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Le sérieux et le manifeste en droit judiciaire privé

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Academic year: 2021

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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ Faculté de droit et de science politique

Laboratoire de théorie du droit ______________________

LE SÉRIEUX ET LE MANIFESTE EN DROIT JUDICIAIRE

PRIVÉ

Contribution à une étude de la certitude en droit

_____________________________________

Clovis CALLET

Accessit au prix de thèse de l’École nationale de la magistrature (2016) Qualification aux fonctions de maître de conférences (2017)

Thèse de doctorat réalisée sous la direction de :

M. Jean-Yves CHÉROT, professeur à l’Université d’Aix-Marseille M. Emmanuel PUTMAN, professeur à l’Université d’Aix-Marseille

Présentée et soutenue le 4 décembre 2015 à la Faculté de droit d’Aix-Marseille devant un jury composé de : Mme Soraya AMRANI-MEKKI, professeur à l’Université Paris Ouest (président)

M. Pierre BRUNET, professeur à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (rapporteur) Mme Pascale DEUMIER, professeur à l’Université Jean Moulin (rapporteur)

M. Frédéric ROUVIÈRE, professeur à l’Université d’Aix-Marseille (examinateur)

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Remerciements chaleureux à mes directeurs de thèse, les professeurs Jean-Yves CHÉROT et Emmanuel PUTMAN, pour leur confiance, leur soutien constant, leurs conseils avisés et leur amitié.

Remerciements chaleureux au professeur Frédéric ROUVIÈRE, pour son intérêt et son aide précieuse.

Remerciements respectueux à Christian CHARRUAULT et Pierre BARGUE, présidents de la première chambre civile de la Cour de cassation, pour leur intérêt et leur accessibilité et pour m’avoir permis d’étudier de près la pratique de la non-admission des pourvois.

Remerciements respectueux à Gérard PLUYETTE et Dominique BIGNON, doyens de la première chambre civile, pour leur écoute et leur disponibilité.

Remerciements reconnaissants à Jean-Claude MARIN, Procureur général près la Cour de cassation, Jean-Pierre GRIDEL, doyen de la première chambre civile, Françoise KAMARA, conseillère à la première chambre civile, pour leur intérêt et leur soutien dans mes démarches auprès de la Cour.

Remerciements affectueux à tous ceux qui ont accepté le travail ingrat de relecture : Maman, Adrienne, Alexandre, Aristoménis et Lise. Enfin, merci à Claire, pour sa patience et son soutien.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

PREMIÈRE PARTIE : DÉFINITION DES CARACTÈRES SERIEUX ET

MANIFESTE 13

TITRE I – LES CARACTÈRES SÉRIEUX ET MANIFESTE : DE

L’ÉVIDENCE OU DE LA FACILITÉ À LA CERTITUDE 15

TITRE II – LES CARACTÈRES SÉRIEUX ET MANIFESTE

ÉCLAIRÉS PAR LA CERTITUDE 139

SECONDE PARTIE : FONCTIONS DES CARACTÈRES SÉRIEUX ET

MANIFESTE 229

TITRE I – LA RÉFÉRENCE AUX CARACTÈRES SÉRIEUX ET MANIFESTE COMME INSTRUMENT DE BONNE

ADMNISTRATION DE LA JUSTICE 231

TITRE II – LA RÉFÉRENCE AUX CARACTÈRES SÉRIEUX ET MANIFESTE COMME INSTRUMENT DE MAÎTRISE DE LA

JURISPRUDENCE 341 CONCLUSION GÉNÉRALE 401 ANNEXE I 405 ANNEXE II 409 BIBLIOGRAPHIE 413 TABLE DE LA JURISPRUDENCE 437

INDEX DES NOTIONS JURIDIQUES 451

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INTRODUCTION

Champ de l’étude : les dispositifs procéduraux mentionnant le caractère sérieux ou le caractère manifeste

1. Les adjectifs sérieux et manifeste et leurs variantes adverbiales connaissent un succès remarquable depuis une cinquantaine d’années, au point d’être devenus presque omniprésents en droit processuel. Ils intègrent désormais de nombreux dispositifs dont l’importance pour le déroulement de la procédure ou l’organisation juridictionnelle est fondamentale.

2. Occurrences de la difficulté sérieuse. Une jurisprudence ancienne et constante fait de la difficulté sérieuse une condition de la question préjudicielle spéciale1, c’est-à-dire

entre juridictions judiciaires. En l’absence de difficulté sérieuse soulevée par un moyen relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction judiciaire, la juridiction judiciaire qui en est saisie devra statuer sur son bien-fondé et ne saurait renvoyer à la juridiction normalement compétente le soin de le faire.

La difficulté sérieuse constitue également un élément essentiel des questions préjudicielles générales, c’est-à-dire entre juridictions appartenant à des ordres différents. Le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 a codifié une jurisprudence ancienne selon laquelle il n’y a de questions préjudicielles relevant d’une juridiction administrative que si l’application du droit administratif soulève une difficulté sérieuse2. En ce qui concerne les

questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation et le Conseil d’État jugent que l’obligation de renvoi qu’ils supportent en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne suppose l’existence d’une difficulté sérieuse3.

1 Voir, notamment : Cass., civ., 3 juin 1890, S. 1891, I, 541 ; 25 mars 1891, Bull. civ., n° 89 ;

28 juill. 1913, S. 1913, I, 517 ; Paris, 8 mars 1968, D. 1969, juris., 30.

2 Voir, notamment : Cass., civ. 1ère, 2 avr. 1963, Bull. civ., I, n° 203 ; 18 oct. 1994, n° 92-18.142, id.

n° 299.

Art. 49 CPC : « Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente »

Art. R771-2 CJA : « Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente ».

3 Voir, notamment : Cass., com., 5 mai 1982, n° 80-11.490, Bull. civ., IV, n° 156 ; crim., 18 oct. 1988,

n° 87-90.364, Bull. crim. n° 352 ; 18 janv. 1990, n° 89-81.959 ; 21 juin 1990, n° 89-83.394, id. n° 254 ; 28 nov. 1991, n° 90-84.174 ; 14 oct. 1992, n° 90-83.026, id. n° 326 ; com., 9 déc. 1997, n° 95-17.619,

Bull. civ., IV, n° 334 ; civ. 3e, 28 mars 2007, n° 04-12.315 ; com., 12 févr. 2008, n° 06-16.202 ; 20 mai

2008 (3 arrêts), nos 06-20.230, 05-14.331 et 06-15.136, Bull. civ., IV, n° 101 ; soc., 9 juill. 2008, n°

07-42.023, id., V, n° 149 ; civ. 2e, 10 sept. 2009, nos 09-10.445 et .605 ; soc., 2 juin 2010, n° 08-44.834.

Rappr. : civ. 1ère, 2 févr. 1999, n° 97-10.679. En ce qui concerne la jurisprudence administrative, voir :

CE, 12 févr. 1993, n° 115468 ; CE, ass., 14 déc. 2001, n° 211341, Lebon 645 ; CE, 24 nov. 2003, n° 232590, Lebon T. 696 ; CE, sect., 31 mai 2016, n° 393881, Lebon à paraître.

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Trois autres textes de loi conditionnent leur application à l’existence d’une difficulté sérieuse. D’abord, l’article 35 du décret du 26 octobre 1849, modifié par le décret n° 60-728, autorise le Conseil d’État et la Cour de cassation à saisir le Tribunal des conflits des questions de compétence « soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires »4. Ensuite, les articles L441-1 du

code de l’organisation judiciaire et L113-1 du code de justice administrative confèrent aux juridictions judiciaires et administratives du fond la faculté de saisir respectivement la Cour de cassation et le Conseil d’État d’une question de droit nouvelle et présentant une difficulté sérieuse, pour avis5.

3. Occurrences du moyen sérieux. À côté de l’exigence d’une difficulté sérieuse se développe la référence au moyen sérieux. Les articles 808 et 809 alinéa 2 du code de procédure civile, devenus les articles 834 et 835 suite à l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333, autorisent ainsi le juge des référés à ordonner, dans les cas d’urgence, « toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse » ou à ordonner, indépendamment de l’urgence, l’exécution des obligations non « sérieusement contestables ». Bien que le moyen sérieux ne soit pas mentionné, la contestation sérieuse à laquelle ces textes font référence correspond précisément au moyen sérieux soulevé par le défendeur.

Parallèlement, le moyen sérieux en demande délimitait l’application de l’article 1014 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2014-1338, puisque ce texte autorisait la Cour de cassation à déclarer non admis les pourvois « non fondés sur un moyen sérieux de cassation ». De même, le moyen sérieux en demande est une condition de l’arrêt de l’exécution provisoire par le premier président de la cour d’appel dans certaines procédures6 ou de l’attribution de l’aide juridictionnelle

en cassation7.

Le moyen sérieux apparaît encore comme un élément essentiel du contrôle de constitutionnalité a posteriori. L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067, créé par la loi organique n° 2009-1523, subordonne en effet le renvoi des questions prioritaires de

4 « Lorsque le Conseil d'État statuant au contentieux, la Cour de cassation ou toute autre juridiction

statuant souverainement et échappant ainsi au contrôle tant du Conseil d'État que de la Cour de cassation, est saisi d'un litige qui présente à juger [...] une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires, la juridiction saisie peut [...] renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. [...] ».

5 Art. L441-1 COJ : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté

sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent […] solliciter l'avis de la Cour de cassation ».

Art. L113-1 CJA : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut […] transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d’État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée ».

6 Art. R661-1 al. 3 C. com : « Par dérogation aux dispositions de l'article 524 du code de procédure

civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions [relatives à une mesure de protection des entreprises en difficulté et exécutoires de plein droit à titre provisoire] que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux ».

Art. R121-22 al. 3 CPCEx : « Le sursis à exécution [des décisions du juge de l’exécution] n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour ».

7 Art. 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : « […] en matière de cassation, l'aide juridictionnelle est

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constitutionnalité par les juridictions du fond à la Cour de cassation ou au Conseil d’État à la condition que ces questions ne soient pas dépourvues de caractère sérieux. Faisant écho à ce texte, l’article 23-4 subordonne le renvoi des questions par les juridictions suprêmes au Conseil constitutionnel à la condition qu’elles soient « nouvelle[s] ou présente[nt] un caractère sérieux ». Si ces textes se réfèrent au caractère sérieux de la question, et non du moyen, c’est bien du caractère sérieux du grief d’inconstitutionnalité élevé par une partie dont il est question.

4. Autre occurrence du caractère sérieux. Enfin, le caractère sérieux fait encore une incursion dans le champ du droit judiciaire privé à travers le concept de défendeur « réel et sérieux »8, que la jurisprudence fait intervenir pour délimiter le domaine

d’application de l’article 42 alinéa 2 du code de procédure civile. Si la juridiction territorialement compétente à l’égard d’un défendeur l’est également à l’égard des codéfendeurs, c’est à la condition que le défendeur qui fonde sa compétence soit un défendeur réel et sérieux.

5. Occurrences du caractère manifeste. Quant au terme manifeste, il occupe également une place très importante au sein de notre système procédural. Le caractère manifestement irrecevable ou non fondé des demandes justifie le refus d’attribution de l’aide juridictionnelle en demande9, le refus de délivrance d’une injonction de payer

européenne10, la dérogation au caractère contradictoire dans la procédure européenne de

règlement des petits litiges11 ainsi que la suppression de toute voie de recours contre la

décision de rejet rendue dans ce cadre procédural12. L’irrecevabilité manifeste d’une

requête soumise au Tribunal des conflits justifie encore qu’elle puisse être jugée par une formation réduite13. On retrouve aussi le terme dans la procédure de référé, l’article 809,

devenu 835, alinéa 1 du code de procédure civile conférant au juge des référés le pouvoir de prendre toute mesure qui s’impose pour « faire cesser un trouble manifestement illicite ». L’article 1448 du code de procédure civile, quant à lui, fait obligation au juge étatique de se déclarer incompétent lorsque le litige relève d’une convention d’arbitrage, « sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Enfin, depuis l’adoption du décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014, qui modifie l’article 1014 du code de procédure civile précité, la possibilité reconnue aux chambres civiles de la Cour de cassation de déclarer non admis les pourvois ne reposant pas sur un moyen sérieux a été remplacée par la faculté de rejeter par un arrêt non spécialement motivé le pourvoi qui « n’est manifestement pas

8 Cass., civ. 2e, 14 mars 1968, Bull. civ., II, n° 84 ; 10 juill. 1996, n° 94-16.692, id. n° 198 ; com., 31

janv. 2006, n° 04-17.744 ; civ. 1ère, 17 oct. 2007, n° 05-20.502 ; civ. 3e, 27 janv. 2009, n° 08-11.753. 9 Art. 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : « L'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont

l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement. »

10 Art. 11 1° du règlement n° 1896/2007 : « la juridiction rejette la demande si [...] [elle] est

manifestement non fondée ».

11 Art. 4 4° du règlement n° 861/2007 : « Lorsque la demande apparaît manifestement non fondée ou

irrecevable, ou lorsque le demandeur ne complète pas ni ne rectifie le formulaire de demande dans le délai indiqué, la demande est rejetée »

12 Art. 1385 CPC : « Lorsque le tribunal rejette la demande au motif que celle-ci apparaît manifestement

non fondée ou irrecevable […] la décision rendue est insusceptible de recours. »

13 Art. 17 du décret n° 2015-233 : « Le président du Tribunal des conflits peut, par ordonnance prise

conjointement avec le membre du tribunal le plus ancien appartenant à l'autre ordre de juridiction […] rejeter les requêtes manifestement irrecevables […] ».

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de nature à entraîner la cassation ». Un tel arrêt peut également être rendu « lorsque le pourvoi est irrecevable », mais la doctrine et la Cour de cassation énoncent que cette irrecevabilité doit être manifeste14.

6. Le succès des caractères sérieux et manifeste au sein du droit positif est donc patent.

Actualisation : Ces notions envahissent également le droit prospectif et leur inflation ne semble pas devoir s’arrêter. Le rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation paru en avril 2017 propose ainsi d’instituer une procédure de traitement des pourvois spécifique aux situations d’« urgence manifeste »15 ainsi qu’un

système de filtrage des pourvois, autorisant l’accès à la Cour de cassation dans cinq cas seulement, parmi lesquels figure l’hypothèse d’une « erreur manifeste de jugement conduisant à un déni de justice »16.

Centraux à la compétence, à l’instance, aux voies de recours et au jugement lui-même, les caractères sérieux et manifeste occupent une place de choix dans notre procédure civile. De sorte que la détermination de leur signification et de leur portée exactes constitue une nécessité impérieuse et d’une brulante actualité.

Objet de la thèse : la définition des caractères sérieux et manifeste

7. Des notions toujours mystérieuses. Le succès législatif et jurisprudentiel des notions de caractère sérieux et de caractère manifeste pourrait laisser penser qu’elles font l’objet d’un consensus et sont bien maîtrisées. La doctrine peine pourtant à systématiser la jurisprudence et à dégager une définition satisfaisante.

La contestation sérieuse délimitant les pouvoirs du juge des référés a ainsi « acquis une réputation d’inaccessibilité »17 et demeure « l’une des clés les plus insaisissables du jeu

des référés »18. De même, à propos de la procédure de non-admission des pourvois, qui

supposait jusqu’au 8 novembre 2014 que le pourvoi ne repose sur aucun moyen sérieux, il a pu être écrit par un conseiller à la Cour de cassation qu’« il est, par définition, difficile de définir le moyen que la Cour de cassation entend considérer comme n’étant pas sérieux. La doctrine peine d’ailleurs à le définir autrement que par ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un moyen «réel ou, du moins, suffisamment consistant pour mériter d’être allégué ou

14 G. CANIVET, op. cit., p. 2196 ; S. AMRANI-MEKKI, « Les textes organisant la non-admission des

pourvois en cassation en droit français », in S. AMRANI-MEKKI et L. CADIET (dir.), La sélection des

pourvois à la Cour de cassation, Economica, 2005, p. 19, spéc. p. 25.

15 Rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avr. 2017, p. 87 à 92,

disponible sur le site internet de la Cour de cassation.

16 Id., p. 268.

17 J. NORMAND, « Action en justice ; juridiction ; Organisation judiciaire et compétence », RTD civ.

1979. 650, spéc. 654.

18 P. HÉBRAUD, RTD civ. 1975. 168. Voir également : J.-P. ROUSSE, « La contestation sérieuse, obstacle

à la compétence du juge des référés ; la contestation sérieuse, condition de la compétence du juge des référés », Gaz. Pal. 1974. 2. 837 ; « Nature et finalité de la mesure de référé », Gaz. Pal. 1977. 1. 249 ; J. NORMAND, cité note précédente, p. 654 ; R. MARTIN, « Le référé, théâtre d'apparence », D. 1979. 158 ; M.-C. RONDEAU-RIVIER, « L'évidence et la notion de contestation sérieuse », Gaz. Pal. 1991. 1. 355.

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soutenu, pris en considération et avoir des chances d’être retenu après discussion et réflexion» »19.

Quant au caractère manifeste, il suscite tout autant la perplexité. Le caractère manifeste de l’illicéité du trouble autorisant le juge des référés à prendre certaines mesures a été décrit comme une notion insaisissable20. On peut aussi relever les propos de

Jean-François Flauss relatifs à l’article 35 3° de la Convention européenne des droits de l’Homme qui frappe d’irrecevabilité toute requête « manifestement infondée » : « La distinction entre les requêtes « manifestement mal fondées » et les requêtes « mal fondées, mais pas manifestement » demeure l’un des plus épais mystères du droit de la Convention européenne des droits de l’homme »21.

8. Objet de la thèse. C’est à la recherche d’une définition des notions de caractère sérieux et de caractère manifeste que le présent travail veut s’atteler. Il s’agira d’essayer de résoudre les questions suivantes : Qu’est-ce qui fait d’un moyen un moyen sérieux ou non ? D’une difficulté une difficulté sérieuse ou non ? D’une irrecevabilité une irrecevabilité manifeste ou non ? D’une demande infondée une demande manifestement infondée ?

Ces questions en appellent une autre : les caractères sérieux et manifeste sont-ils susceptibles de recevoir une définition unique ou doivent-ils recevoir une définition spécifique pour chacune de leurs occurrences22 ?

9. Des notions habituellement définies par l’évidence. La doctrine et les juridictions elles-mêmes définissent souvent ces notions, dans toutes leurs occurrences, à partir du critère d’évidence23, entendu comme une vérité indémontrable car allant

d’elle-même : l’évidence s’affirme mais ne peut s’argumenter24. Dans cette perspective, la

détermination des caractères sérieux et manifeste se fait en amont de tout raisonnement. Il s’agit de qualités que l’on ne peut que constater, que saisir par l’intuition, sans pouvoir les démontrer.

Si l’on adopte une telle définition, le moyen non sérieux est celui que l’on peut écarter immédiatement sans avoir besoin d’avancer aucune justification : son inanité est telle qu’elle s’impose d’elle-même à l’entendement du juge. À l’inverse, le moyen sérieux serait celui que l’on ne peut rejeter sans une analyse juridique préalable. Le moyen sérieux correspond donc à une notion complexe qui se divise en deux sous-catégories : le moyen que l’on ne peut rejeter parce qu’il est évidemment recevable, opérant et bien fondé, et le

19 V. VIGNEAU, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation », D. 2010. 102, spéc. p. 107. À propos de la même procédure, Franck Terrier, Président de la troisième

chambre civile, observe également : « La notion de moyen sérieux demeure difficile à cerner » (F. TERRIER, « La pratique de la procédure de non-admission à la Cour de cassation », Justice et

cassation 2013. 95, spéc. p. 98).

20 H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, tome III, 1991, Sirey, n° 1289.

21 J.-F. FLAUSS, « La sélection des recours et la Convention européenne des droits de l'homme », in S. AMRANI-MEKKI et L. CADIET (dir.), La sélection des pourvois à la Cour de cassation, Economica, 2005, p. 47.

22 « Une analyse plus poussée révèle une autre surprise. Loin d’être uniforme, [la notion de caractère

sérieux] emprunte des acceptions variées, adaptées à chaque dispositif » (C. GENTILI, « Le caractère sérieux dans la procédure civile et le contentieux administratif », 2012, disponible sur le site halshs.archives-ouvertes.fr, n° 1 ; voir aussi le n° 18).

23 Cf. nos 26 à 32 de cet ouvrage. 24 Cf. nos 34 et 35.

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moyen que l’on ne peut rejeter parce qu’il existe un doute sur sa recevabilité ou son bien-fondé25. De même, une question ne soulève de difficulté sérieuse que dans la mesure

où sa résolution implique un investissement intellectuel témoignant de ce que la réponse ne va pas de soi et suppose une démonstration. La difficulté sérieuse est donc caractérisée par le caractère non évident de la réponse à un problème juridique.

Quant au caractère manifeste d’une solution ou d’une appréciation déterminée, il sera constitué par le fait que ladite solution ou appréciation peut être regardée pour vraie sans le soutien d’aucune argumentation.

Ainsi, les caractères sérieux et manifeste sont des notions qui se recouvrent partiellement. D’abord, la difficulté sérieuse, excluant l’évidence d’une solution déterminée, exclut nécessairement que l’on puisse qualifier cette solution de manifeste. Ensuite, le moyen non sérieux, étant évidemment infondé ou irrecevable, appelle une appréciation manifeste : la demande qui n’est fondée sur aucun moyen sérieux est manifestement infondée. Quant au moyen sérieux, il peut appeler une appréciation manifeste ou, au contraire, l’exclure selon le type de moyen sérieux dont il est question. 10. Des notions parfois définies par la facilité. À côté de la définition des caractères sérieux et manifeste par l’évidence, la doctrine semble parfois retenir une définition fondée sur la facilité26. La facilité se distingue de l’évidence par ce qu’elle se

rattache à une démonstration que, par définition, l’évidence exclut. Elle renvoie à un seuil maximal dans l’effort intellectuel nécessaire pour arriver à une conclusion tenue pour certaine27.

Dans cette perspective, sera manifeste la solution qui apparaît certaine au terme d’un examen simple et relativement rapide. L’irrecevabilité sera manifeste, par exemple, s’il est possible de la démontrer aisément et de sorte qu’un interlocuteur éclairé pourrait être convaincu sans avoir à fournir d’effort intellectuel spécifique. De même, le moyen serait non sérieux s’il est facile de déterminer qu’il est irrecevable ou mal fondé. Le moyen sérieux correspondrait alors alternativement à celui dont on peut démontrer facilement qu’il est fondé, ou à celui qui appelle une réflexion suffisamment complexe. Quant à la difficulté sérieuse, elle serait caractérisée toutes les fois que la résolution d’une question appelle un raisonnement suffisamment long et complexe.

11. Le décalage de ces définitions avec la jurisprudence. Largement admises, ces définitions semblent pourtant être insatisfaisantes. En effet, si, comme nous l’avons relevé ci-dessus, les notions de caractère sérieux ou manifeste sont généralement présentées comme insaisissables, c’est en raison de l’irréductibilité de la jurisprudence aux critères d’évidence ou de facilité.

Plusieurs données empiriques corroborent ce décalage entre les définitions classiques des notions et les décisions qui s’y rapportent. Si l’on définit le moyen sérieux à partir de l’évidence ou de la facilité, la proportion de non-admissions devrait se situer

25 « Il y a contestation sérieuse et par conséquent question préjudicielle, pour toute exception jetant un

doute sur la légalité d'un règlement [de la Communauté], et a fortiori dans tous les cas où les moyens invoqués à l'encontre d'un tel règlement apparaîtraient comme manifestement fondés » (J.-F. THÉRY, concl. CE 18 janv. 1974, Union des minotiers de la Champagne, RTD eur. 1975. 86). Voir aussi : Y. STRICKLER, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 97 à 99.

26 Cf. n° 48. 27 Cf. nos 50 et 55.

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aux alentours de 10 % des décisions rendues, ce chiffre correspondant à la part de pourvois intentés contre l’avis de l’avocat aux Conseils du demandeur28. Pourtant de telles

décisions ont représenté entre 35 et 21 % des arrêts rendus par les chambres civiles entre 2005 et 201329. Ainsi, dans une très large mesure la Cour a jugé non sérieux des moyens

que les avocats aux Conseils avaient tenus pour sérieux.

De même, seules 2,2 % des non-admissions rendues en matière civile sont accompagnées d’une condamnation à une amende civile30. Or cette sanction, qui tend à

s’appliquer aux pourvois abusifs31, aurait vocation à être prononcée chaque fois que le

rejet est évident ou qu’il peut être aisément établi, l’introduction d’une action dans ces conditions étant bien constitutive d’un abus32. La très faible part des décisions constatant

un abus du demandeur laisse donc penser que la non-admission ne repose pas sur l’évidence de l’inanité du pourvoi.

Enfin, il peut encore être observé que si, à l’origine de la procédure de non-admission, les conseillers-rapporteurs se contentaient d’indiquer très sommairement sur une fiche type les raisons pour lesquelles ils préconisaient la non-admission33, ce système

a été rapidement abandonné au profit de la rédaction d’un rapport34 comprenant souvent

une argumentation suffisamment fine et étayée pour que les avocats aux Conseils y voient parfois un matériau utile et éclairant35.

12. Proposition de la thèse : définition à partir du critère de certitude. Dans cette étude, nous voulons montrer qu’il faudrait abandonner les critères d’évidence et de facilité et leur préférer le critère de certitude pour définir les caractères sérieux et manifeste. La certitude a un champ plus large que l’évidence, elle correspond à l’état d’esprit qui consiste à tenir pour vrai ou faux une proposition déterminée36. Elle est ainsi construite via le

raisonnement et est indépendante de la complexité de celui-ci, là où l’évidence est donnée par l’intuition. Argumentée et démontrable, la certitude est ouverte à la réfutation et peut être discutée. Symétriquement, l’incertitude est l’état d’esprit qui consiste à tenir une proposition pour indécidable. Autrement dit, elle renvoie au constat de l’impossibilité

28 P. BLONDEL, « Le critère de la non-admission : quelle rationalité ? », in S. AMRANI-MEKKI et

L. CADIET (dir.), La sélection des pourvois à la Cour de cassation, Paris, Economica, 2005, p. 83, spéc. p. 100 ; F. DESCORPS-DECLÈRE, « Les motivations exogènes des décisions de la Cour de cassation », D. 2007. 2822.

29 Rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2013, La Documentation française, p. 666. 30 V. DE MECQUENEM, B. MUNOZ-PEREZ et J.-M. SOMMER, Le prononcé des amendes civiles par les chambres civiles de la Cour de cassation, 2000 – 2011, étude disponible sur le site internet de la Cour

de cassation, p. 8.

31 Art. 32-1 CPC : « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une

amende civile […] ».

32 Cass., civ. 2e, 5 mai 1978, n° 76-14.728, Bull. civ., II, n° 116 ; 11 sept. 2008 (deux arrêts),

n° 07-18.483 et 07-16.972 ; soc., 20 janv. 2010, n° 08-41.944.

33 A. PERDRIAU, « La non-admission des pourvois », JCP G 2002. I. 181, n° 34.

34 V. VIGNEAU, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation », D. 2010. 102, spéc. p. 103.

35 « Le rapport de non-admission peut être utilisé pour démontrer qu’un moyen a déjà été jugé dépourvu

de sérieux./ On lit un tel raisonnement sous la plume de certains conseillers rapporteurs./ Il m’est arrivé pour ma part d’utiliser une décision de non-admission éclairée par le rapport dans des contentieux où les mêmes moyens étaient reproduits. » (H. HAZAN, « Le moyen sérieux », intervention du 25 janvier

2010 à la Cour de cassation au cours du colloque « Droit et technique de cassation », disponible sur le site internet de la Cour).

36 « État de l'entendement à l'égard d'un ou de plusieurs jugement(s) qu'il tient pour vrai(s) » (Trésor de la langue française).

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d’attribuer une valeur de vérité à une proposition déterminée. L’incertitude est, elle aussi, construite par le raisonnement ; elle est le résultat d’une argumentation et repose sur la démonstration de l’insolubilité d’un problème.

Dans cette perspective, la difficulté sérieuse est constatée par le juge au terme de l’analyse de la cause et consiste en l’existence d’un obstacle insurmontable dans la résolution du litige. Elle existe lorsque le juge fait face à un dilemme37. Un moyen sera sérieux s’il

peut être démontré avec certitude qu’il est recevable et bien fondé ou qu’il apparaît absolument impossible de déterminer ce qu’il en est. Quant au moyen non sérieux, il s’agit de celui que l’on sait devoir écarter. La solution manifeste sera également celle dont le juge a pu acquérir la certitude qu’elle doit être retenue.

Tout au long de cette étude nous essaierons de démontrer que cette définition est non seulement celle qui se dégage de la jurisprudence mais aussi qu’elle conduit à une application rationnelle des dispositifs qui font référence aux caractères sérieux et manifeste dans le champ procédural.

Premier enjeu : systématiser la jurisprudence

13. Systématiser la jurisprudence. La recherche d’une définition opérante et satisfaisante des notions étudiées passe avant tout par un examen attentif de la jurisprudence s’y rapportant. Comment la jurisprudence délimite-t-elle les caractères sérieux et manifeste ? Quand ces caractères sont-ils généralement retenus ou écartés, et pour quelles raisons le sont-ils ? Ces questions appellent une systématisation de la jurisprudence, à laquelle il s’agit de donner un sens, et conduisent à la construction d’une définition jurisprudentielle des notions étudiées.

Notre étude cherchera ainsi à mettre en lumière une définition déjà en œuvre en jurisprudence et déjà opérante en droit positif38. Cette réflexion se présente donc comme

descriptive, plutôt que prescriptive : il s’agit de proposer un concept permettant de rendre compte de façon satisfaisante et éclairante du droit positif. Ce faisant, nous nous éloignerons certes des formules consacrées en pratique, qui font référence à l’évidence ou la facilité et nous paraissent trompeuses, mais ce n’est que pour mieux nous rapprocher de ce qu’est réellement la jurisprudence. Aussi une telle entreprise n’opère aucune modification du droit positif, elle en affine simplement la connaissance et en facilite l’appréhension.

Centrer la réflexion sur une systématisation de la jurisprudence a l’avantage de permettre de porter sur elle un regard critique. Déterminer sa teneur et son sens autorise à en apprécier la valeur juridique : pour savoir si elle est bien fondée, il faut d’abord savoir ce qu’elle est. À cet égard, ce qui constitue les causes réelles de la jurisprudence, et donc la façon dont les juges raisonnent, demeure sans incidence sur le développement d’un point de vue critique. Une ou plusieurs décisions peuvent être justes et bien fondées en droit, tout en ayant été adoptées sur la base d’une argumentation erronée ou pour des raisons absurdes ou inéquitables.

37 « Nécessité dans laquelle se trouve une personne de devoir choisir entre les deux termes

contradictoires et également insatisfaisants d'une alternative. » (Trésor de la langue française).

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14. Indications méthodologiques. Ce travail de systématisation ne tend donc pas à dresser un portrait de la façon dont les juges appréhendent effectivement les caractères sérieux et manifeste. Il ne s’agit pas de montrer comment ils raisonnent et arrivent à la conclusion que ces caractères sont réunis ou non, ce qui constitue un fait psychologique difficilement accessible. L’analyse porte sur le fruit de leur raisonnement, leurs décisions, et vise à construire une définition des caractères sérieux et manifeste qui cadre avec la jurisprudence.

Malgré cela, notre étude s’appuiera régulièrement, et le plus souvent possible, sur les travaux préparatoires aux arrêts, c’est-à-dire sur les rapports des conseillers-rapporteurs et les conclusions des avocats généraux. Ces documents éclairent généralement la décision par une argumentation riche et précise. Justifiant ou fragilisant la décision, ils fournissent une aide précieuse dans son analyse. Ils ne constituent toutefois qu’un guide et devront souvent être accompagnés d’un travail de reconstruction de la justification des décisions, les arguments avancés dans ces documents pouvant être insuffisants pour justifier pleinement le fait que le caractère sérieux d’un moyen, d’une question, d’une demande ou le caractère manifeste d’une solution aient été finalement retenus ou écartés.

Second enjeu : éprouver la jurisprudence

15. La définition des notions à l’épreuve de leurs fonctions. Identifier la définition jurisprudentielle des caractères sérieux et manifeste n’épuise toutefois pas la réflexion relative à leur définition. Il faut encore déterminer si cette définition jurisprudentielle est satisfaisante et compatible avec les textes et mécanismes au sein desquels ces notions interviennent. Dégager une définition satisfaisante des caractères sérieux et manifeste implique donc de rechercher leurs fonctions, et de confronter celles-ci à la définition qui se dégage de l’analyse de la jurisprudence. Permet-elle une application rationalisée des textes ?

L’exposé des fonctions des caractères sérieux et manifeste contribue à éclairer d’un jour nouveau leur définition. Celle-ci sera en effet confortée ou considérablement affaiblie selon qu’elle permet ou non de justifier les différentes occurrences des notions dans les textes. Pour être soutenable, une définition doit conduire à une application un tant soit peu rationnelle et raisonnable des dispositifs dans lesquels elle intervient ; elle doit être compatible, dans une certaine mesure, avec une analyse téléologique de ces dispositifs. La réflexion sur les fonctions des notions est donc la suite naturelle de celle portant sur leur définition. Elle permet d’éprouver la définition proposée à partir de l’analyse de la pratique et du discours juridiques.

16. Tendant à mettre en lumière la ratio legis des textes intégrant les notions de caractère sérieux et de caractère manifeste, cette partie de l’étude permet de jeter des ponts entre l’analyse de lege lata et l’analyse de lege ferenda. En effet, identifier les fonctions des notions permet de porter un regard nouveau sur les procédures qui y font référence, et d’apprécier l’opportunité et l’utilité de cette référence. De même, cela permet de mettre en lumière les insuffisances de certains textes où cette référence fait défaut alors qu’elle serait opportune.

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Bien plus, l’analyse conduit à dégager de nouveaux cas d’application des notions étudiées, lorsqu’elle permet de montrer que la fonction des notions est de donner une pleine efficacité à une règle ou un principe juridique, ou de concilier deux règles et/ou principes contradictoires. L’analyse fournit alors un matériau directement utilisable par les juristes, indépendamment de toute modification législative ou réglementaire : elle permet, en effet, d’étendre la référence aux caractères sérieux et manifeste à des dispositions au sein desquelles ils sont aujourd’hui absents.

La nécessité d’une étude synthétique

17. L’utilité de l’étude synthétique. Rares sont les contributions qui traitent exclusivement et directement des caractères sérieux et manifeste. Ceux-ci sont presque toujours abordés au sein d’une réflexion plus large, qui porte sur le texte qui les mentionne pris dans sa globalité. Ils ne sont alors qu’un élément parmi d’autres dans une procédure déterminée. Leur examen se présente alors comme incident, presque accessoire.

Trop large, le cadre dans lequel ces notions sont généralement appréhendées est aussi trop étroit : envisagées en tant qu’élément conditionnant l’application d’un texte identifié, il est impossible d’en cerner pleinement les enjeux.

Une réflexion portant sur l’ensemble des occurrences des caractères sérieux et manifeste nous semble préférable pour réussir à cerner précisément le sens de ces notions. Contrairement à l’analyse de textes isolés, une telle démarche permet d’éclairer les procédures nouvelles par la jurisprudence et la doctrine relatives à d’autres dispositions mieux connues.

18. Quelques études synthétiques à prolonger. L’importance de la réflexion synthétique n’a pas été totalement ignorée de la doctrine puisque plusieurs auteurs s’y sont essayés. En 1972, Jean-Yves Vincent soutenait sa thèse de doctorat intitulée « L’évidence en contentieux administratif »39, dans laquelle il traite, notamment, des textes employant

le terme manifeste en contentieux administratif ainsi que de la difficulté sérieuse exigée en matière de renvoi préjudiciel. Au cours de la décennie suivante, paraissait un article de Bruno Petit sous le titre « L’évidence »40, au sein duquel l’auteur cherchait à systématiser

l’application des textes faisant référence aux caractères sérieux et manifeste. En 2003, Jean-François Cesaro publiait un livre intitulé « Le doute en droit privé »41 qui

approfondissait ce travail.

Ces trois études nous apporteront un secours certain mais nous ne pouvons aujourd’hui nous y arrêter. Outre que la première traite exclusivement du contentieux administratif, toutes ces études procèdent à une analyse qui dépasse largement le cadre processuel et s’intéressent également à l’intervention des notions dans le champ des droits substantiels. Or, les enjeux sont tout à fait différents dans les sphères processuelle et substantielle. De plus, de nombreuses dispositions procédurales faisant référence au sérieux et au manifeste n’ont été adoptées qu’après la publication de ces contributions.

39 J.-Y. VINCENT, L’évidence en contentieux administratif, thèse Rennes, 1972, texte remanié, Presses

universitaires de Rennes, 2013.

40 B. PETIT, « L'évidence », RTD civ. 1986. 485.

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Une dernière étude synthétique autour du caractère sérieux a été réalisée récemment par Christian Gentili42. Étayée par une jurisprudence abondante, notamment

des juridictions du fond, elle exclut volontairement de son champ la contestation sérieuse et ne traite pas des dispositions procédurales qui mentionnent le caractère manifeste.

Il nous semble donc utile de continuer aujourd’hui ces réflexions.

19. Plan de l’étude. Comme nous l’avons relevé précédemment, notre démonstration se déroulera en deux temps bien distincts : une recherche de la définition positive des caractères sérieux et manifeste, puis une recherche des fonctions dévolues à ces notions au sein des différentes procédures. La réflexion sur ce second point constituant le prolongement pratique de la réflexion sur le premier, ainsi qu’un moyen de l’éprouver, elle devra avoir lieu après.

Par conséquent, nous chercherons d’abord à dégager la définition jurisprudentielle des caractères sérieux et manifeste (Partie I), pour éprouver ensuite cette définition à partir d’une analyse de leur fonction dans le champ procédural (Partie II).

42 C. GENTILI, « Le caractère sérieux dans la procédure civile et le contentieux administratif », 2012,

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PREMIÈRE PARTIE : DÉFINITION DES

CARACTÈRES SERIEUX ET MANIFESTE

20. Articuler l’appréhension des caractères sérieux et manifeste autour de la certitude suppose de démontrer que ce critère permet effectivement de rendre de compte de la jurisprudence. Il est donc nécessaire de s’attacher à déterminer si le caractère sérieux d’un moyen ou d’une difficulté ou le caractère manifeste d’une solution ou d’une appréciation peuvent être déterminés indépendamment de toute argumentation, en amont de tout raisonnement ou non. Les décisions se prononçant sur ces caractères expriment-elles uniquement une évidence ou expriment-elles une certitude ?

21. L’identification du critère sous-jacent à la jurisprudence ne saurait toutefois suffire à forger une définition opérante des caractères sérieux et manifeste. Pour appréhender pleinement le sens et la portée de ceux-ci, il est encore nécessaire de dessiner les contours exacts de la certitude. Constater que ces caractères dépendent d’une certitude construite ne suffit pas, il faut encore déterminer ce qui justifie la certitude elle-même. Quelle appréciation est tenue et doit être tenue pour certaine ? La délimitation précise des concepts étudiés dépend directement de cette question. Dans cette perspective, la réflexion autour de la certitude éclaire les caractères sérieux et de manifeste et permet de les délimiter précisément.

22. Ces deux questionnements constituent ainsi les deux temps successifs de la recherche d’une définition des caractères sérieux et manifeste pertinente au regard de la jurisprudence. C’est pourquoi, après avoir montré que ces concepts renvoient à l’existence d’une certitude construite (Titre I), nous nous attacherons ensuite à montrer en quoi le recours au critère de certitude et les questions pratiques et théoriques concernant ses contours et son étendue éclairent les concepts étudiés (Titre II).

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TITRE I – LES CARACTÈRES SÉRIEUX ET MANIFESTE : DE

L’ÉVIDENCE OU DE LA FACILITÉ À LA CERTITUDE

« Faïnitzine se leva, et, après avoir redressé le plastron blanc de sa chemise, il se mit à prouver, point par point, avec une précision et une clarté remarquables, que les débats de la cour d’assises avaient présenté six détails contraires à la loi ; puis, en quelques mots, il se permit de toucher au fond de l’affaire, pour établir l’incohérence et l’injustice manifestes du verdict [...]

Aussitôt que Faïnitzine eut achevé de parler, le président donna la parole au substitut du procureur : mais celui-ci se borna à déclarer, en quelques mots, que les divers motifs de cassation invoqués n’étaient pas sérieux, et que le jugement devait être maintenu. »

Léon TOLSTOÏ, Résurrection.

23. Si nous voulons proposer une redéfinition des concepts à partir de la certitude, c’est parce que, comme nous l’avons relevé en introduction, leur définition traditionnelle à partir de l’évidence ou de la facilité ne permet pas leur appréhension et semble en décalage avec la jurisprudence.

Certes, l’appréciation des caractères sérieux et manifeste pourrait bien se réduire à une recherche de l’évidence ou de la facilité pour de nombreux arrêts, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse de critères opérants. Dès lors qu’il existe un nombre significatif de décisions au sein desquelles le contrôle exercé par les juges excède le cadre de l’évidence ou de la facilité, il faut chercher ailleurs et se tourner vers un critère plus large qui, tout en recouvrant les hypothèses où l’application des règles de droit est évidente ou facile, les excèderait. Notre analyse devra donc se concentrer sur l’étude de tels cas, que l’on pourrait qualifier de cas limites, au sein desquels les critères d’évidence et de facilité échouent à rendre compte de la décision en ce qui concerne les caractères sérieux ou manifeste, alors que celle-ci peut être comprise à travers le spectre de la certitude.

C’est cet ordre logique que suivra notre étude : après avoir démontré l’inadaptation des définitions habituelles, que nous ne saurions abandonner sans justification légitime (chapitre I), il faudra tenter de dégager un critère de définition plus adéquat (chapitre II).

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CHAPITRE I : ÉCHEC DE L’ÉVIDENCE ET DE LA FACILITÉ

24. Comme cela a été relevé en introduction, la doctrine et les juridictions recourent généralement au critère d’évidence pour définir les caractères sérieux et manifeste. Mais un autre critère est parfois préféré, celui de facilité.

Ces deux critères sont distincts et appellent donc des analyses différentes. Alors que le premier s’avère très restrictif et suppose que la détermination des caractères sérieux et manifeste se fasse en amont de tout raisonnement, le second recouvre un ensemble plus large de décisions puisqu’il implique que cette détermination se fasse au terme d’un raisonnement se situant en deçà d’un seuil de complexité déterminé. La facilité constituerait ainsi une réponse possible à la défaillance de l’évidence.

C’est pourquoi, après avoir envisagé de façon critique la définition traditionnelle des caractères sérieux et manifeste à travers le concept d’évidence (section I), nous nous intéresserons à celle qui prétend appréhender ces notions à partir du critère de facilité (section II).

SECTION I : LA RÉFÉRENCE AU CRITÈRE D’ÉVIDENCE ET SON ÉCHEC

25. L’analyse critique du discours doctrinal se référant au concept d’évidence implique préalablement d’en cerner précisément les termes. À cet égard, il est nécessaire de déterminer quand il est fait référence à l’évidence et ce que signifie une telle référence. La résolution de ces deux questions s’impose comme une condition préalable à tout examen critique (§1).

Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de l’éprouver et de vérifier si ce critère conditionne effectivement la détermination des caractères sérieux ou manifeste (§2).

§1. La référence à l’évidence

26. Pour pouvoir confronter le discours doctrinal recourant au critère d’évidence à la réalité jurisprudentielle, il est d’abord nécessaire de délimiter préalablement les décisions et arrêts sur lesquels ce discours porte. La vérification du concept suppose d’avoir identifié les cas dans lesquels il est censé intervenir. La première tâche à laquelle nous devons nous atteler sera donc de déterminer l’étendue de la référence doctrinale au critère d’évidence (I).

Une fois cela fait, il restera encore à discerner quel sens est donné à ce concept et ce qu’il implique pour la mise en œuvre des dispositifs auxquels il est rattaché (II).

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I/ Étendue de la référence

27. S’il n’est pas très surprenant que l’évidence soit généralement rattachée au terme manifeste (A), elle est également associée à l’emploi du terme sérieux dans le champ procédural (B).

A/ L’évidence attachée au terme « manifeste »

28. Synonyme d’évident43, le terme « manifeste » est fréquemment utilisé par le

législateur. À ce stade, nous ne présenterons pas de façon exhaustive et détaillée tous les dispositifs qui utilisent ce terme sous ses différentes formes grammaticales. Outre qu’elle serait fastidieuse et ne présenterait pas vraiment d’intérêt, nous procéderons dans la seconde partie de cette étude à une présentation synthétique des différentes procédures au sein desquelles le caractère manifeste d’une solution ou d’une appréciation juridique interviennent. Relevons simplement que certains textes font référence à une « irrecevabilité manifeste »44, aux pourvois « qui ne sont manifestement pas de nature à

entraîner la cassation »45, aux demandes « manifestement mal fondées »46, « manifestement

non fondées »47 ou qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction

saisie48 ou de l’ordre juridictionnel administratif49, au « trouble manifestement illicite »50, à

la « convention d’arbitrage manifestement nulle ou manifestement inapplicable »51, à la

sentence « manifestement contraire à l’ordre public »52 ou encore à la « violation manifeste

du principe du contradictoire ou de l’article 12 »53.

Compte tenu du sens du terme manifeste, il n’est pas surprenant que la doctrine y voit systématiquement l’exigence d’une évidence54. L’évidence est aussi parfois retenue

expressément par les juridictions pour justifier leur appréciation du caractère manifeste55. 43 « Dont l'existence, la réalité est évidente » (Le Trésor de la langue française) ou « ce qui est manifeste

est évident pour tous » (Littré).

44 Art. R331-59 II CPI, R351-28 CASF, L213-9 et R733-5 CESEDA, L522-3, R351-4 et R776-15 CJA,

L145-9 CSS et R141-16 C. sport et 1385 CPC.

45 Art. 1014 CPC.

46 Art. L213-9 CESEDA, L522-3 CJA, L145-9 CSS et R141-16 C. sport. 47 Art. 1385 CPC.

Voir aussi les articles L625-5 CESEDA se référant à la « demande manifestement infondée » et 7 de la loi n° 91-647, qui réserve le versement de l’aide juridictionnelle aux personnes « dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement ».

48 Art. R351-28 CASF, L145-9 CSS et R141-16 C. sport. 49 Art. L213-9 CESEDA et L522-3 CJA.

50 Notamment, art. 809, devenu 835, CPC. 51 Art. 1448 CPC.

52 Art. 1488 CPC. 53 Art. 524 CPC.

54 Voir, par exemple : P.FOUCHARD,« La coopération du président du tribunal de grande instance à

l'arbitrage »,Rev. arb. 1985. 5, spéc. p. 27 et 28 ; J. NORMAND, « Jurisprudence française en matière de droit judiciaire privé », RTD civ. 1988. 167, spéc. p. 169 ; E. LOQUIN, « Le contrôle de l'inapplicabilité

manifeste de la convention d'arbitrage », RTD com. 2006. 764 ; C. SERAGLINI, « Droit de l’arbitrage »,

JCP G 2006. I. 187, no 9 et 10 ; M.-C. RONDEAU-RIVIER, « L'évidence et la notion de contestation

sérieuse devant le juge des référés », Gaz. Pal. 1991. 2. 355 ; B. PETIT, op. cit., p. 487 et 491 ;

M. DOUCHY-OUDOT, Procédure civile, 6e éd., Gualino, 2014, n° 550, p. 303 ; X. et J. VUITTON, Les

référés, 3e éd., LexisNexis, 2012, n° 293, p. 56.

55 Cass., civ. 2e, 18 janv. 2018, n° 17-10.636, Bull. civ., II ; com., 2 sept. 2020, n° 18-24.863, id., IV ;

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B/ L’évidence attachée au terme « sérieux »

29. Parallèlement aux cas qui viennent d’être évoqués, la doctrine et les juridictions n’hésitent pas à associer le critère d’évidence à des textes dont il est pourtant absent. Ainsi instaurent-elles un lien systématique entre le caractère sérieux et l’évidence.

Ici encore, nous ne décrirons pas l’ensemble des procédures au sein desquels il est fait référence au caractère sérieux. Nous citerons simplement les principales et renvoyons pour leur étude approfondie à la seconde partie.

30. L’évidence attachée à la contestation sérieuse en référé. Les articles 808 et 809 alinéa 2 du code de procédure civile, devenus 834 et 835, autorisent le juge des référés à adopter toute mesure justifiée par l’urgence qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse, ou ordonner le versement d’une provision ou l’exécution d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable. Or, la condition tenant à l’absence de contestation sérieuse est assimilée, tant par la doctrine56 que par les juridictions57, à l’évidence du droit

invoqué par le demandeur.

31. L’évidence attachée à la difficulté sérieuse en matière préjudicielle. L’existence d’une difficulté sérieuse est une condition du renvoi d’une question préjudicielle entre les ordres judiciaire et administratif58 ou entre juridictions judiciaires59.

Cette exigence est systématiquement regardée comme relative au caractère non évident du droit applicable : il ne saurait y avoir de sursis à statuer sur une question dont la réponse est évidente60.

La saisine de la Cour de cassation ou du Conseil d’État pour avis sur une question de droit est également subordonnée à l’existence d’une difficulté sérieuse61, ce dont les

parfois dans les travaux préparatoires aux arrêts : J. SAINTE-ROSE, concl. Cass., civ. 1ère, 11 juill. 2006, Gaz. Pal. 17 août 2006, p. 6.

56 Notamment : J. HÉRON et T. LE BARS, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 6e éd., 2015, n° 407,

p. 334 ; N. FRICERO et P. JULIEN, op. cit., n° 568, p.235 ;G. COUCHEZ, « Référé et arbitrage (Essai de bilan... provisoire) »,Rev. Arb. 1986, p. 167 ; J. NORMAND, « Jurisprudence française en matière de

droit judiciaire privé », RTD civ. 1979, pp. 655 et 656 ; X. VUITTON, « Conditions générales des

pouvoirs du juge des référés », JurisClasseur procédure civile, fasc. 471, n° 24 ; M.-C. RONDEAU -RIVIER, « L'évidence et la notion de contestation sérieuse devant le juge des référés », Gaz. Pal. 1991. 2. 355 ; B. LYONNET, « Les pouvoirs du juge des référés, en fonction des notions de contestation

sérieuse et d'apparence du droit », Revue de jurisprudence commerciale 1975. 6 ; C. LEFORT, Procédure

civile, 5e éd., Dalloz, 2014 ; X. et J. VUITTON, op. cit., n° 91 s., p. 26 s.

57 Cass., civ. 3e, 10 févr. 1999, n° 97-14.296 ; Amiens, 7 mai 1974, D. 1975, juris., p. 264 ; TGI Paris,

réf., 7 févr. 1979, JurisData n° 761716 ; 26 nov. 1980 JCP G 1981, IV, p. 378 ; 30 avr. 1987, JurisData n° 601090 ; 22 sept. 1988, Gaz. Pal. 1988. 2. 785 ; 25 janv. 1991, Gaz. Pal. 1991. somm. 226 ; Montpellier, 12 avr. 2011, n° 10/05326.

58 Art. 49 al. 2 CPC et R771-2 CJA.

59 Cass., civ., 3 juin 1890, S. 1891, I, 541 ; 25 mars 1891, Bull. civ., n° 89 ; 28 juill. 1913, S. 1913,

I, 517 ; Paris, 8 mars 1968, D. 1969, juris., 30.

60 En ce qui concerne les questions préjudicielles entre juridictions judiciaires, voir notamment : Cass.,

civ., 25 oct. 1911, S. 1911, I, 592 ; L. PABON, Traité théorique et pratique des justices de paix, tome II, Librairie de la société du Recueil Sirey, Paris, 1913, n° 1296, p. 4. En ce qui concerne les questions préjudicielles entre ordres administratif et judiciaire, voir notamment : Cass., civ., 13 mai 1824,

Bull. civ., n° 60 ; com., 11 févr. 1992, n° 89-20.642, Bull. civ., IV, n° 69 ; civ. 1ère, 16 avr. 1996,

n° 94-13.617 ; 16 mai 2012, n° 10-21.624 ; CE, sect., 23 mars 2012, n° 331805, Lebon 103.

(28)

conseillers à la Cour de cassation déduisent que doit être déclarée irrecevable toute demande dont la réponse « va de soi »62. Or, cette expression est synonyme d’« évidente »63.

En matière de question prioritaire de constitutionnalité, un lien systématique est fait entre le caractère sérieux et l’évident. En effet, alors que les textes prévoient que la transmission de la question a lieu dès lors qu’elle « n’est pas dépourvue de caractère sérieux »64, devant les juridictions du fond, ou qu’elle « présente un caractère sérieux »65,

devant la Cour de cassation et le Conseil d’État, la doctrine explique généralement que la transmission doit être refusée lorsqu’il est évident que le grief d’inconstitutionnalité est infondé66. À cet égard, relevons que les juridictions du fond, le Conseil d’État et la Cour

de cassation ont déjà pu juger « que lesdites questions ne présentent pas, à l’évidence, un caractère sérieux dès lors que les dispositions visées par les questions, rédigées en termes suffisamment clairs et précis pour permettre leur interprétation et leur sanction, qui entrent dans l’office du juge pénal, sans risque d’arbitraire, ne portent pas atteinte au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines »67 ou que « la question

prioritaire de constitutionnalité est manifestement dépourvue de sérieux alors qu’elle a pour objectif de remettre en cause une interprétation jurisprudentielle sans valeur normative susceptible de porter atteinte à un droit constitutionnellement garanti »68.

En matière de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne prévoit pas que l’obligation de renvoi à la charge des juridictions suprêmes puisse être écartée au motif que la solution à la question posée serait évidente ou que le moyen tiré de l’application du droit de l’Union serait non sérieux. La Cour de justice a cependant jugé que les juridictions

62 A. BOULANGER, rapp. Cass., avis, 29 janv. 2007, Bull. civ, avis, n° 2 ; A. BODART-HERMAN, rapp.

Cass., avis, 4 juin 2012, id. n° 4.

63 « Au fig. [En parlant d'une chose qui, parce qu'évidente ou spontanée, n'a pas besoin d'être établie ou

soulignée] Aller de soi, aller sans dire » (Trésor de la langue française, entrée « aller »).

64 Art. 23-2 ord. n° 58-1067.

Sur la définition de la question prioritaire de constitutionnalité comme une forme de question préjudicielle, voir : A. LEVADE, « CEDH, CJUE, Constitution : L’articulation des différents recours »,

in X. PHILIPPE et M. STÉFANINI (dir.), Question Prioritaire de Constitutionnalité – Premiers bilans, Actes du colloque du 26 novembre 2010, PUAM, Les cahiers de l’Institut Louis-Favoreu, p. 9 et 10 ; X. MAGNON, « La QPC est-elle une question préjudicielle ? » AJDA 2015. 254.

65 Art. 23-4 ord. n° 58-1067.

66 J.-F. AKANDJI-KOMBÉ, « Le juge (du fond), les parties et la question prioritaire de constitutionnalité

– Stratégies contentieuses entre question de constitutionnalité et contrôle de conventionalité »,

D. 2010. 1725 ; P. DEUMIER, « QPC : la question fondamentale du pouvoir d'interprétation (à propos du

filtrage) », RTD civ. 2010. 504 ; S.-J. LIÉBER et D. BOTTEGHI, « Le juge administratif, juge

constitutionnel de droit commun ? », AJDA 2010. 1355 ; A. ROBLOT-TROIZIER, « La question prioritaire de constitutionnalité devant les juridictions ordinaires : entre méfiance et prudence », AJDA 2010. 80 ; B. STIRN, intervention devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Rapport AN n° 2838,

5 octobre 2010, p. 40 ; P. DIDIER, « L’application de la Constitution par le juge judiciaire... en droit des

affaires », in A. MARTINON et F. PETIT (dir.), Le juge judiciaire et la Constitution, Dalloz 2012, p. 44 ; M. FATIN-ROUGE STÉFANINI, « L’appréciation, par les cours suprêmes, du caractère sérieux de la

question prioritaire de constitutionnalité », in E. CARTIER, L. GAY et A. VIALA (dir.), La QPC : vers une

culture constitutionnelle partagée ?, Institut universitaire Varenne, 2015, p. 29, spéc. p. 32 et 33 ;

A. LALLET et X. DOMINO, « Chronique générale de jurisprudence administrative française », AJDA 2011. 375, spéc. p. 386. Voir aussi l'avis du ministère public dans : Paris, 7 juin 2013, n° 13/04109.

67 Cass., crim., 27 mars 2013, nos 12-85.115 et 12-84.784, Bull. crim. n° 71. Aussi : 15 févr. 2011,

n° 10-90.122, id. n° 24 ; 27 sept. 2011, n° 11-90.086.

68 Aix-en-Provence, 9 avr. 2013, n° 13/02385. Dans le même sens, voir notamment : Angers,

13 oct. 2011, n° 11/02513. Ou transmettant une question qui n'est « manifestement pas dépourvue de caractère sérieux » : Pau, 3 juin 2010, n° 10/02058.

(29)

nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel peuvent déroger à l’obligation de renvoi qu’édicte l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne lorsque « l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable »69. Or, la Cour

de cassation refuse régulièrement de procéder au renvoi des questions de droit de l’Union qui lui sont soumises au motif qu’elles ne soulèvent aucune difficulté sérieuse, plutôt qu’en raison de l’évidence de la réponse70. Inversement, elle procède au renvoi lorsque la

solution du litige « pose une difficulté sérieuse »71. Cela démontre bien qu’en ce domaine

le caractère sérieux de la difficulté et le critère d’évidence sont généralement tenus pour équivalents72.

32. L’évidence attachée au moyen sérieux en matière de non-admission des pourvois. Avant la publication du décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014, l’article 1014 du code de procédure énonçait que la formation restreinte de la Cour de cassation « déclare non admis les pourvois […] non fondés sur un moyen sérieux de cassation ». Cette formule demeure aujourd’hui pour ce qui concerne les pourvois formés en matière pénale73. Pour ce qui est du domaine civil, le décret a supprimé la référence à l’admission

du pourvoi et au moyen sérieux pour lui substituer la formulation suivante : « [la] formation [restreinte] décide qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Le critère d’évidence pour l’application de ce texte est donc désormais le fait direct du législateur. Toutefois, il était déjà admis sous l’empire de la rédaction antérieure que la non-admission sanctionnait les pourvois dont l’irrecevabilité ou le caractère infondé étaient évidents74.

33. Maintenant que nous avons identifié l’évidence comme le concept que la doctrine et la jurisprudence utilisent pour justifier leur appréciation des caractères sérieux et manifeste, il nous faut encore identifier la façon dont ce concept est compris. Il s’agit là de déterminer la définition que lui donnent les auteurs lorsqu’ils utilisent le terme « évidence » et ses dérivés.

69 CJCE, 6 oct. 1982, CILFIT, 283/81, Rec. p. 3415, §16 et 21.

70 Cass., com., 5 mai 1982, n° 80-11.490, Bull. civ., IV, n° 156 ; crim., 18 oct. 1988, n° 87-90.364, Bull. crim. n° 352 ; 18 janv. 1990, n° 89-81.959 ; 21 juin 1990, n° 89-83.394, id. n° 254 ; 28 nov. 1991,

n° 90-84.174 ; 14 oct. 1992, n° 90-83.026, id. n° 326.

71 Cass., com., 5 mai 1982, n° 80-11.490, Bull. civ., IV, n° 156 ; 9 déc. 1997, n° 95-17.619, Bull. civ., IV,

n° 334 ; civ. 3e, 28 mars 2007, n° 04-12.315 ; com., 12 févr. 2008, n° 06-16.202 ; 20 mai 2008 (3 arrêts),

nos 06-20.230, 05-14.331 et 06-15.136, Bull. civ., IV, n° 101 ; soc., 9 juill. 2008, n° 07-42.023, id., V,

n° 149 ; civ. 2e, 10 sept. 2009, nos 09-10.445 et .605 ; soc., 2 juin 2010, n° 08-44.834. Rappr. : civ. 1ère,

2 févr. 1999, n° 97-10.679.

72 En parallèle de la notion de question sérieuse, la Cour de cassation se réfère parfois « la force de

l’évidence » pour motiver ses refus de renvoi (Cass., ass., 10 juill. 2020, nos 18-18.542 et 18-21.814, Bull. civ., AP).

73 Art. 567-1-1 CPP.

74 G. CANIVET, op. cit., p. 2197 ; S. AMRANI-MEKKI, « Les textes organisant la non-admission des

pourvois en cassation en droit français », in S. AMRANI-MEKKI et L. CADIET (dir.), La sélection des

pourvois à la Cour de cassation, Economica, 2005, p. 25 et 29 ; F. TERRIER, « La pratique de la

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