CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Syndrome de takotsubo : à propos d ’ un cas
Takotsubo syndrome: a case report
M. Jourdain · A. Hardy · P. Desprez · R. Coche
Reçu le 21 octobre 2010 ; accepté le 8 novembre 2010
© SFMU et Springer-Verlag France 2011
RésuméLe syndrome de takotsubo est une entité clinique de découverte récente mimant un syndrome coronarien aigu (SCA) en l’absence de lésions coronaires significatives associées. Il concerne surtout les femmes âgées exposées à un stress intense, le plus souvent de nature psychique. Sa physiopathologie reste incertaine et son traitement reste empirique. Le pronostic est souvent favorable en dehors de complications aiguës imprévisibles.Pour citer cette revue : Ann. Fr. Med. Urgence 1 (2011).
Mots clésTakotsubo · Syndrome coronarien aigu
Abstract Takotsubo syndrome is a recent heart syndrome that may mimic acute coronary syndrome without significant coronary artery disease. It is usually observed in elderly women and often triggered by an episode of acute stress, especially emotional stress. The pathophysiology of this syndrome remains unclear and its treatment is empiric. Pro- gnosis seems to be favorable, excluding acute and unpredic- table complications. To cite this journal: Ann. Fr. Med.
Urgence 1 (2011).
KeywordsTakotsubo · Acute coronary syndrome
Le syndrome de takotsubo est une entité clinique récente dont les descriptions se multiplient depuis quelques années.
Nous rapportons ici l’observation d’une patiente présentant un syndrome coronarien aigu (SCA) sans lésions coronaires objectivables en coronarographie. Le diagnostic de takot- subo a été évoqué sur l’aspect de ballonisation de l’apex du ventricule gauche (VG).
Observation
Une femme de 74 ans, aux antécédents d’hypercholestéro- lémie et d’hypertension artérielle, a été prise en charge par le Smur pour des douleurs thoraciques oppressives médianes évoluant depuis six heures et apparues quelques heures après le décès brutal de son époux. À l’arrivée de l’équipe médicale, la patiente présente une douleur évaluée à 4/10 sur une échelle visuelle analogique (EVA). L’examen clinique était sans particularité avec une fréquence cardiaque de 55 b/min sous traitement bêtabloquant et une pression artérielle de 145/70 mmHg. L’électrocardiogramme (ECG) (Fig. 1) montrait un rythme régulier avec une négativation des ondes T en antérieure, en DIII et en aVF. Un SCA était immédiatement évoqué. La patiente a reçu un traitement initial associant aspirine, clopidogrel, héparine ainsi qu’un antalgique et un anxiolytique.
Elle était transportée aux soins intensifs cardiologiques.
L’examen clinique ainsi que l’ECG restaient inchangés.
L’EVA était à 2/10. L’échographie transthoracique montrait une altération de la fraction d’éjection du VG estimée à 30 % avec une akinésie des segments apicaux et moyens du VG. La troponine Ic était positive à 3,20μg/l (n< 0,5μg/l).
Le reste du bilan biologique était normal. La coronaro- graphie réalisée en urgence révélait un réseau coronaire angiographiquement normal. La recherche d’un spasme coronaire provoqué par un test au Méthergin® était néga- tive. La ventriculographie confirmait l’aspect de ballonisa- tion de l’apex du VG évoquant un syndrome de takotsubo (Fig. 2).
L’IRM réalisée à 48 heures ne montrait pas de signes en faveur d’une myocardite ou d’une ischémie sous- endocardique et retrouvait l’aspect de ballonisation apicale (Fig. 3).
Cliniquement, la patiente ne représentait pas de réci- dive douloureuse et restait stable. La fraction d’éjection du VG ainsi que la troponine se normalisaient en six jours. Le diagnostic de syndrome de takotsubo était
M. Jourdain (*) · A. Hardy · P. Desprez · R. Coche Service des urgences-SMUR,
centre hospitalier de Valenciennes, avenue Désandrouin,
F-59322 Valenciennes cedex, France
e-mail : mat_jourdain@hotmail.com Ann. Fr. Med. Urgence (2011) 1:53-56 DOI 10.1007/s13341-010-0016-z
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retenu. Un suivi cardiologique bisannuel était proposé à la patiente.
Discussion
Le syndrome de takotsubo est défini par une dysfonction systolique aiguë du VG transitoire associant une dyskinésie, voire une akinésie, des segments apicaux à une hyperkinésie compensatrice des segments basaux donnant un aspect de ballonisation apicale du VG sans lésions coronaires signi- ficatives. Les premières descriptions ont été faites par Sato et al. en 1990 [1]. La dénomination de ce syndrome provient de la ressemblance en ventriculographie du VG avec une amphore en céramique appelée « takotsubo » servant à la pêche des poulpes au Japon, lieu des premières séries publiées depuis 2001 [2–5]. Il est classiquement décrit chez la femme qui représente 80 à 100 % des cas selon les séries [6]. Les patients sont pour la plupart âgés de plus de 60 ans, mais des cas de patientes plus jeunes ont été rapportés [7].
Les manifestations cliniques sont variées allant d’une douleur thoracique évoquant un SCA à unœdème aigu pul- monaire ou une lipothymie d’origine hémodynamique ou rythmique, voire un état de choc cardiogénique. Un stress intense émotionnel (traumatisme psychologique) ou orga- nique (accident vasculaire cérébral, crise convulsive, chirur- gie, etc.) est fréquemment retrouvé [6,7]. L’examen clinique est aspécifique.
Il existe le plus souvent des troubles de repolarisation sur l’ECG à type de sus-décalage du ST ou de négativa- tion des ondes T dans les dérivations précordiales. Un QT long peut être retrouvé exposant au risque de torsades de pointe. À ce stade, rien ne permet de différencier un SCA du syndrome de takotsubo, et le patient doit être pris en charge conformément aux recommandations en vigueur sur les SCA.
L’échographie transthoracique permet d’évoquer le diag- nostic en mettant en évidence une altération parfois profonde de la fraction d’éjection du VG associée à une dyskinésie des segments basaux et moyens du VG ainsi qu’une hyper- cinésie des segments apicaux [8]. Les marqueurs bio- logiques de souffrance myocardique (troponines Ic ou T) sont le plus souvent modérément élevés.
La coronarographie ne met pas en évidence de lésion coronaire significative. La recherche d’un spasme coronaire est le plus souvent négative. L’examen peut être complété par une échographie endocoronaire à la recherche d’une rupture de plaque d’athérome. Lorsqu’une ventriculographie est réalisée, elle montre une ectasie majeure de la pointe associée à une hypercinésie des segments basaux caractéri- sant ce syndrome.
L’IRM cardiaque avec injection de gadolinium permet d’infirmer d’autres diagnostics différentiels en ne montrant pas de prise de contraste sous-endocardique (en faveur d’une origine ischémique) et sous-épicardique (en faveur d’une myocardite).
Les autres causes plus rares d’infarctus du myocarde à coronaires saines, comme les emboles coronaires liés à une endocardite, les emboles coronaires paradoxaux ou encore la thrombose du sinus de Valsalva, sont éliminés par les diffé- rents examens complémentaires, échographiques, radiolo- giques et biologiques.
La phase aiguë peut être émaillée de nombreuses compli- cations [6–8] : troubles du rythme supraventriculaires ou ventriculaires, formation de thrombus intraventriculaire, perforation du septum interventriculaire exceptionnelle, œdème aigu pulmonaire, voire état de choc cardiogénique pouvant nécessiter une assistance circulatoire transitoire.
Le pronostic est habituellement bon en dehors de quelques cas mortels parfois liés à la cause déclenchante [6–8]. La normalisation de l’ECG et la récupération d’une fraction d’éjection normale en quelques jours à quelques semaines Fig. 1 ECG 12 dérivations : ondes T négatives dans les dériva-
tions antérieures ainsi qu’en DIII et aVF
Fig. 2 Ventriculographie : image de gauche (A) : en diastole, aspect normal de VG ; image de droite (B) : en systole, absence de contraction de l’apex du VG
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sont la règle. Des récidives ont été décrites avec un intervalle libre d’un à six ans [7–9].
En dehors des complications, le traitement est empirique.
Un traitement par bêtabloquant peut être utile à la phase aiguë, associé ou non aux IEC et/ou aux médicaments diurétiques [7,10,11].
Sur le plan physiopathologique, l’action « toxique » des catécholamines libérées lors du stress sur les cardiomyocytes semble prépondérante malgré l’absence de preuves formelles.
Des taux parfois élevés de catécholamines circulantes ont été rapportés chez les patients présentant un takotsubo [12]. Un modèle animal a permis de reproduire les modifi- cations ECG et les troubles de cinétique du VG chez le rat soumis à un stress physique [13]. Toutefois, les mécanismes d’action ne sont pas à l’heure actuelle élucidés. Par ailleurs, quelques cases reports de takotsubo « atypiques » ont été rapportés, ils mettent en évidence une possible forme
« inversée » (akinésie apicale et hypercinésie basale), voire des formes suspendues dans lesquelles ne persiste qu’une contraction des parois médianes du myocarde [14–16].
Conclusion
Le syndrome de takotsubo est une entité clinique de décou- verte récente qui concerne le plus souvent des patientes âgées ayant subi un stress intense. Les manifestations clini- ques associent une douleur de type angineuse, des modifica- tions de l’ECG, une élévation modérée des marqueurs de souffrance cardiaque, des troubles de cinétique évocateurs et une angiographie coronaire normale. L’évolution est souvent favorable mais imprévisible et parfois émaillée de complications. Le traitement est empirique. L’origine de ce syndrome est encore du domaine de l’hypothèse.
Références
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from ischemia to heart failure. Kagakuhyoronsha publishing Co, Tokyo, pp 56–64
Fig. 3 IRM cardiaque en coupe quatre cavités à gauche et deux cavités à droite : en diastole (A et B), absence de trouble au niveau du myocarde ; en systole (C et D), défaut de contraction de l’apex du ventricule gauche visible
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