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Le champ de la non-admission excède le champ des pourvois abusifs. Ces différentes affirmations sont corroborées par les statistiques relatives à la condamnation

SECTION II : LA RÉFÉRENCE AU CRITÈRE DE FACILITÉ ET SON ÉCHEC

78. Le champ de la non-admission excède le champ des pourvois abusifs. Ces différentes affirmations sont corroborées par les statistiques relatives à la condamnation

des parties au paiement d’une amende civile : entre 2004 et 2011, seul 2,2 % des arrêts de non-admission rendus en matière civile ont été sanctionnés par une amende civile277. Or, l’amende civile sanctionne les pourvois abusifs, c’est-à-dire ceux dont le demandeur ne pouvait ou ne devait pas ignorer le caractère infondé278. La proportion des décisions de non-admission ne condamnant pas au paiement d’une amende civile est telle qu’elle montre qu’il existe un décalage entre l’appréciation du caractère sérieux du pourvoi et de son caractère abusif. Alors que l’amende sanctionne les pourvois dont l’inanité est flagrante ou si aisément constatable que le demandeur devait nécessairement en avoir eu connaissance, la non-admission sanctionne une gamme de pourvoi bien plus large : tous ceux dont l’inanité est acquise au terme d’un examen approfondi et complet du dossier. La proportion des arrêts de rejet motivés contenant une amende civile est d’ailleurs assez proche, puisqu’elle s’élève à 1 %279. Quant aux arrêts motivés jugeant le pourvoi irrecevable, 5,2 % d’entre eux prononcent une condamnation280.

Ces statistiques nous invitent à revenir sur les propos de certains membres éminents de la Cour de cassation, qui ont pu soutenir que la non-admission visait à sanctionner l’abus du droit de se pourvoir en cassation281. Cela semble réducteur, tant le domaine de la non-admission dépasse celui des pourvois abusifs.

275 L. POULET, op. cit., p. 157. Rappr. : D. LE PRADO, « Le moyen sérieux, outil de régulation de l’accès au juge de cassation », Justice et cassation 2011, p. 221 ; F. TERRIER, op. cit., p. 97 et 100.

276 B. LOUVEL, JCP G 2015, I, 1122, spéc. p. 1910.

277 V. DE MECQUENEM, B. MUNOZ-PEREZ et J.-M. SOMMER, Le prononcé des amendes civiles par les

chambres civiles de la Cour de cassation, 2000 – 2011, étude disponible sur le site internet de la Cour

de cassation, p. 8. Si l’on intègre la matière pénale, la proportion des décisions de non-admission prononçant une amende civile tombe à 1,3 % : V. VIGNEAU, op. cit., p. 105.

278 Voir spécialement : Cass., civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-16.972 ; Douai, 17 mars 1994, JurisData, n° 048366. Voir également : Cass., civ. 2e, 20 janv. 2010, n° 08-41.944 ; 11 sept. 2008, n° 07-18.483 ; 5 mai 1978, n° 76-14.728, Bull. civ., II, n° 116.

279 V. DE MECQUENEM, B. MUNOZ-PEREZ et J.-M. SOMMER, Le prononcé des amendes civiles par les

chambres civiles de la Cour de cassation, 2000 – 2011, étude disponible sur le site internet de la Cour

de cassation, p. 8.

280 Ibid.

281 G. CANIVET, in S. AMRANI-MEKKI et L. CADIET (dir.), op. cit., p. 5, n° 15 ; J. BUFFET, id., p. 103. Rappr. : « Le demandeur en cassation qui succombe peut, "en cas de recours jugé abusif", être condamné à une amende civile et au paiement d'une indemnité envers le défendeur (NCPC, art. 628)./ Ces dispositions avaient-elles à s'appliquer à son encontre lorsque son recours s'est heurté à une non-admission, et n'aurait-il pas été imaginable, dans ces conditions, qu'elles s'appliquent systématiquement ?/ […] Il a par suite été décidé qu'une amende et, éventuellement, une indemnité seraient susceptibles d'être prononcées et accordées en cas de non-admission, mais il a été entendu aussi qu'elles n'auraient rien d'obligatoire et, en fait, il semble qu'elles n'interviennent que très rarement alors que, par ailleurs l'application de l'article 700 du NCPC s'est généralisée. » (A. PERDRIAU, « La non-admission des pourvois », JCP G 2002. I. 181, n° 52).

79. La rédaction d’un rapport détaillé plutôt que d’une fiche sommaire. Une dernière observation peut encore être faite au soutien de l’affirmation selon laquelle le caractère non sérieux du moyen ne correspond pas à une appréciation évidente ou facile. Si, à l’origine, les conseillers-rapporteurs se contentaient d’indiquer très sommairement sur une fiche type les raisons pour lesquelles ils préconisaient la non-admission282, cette pratique a rapidement été abandonnée. Les conseillers rédigent désormais un rapport précis et argumenté283, afin de permettre un délibéré éclairé avec les deux autres membres de la formation restreinte et d’assurer aux parties une information transparente quant aux justifications du rejet.

Le caractère non sérieux ne saute donc pas toujours aux yeux et n’est pas toujours établi au terme d’un examen superficiel du pourvoi, sans quoi la technique de la fiche serait parfaitement satisfaisante.

80. La non-admission malgré une erreur de plume de la cour d’appel qui laissait penser à une dénaturation de la loi étrangère. L’absence de sérieux repose parfois sur un examen attentif du jugement attaqué, qui consiste à retrouver son sens véritable en révélant et en corrigeant les erreurs de plume qui ont pu être commises284. Pourtant, si l’on s’en tient à une analyse superficielle, le moyen semble fondé : il critique un motif du jugement qui est bien erroné. Seule la démonstration de ce que le motif contesté correspond à une erreur de plume permet d’écarter le moyen. Or, une telle démonstration implique de procéder à une analyse de l’arrêt dans son ensemble, afin d’en rétablir la cohérence.

Nous pouvons développer ici un exemple tiré d’une décision du 15 février 2012 sanctionnant le pourvoi n° 11-17.782285. Avant d’analyser cette décision, il n’est pas inutile de relever que, dans cette affaire, l’avocat du demandeur a non seulement élevé des contestations suite à la transmission du rapport, mais a aussi décidé de présenter des conclusions orales, chose généralement rare devant la Cour de cassation et absolument exceptionnelle lorsque l’on se situe dans le champ de la non-admission.

En 2005, le tribunal supérieur de Cologne homologua la convention de divorce conclue par M. R et Mme M., qui prévoyait, au bénéfice de la seconde, le versement mensuel d’une pension de 3000 € à titre de prestation compensatoire, ainsi que d’une pension de 526 € par enfant au titre de la contribution à leur entretien et à leur éducation. Le 21 décembre 2007, le législateur allemand adopta une loi modifiant les dispositions du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) relatives aux obligations alimentaires entre époux divorcés. Conformément aux articles 1569 et 1570 de ce code, le droit à une prestation compensatoire est généralement abrogé et seule la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants communs peut être exigée. Aussi M. R. a-t-il saisi les juridictions françaises en vue d’obtenir la suppression de la pension qu’il verse à titre de prestation compensatoire.

Par arrêt confirmatif, la cour d’appel de Versailles a rejeté sa demande. Pour ce faire, elle constate que l’article 36 de la loi allemande introductive du code de procédure civile aménage l’application de la loi du 21 décembre 2007 pour les obligations

282 A. PERDRIAU, « La non-admission des pourvois », op. cit., n° 34.

283 V. VIGNEAU, op. cit., p. 103.

284 L. POULET, « Quelques observations sur le pourvoi en cassation en matière de divorce »,

D. 2005. 2636. 285 Cf. annexe I.

alimentaires qui ont fait l’objet d’une convention avant le 1er janvier 2008. Elle relève d’abord que, selon ce dispositif transitoire, les dispositions nouvelles ne peuvent être mises en œuvre que dans la mesure où cela conduirait à une « modification substantielle de l’obligation alimentaire » et que cela ne remettrait pas en cause la confiance placée par l’autre partie dans la convention. Elle souligne ensuite que « le dernier alinéa de l’article 36 a élargi la possibilité de prolongation du droit à pension alimentaire en tenant compte de la garde de l’enfant et de l’activité professionnelle durant la vie conjugale, ainsi que de la durée de la vie conjugale dès lors que ceci est ‘‘équitable’’, ce qui permet au juge du fond d’apprécier in concreto la situation respective des parties et lui laisse une grande marge d’appréciation ; dès lors la pension alimentaire au profit d’un époux présentant de grandes similitudes avec la prestation compensatoire prévue par les articles 270 et suivant du Code, l’application de la loi allemande n’est pas contraire à l’ordre public ». Elle juge enfin que, « compte tenu des ressources respectives qui ont progressé de part et d’autre depuis le prononcé du divorce, en particulier celles de M. R., le jugement sera confirmé ». M. R. s’est alors pourvu en cassation.

Il reproche d’abord, dans les deux premières branches du moyen unique, à la cour d’appel de n’avoir pas déterminé clairement quelle était la loi applicable au litige et d’avoir ainsi violé les articles 3 du Code civil, 8 de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. En effet, la cour d’appel se réfère à des dispositions de droit allemand et de droit français, alors que seul le droit allemand était applicable. Ces deux branches n’appellent pas grand commentaire dès lors que la cour d’appel avait relevé expressément que la loi allemande était applicable au litige. La référence à l’article 270 du Code civil tendait donc uniquement à démontrer que la loi allemande n’est pas contraire à l’ordre public français, et à permettre son application. Cette mention, loin de créer un doute, démontre au contraire que la cour d’appel a bien réglé le litige au regard de la seule loi allemande.

Les trois dernières branches appellent une réponse distincte car elles font grief à la cour d’appel d’avoir dénaturé l’article 1570 BGB, ce qui suppose qu’elle en ait fait application. Certes, elle semble fonder sa décision sur « le dernier alinéa de l’article 36 », dont elle énonce qu’il lui permettrait de maintenir la prestation compensatoire au regard de la seule évaluation de la situation patrimoniale respective des époux dès lors qu’il l’autoriserait à « apprécier in concreto la situation respective des parties et lui [laisserait] une grande marge d’appréciation ». Cependant, le demandeur au pourvoi souligne que « c’est par erreur que la cour d’appel s’est référée dans son arrêt, au dernier alinéa de l’article 36 [...] puisqu’[elle] énonce que celui-ci a élargi « la possibilité de prolongation du droit à pension alimentaire en tenant compte de la garde de l’enfant et de l’activité professionnelle durant la vie conjugale, ainsi que de la durée de la vie conjugale dès lors que ceci est ‘‘équitable’’ », quand il s’agit là des termes mêmes de l’article 1570 nouveau ». Or, cet article n’autorise aucunement le juge à écarter la loi nouvelle lorsque cela paraît équitable compte tenu d’un quelconque élément ; il est nécessaire pour le juge de se fonder sur des considérations relatives à la garde de l’enfant, l’activité professionnelle durant la vie conjugale ou la durée de la vie conjugale.

Cette argumentation ne pouvait être retenue. Bien que l’erreur soit avérée, la lecture de l’arrêt d’appel conduit à conclure que le maintien de la pension litigieuse découle de l’article 36 précité. En effet, après avoir cité l’article 1570 in extenso, l’arrêt précise que l’article 36 constitue une disposition transitoire permettant d’y faire échec dont

« l’application concrète dépend des circonstances de chaque cas particulier » et dont découle que « ce qui est déterminant, c’est le caractère acceptable de la modification pour le débiteur et la confiance que ce dernier a placée dans la réglementation prise ». Sur ce point, il peut être noté que, contrairement à ce qu’avance la contestation, l’article 36 n’est pas une simple disposition transitoire, qui ne serait d’aucun secours pour régler le fond du litige, mais bien une règle matérielle dont la cour d’appel a pu faire application. Une telle contestation a été écartée en raison de la consultation d’un professeur allemand produite en appel, et sur laquelle les parties comme les juges du fond se sont appuyés. En outre, le demandeur souligne dans ses contestations que l’arrêt attaqué retient expressément que la loi nouvelle est applicable : « le législateur ayant prévu une période transitoire en ce qui concerne les pensions alimentaires accordées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, celle-ci est applicable au cas d’espèce ». Ici encore, la contestation doit être écartée car l’application de la loi nouvelle n’est retenue que dans la mesure où elle s’accompagne d’un régime transitoire, dont il est donc bien fait application. Ainsi, c’est à raison que l’arrêt énonce plus bas que l’article 36 confère aux juges du fond « une grande marge d’appréciation » et les autorise à se fonder sur la situation patrimoniale respective des époux. Ce, nonobstant la confusion entre les dispositions de ce texte et de l’article 1570 : même si l’article 36 ne prévoit pas le maintien de la pension antérieure « en tenant compte de la garde de l’enfant et de l’activité professionnelle durant la vie conjugale, ainsi que de la durée de la vie conjugale dès lors que ceci est ‘‘équitable’’ », il prévoit bien un maintien en raison de la confiance placée dans la convention, ce qui implique bien l’attribution aux juges du fond d’une grande marge d’appréciation intégrant les « circonstances de chaque cas particulier ».

L’erreur n’est donc pas là où le demandeur la situait : elle ne correspond pas à la simple inversion de deux numéros d’article, mais à une erreur matérielle sur le texte de l’article 36, qui n’a aucune conséquence sur la solution du litige et sur l’étendue du pouvoir d’appréciation du juge. Le passage contesté ne démontre pas que la cour d’appel s’est appuyée sur l’article 1570, il démontre simplement qu’elle a commis une erreur dans la reproduction de l’article 36, auquel elle a intégré par inadvertance un alinéa de l’article 1570 sans en tenir compte par la suite. Ainsi, si elle s’appuie sur « la possibilité de prolongation du droit à pension alimentaire en tenant compte de la garde de l’enfant et de l’activité professionnelle durant la vie conjugale, ainsi que de la durée de la vie conjugale dès lors que ceci est ‘‘équitable’’ », c’est parce qu’elle la rattache au dernier alinéa de l’article 36 ; de l’applicabilité de ce dernier découle la référence erronée à cet alinéa. À l’inverse, le demandeur considérait qu’il fallait déduire de cette référence l’application de l’article 1570 par la cour d’appel, et donc l’erreur de plume de celle-ci.

81. L’on renverra encore une fois au titre suivant pour un autre exemple mettant en lumière le décalage entre les décisions de non-admission et le critère de facilité. Il y sera montré que la non-admission a déjà pu être prononcée contre un moyen qui se fondait sur un texte obscur que la jurisprudence n’avait pas encore eu à interpréter. Le caractère non sérieux du moyen ne ressort donc pas de la seule lecture de la loi, mais d’une interprétation qu’en fait préalablement la Cour de cassation et qu’elle considère s’imposer au regard de l’esprit du texte et de sa finalité286. Or, cela ne semble pas compatible avec l’affirmation selon laquelle le rejet du moyen peut être établi avec facilité.

VI/ Les référés

82. Le caractère sérieux d’une contestation et le caractère manifestement