthy- lique agit comme un substrat compétitif de l’ADH. Une étha- nolémie entre 1 et 1,5 g/l est recommandée et doit être main- tenue tant que la méthanolémie est supérieure à 0,2 g/l. Aussi, une éthanolémie inférieure à 1 g/l peut être efficace pour des intoxications moins sévères [7–9]. Dans les deux observa- tions, les doses d’éthanol étaient presque identiques malgré la différence de poids des patients, ce qui témoigne d’une intoxication plus sévère dans le premier cas. Dans nos condi- tions, où le monitoring biologique est difficile, la surveillance clinique est primordiale (état de conscience ou profondeur du coma, état respiratoire), et l’éthanol doit être administré en continu à raison de 0,1 g/kg par heure. Une dégradation de l’état clinique devrait faire préconiser des intervalles de temps libre ou une régression progressive des doses. La durée d’administration devrait être relativement longue (> 48 heu- res). Contrairement à l’éthanol, le bicarbonate de sodium doit s’administrer sur une durée courte en visant une atténuation de l’acidose (pH < 7,20). Il garde aussi un intérêt sur la réduc- tion de la toxicité oculaire et cérébrale en empêchant une bonne diffusion du formate. Ces avantages ne doivent pas faire perdre de vue le risque de dépression respiratoire secon- daire surtout chez les patients en ventilation spontanée et le risque de troubles ionique, notamment d’hypokaliémie [4].

Une hydratation suffisante, un apport continu de sérum glucosé doivent être systématiques. La corticothérapie n’a pas fait ses preuves sur la réduction de l’œdème papillaire [9–11]. Les deux patients présentaient des critères théoriques (coma, troubles visuels, acidose importante) pour une hémo- dialyse. L’hémodialyse en dépit du manque de preuves sur la réduction de la mortalité reste le traitement de choix. À défaut de réaliser l’hémodialyse, l’hémofiltration peut l’être, mais son efficacité est moindre. La phase d’ivresse a fait penser à l’entourage à une intoxication éthylique, ce qui a retardé leur admission en milieu hospitalier. Le traitement a été tardif dans les deux cas (> 24 heures), le fomépizole n’existe pas encore dans nos pays, et l’hémodialyse n’est pas réalisable en urgence dans nos centres hospitaliers.

Conclusion

L’incidence des intoxications au méthanol est sans doute sous-évaluée dans nos régions à cause de sa symptomatolo- gie attribuée à une ivresse éthylique et de la multiplicité des

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lieux de fabrication de l’alcool frelaté. Les difficultés de diagnostic et de mise en route du traitement symptomatique et l’absence de fomépizole dans nos régions aggravent le pronostic fonctionnel et souvent vital des patients. L’admin- istration d’éthanol avec une bonne surveillance clinique peut améliorer le pronostic dans certains cas.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Krivosic V, Vignal-Clermont C, Blain P, Gaudrin A (2001) Neu- ropathie optique bilatérale par intoxication aiguë au méthanol à propos dun cas. J Fr Ophtalmol 24:52226

2. Mégarbane B, Brahmi N, Baud F (2001) Intoxication aiguë par les glycols et alcools toxiques : diagnostic et traitement. Réani- mation 10:42634

3. Cursiefen C, Bergua A (2002) Acute bilateral blindness caused by accidental methanol intoxication during fire eating. Br J Oph- thalmol 86:10645

4. Kraut JA, Kurtz I (2008) Toxic alcohol ingestions: clinical features, diagnosis, and management. Clin J Am Soc Nephrol 3:2208–25 5. Thefenne H, Turc J, Carmoi T, et al (2005) Intoxication aiguë au

méthanol : réflexion à partir dun cas. Ann Biol Clin 63:55660 6. Eells JT, Henry MM, Lewandowski MF, et al (2000) Development and characterization of a rodent model of methanol-induced retinal and optic nerve toxicity. Neurotoxicology 21:32130

7. Mégarbane B, Borron SW, Trout H, et al (2001) Treatment of acute methanol poisoning with fomepizole. Intensive Care Med 27:13708

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11. Hantson P, de Tourtchaninoff M, Simoens G, et al (1999) Evoked potentials investigation of visual dysfunction after methanol poi- soning. Crit Care Med 27:270715

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