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La clause compromissoire insérée dans un contrat de réassurance est manifestement inapplicable à l’action en responsabilité délictuelle du bénéficiaire

SECTION II : LA RÉFÉRENCE AU CRITÈRE DE FACILITÉ ET SON ÉCHEC

90. La clause compromissoire insérée dans un contrat de réassurance est manifestement inapplicable à l’action en responsabilité délictuelle du bénéficiaire

du premier contrat d’assurance contre la société de réassurance. Une société mère avait souscrit un contrat d’assurance au profit de sa filiale. L’assureur a par la suite conclu un contrat de réassurance avec un tiers réassureur. Ces deux actes comprenaient une clause compromissoire. En raison d’un accident industriel devenu tristement célèbre, la filiale, assurée pour compte, a subi de lourdes pertes d’exploitation. La société mère, souscriptrice, a donc demandé à l’assureur leur indemnisation. Celui-ci considérant que les dommages en cause n’entraient pas dans le champ du contrat d’assurance, une transaction a été conclue avec la société mère souscriptrice. Par cet acte, l’assureur s’engageait à verser un certain montant à la filiale assurée pour compte et la société mère s’engageait à exercer une action récursoire contre un tiers désigné comme responsable de

314 Art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA.

315 C. BROYELLE, Contentieux administratif, 7e éd., n° 685, p. 477.

316 Art. R. 541-1 CJA.

317 C. BROYELLE, op. cit., n° 732, p. 511.

318 Art. 1448 CPC.

319 L. WEILLER, « Clause compromissoire », Procédure 2014, comm. 298 ; T. CLAY, « Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges », D. 2006. 3026, spéc. 3029 ; E. LOQUIN, « Le contrôle de l'inapplicabilité manifeste… », op. cit., spéc. p. 766 ; C. SERAGLINI, « Droit de l’arbitrage », JCP G 2006. I. 187, n° 10, précité.

l’accident. Aucune clause compromissoire ne figurait dans cet acte. La société mère souscriptice a alors assigné le tiers désigné responsable devant la justice afin de mettre sa responsabilité en jeu. Un arrêt d’appel rejetant ces demandes a été rendu mais la société mère n’a formé aucun pourvoi en cassation.

Considérant que le défaut de pourvoi constituait une inexécution de la transaction, la filiale assurée pour compte, ayant été depuis absorbée par une société tierce, a assigné sa société mère d’origine, souscriptrice, ainsi que le réassureur devant le tribunal de commerce afin d’obtenir des dommages-intérêts. La demande dirigée contre la société mère était fondée sur les règles de la responsabilité contractuelle et celle dirigée contre le réassureur, tenu pour complice de l’inexécution de la transaction, est relative à sa responsabilité délictuelle. Les défendeurs soutiennent alors que le tribunal est incompétent en se fondant sur les clauses compromissoires insérées aux contrats d’assurance et de réassurance. Le tribunal de commerce se déclare compétent mais sa décision est infirmée en appel et les parties sont invitées à saisir la juridiction arbitrale désignée par la convention de réassurance.

La Cour de cassation confirme l’arrêt en ce qu’il a jugé que l’action dirigée contre la société mère relevait de la compétence des juridictions arbitrales. La confirmation repose toutefois sur « une substitution de motifs qui ne dit pas son nom »321. La cour d’appel avait en effet jugé que la clause du contrat de réassurance était applicable à la demande dirigée contre le souscripteur, alors que la Cour de cassation énonce que « la convention d’arbitrage qui figurait dans le contrat d’assurance n’était pas manifestement inapplicable [à ce] litige ».

Sur ce point, la solution est incontestable. D’une part, l’assuré pour compte n’est pas tiers au contrat d’assurance dès lors qu’il l’a accepté ; la clause lui est donc opposable s’il en a eu connaissance au jour de l’acceptation322, ce que la cour d’appel relève bien. D’autre part, la clause compromissoire insérée à un contrat est applicable aux litiges relatifs à la transaction conclue pour régler les difficultés relatives à son exécution323. Cela résulte de l’autonomie de la clause compromissoire, qui survit à l’extinction du contrat dans lequel elle est insérée suite à la novation opérée par la transaction324. En outre, ces deux actes forment un ensemble contractuel, ce qui implique l’extension de la clause contenue dans l’un à l’autre325 : la transaction ayant pour objet de fixer les obligations des parties au contrat d’assurance et d’épuiser tout litige sur ce point, son inexécution s’entend comme une inexécution du contrat d’assurance et entre bien dans le champ de la clause compromissoire, sauf volonté contraire des parties.

321 V. MAZEAUD, « L'extension de la clause compromissoire au sein d'un ensemble contractuel »,

D. 2014. 2092. Ce procédé peut être critiqué en ce qu’il a été réalisé sans que les parties n’en ait été

informées préalablement, comme l’exigent les articles 16 et 1015 du code de procédure civile.

322 Dans ce sens, la jurisprudence retient constamment que le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui peut se voir opposer la clause d’arbitrage rattachée à l’acte dont il bénéficie et qu’il accepte : Cass., civ. 1ère, 11 juill. 2006, n° 03-11.983, Bull. civ., I, n° 368 ; 27 mars 2007, n° 04-20.842 ; 26 oct. 2011, n° 10-17.708 ; 7 nov. 2012, n° 11-25.891.

323 Cass., civ. 1re, 30 oct. 2006, n° 04-11.629.

324 Cass., civ. 1ère, 2 avr. 2014, 11-14.692, Bull. civ., I, n° 59 ; M. DE FONTMICHEL, « Survie de la clause compromissoire insérée dans un protocole de cession devenu inefficace », AJ contrats d’affaire 2014. 177.

En revanche, en ce qui concerne la demande dirigée contre le réassureur, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et retient la compétence des juridictions étatiques. La Cour estime que la clause compromissoire insérée au contrat de réassurance est manifestement inapplicable à la demande dirigée contre le réassureur par l’assuré pour compte sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Sur ce point, Laura Weiller écrit que « La solution n’était pas évidente mais peut sans doute s’expliquer »326.

Dans le sens de l’applicabilité, il faut d’abord constater que le fondement délictuel de l’action n’est pas un obstacle à la mise en œuvre de la clause dès lors que l’action vise bien à faire constater la mauvaise exécution de la transaction et à en réparer les conséquences. La faute délictuelle alléguée consistant en l’inexécution du contrat, elle entre bien dans le champ de la clause, qui vise à soumettre à l’arbitrage tout litige relatif à l’exécution ou à la validité du contrat327. Ensuite, il faut surtout observer que la notion d’ensemble contractuel, justifiant l’extension de la clause à d’autres actes que ceux auxquels elle se rattache expressément, est encore très imprécise. Or, « la réassurance trouve son fondement dans l’assurance »328 et semble donc bien appartenir à l’ensemble contractuel formé par cet acte avec la transaction. La transaction influera d’ailleurs sur les obligations du réassureur : en fixant le montant dû au titre de l’assurance, elle délimite l’étendue et le montant de la garantie résultant de la réassurance329.

Une telle analyse méconnaît toutefois l’autonomie du contrat de réassurance, sur lequel la transaction ne peut avoir qu’un effet indirect. Si le réassureur peut opposer à son assuré la transaction en tant qu’elle limite les obligations de ce dernier et donc le montant à verser au titre de la réassurance, les obligations demeurent soumises aux seules stipulations du contrat de réassurance. Ainsi, si le dommage indemnisé par la transaction n’était pas couvert par le contrat d’assurance, la réassurance ne pourrait pas jouer et l’assureur devrait supporter seul le coût de l’indemnisation versée par erreur, fraude ou méprise ; il ne saurait modifier unilatéralement les termes du contrat de réassurance en concluant une transaction. Il n’existe donc pas véritablement de lien entre le contrat de réassurance et la transaction330. Ainsi, la clause contenue dans le contrat de réassurance n’est pas applicable à un litige relatif à l’inexécution de la transaction portant sur l’exécution du contrat d’assurance.

Restait encore à déterminer si la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance était applicable aux actions dirigées contre le réassureur, ce que la Cour de cassation a relevé d’office pour approuver la décision d’incompétence relative à la demande dirigée contre la société mère. Ici, l’ensemble contractuel est caractérisé et la clause est applicable au litige concernant l’inexécution de la transaction. Pourtant la clause demeure bien inapplicable à une action délictuelle dirigée contre un tiers au contrat d’assurance et à la transaction. En vertu de l’effet relatif des conventions, la clause n’est pas applicable dans les relations des cocontractants avec les tiers. Elle ne joue qu’à l’égard du tiers qui se présente comme une « partie directement impliquée dans l’exécution du

326 L. WEILLER, « Clause compromissoire », Procédure 2014, comm. 298, précité.

327 Cass., civ. 1ère, 8 nov. 2005, n° 02-18.512, Bull. civ., I, n° 402 ; civ. 2e, 14 mai 1997, no 94-20.776,

id., II, n° 141.

328 V. MAZEAUD, « L'extension de la clause compromissoire au sein d'un ensemble contractuel »,

D. 2014. 2092, précité. 329 Ibid.

contrat »331. Tel n’est pas le cas du réassureur ici, qui n’est jamais appelé à intervenir dans l’exécution de la transaction ou du contrat d’assurance, ni en tant que bénéficiaire, ni en tant qu’obligé : l’exécution peut avoir lieu sans qu’il ne réalise un quelconque acte ou en soit destinataire. S’il s’est immiscé dans les opérations d’exécution en favorisant l’inexécution par le souscripteur, c’est frauduleusement, et il ne saurait, par de tels agissements, s’insinuer dans les relations contractuelles et obtenir le bénéfice de dispositions contractuelles auxquelles il n’a pas été associé.

Le raisonnement nécessaire pour conclure au caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire est ici complexe et relativement long. Impliquant l’examen successif de deux clauses, il impose de distinguer la situation de chaque défendeur et de ne pas s’arrêter aux liens apparents qui pourraient exister entre les différents contrats.

Incompatible avec les critères d’évidence ou de facilité, cet arrêt n’est cependant pas totalement isolé. Par deux arrêts récents, la Cour de cassation a en effet retenu le caractère manifestement inapplicable d’une clause compromissoire au terme d’un raisonnement qui, sans surprendre, se décompose en deux temps.

91. La clause compromissoire insérée à un contrat est manifestement