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RETOUR SUR LA THÉORIE DE L’ACTE CLAIR

176. L’assimilation de la certitude à la clarté, et donc l’articulation des caractères sérieux et manifeste autour de l’opposition entre application et interprétation des règles, peut se décliner en deux thèses différentes.

177. L’incertitude en l’absence d’acte clair. Il est d’abord possible de considérer que l’existence d’un texte clair est une condition sine qua non de la certitude : en l’absence de texte clair et précis, le droit serait nécessairement indéterminé. Le juge saisi d’une question préjudicielle à laquelle aucun texte ni aucun arrêt ne répond directement devrait alors considérer qu’elle soulève une difficulté sérieuse. De même, le moyen qui ne trouverait de réponse immédiate ni dans un texte de loi ni dans la jurisprudence devrait toujours être tenu pour sérieux : si aucun texte ni aucun arrêt n’impose clairement et précisément son rejet ou son accueil, il suscite un doute insurmontable. Quant à la nullité, l’inapplicabilité, l’irrecevabilité ou l’illicéité alléguées, notamment, elles ne sauraient jamais être tenues pour manifestes en l’absence de ressource formelle univoque dont elles pourraient être déduites directement.

178. La certitude en présence d’un acte clair. Symétriquement, il est aussi possible de considérer que l’existence d’un texte clair et précis caractérise systématiquement la certitude. Dans cette perspective, la question à laquelle un texte ou la jurisprudence apportent une réponse claire et précise ne soulèverait aucune difficulté sérieuse. Pareillement, le moyen qui se contenterait de reprendre les termes univoques d’un texte de loi ou d’une jurisprudence serait toujours sérieux, car certainement fondé, du moins s’il est opérant et recevable, et si le texte sur lequel il se fonde est valide et toujours en vigueur. Inversement, le moyen qui remettrait en cause le sens clair et précis d’un texte ou de la jurisprudence serait nécessairement non sérieux, car certainement infondé. Dans ces hypothèses, l’existence d’un acte clair rendrait manifeste la solution au problème juridique soumis au juge.

179. Afin de mieux cerner ce sur quoi est fondée la certitude qui définit les caractères sérieux et manifeste et afin de délimiter ceux-ci précisément, il nous faudra éprouver chacune de ces deux thèses en les confrontant à la jurisprudence. Aussi, après avoir montré que la certitude peut être affirmée en l’absence de tout texte clair et précis ou d’une jurisprudence présentant ces caractères (section I), nous tenterons de montrer qu’elle peut, à l’inverse, être écartée en présence d’un texte clair et précis ou d’une jurisprudence claire et précise (section II).

SECTION I : LA CERTITUDE MALGRÉ L’ABSENCE D’ACTE CLAIR 180. La référence jurisprudentielle à l’absence d’acte clair. Comme cela a été relevé dans titre précédent, de nombreuses décisions justifient une appréciation relative aux caractères sérieux et manifeste en se fondant sur le fait que les textes ou actes susceptibles d’être applicables au litige sont ambigus, contradictoires ou même inexistants sans que la jurisprudence résolve clairement et précisément ces difficultés ; la nécessité pour le juge d’interpréter un ou plusieurs textes ou actes que la jurisprudence n’éclaire pas suffisamment lui permet de qualifier les moyens de sérieux, de conclure à l’existence d’une difficulté sérieuse ou d’écarter l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’une irrecevabilité, nullité ou inapplicabilité640. Parmi ces décisions, figurent, par exemple, deux arrêts dans lesquels la chambre commerciale de la Cour de cassation juge que l’application d’une disposition de droit de l’Union européenne soulève une difficulté sérieuse en raison de l’absence d’arrêt de la Cour de justice se prononçant sur la question dont elle est saisie641. Un autre arrêt de la chambre sociale retient aussi que la question relative aux droits qu’un salarié tirait d’une décision administrative soulevait une difficulté sérieuse au motif que cette décision requerrait une interprétation642.

Doit-on en déduire qu’il existe un lien systématique entre l’absence d’acte clair et l’incertitude ? Les arrêts pourraient certes le laisser penser, mais ils peuvent pourtant se comprendre différemment : si l’absence d’acte clair participe de l’incertitude, elle ne l’induit pas mécaniquement. Bien qu’elle soit normalement constitutive d’une imperfection du droit et fasse naître un doute insurmontable, l’absence d’acte clair pourrait parfois être surmontée. Cette lecture semble préférable car de nombreuses décisions retiennent qu’une question ne soulève aucune difficulté sérieuse en se fondant sur un texte ou une jurisprudence qui n’ont, à première vue, rien de clair. De même, il est parfois jugé qu’un moyen n’est pas sérieux alors même que ni les textes ni la jurisprudence ne prévoient expressément et directement son rejet. La nécessité d’interpréter un texte ou une jurisprudence obscurs n’exclut donc pas la certitude (§1).

Une telle solution soulève des interrogations importantes en ce qui concerne la délimitation des pouvoirs du juge national, du juge judiciaire et du juge des référés, qui se voient dénier le pouvoir d’interpréter respectivement les dispositions de droit de l’Union européenne, les actes administratifs individuels et les contrats (§2).

640 Cf. nos 108 à 110.

641 « Attendu, toutefois, que la Cour de justice ne s'est pas prononcée à ce jour sur la situation où la charge financière n'a pas été instituée par l’État ou par une autorité étatique ;/ Attendu, dès lors, que la solution du présent litige soulève une difficulté sérieuse […] » (Cass., com., 4 janv. 1994, n° 91-18.964). « [Attendu] que la Cour de justice n'a, semble-t-il, pas eu à connaître du cas où l'organisme considéré n'a pas été créé par un pouvoir adjudicateur ;/ […] Attendu que la question de savoir si les Atm ont été créées et ont pour fin de satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial pose ainsi une difficulté sérieuse » (Cass., com., 8 mars 2016, n° 14-13.540).

642 « La décision prise le 9 avril 1947 par la commission régionale de classement nécessitant […] une interprétation pour déterminer si elle avait été prise […] par référence à la convention collective du 16 octobre 1946 ou à la réglementation antérieure, […] la cour d’appel, qui en présence de cette difficulté sérieuse eût dû surseoir à statuer, a violé les textes susvisés » (Cass., soc., 20 nov. 1963, n° 62-40.762, Bull. civ., IV, n° 810).

§1. La certitude retenue malgré l’obscurité de la loi et de la jurisprudence 181. Il arrive assez fréquemment que des arrêts affirment une certitude, soit en qualifiant un moyen de non sérieux, soit en retenant que la question soumise ne soulève pas de difficulté sérieuse, en l’absence de tout acte clair (I). La Cour de cassation est cependant allée plus loin puisqu’elle a retenu que le juge chargé de se prononcer sur les caractères sérieux et manifeste disposait, à cette fin, du pouvoir d’interpréter les textes ambigus (II).

I/La certitude affirmée en l’absence d’acte clair

182. Une analyse attentive de la jurisprudence montre que l’application ou l’inapplication d’un texte ou d’une solution jurisprudentielle doit être considérée comme certaine malgré leur ambiguïté lorsque l’interprétation qui doit en être faite s’impose, soit au regard d’un autre texte clair mais non obligatoire (A), soit au regard de leur finalité (B).

A/ La certitude fondée sur des ressources formelles non obligatoires

183. L’assimilation de l’incertitude à l’obscurité se heurte à une jurisprudence qui décide que l’application d’un texte obscur ne soulève aucune difficulté sérieuse dès lors que son sens est éclairé par un autre texte dépourvu de valeur obligatoire intrinsèque. Dans cette hypothèse, la certitude se fonde non sur le sens clair d’un texte obligatoire, mais sur un texte qui n’est pas obligatoire.

184. L’interprétation guidée par le préambule du texte. Quatre arrêts de la deuxième chambre civile relatifs à la compatibilité de l’article L132-5 du code des assurances avec la directive n° 2002/83/CEE, prise en ses articles 35 et 36, illustrent bien cette pratique643. L’article 35 instaure au profit du souscripteur d’assurance un droit de rétractation, qui peut être exercé pendant une durée fixée par chacun des États membres à au moins quatorze jours et au plus trente jours après la conclusion du contrat. L’article 36 oblige l’assureur à délivrer certaines informations au souscripteur d’un contrat, mais ne prévoit aucune sanction en cas de méconnaissance de cette obligation. Il était argué que ces dispositions procédaient à une harmonisation complète des règles de souscription des contrats d’assurance et s’opposaient donc à l’application de l’article L132-5, qui sanctionnait le défaut d’information par une prorogation du délai de rétractation au trentième jour suivant la date de remise effective des documents. La Cour écarte cette thèse et retient une lecture permissive des dispositions européennes en se fondant sur « la finalité de la directive 2002/83/CEE, telle qu’elle résulte de son préambule, [qui] est de veiller à garantir au preneur d’assurance le plus large accès aux produits d’assurance en lui assurant, pour profiter d’une concurrence accrue dans le cadre d’un marché unique de l’assurance, les informations nécessaires pour choisir le contrat convenant le mieux à ses besoins ». Ainsi, si aucune disposition textuelle appartenant au corps du règlement ne réglait la question, cela n’a pas été regardé comme un élément imposant la saisine de la Cour de justice.

643 Cass., civ. 2e, 7 mars 2006, n° 05-10.366, Bull. civ., II, n° 63 ; 5 oct. 2006, n° 05-16.329 ; 10 juill. 2008 (deux arrêts), nos 07-12.071 et .072, Bull. civ., II, n° 177.

Actualisation : Dans le même sens, la chambre criminelle a rendu le 4 octobre 2016 un arrêt semblable, dans lequel elle se prononce sur la compatibilité de l’article 63-1 du code de procédure pénale avec l’article 6 de la directive 2012/13/UE644. Alors que le premier texte prévoit seulement que la personne placée en garde à vue est informée de la qualification, de la date et du lieu de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tentée, l’article 6 de la directive impose « que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus soient informés des motifs de leur arrestation ou de leur détention, y compris de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis ». Malgré le caractère vague du terme « motif », la Cour juge que le droit français est conforme au droit de l’Union, « sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ». Pour ce faire, elle approuve la chambre de l’instruction qui avait interprété l’article 6 de la directive au regard de l’objectif énoncé au paragraphe 28 de son préambule, qui « est celui d’un équilibre entre, d’une part, l’équité de la procédure et le respect des droits de la défense, d’autre part, les nécessités de la procédure ». De sorte que « l’information sur la description des faits est préconisée ‘‘en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient’’ ».

185. L’interprétation par référence aux débats parlementaires. Les documents préparatoires aux avis rendus par la Cour de cassation nous montrent que, parfois, l’absence de difficulté sérieuse peut être adossée aux débats parlementaires relatifs de la loi sur laquelle porte la question transmise par les juges du fond645. Si un tel argument n’est jamais avancé isolément, il constitue tout de même un élément participant de la certitude quant au sens et à la portée des règles de droit.

186. La Cour de cassation va cependant plus loin dans le détachement des critères de certitude et de clarté puisqu’il lui arrive d’affirmer une certitude en l’absence de tout fondement textuel.

B/ La certitude fondée sur la finalité d’un texte ou d’une jurisprudence obscurs

187. Malgré un arrêt ambigu de la Cour de justice, la question de la compatibilité de l’interdiction faite à l’avocat salarié d’avoir une clientèle propre avec le droit de l’Union européenne ne soulève aucune difficulté sérieuse justifiant de procéder à un renvoi préjudiciel. L’on se reportera à un arrêt de la première chambre civile rendu le 24 avril 2013646 pour constater que la nécessité d’interpréter une décision ambiguë portant sur le texte dont il est question n’implique pas systématiquement une difficulté sérieuse. La Cour avait à se prononcer sur la compatibilité de l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 avec l’article 8 de la directive n° 98/5/CE. Le premier texte interdit à l’avocat salarié d’avoir une clientèle propreet empêche donc l’exercice simultané de la profession sous le statut libéral et salarié. Le second énonce « L’avocat

644 Cass., crim., 4 oct. 2016, n° 16-82.309, Bull. crim. à paraître.

645 Y. CHARPENEL, concl. Cass., avis, 26 sept. 2006, n° 06-00.010, id. n° 2 ; F. AGOSTINI et P. FOERST, rapp. et concl. Cass., avis, 31 janv. 2011, n° 10-00.008, Bull. civ., avis n° 5 ; J.-D. SARCELET, concl. Cass., avis, 24 mars 2014, n° 13-70.010, id. n° 3.

inscrit dans l’État membre d’accueil sous le titre professionnel d’origine peut exercer en qualité d’avocat salarié d’un autre avocat, d’une association ou société d’avocats, ou d’une entreprise publique ou privée, dans la mesure où l’État membre d’accueil le permet pour les avocats inscrits sous le titre professionnel de cet État membre ».

La portée exacte de cette disposition n’est pas évidente : autorise-t-elle généralement l’exercice de la profession d’avocat sous la forme salariée ou se contente-t-elle de formuler expressément le principe d’égalité entre ressortissants de l’Union dans l’accès à la profession et dans son exercice ? Compte tenu des règles inhérentes à la libre circulation des travailleurs salariés, il semble difficile de soutenir que ce texte ne constitue qu’un rappel du principe de non-discrimination fondée sur la nationalité. Toute entrave à l’exercice d’une profession salariée étant interdite647, il faut en conclure que tout ressortissant a généralement le droit d’exercer la profession d’avocat sous les statuts indépendant et salarié. Seules les entraves justifiées par un objectif d’intérêt général sont admises, par dérogation. L’article 8 se lit donc comme conférant aux ressortissants de l’Union un droit général d’exercer la profession d’avocat sous le statut salarié, que l’État peut encadrer dans le respect du principe d’égalité et si cela s’avère nécessaire à la protection de l’intérêt général. Ainsi, une restriction imposée aux nationaux n’est opposable aux ressortissants d’un autre État membre que si elle est légitime, nécessaire et proportionnée648.

Il en résulte que l’article 8 de la directive ne permet pas nécessairement l’application de l’article 7 de la loi n° 71-1130 aux avocats salariés originaires d’un autre État membre. En effet, l’interdiction d’avoir une clientèle propre constitue une restriction à la liberté d’établissement des ressortissants des autres États et à leur droit de « répondre à des emplois effectivement offerts ». Cette interdiction pourrait constituer un élément dissuadant un ressortissant étranger de venir exercer son activité en France sous quelle que forme que ce soit, surtout si son pays d’origine autorise le cumul649.

Reste à déterminer si cette atteinte participe de la protection de l’intérêt général. La Cour de justice a rendu un arrêt Jakubowska650 semant le trouble sur ce point. Elle y énonce que « l’article 8 porte sur l’ensemble des règles que l’État membre d’accueil a instauré afin de prévenir les conflits d’intérêts qui pourraient, selon ses appréciations, résulter d’une situation dans laquelle un avocat est, d’une part, inscrit au tableau de l’ordre des avocats et, d’autre part, employé par un autre avocat, par une association ou société d’avocats, ou par une entreprise publique ou privée »651.

Le demandeur au pourvoi se fondait sur cette décision pour soutenir que la loi française est excessive. S’il est vrai qu’elle permet d’éviter les conflits d’intérêts dès lors qu’elle empêche un avocat de conseiller les parties opposées à un même litige sous deux statuts différents, l’interdiction d’avoir une clientèle propre est cependant

647 Notamment : CJCE, 15 déc. 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-04921 ; 7 mars 1996, Commission

c/ France, C-334/94, Rec. p. I-01307, §21.

648 CJCE, 16 juin 1994, Steen, C-132/93, Rec. p. I-02715.

649 L’entrave est caractérisée par le caractère dissuasif de la réglementation : CJUE, 12 juill. 2012,

Commission c/ Espagne, C-269/09, §53 ; 16 avr. 2013, Las, C-202/11, §22. Voir, à propos des

législations restreignant l’exercice concomitant d’une profession indépendante et salariée : CJCE, 7 juill. 1988, Stanton, 143/87, Rec. p. 3877.

650 CJUE, 2 déc. 2010, Jakubowska, C-225/09, Rec. p. I-12329.

disproportionnée en raison de sa généralité. En effet, elle empêche à l’avocat salarié d’exercer sa profession sous la forme libérale avec des clients qui n’ont aucun lien avec ceux qu’il assiste en tant qu’avocat salarié. Le dispositif restrictif pourrait donc être remplacé par une mesure moins attentatoire, comme la simple interdiction d’avoir une clientèle propre entretenant des relations avec les clients de son employeur.

Selon le demandeur, le fait que la restriction ne soit pas justifiée par l’objectif de prévention des conflits d’intérêts suffisait à la rendre illicite. Aucune autre justification d’intérêt général ne saurait être retenue pour sauver l’article 7 de la loi n° 71-1130, dès lors que la Cour de Luxembourg a décidé dans l’arrêt Jakubowska « qu’il est loisible à l’État membre d’accueil d’imposer, aux avocats y inscrits et employés – que ce soit à temps plein ou à temps partiel – par un autre avocat, une association ou société d’avocats, ou une entreprise publique ou privée, des restrictions sur l’exercice concomitant de la profession d’avocat et dudit emploi, pourvu que ces restrictions n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de prévention de conflits d’intérêts et s’appliquent à l’ensemble des avocats inscrits dans ledit État membre »652. Encore plus clairement, elle y énonce : « il convient de considérer que ledit article 8 porte sur l’ensemble des règles que l’État membre d’accueil a instauré afin de prévenir les conflits d’intérêts ». L’examen de la compatibilité de la loi nationale avec la directive s’épuise donc dans la recherche d’un lien suffisant avec la prévention des conflits d’intérêts.

En réponse, la Cour de cassation refuse de renvoyer une question préjudicielle et écarte purement et simplement le moyen. Suivant la décision de la cour d’appel, elle considère que la solution retenue par l’arrêt Jakubowska, qui interdit les atteintes à la liberté d’établissement et à la libre prestation de service qui ne seraient pas justifiées par l’objectif de prévention des conflits d’intérêts, n’est applicable qu’aux législations qui restreignent « l’exercice concomitant de la profession d’avocat et d’un autre emploi ».

En ce qui concerne les restrictions à l’exercice d’un même emploi sous des formes différentes, tel que l’article 7 précité le prévoit, la Cour de cassation juge que leur validité s’apprécie au regard de tout objectif d’intérêt général et, donc, à travers un spectre plus large que la seule prévention des conflits d’intérêt. Or, l’interdiction consacrée par l’article 7 texte compte parmi les « restrictions inhérentes au salariat » et est alors compatible avec l’article 8 de la directive : « l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail implique, par nature, une obligation de fidélité qui interdit à tout salarié d’exercer une activité concurrente pour son propre compte »653. L’atteinte est donc bien justifiée par l’intérêt général et apparaît parfaitement proportionnée.

Il faut observer qu’ici, la Cour refuse le renvoi en vertu d’une interprétation de l’arrêt Jakubowska. De fait, celui-ci ne mentionnait à aucun moment que la solution consacrée n’était applicable qu’aux réglementations relatives au cumul de professions différentes et non à celles relatives à l’exercice de la seule profession d’avocat sous des modalités différentes. La juridiction européenne fait généralement référence aux règles nationales régissant « la situation dans laquelle un avocat est, d’une part, inscrit au tableau de l’ordre des avocats et, d’autre part, employé par un autre avocat, par une association ou société d’avocats, ou par une entreprise publique ou privée », sans jamais spécifier à

652 Id. §65 2°.

653 R. GUICHARD, « L'interdiction faite à l'avocat salarié d'avoir une clientèle personnelle est conforme au droit européen », JCP G 2013, 524.

quel titre l’avocat inscrit au tableau de l’ordre occupe un emploi salarié. Jean-François Barbièri considère en conséquence que « la lecture de l’arrêt « Jakubowska » qui ressort [de l’arrêt de la Cour de cassation] peut ne pas paraître vraiment fidèle, par omission (volontaire ?), à ce qu’exprimait la Cour de justice le 2 décembre 2010. Il semble bien, en