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humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

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Academic year: 2021

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Université Libre de Bruxelles

Faculté de Philosophie et Lettres & Faculté de Médecine

Unité d’accueil : C.R.I.B.

humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

Jacqueline Wautier

Année Académique 2004 – 2005.

Promoteur de Thèse :

Professeur Jean-Noël Missa.

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Présentation A - Enoncé B - Grille de lecture C - Méthodologie et lexique

1° section : Du désir d’enfant au désir de soi.

Chap. 1 : Désir d’enfant, propositions technologiques et impacts socio-anthropologiques / A- Définition

B - La loi du désir délié C - Effets pervers

D - Parentalité et désir démiurgique

E - Filiation, sexualité et historicité généalogique F - L’enfant

G - Collecte et confrontation des différents arguments

H - Points de discussion

I - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 2 : Statuts multiples de l’embryon et implications ultérieures / A- Définition B – Embryogenèse

C - L’embryon : jauge et reflet ?

D - Collecte et confrontation des différents arguments

E - Points de discussion

F - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 3 : Prédire, des mots aux maux / A - Définition

B - Du «Dire» - diagnostic et prédiction C - Du mal dit au mal-né

D – Screening

E - Ethique de l’incertain

F - Collecte et confrontation des différents arguments

G - Points de discussion

H - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 4 : Eugénismes et eugéniques / A - Définition

B – Historique C - Confusion

D - Collecte et confrontation des différents arguments

E - Points de discussion

F - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 5 : Transgenèses, thérapies géniques et manipulations génétiques / A - Définition B - Société et finalité C - Génomes déstructurés

D - Collecte et confrontation des différents arguments

E - Points de discussion

F - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 6 : Clones, miroirs et mirages / A- Définitions

B - Clonage thérapeutique C - Copies (si peu) conformes D - Miroirs ?.

E - Filiation et singularité

F - Collecte et confrontation des différents arguments

G - Points de discussion

H - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 7 : Génétique et anthropologie – à l’épreuve des biotechnologies Consultation de bioéthique 2° section : Métamorphose ou métacarnation de l’homme ?

Chap. 1 : Du corps désinvesti au moi fragmenté / A - Introduction B - Corps perdus ?.

C - Corps-soi, corps de soi et corps insignifié d’un «soi» optionnel et ponctuel

D - Collecte et confrontation des différents arguments

E - Points de discussion

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F - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 2 : Génétique et gène mythique : existence processualisée ? / A - Introduction

B - Génétique : histoire et actualité C - Mythologie et sociologie D - Régression des libertés

E - Liberté moléculaire, liberté cellulaire

F - Collecte et confrontation des différents arguments

G - Points de discussion

H - Condensé et mise en perspective avec l’ensemble de la thèse

Chap. 3 : Sens et technoscience : refus des appartenances ? / A - Introduction B - Délivrance ?

C - L’homme de l’extrémisme technoscientifique D - Liberté ?

E - Prométhée enchaîné, Prométhée déchaîné F - Quête de sens

G - Collecte et confrontation des différents arguments

H - Points de discussion

I - Mise en perspective avec la notion d’aporie Conclusion / A - Introduction

B – Thèse

C - Soutenance, appartenance et divergence D - Transformation et transfiguration

E - Articulation de l’aporie à ses conditions de possibilité et logique argumentaire

F - L’homme ? G - Aporie ? Bibliographie

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Métamorphose ou métacarnation de l homme ?

Chap. 1 : Du corps désinvesti au moi fragmenté?

A – Introduction:

Nous pisterons en ces lignes la désaffection progressive du corps propre - désaffection préparant à notre estime de multiples transformations: du «soi» en son intimité, de l’individu en son existenciation, et finalement de l’humanité en son fait spéciel autant qu’en son expression culturelle.

Transformation de la forme corporelle, des performances individuelles, de la soutenance personnale et, finalement, des fonds conceptuel et spéciel. Transformation par ingression du non-soi au c ur du soi - et par délocalisation du moi en ses uvres ( vivantes ou inertes ) pour autant que ce dernier puisse y reconnaître la marque de sa réalité ou plus fondamentalement de sa puissance opératoire.

Transformation par éclatement d’une cohérence identitaire tendant à décliner toute forme de cohésion ou de permanence pour se disperser en «moments», «états», «inclinations», «potentiels» ou

«puissances»…

Où donc cette mise à distance du corps, plus justement cette abstraction du noeud identitaire, rencontrerait puis recouvrirait l’actualisation technique de l’aporie intrinsèque ou principielle (inscrite cependant en une dimension de potentialité) associée à la soutenance humaine – à cet entre-deux où se maintient et s’exprime l’homme.

-Parce que, pour l’homme, mode d’être et existence relèvent de l’externalité : hors de lui, hors de soi ( dans le monde et par ses uvres ).

-Parce que le centre identitaire est déplacé : du corps à l’esprit ( à la volonté opératoire, aux projets existentiels ) - ou du matériel à l’immatériel. Corrélativement, l’identité en sa quintessence, en sa signifiance comme en son poids référentiel, est transposée : de ce qui est vécu, senti et construit en cohérence (tant organique et mnésique qu’existentielle) à ce qui est projeté ou réalisé hors de soi.

- Mais aussi, parce que le corps est fini et limité : en ses possibilités comme en sa durée - assignant à une demeure ( mondaine/existentielle/fonctionnelle ) bien plus restrictive que l’esprit.

Conséquemment, ce substrat compact se heurte à la transgression portée conjointement par le métabolisme, la conscience et l’humanitude de l’homme - et s’oppose en sa finitude au projet créateur et au désir de pérennité.

- Et encore parce que ce corps matériel peut être redessiné en son esthétique ( chirurgie ), modifié en ses caractères sexuels ( chirurgie, hormones ), suppléé en ses fonctions ( prothèses internes ou externes, médicaments, greffes, thérapies géniques… ) ou transfiguré en ses spécificités ( manipulations génétiques germinales ) : qu’il se propose à une technique susceptible de déplacer ses limites tant individuelles que spécielles.

Où donc la soutenance individuelle de l’homme en son humanité recouvre un dépassement ou une transgression auxquels le pouvoir opératoire offre un champ inédit : ni les spécificités individuelles ni les spécificités d’espèce ne peuvent faire limites. Bref, c’est parce que le corps n’est plus référence signifiante ( que l’identité individuelle n’est plus assise sur une base organique assumée sur le mode de la spécificité (définitoire) et de l’appartenance ), et encore parce que l’identité spécielle n’est plus ancrée sur un fonds caractéristique d’aptitudes, que les remaniements dudit corps, mais aussi de l’espèce, se proposent aux manipulations.

B – Corps perdus ? 1° Le lieu du mal ?

La gnose avait rejeté le monde dans l’«invivable» : lieu du mal et du corps où la vie en sa quintessence spirituelle est étrangère – aliénation. Substrat hostile à l’esprit où ni l’origine ni la causalité intentionnelle de l’existence ne peuvent être trouvées : où son essence ne pourra se réaliser. Où conséquemment l’homme est aliéné : pris dans un corps-prison et dans un monde maudit.

Curieusement, cette exécration du corps en sa dimension sensible, vivante, resurgit dans notre quotidien sous la marque d’une aversion grandissante manifestée à l’encontre d’un corps naturel dont la nature substantielle pourrait ou devrait subséquemment être reléguée au profit d’un corps pseudo-objet et présentoir. Forme nouvelle d’un dualisme ancien – où l’esprit comme volonté ou force génésiaque prend la place de l’âme. Où l’erreur d’un programme génétique remplace le pêché ( originel… ). Où le corps faillible ( mais reconstructible ) fait écho au corps déchu ( périssable mais promis cependant à la résurrection ). Rupture nouvelle et sempiternelle entre l’homme et son corps ; entre l’homme et sa

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matière constituante lui devenant étrangère ( donc superflue et remplaçable ). Rupture signifiante entre l’homme et son «animalité» - et faisant suite à la scission ancienne dissociant l’homme du monde.

Toutefois, différence fondamentale, le clivage antérieur découlait d’une croyance en une origine surnaturelle ( divine ) ou extra-naturelle 1 alors que la disjonction actuelle naît d’une conception immanentiste.

En fait, l’âme «de» ( selon ) Platon tombe dans un corps qui l’emprisonne - la trompe et la limite.

Celle «de» Descartes enrichit d’un petit supplément (d’âme) un corps mécanique ( fonctionnel ). Elle l’habite et s’y exprime : esprit par tradition, raison par fonction 2 . Une présence «presque» inutile puisque «l’anima» ne tient plus à l’âme devenue «animus» 3 . En l’occurrence, le mouvement provient du corps-machine ; il naît de cette organisation machinale offrant à l’âme sa possibilité d’être ( chaleur, mouvement, lieu et substrat ) - elle «quittera» ce lieu à la cessation des fonctions «mécaniques»

corporelles. Situation nouvelle où, dans un renversement accompli, le corps se dissocie d’une âme dépendante ( du corps physique, du corps vivant ) – ouvrant de la sorte la voie au matérialisme et à l’effacement de la métaphysique 4 . Mais cette âme en perte de puissance et d’autonomie, en perte d’essence substantielle, laisse place à une pensée volontaire associée à une succession de phénomènes physico-chimiques pris dans une variation bio-chimique - et cette volonté entend dorénavant décider seule de sa nature, de son lieu d’expression et de la signifiance de sa dimension corporelle . Par suite, le fonds conceptuel aboutit ( du corps «prison de l’âme» et via un corps «assemblé» animé 5 ) au «corps- assemblage» : reconstructible et reconstruit, connectable et connecté, prothétisé et bientôt fabriqué.

Semblablement sous-tendue, du fait de l’inclusion du «soi» et du sens de soi dans la sphère décisionnelle, la volonté est en passe, grâce à la science, de mettre en chair les croyances religieuses d’un corps sans valeur et faisant obstacle - ou encore les reniements mystiques d’un corps sans signifiance ni facteurs identitaires ( ou d’identité ). Finalement, le scientifique (et l’homme qu’il imprègne de ses savoirs et paradigmes) esquisse, tel le gnostique ancien, un monde dual : d’un côté l’esprit définissant et se définissant, de l’autre la matière dévaluée mais asservie. Partition franche où l’on distingue un pôle négatif ( celui du corps et de la mort, mais aussi celui de l’indéterminisme, de l’incomplétude et de l’incertitude ) et un pôle positif recelant plénitude, savoir et pouvoir – lieu originel et destinal du «Bien». L’humain serait de la sorte confronté à un monde matériel et naturel imparfait où le Mal recouvrirait un manque de substance, manque de pouvoir (agir) ou de techniques – et cesserait dès lors de s’inscrire dans la dimension personnelle, comportementale ou éthique. Il s’agit là d’un monde où la chair est maudite ( et mot dit ? ). Et le rêve y associé tend à sa (dé) négation, à son remplacement, voire à sa suppression : tend à cette fin et de ce fait à sa dévalorisation ultime, c’est-à-dire à l’insignifiance qui, à la fois, autorise et provient de sa culture en laboratoire. En outre et corrélativement, le corps remodelé se trouve quant à lui investi d’une valeur incontestable. Valeur ajoutée par l’artifice transformant la matière en matériau, le corps en uvre et le soi en une création soumise à un projet supposé personnel. Valeur surajoutée d’un corps inventé dans la distanciation et l’objectivation : d’un corps événementiel et disponible dépourvu de tout lien ( arraisonnant ) avec le ud présumé ultime de la subjectivité ou de l’identité ( c’est-à-dire, désormais, le lieu sans lieu de la pensée agissante et efficace ). Souci donc de rendre insignifiant ou de nier le corps dans sa relation aux autres (corps) et au monde pour le privatiser à l’extrême : privatiser la jouissance par lui offerte dès l’instant où il se fait objet distant ( distant et inféodé au sujet qui, petit à petit, s’appréhende en propriétaire, montreur, artiste ou artisan prométhéen ).

Que la machine soit, et la machine fut - parallèlement sera le corps réceptacle. Mais cette mise à distance introduite tend à une différenciation qui de Descartes ne retient que le « Ego cogito ergo sum » pour oublier sa conclusion aussi rhétorique qu’empirique : je suis une «chose» pensante – une matière pensante et non point une pensée incarnée. Pareille lecture indique que les technosciences et la

1

Qui distinguait radicalement (qualitativement et ontologiquement) de l’homme des autres vivants.

2

«{au corps uni à l’âme}je lui suis conjoint très étroitement et tellement mêlé que je compose comme un seul tout avec lui »,in Méditations, IV. Et encore, «(…) enfin, par l’âme et le corps ensemble nous n’avons que {les notions} de leur union de laquelle dépend celle de la force qu’à l’âme de mouvoir le corps, et le corps d’agir sur l’âme, en causant ses sentiments et ses passions», in Lettre à Elisabeth. Un corps qui agit sur l’âme, cause ses sentiments ; une âme, sans cette union faisant un tout, est impuissante, froide et vide….

3

Anima : souffle, souffle de vie – ici, ce qui anime / / Animus : principe pensant opposé à corpus - ici, mode ou déclinaison de l’esprit.

4

On trouve un développement intéressant de cette perspective chez I. Rieusset-Lemarié : «c’est (…) parce que Descartes entrevoit comme une vérité incontournable le caractère mécanique du vivant – y compris le corps humain (…) -, qu’il se trouve dans la nécessité, pour préserver malgré tout ce rôle de l’âme dans l’humain, de concevoir celle-ci à partir d’un schéma totalement dualiste. En fait, il semble que Descartes ait bien du mal à intégrer cette notion d’âme à son schéma et on peut se demander dans quelle mesures ses propres démonstrations ne conduisent pas plutôt à s’en débarrasser tout à fait, car sa fonction est devenue, pour l’essentiel, inutile», in La société des clones à l’ère de la reproduction multimédia, p. 103.

5

Par une âme cartésienne somme toute très peu spirituelle.

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biotechnologie reprennent les thèmes anciens pour nier et gommer ce corps anachronique pris dans une chronologie létale. Cependant, au vu d’une réalisation entamée des fantasmes y associés, nous approchons en cela d’une véritable rupture anthropologique : présageant d’un homme transformé s’actualisant dans une communauté différente et selon une sociétalité et une humanicité autres. Rupture radicale où le corps apparaît, dans ses imperfections, ses dysfonctionnements, ses ratés, et plus encore dans sa temporalité, comme une prothèse encombrante à éliminer ou à remplacer par un matériau modelable, modifiable et fiable. Comme le souligne D. Le Breton en ces matières, «La religiosité gnostique échappe à ses multiples formes doctrinales, on la retrouve aujourd’hui sous une forme laïcisée mais puissante dans certains éléments de la technoscience. Elle est même une donnée structurale de l’extrême contemporain qui fait du corps un lieu à éliminer ou à modifier d’une façon ou d’une autre.»

6

. Nonobstant, la santé parfaite exigerait la fin de toutes les maladies, mais aussi celle de la vieillesse, de la faiblesse, de la limitation, de la variation des états et de l’activation différentielle des systèmes organiques : exigerait donc une matérialité stabilisée, hors d’atteinte et éternelle. Partant, semblable accomplissement recouvre la fin du corps et de l’homme selon ce que cet auteur appelle une «Tentation démiurgique de le corriger, de le modifier, à défaut d’en faire une machine réellement impeccable (…). Dans cet imaginaire qui tend à redéfinir les conditions d’existence le corps devient le moyen (…) nécessaire par lequel les machines se développent et se reproduisent. La lutte contre le corps dévoile toujours plus le mobile qui la soutient : la peur de la mort.»

7

.

Selon le gnostique, donc, le lieu vrai de la vie ne pouvait être le monde. Semblablement, pour notre modernité, le lieu ultime de l’homme ne peut être son corps charnel originel. Comme le monde faisait obstacle entre l’homme et Dieu, cette masse fait obstacle entre l’intimité subjective toute-puissante ( le ud ultime de l’homme ) et son actualisation – son devenir réel, son devenir esprit, son devenir Dieu.

Car c’est de cela qu’il s’agit, le corps fait obstacle à la possession des attributs naguère attribués au divin : toute-puissance, ubiquité, communication, imprégnation ( des substances, matières et esprits ), fusion, jouissance et éternité… Cette substance, qui pourtant donne le monde, semble désormais faire barrière au monde. Renversement radical des perspectives : le corps médium devient corps dépossédant de la possession plénière du monde. Le corps sensible, vivant, devient masse objectale – parce qu’il résiste, parce que l’homme se situe à présent tout entier dans sa volonté, son projet ou son désir de maîtrise…

2° Renversement et conversion :

La dénégation du corps tient à l’embarras grandissant suscité par substrat charnel de l’homme : par cette chair fragile, imparfaite, et soumise à la finitude. Cependant, comme le rappelle également D. Le Breton, ce corps fini et mortel est la voie d’accès au monde : « (…) le corps est une mesure du monde, un filet jeté sur la foule des stimulations qui assaillent l’individu (…) et qui ne retient dans ses mailles que celles qui lui paraissent les plus signifiantes. A chaque instant à travers son corps, l’individu interprète son environnement et agit sur lui en fonction des orientations venues de son éducation ou de ses habitudes. La condition humaine est corporelle. Il y a une conceptualité du corps, de même qu’il y a un enracinement charnel de la pensée. Tout dualisme s’efface devant cette constatation fondée sur l’expérience courante de la vie.»

8

. Parallèlement, délimitations et finitude sont conditions de possibilité d’un

«soi» entendu comme intimité vécue et investie en identité et appartenances ( contre le non-soi, contre un éternel présent ou une atemporelle éternité, contre une dilution en confusion et inconscience ). En outre, la mortalité pourrait constituer la condition situationnelle et motrice de l’action - ou d’une construction réactive de sens. Bref, corpo-réel et conceptuel, sensible et conceptualisé, individué et s’individualisant en échappements, le corps est tant soutenance de soi ( de lui-même ) que mode de préhension et de compréhension du monde – avant que d’être facteur intervenant dans et sur ce monde. Et ce corps-là résonne du monde avant de raisonner en lui ; il est ce dont est la pensée : corps conscient ( c’est-à-dire

«recevant» la réalité du monde ), corps-conscience ( se sentant autre que ce monde perçu ) et finalement corps conscientisé ( se donnant à lui-même comme une dimension mondaine dans une mise à distance voulue et soutenue ). Il n’est pas obstacle à l’esprit ; il en est la source, il en est le producteur. Il n’est pas obstacle au monde ; il le donne, le présente et le présentifie : le propose à l’analyse. Il n’est pas obstacle à l’autre ; il est présence pour l’autre. Il n’est pas distance ; il est interface ou contact.

Conséquemment, l’homme est avant tout charnel - et toujours déjà en situation. Et semblablement en est-il de son intelligence ( ou de son «esprit» ) qui ne pourra être dissociée d’une existence, d’une intimité et d’une corporéité. Et D. Le Breton pointe le n ud fondamental en ces quelques mots : «le corps est le grain de sable ironique qui prive l’intelligence artificielle d’une réelle pensée»

9

. Comme la faille dans l’être signe sa

6

L’adieu au corps, p. 9.

7

Ibid., p. 11.

8

Ibid., p. 188.

9

Ibid., p. 189.

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richesse face à la plénitude de l’En-soi inerte. Comme l’insatisfaction du désir manque cruellement au

«toujours déjà satisfait» ou au pur esprit. Comme jouissance, souffrance et finitude manquent à la machine pour se réjouir. Comme l’imperfection du corps ( la faille créatrice ) manque au robot pour exister. Comme douleur et peur, plaisir et espoir, manquent à l’ordinateur pour choisir - comme émotions, sensations et sentiments lui manquent pour penser 10 . Comme donc la vie manque à la matière inerte, comme l’émotion en ses dimensions charnelles et neuronales avant que d’être sentimentalisées manque à l’intelligence artificielle… Rappelons, pour éclairer ces propos de l’avis d’un spécialiste, la perspective adoptée par A. Damasio : « (…) les émotions sont définies par des multiples modifications du profil chimique du corps, ainsi que des modifications de l’état des viscères et du degré de contraction des différents muscles (…).

Mais elles dépendent aussi des transformations subies par l’ensemble des structures neuronales à l’origine de tels changements et sont susceptibles de modifier en retour plusieurs circuits neuronaux (…). / On peut définir les émotions tout simplement comme une modification transitoire de l’état de l’organisme (…). De même, on peut définir simplement le fait d’éprouver une émotion comme la représentation de cette modification transitoire (…) sous forme de configurations neuronales et des images induites par ces dernières. Lorsque, quelques instants plus tard, ces images s’accompagnent du sentiment de soi que l’on a dans l’acte de connaître et qu’elles parviennent sur le devant de la scène, elles deviennent conscientes. On a alors véritablement affaire à un sentir de sentiment. (…) les processus en jeu – l’émotion, le sentir et la conscience – ne peuvent avoir lieu sans représentations de l’organisme. Ils reposent tous les trois fondamentalement sur un même socle, le corps (…). On peut reproduire l’apparence de l’émotion, mais pas dupliquer en silicone le sentir d’un sentiment. On ne peut reproduire les sentiments sans reproduire la chair même, sans reproduire l’action du cerveau sur cette chair, ou la façon dont le cerveau ressent la chair une fois qu’il a agi sur elle.»

11

- une fois qu’il a agi sur lui, agi sur

(le) corps. Partant, l’homme est le produit actif d’une confusion qu’il scinde ou soustrait continuellement à la compacité par la distance introduite : du corps et de l’esprit, du charnel et de ses productions.

3° Confluence :

Une rencontre s’opère entre la connaissance génétique et le désir de se réécrire en d’autres possibles.

De cette confluence naît l’espoir d’un accroissement de la qualité de vie susceptible de déboucher sur un délire de sélection, d’amélioration ou de transmutation de l’homme. Et découle la divergence corps/esprit ; procède la prééminence du potentiel et émane l’exigibilité des possibles. Ou encore, se donnent à craindre toutes les incarnations fantasmatiques et toutes les appropriations pratiques ou pragmatiques. Se donnent à réfléchir le naturel et l’artificiel du mouvement évolutif de l’homo sapiens.

Il en résulte une oscillation entre un fatum biologique et un destin d’existence – à laquelle se couple l’appréhension très récente d’un corps a-symbolique ( purement fonctionnel ) associé conjointement à une sur-signification de la matière moléculaire ( assimilée à l’essence individuelle ) et à une transposition du symbolique ( ou de la signifiance «personnale») à la matière autre ( quand elle se fait reflet ou réceptacle : création imprégnée du désir, du modèle, du projet).

Partant, nous assistons à un glissement de la signifiance et du symbole : où le corps dépersonnalisé aspire à une «habitation» de l’En-soi mondain. Où l’incarnation dorénavant indéfinie autorise ( ou oblige : en compensation du flou introduit et de la perte d’identité 12 référentielle ) une prise en soi du non- soi. En outre et quel que soit son statut, ce corps insignifié et désaffecté 13 demeure ce par quoi vient la mort. Dès lors, toutes les manipulations y appliquées peuvent être décryptées comme autant de refus de la finitude : refus conforté par l’image de l’ADN-alphabet reproductible. Somme toute, il s’agit pour le phantasme nouveau de déstabiliser puis d’abolir les limites du «corps-soi» : et d’entraîner la finitude dans cette néantisation. Départir l’organisme de son organicité ; et départir le corps de sa corporéité ; et départir l’entité de sa dimension identitaire ; et départir l’unitaire de son unicité ; et départir l’intimité de son intériorité ; et départir la personnalité de sa densité attractive ; et départir l’homme de son étance en existence et en devenir ; et départir l’humain de son humanité sensible et affective.

En fait, quand la science se fait technique, elle voile puis dénie tant la chair animée que l’organisme en son «tenir ensemble» intégratif - pour les traiter conjointement en tissus et assemblages aux qualités mécaniques, physiques et chimiques. Mais quand elle les dissèque et les insignifie ; quand elle les supplée et les modifie, elle leur découvre effectivement une certaine insignifiance - issue de leur inutilité

10

Et nul programme, sauf à lui donner la chair, ne pourra lui offrir le sentir/ressentir (de) ces émotions diverses, ne pourra lui offrir ce sentir/ressentir en son corps, en un corps vivant.

11

Le sentiment même de soi, p. 359-400. Damasio est directeur du département de neurologie à l’université de l’Iowa.

12

D’une identité charnelle ressentie et assumée ; d’un noyau matériel signifiant ; d’une entité structurée (et structurante).

13

S’agissant d’insignifiance charnelle, nous traitons du corps «naturel» biologique : du «donné premier» (et vécu) de l’expérience et non pas du corps «visible»

(et voulu tel) proposé au regard de l’autre. Car ce corps-là, au contraire, revêt une importance expressive fondamentale : mais il est déjà corps-objet {objet d’attentions, de modelages, de fins ou d’appropriations réifiantes} ; mais il est déjà corps-image (miroir et reflet : celui dans lequel les mythes sociaux s’incarnent – mythes de la réussite, de la jeunesse, de l’efficacité, du naturel vaincu).

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naissante ou de leur interchangeabilité fonctionnelle. Subséquemment, cette insignifiance induite conforte ladite science dans sa perception réductrice et dans sa tendance modificatrice. Ou encore, comme le souligne D. Le Breton, «Cet imaginaire technoscientifique est une pensée radicale du soupçon, il instruit le procès du corps à travers le constat de la précarité de la chair, de son manque d’endurance, de son imperfection dans la saisie sensorielle du monde, de la maladie et de la douleur qui le frappent, du vieillissement inéluctable des fonctions et des organes, de l’absence de fiabilité de ses performances, et de la mort toujours menaçante.» 14 . Et cet « imaginaire technoscientifique » tient en cela un discours catastrophiste sur la condition humaine et impose une tendance volontariste qui, du désir de maîtrise, passe au délire de la maîtrise. Il révèle de la sorte un ego englué dans un rêve de toute-puissance reprochant au corps ce qui le fit - puisque c’est ce corps faillible et incomplet qui développe en résonance ( puis «raisonnance» ) cet ego «corporisé». Au reste, l’invariance ou la pérennité intouchable relèvent du roc massif, de l’En-soi. De même, la toute- puissance confond, dans l’instant fugace ou éternel, le désir et la satisfaction – implosant l’un et l’autre dans l’irréalité ou l’inexistence. Par ailleurs, la recherche éperdue d’un corps pérennisé répondrait à un corps détruit par ( et dans ) l’idée qu’il est symptôme ou incarnation du Mal : pathologique. Et se réaliserait dans une ère du corps dépersonnalisé assimilé à un contenant délesté de sens et de signifiance : un corps dépourvu de sa dimension liante ou de sa présence requérante, destitué de sa fonction informative ou donatrice ( du monde ), départi de ses affects et révoqué en son être-là stabilisant ( être «ici», être tel, être ainsi, être-forme, être émergeant, être vivant).

C – Corps-soi, corps de soi et corps insignifié d’un «soi» optionnel et ponctuel : 1° Soi :

Tout d’abord une précision : quelle que soit la perspective, un «soi» rudimentaire apparaît dès qu’un système biologique métabolise et maintient une entité unitaire faisant front contre son milieu ( serait-ce dans un équilibre/déséquilibre chimique non ressenti – a fortiori non pensé ). Ainsi, dès la vie primitive apparaît une maintenance métabolique – qui est persistance : « ( une amibe, dit Damasio ) ne connaît pas les intensions de son propre organisme (…). Mais la forme d’une intension est là (…) laquelle s’exprime par la manière dont la petite créature réussit à garder le profil chimique de son milieu interne en équilibre (…) : le désir de rester en vie n’est pas un développement moderne (…). Ce qui varie, c’est le degré auquel les organismes ont connaissance de ce désir »

15

. Où donc le perspective du «soi» d’identité recouvre initialement un fait, une réussite métabolique, puis une continuation réflexorielle, ensuite une poursuite instinctive, suivie par une tendance pulsionnelle accédant au désir - bientôt pris en charge par une intension volontaire et finalement par une volonté se déliant peu à peu de son support charnel et des limites y associées. Pour la science cependant, c’est une empreinte moléculaire ou un signal inter-cellulaire qui protègent l’intégrité de l’organisme : des assemblages protéiques résultant d’une combinatoire aléatoire se constituent en gardiens de l’identité organique. En conséquence et en chaque individu, s’opère une reconnaissance du «soi» à protéger et du

«Non-Soi» à détruire ou à assimiler. Cette définition biologique ( physiologique ) dépend d’un fragment du sixième chromosome tandis que le savoir/mémoire (mécanique) de ce «soi»-là s’acquiert au long du développement ( genèse/maturation ) de l’individu - et du système immunitaire. En outre, la tolérance néonatale est brève qui permet l’incorporation de l’autre : le «soi» immunologique mature paraît constant jusque et y compris en ses défauts - à l’opposite du «soi» évolutif et décisionnel de la conscience. Nonobstant, ce «soi» immunologique est à son fondement ouvert - quand deux jumeaux hétérozygotes se «reconnaissent» du fait d’échanges sanguins survenus dans l’utérus. Il admet des lieux d’exception - l’utérus encore, mais aussi l’ il ou le cerveau 16 où ces combats violents du même et de l’autre sont exclus ou modérés. Et encore, il se trompe - et ce sont les maladies auto-immunes. Se trompe et peut être trompé - en témoignent les greffes chimiquement assistées et les cellules cancéreuses

«égoïstes» 17 . Plus étonnant, la permanence d’un constituant semble concourir à définir son statut d’appartenance au «corps-propre» dès lors qu’un tissu isolé du système immunitaire pendant une durée suffisante ne pourra plus être réinséré sans dommage – et J.M. Claverie d’insister : «Par simple opposition au soi, le seul dénominateur commun au non-soi c’est son caractère transitoire, épisodique, sa confrontation soudaine à un système immunitaire mature.»

18

.

14

L’adieu au corps, p. 10.

15

Le sentiment même de soi, p. 179.

16

Le cerveau est considéré comme un «lieu» quasiment dépourvu d’immunité -: ainsi la greffe de tissu (thérapie de la maladie de Parkinson) ne nécessite pas un traitement immunosuppresseur lourd. Ce lieu de l’ultime définition du «soi» accepte donc plus que tout autre le «non-soi».

17

Même si le mécanisme de cancérisation peut être plus complexe et requérir une suite de mutations conférant aux cellules clonales un avantage reproductif.

18

Soi et non-soi : un point de vue immunologique, p. 36. Par ailleurs, l’auteur nous enseigne qu’un fragment d’organe (par exemple de l’hypophyse) qui serait tenu hors de l’organisme pendant un temps assez long ne pourrait plus faire l’objet d’une autogreffe.

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A la suite, très éloigné de ce donné primitif, le «soi» évolué de la conscience émanerait d’une

«entité» se préhendant et s’explorant ou s’exposant à elle-même en représentations mentales et intellections : il émanerait d’une «entité» déliée de l’immédiateté et finissant par se représenter avant de se définir ( de se construire de nouveau telle qu’elle se voit puis se veut ). De la sorte, la subjectivité humaine assimile en traits ou éléments constituants ce qu’elle cesse de considérer ou reconnaître

«autre» - autre d’elle-même/autre de l’homme. En fait, au niveau immunologique, le «soi» est le donné premier ( néanmoins construit ) tandis qu’au niveau existentiel et «conscientiel», le «soi» est la construction finale et cependant jamais finie.

Changeant de perspective, il convient de souligner que la vie exige une compartimentation, une frontière dedans/dehors - et ce jusqu’aux tréfonds des organites cellulaires. Et d’insister sur le fait qu’elle se caractérise nonobstant par des échanges et des filtrations requérant une perméabilité spécifique et contrôlée : de la bactérie à l’homme, la vie est assimilations et «reconnaissances» exigeant un discernement du «Soi» et du «Non-Soi» que l’homme porte désormais à son comble ou méprise selon les circonstances 19 .

2° Organisme et (ré) organisations intentionnelles :

L’organisme est une «forme» maintenue, une globalité soutenue ou un «pouvoir» ( pouvoir faire ) qui le distingue ( d’un in-fini / jamais fini ) de la matière brute toujours identique à elle-même et confondue en elle-même ( résumée à et dans sa totalité ). En un sens, l’organisme est libéré en son activité de l’inertie de la matière brute : mouvement, travail, activation et réactivation. Il est transformation de lui ( présent évanescent déjà passé ) en lui ( présent activé, reconstruit et actif ) et tend à un futur se présentifiant – et bientôt, du fait de la complexification organique portant à la conscience de soi, futur présentifié. Le devenir n’est donc pas une de ses dimensions, et encore moins une de ses qualités, il en est la propriété

«ontologique». Nonobstant, l’organisme comme mode opératoire, mode d’être ou d’ex-i-stance, mais aussi l’individu comme entité en individuation intégrante continuée, la personne comme continuité personnale et individualisation expansive et encore le sujet comme subjectivité identifiante et identitaire sont désormais mis à distance de leur spécificité ou de leur fait 20 . Partant, dans les manipulations à fins utilitaires comme dans les conceptualisations dissociatives, par le fait des ingressions violentes de gènes étrangers ou par l’action de substances chimiques, l’organisme est aujourd’hui soumis à des conceptions le réduisant à ses constituants - assimilé à un puzzle hétérogène et rabaissé à ses fonctions factuelles : il se fait avatar.

Parallèlement, la perspective «dialectique» et néanmoins moniste de l’étant humain 21 laisse place à une dévalorisation du substrat charnel et à un recul de la permanence identitaire personnale - où l’intériorité humaine ( tant le fond propre de l’homme spéciel que le «moi» profond/ultime de la singularité personnale ) se décline désormais en pensées et en potentialités, en volitions et en désirs, en pouvoirs et pouvoir de faire : en mode opératoire plus qu’en construction entitaire ( dans le monde ), plus même qu’en personnalité*. Et cette intériorité-là, ou son «contenu» résumé en procédé (s) et puissance (s) , esquisse d’ores et déjà pour certains la quintessence du «moi» - le n ud essentiel de l’individu et la source d’où émane le «propre» enfin choisi : un mouvement échappatoire produit de ( et par ) le sujet et subséquemment, et rétroactivement, de lui productif. Où l’immatériel s’impose comme centre et confluence de l’intimité substantielle. Où la volonté active et efficiente s’affirme comme seule marque signifiante. Où la fantaisie comme l’imprégnation ou la transformation de la matière se donnent comme seules exigences. Conjointement pourtant, suite à une insatisfaction induite par cette perte de soi ( charnel ), apparaît progressivement le phantasme d’une définition personnale inscrite et inscriptible dans la matérialité des gènes.

19

Et l’on peut ainsi citer les techniques de greffes et les recherches portant sur la xénogreffe. Et relever les progrès accomplis dans la compréhension et dans le contrôle des réactions immunologiques : progrès concourant à la perméabilisation grandissante des frontières inter-individuelles (tantôt en trompant les mécanismes de reconnaissance des tissus, tantôt en bloquant la production des lymphocytes – avec l’espoir de parvenir un jour à une véritable chimérisation des composants du système immunitaire). Mais l’on peut également évoquer les techniques de génie génétique qui désenclavent les espèces en recourant à la transgenèse…

20

Qui est fait d’un être en devenir selon une continuité identifiante et identitaire : allant du développement processuel à la création ou à l’invention – en passant par une organisation phénoménale ou factuelle, une normalisation ou une équilibration soutenues, et une intégration tant dialectique que dialogique. De l’inconscience mécanique du métabolisme rudimentaire à la conscience de soi comme soi conscient et temporel / historique – en passant par un soi conscient en ses perceptions ponctuelles du monde.

21

Une matière organique «une» qui se diversifie, une étance corporelle/charnelle/métabolique qui se sent (se ressent, se représente et se pense), une internalité aménageant une perméabilité, une intériorité s’initialisant du non-soi qu’elle perçoit, une intimité qui s’exprime, un «intérieur» qui s’extériorise par une interface dermique sensorielle, une permanence qui se maintient dans les changements, une matière qui se fuit en réalisation faisant retour sur la matière, une représentation cohérente et continuée ( représentation de «soi» par «soi») mémorisée et intégrée en identité autobiographique et personnale référentielle, un être qui s’existencie…

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Pourtant, l’unité individuelle ( non seulement vitale mais proprement vécue ou investie ) recouvre un processus intégratif soutenu et perpétué : de l’être ( organique / génétique ) et du faire être ; du même et de l’autre ( transformé/assimilé ). Mais il est aussi, ce processus, le mouvement ou le travail de l’équilibre toujours acté des morts et vies cellulaires. Nous transformons car nous «vivons» notre corps autant que notre subjectivité. Tout vivant vit de relations, d’affrontements, d’appropriations et de rejets identitaires témoignant par leur in-appropriation de ce que l’organisme-sujet ( sujet organique ) ne peut con-fondre : tant dans le vouloir que dans le pouvoir, tant dans le domaine moral ou intellectuel qu’au niveau physiologique ( immunologique ). En ce sens, le vivant est une construction constructive astreinte à maintenir une identité de base et à la réaménager dans une ouverture à autre chose ( serait-ce à elle-même dans un avenir à venir ). Ou encore, le vivant est une identité spécifiée par le changement - changement d’un donné transformé ( transformable ) mais non éludable. De surcroît, il garde trace de ses victoires et défaites - de ce qu’il fut 22 . Changement donc, et ordonné en une unité identitaire par une mémoire organisatrice et selon une continuité reconstruite sur une autre scène - celle d’une conscience quelquefois inconsciente ( non activée en remémoration pensée / non exprimée ).

3° Extériorisation et expression :

Au cours de l’évolution, l’homme accéda à l’introspection et put se préhender tel un sujet. Il apprit à modifier le monde et son rapport au monde : le percevant, représentant et projetant en un devenir que simultanément il incurvait de son projet et de son agir consécutif. Il apprit de même à se dégager ou à se mettre à distance : des sensations qui l’envahissent, du corps qu’il est, du présent qui le porte, du donné qui le contraint et, finalement, des processus internes et des phénomènes externes qui l’entraînent en leur mécanicité absurde. Parallèlement, l’humain essaime et s’éparpille. Il est un sujet qui se raconte, un individu qui s’exprime. Ainsi, avant même sa réussite constituée, il s’extériorise : comme projet clamé par les géniteurs, comme embryon sortant de la zone pellucide, comme gènes activés par différents environnements dans un génome multirelationnel. Mais aussi, comme édification d’un «soi» hors de l’en-soi. Et que serait par ailleurs un organisme aveugle et, au propre, indifférent au monde - radicalement isolé ? Que serait un corps absolument imperméable ? Ou encore, que recouvrirait une entité personnelle stabilisée et à elle-même éternellement identique - en elle-même enclose ? Un tel point d’arrêt infligé aux modes et domaines relationnels, aux limites incertaines, entraînerait très vraisemblablement la fin de l’individu comme entité pensante et charnelle 23 .

Par ailleurs, l’homme se construit dans et par le «langage» si on l’entend comme expression peu ou prou symbolisée 24 et révélatrice de soi : de ce que l’on est. Ce langage est de corps et de mots ; il est mise en relation de soi à soi, de soi à l’autre, de soi au monde : par lui le locuteur pose et induit 25 une démarcation ( intérieur/extérieur, même/autre, factualité brute/intention signifiante, phénomène/récit) . En ce sens, l’émergence du «je» est surgissement du langage comme transposition métaphorique de soi (du

«moi») , comme liance et liance symbolique. En d’autres termes, le moi en quête de confirmation ou d’affirmation s’exprime en «je», indiquant en cela tant une prise de conscience de «soi» ( comme entité Autre que la nature) qu’une exigence catalytique d’émergence et de reconnaissance ( de particularismes renvoyant à une identité un moment stabilisée ). Et cette élaboration secondaire 26 est la traduction de ce savoir être soi («être-moi») , être vivant, être agissant. Le «pensant» est alors cette entité s’éprouvant en permanence 27 comme une individualité à maintenir dans un échappement à l’en-soi et à l’immédiateté – à l’horizon d’une projection ou d‘un projet ; mais aussi, contre la dilution, la confusion et la mouvance illimitée. En résumé, l’extériorisation de «soi» recouvre le surgissement dans le «moi» d’une distance (ou d’une délivrance) vis-à-vis du donné compact et immédiat, mais aussi la porte ouverte à l’invasion du non-moi/non-soi dans l’individu – invasion menaçant, en sa mise en place effective, de faire éclater le fond nécessaire à partir duquel un «moi» se forme et prend son envol ( contre le non moi et vers l’autre moi). Par suite, l’homme est un être de langage parce que son existence parvient à la parole : que son existence est, pour lui et son vis-à-vis, récit signifiant. Par la parole, il se déprend de lui-même, de l’immédiat et des pulsions : pour se dire à l’autre dans une affirmation ( de lui-même ) complétée d’une

22

Mémoire-gène / Mémoire-mitochondrie / Mémoire-anticorps / Mémoire-cicatrice / Mémoire-psychique.

23

F. Dagognet présente dans une étude très intéressante (La peau découverte) la peau comme lieu de l’intersection et de l’interférence (dedans/dehors) qui conditionne, partiellement à tout le moins, la persévérance (température, salinité, d° hydrique). La peau répétant le contraste ou la synthèse du soi et du non-soi et ouvrant au monde, reliant ou transmettant à l’intimité centralisante ce qu’elle perçoit - et enclosant, délimitant, protégeant une identité.

24

Porteuse d’un sens additionnel eu égard à la matière, riche d’une distance ou d’une (re)présentation, vectrice d’une intention.

25

Car le besoin ou la volonté de s’exprimer suppose le (re)sentiment ou le vécu d’une entité consciente de soi, démarquée d’un environnement et distinguée dans une mise en relation à l’autre.

26

Secondaire tant dans sa mise en place au cours de l'évolution que dans sa constitution individuelle.

27

En représentation imagée ou conceptualisé et en dehors de toute action sur la matière-autre.

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reconnaissance ( de l’autre ). Où donc l’homme est un être de langage et du langage parce que celui-ci ouvre à l’autre et au monde – pouvoir quasi magique des mots, pouvoir sur le monde, sur l’autre, sur soi. D’une certaine manière, le langage installe et instruit l’altérité en l’unité : mise à distance (en mots ) du vécu chargé d’affects. Nonobstant, simultanément, le langage reconnaît et conforte l’altérité hors de l’unité : le «je» est face à un «toi». Partant, le langage est possibilité de se dire mais aussi de se poser et affirmer comme individualité singulière et individu en situation – apte à ( ou susceptible de ) faire lien, mais également apte à accéder à ou entériner une reconnaissance. En fait, l’homme est un être de langage astreint à s’insérer dans un monde commun et dans un dire partagé tout en conservant un

«quant-à-soi», un centre «privé», un lieu identitaire référentiel qui sera source, moteur et destination du

«dire» - de ce qui se dit et de ce/celui qui dit. Raison pour laquelle l’abandon ou le désinvestissement du corps en sa signifiance identitaire, abandon précédant à notre estime celui d’une identité cohérente, conduit vraisemblablement à un appauvrissement du langage ( de cela même qui conduit à l’aspiration d’une extériorisation, d’un mouvement vers l’autre, d’un récit ) – puis à un effacement de l’histoire, et enfin de l’humanité 28 .

4° Articulation :

Continûment, l’homme se révèle dans l’articulation des données multiples et s’affirme dans une synthèse non confondante - non fusionnelle. Il s’étend et s’ex-tend : il se décentralise, se produit ou se modifie. Il s’entoure de prothèses et de médiateurs. Il crée et pose ses uvres tel des miroirs ou des reflets : des succédanés de lui-même où le symbole, la charge affective et la perspective ( choisie ) de signifiance l’emportent, en termes identitaires ou identifiants, sur sa réalité charnelle sensible. Bref, l’évolution actuelle conduit à la conscience d’un «soi» dépendant, en ses caractéristiques et pour une part grandissante, d’une volonté définitoire ou «définissante». Et ce passage ou glissement évolutif est maintenant accéléré par les techniques pour conduire, d’une entité conscientisée délimitée et peu ou prou fermée sur elle-même ( à tout le moins sélective ), à un système ouvert en expansion. Or, si une ouverture contrôlée du système est nécessaire à son évolution, la perte de contrôle ou la déconstruction de l’organisation centralisatrice aboutit à l’éparpillement du sujet en une mouvance perpétuellement renouvelée. Sans maîtrise ni limites, l’ouverture au non-soi induit une perte d’identité et une confusion du constitutif et de l’adjonctif - perte d’identité tant «psychologique» qu’organique.

En d’autres termes, le corps, compris ici comme entité unifiée du proprioceptif, du représentatif ou du subjectif et du charnel, articule, assemble et intègre l’intériorité et l’extériorité. Mais un mouvement s’esquisse qui semble conduire du dé-centrage vital ou de la distance à soi ( libératrice ) à l’éclatement d’un soi hors de soi. Qui semble conduire d’un corps personnel et malléable à une chair fonctionnelle et modifiable - vécue dans l’étrangeté. D’un corps propre à un corps morcelé et insignifiant. Or, les processus sont incertains en leurs seuils qui, de l’ouverture au monde, de l’appropriation et de la libre disposition de soi ( soi charnel ), mèneraient à la perte de soi ( soi personnal ) : perte de n ud identitaire entitaire, perte de centre réel référentiel, perte de personnification stable et signifiante. Où donc, abandonnés à eux-mêmes, désengagements, ouvertures et déliances conduiraient à l’anéantissement du

«moi» - d’un «moi» borné et défini, d’un «moi» proprement personnal.

5° Corps insignifié des déliances:

On trouve dès à présent dans le «Body Art» une préfiguration de ce futur du corps nié à force d’incarnations changeantes - jusqu’à l’évanescence. Car cet «art» de la mouvance, opposé à toutes les mouvances artistiques dès lors qu’elles cherchent à transcender l’immédiateté ou l’égotisme pour atteindre une signifiance ou une émotion trans-individuelles et a-temporelles, montre clairement que ces variances personnales, ces incarnations plus formelles que substantielles, plus théâtrales qu’intimes 29 , n’ont d’autre raison que le désir – un désir vide qui, soit se nourrit, soit se pervertit du désamour de soi ( jusqu’à la destruction ). Situation explosive où le corps devenu image de chair est un non-corps pour un non-individu : il se donne et se constitue en artefact tandis que le lieu de l’être se fait lieu sans lieu – ou, dans les termes de C. Jaquet, « [Le corps] est défait par le désir à tel point qu’il devient virtuel»

30

. Et ainsi en est- il pour Orlan 31 qui modifie son substrat corporel pour le faire en le contrefaisant - offrant à voir, comme

28

Comme le souligne F. Chirpaz, «La parole qui veut faire confidence de soi est donc, dans sa nature même, paradoxale. Elle ne peut se dire que dans la proximité qui la conforte par sa bienveillance mais elle ne peut le faire que par la distance maintenue entre soi et l’autre que soi, dans la proximité du face-à- face où celui qui parle peut dire je en s’adressant à un tu. Mais le je ne peut se tenir en face du tu qu’il interpelle que conscient de l’écart qui lui permet de se tenir en face de l’autre comme le sujet de sa parole, dans une proximité qui maintient la distance», in L’homme précaire, p. 31.

29

Instances identitaires multiples dénuées de fondement durable et de projet de cohérence.

30

Le corps, p. 215.

31

Artiste ( ?) de cet art ( ?) charnel ayant subi 9 opérations chirurgicales retransmises en vidéo.

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jadis l’écorché, le dedans sous le dehors. Nous sommes de la sorte d’ores et déjà confrontés à un corps déréalisé ; un corps désinvesti ou instrumentalisé par une pulsion déliée de son substrat et produite, et soutenue, par un sujet en refus. Car effectivement, l’homme du corps excédentaire récuse les appartenances, les continuités et l’historicité : satisfait ou insatisfait, mais détaché. Satisfait ou insatisfait de sa famille, de sa situation ou de ses possibles - mais campé dans le lieu sans lieu de la volonté, de la représentation et de la potentialité. Dès lors, tous ses ( ces ) déterminants identitaires peuvent être contestés avant que d’être réduits, non plus seulement philosophiquement mais très pratiquement, à des contingences qu’il convient de maîtriser. Et se profile conséquemment une invasion du soi par le non- soi. Et se dessinent un corps pluriel, une identité séquencée, un n ud identitaire abstrait en son pouvoir décisionnel et un trajet biographique en pointillé. Là où naguère s’opérait une intégration des perspectives ou des fonctionnalités de l’entité corporelle, nous rencontrons désormais une confusion de l’être et de ses productions ( selon un mode d’être en externalité ) - ou encore une expression différenciée et différentielle des «contenus» du «moi» personnal ( assujetti aux processus volitifs ).

Extérieur/intérieur : altérité/intimité. Ces limites troubles et (semi) perméables décrivent pourtant l’homme et peut-être le définissent : centre d’une intimité et interface par où se déploient des

«tentacules» d’extériorité. Confrontation entre nécessité d’un sentir en proprioception et faculté d’une autodéfinition. Articulation entre entité nécessairement circonscrite et soutenance nécessaire de communications, relations ou mises en perspectives.

Dedans/dehors : milieu interne à maintenir, milieu externe à investir ou intérioriser (tantôt en assimilations, tantôt en représentations) , intimité à préserver et entre-deux à soutenir dans une construction et une réorganisation l’une et l’autre permanentes. Seul ce mouvement évite l’inertie ( ou la mort ) et nous découvre une stabilité à maintenir dans l’instable et une nouveauté à assimiler dans la permanence - à éviter la dilution et l’évanescence. Nonobstant, les frontières ontologiques, ontiques et spécielles se dissolvent toujours plus et déstabilisent un corps cessant progressivement d’être une assignation à résidence ou à identité pérenne - un corps qui n’est plus pôle charnel d’un sujet à dualité émergente ( et cependant indivisible ) mais plutôt assemblage en passe de se confondre avec une personnification quasiment théâtrale. Un corps qui se propose de la sorte tel un avatar temporaire ou modifiable du sujet : présentoir du «soi» associé à la pulsion d’extériorisation et conforté en ses déliances par les possibles technoscientifiques. Ou encore, quelquefois, substrat apparaissant tel la prothèse reconstructible et cultivable d’un «moi» continuellement en quête d’incarnation ( forcément provisoire car toujours insatisfaisante ). Et s’ensuit, pour ce moi «désincarné» vivant son corps dans l’étrangeté, une quête éperdue d’un lieu destinal et final. Une quête impossible d’un répondant infaillible et libre susceptible d’accomplir le travail fondateur ( auto ) légitimant. Une quête conséquente d’incarnation nouvelle transgénérationnelle, plus clonale que filiale : de l’ordre de l’émanation duplicative.

Et se manifeste, corrélativement, une peur de soi : de «soi» à corps faillible, à image trompeuse, à nécessité inutile, à existence gratuite, à assise impossible. Et, conjointement, une peur de l’autre : l’autre à distance infinie, à liberté insoumise, à subjectivité radicale, à altérité menaçante, à vérité incertaine et à existence fragile. Et, consécutivement, une peur du risque, de l’imprévu, de l’aventure, de la finitude, des engagements, des liens, liances et appartenances. Mais, si l’autre en son altérité radicale et en sa liberté incoercible inquiète; si, semblablement, aventure et relations humaines effraient ; si donc le risque de l’humain angoisse, il n’en reste pas moins que cet autre, cette autre subjectivité libre, est indispensable pour inscrire l’existence personnelle dans un sens pour le moins «possible» - ou dans la possibilité du sens. Indispensable pour sortir l’être de la forclusion, de la vacuité, de la vanité et de l’irréalité – du solipsisme démentiel. Raisons pour lesquelles, supposant les différentes ruptures consommées, s’ensuivrait vraisemblablement pour l’homme esseulé et tétanisé un retour sur le corps semblable du clone dont le fantasme signe, lui aussi et à sa manière, la peur et le refus de l’autre ou de la rencontre de l’altérité. Où donc le corps propre se mettrait à distance pour frôler cette seule altérité encore supportable : celle de soi (-même) . Où l’individu en deuil d’individuation identifiante rechercherait en son clone, et selon un va-et-vient perpétuel, soit une image propre à le conforter, soit une créature redevable, soit un réceptacle ( réceptacle charnel ), soit encore un vis-à-vis accrédité et compétent ( suffisamment proche, suffisamment distant ) pour le légitimer en retour – le légitimer de son seul fait ( d’exister ), de son seul être ( vivant ), de son absolue dépendance, de sa reconnaissance ou de son amour...

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Partant, l’entité corporelle en rupture d’appartenance intime, la totalité intégrante menacée par des pulsions centrifuges, est tantôt niée dans son intimité/individualité entitaire et unicitaire propre, tantôt posée comme «autre» - oeuvre ou objet relevant de la propriété du fait de la nécessité d’une légitimation peu ou prou mise à distance ( selon un mouvement oscillatoire plus ou moins aveuglé ) 32 . Situation inédite où les angoisses nées de la finitude, où les manques associés à l’existence, où les incertitudes inséparables des libertés alimentent et incarnent des pulsions de mort, des inerties, des retraits et des dénis. Situation absurde où l’effroi suscité par la mortalité du corps assassine le corps. Situation étrange où la peur de l’échec éventuel d’une relation réelle conduit à impossibiliser toute relation d’altérité vraie - pour ne pas avoir à vivre, un jour, peut-être, son imperfection ou sa fragilité. Situation inquiétante où le paradigme ultime recouvre peu à peu l’opérativité : changer le corps ( y compris «propre» - mais fondamentalement étranger ), et les humeurs ( y compris celles de l’autre ), et la face du monde, et le profil génétique des individus futurs. Où donc toute intervention contribue à la production de «soi», à la fabrication d’une identité «personnelle» soumise à la détermination: où l’individu fait de son corps son autre, son représentant ou son modèle – celui que l’on transforme et gère et rectifie.

6° Du «moi» corporel au «Je» abstrait :

L’être de l’entre-deux ( matière/matière qui se fuit, corps/esprit, En-soi délimité/Pour-soi dé-limitant ) s’est donné des intermédiaires ( outils, médiateurs, prothèses ) pour agir sur le monde. Et ceux-ci, en retour, confortent son être oscillatoire ( de l’entité circonscrite à expressivité du soi ) : il s’agit là d’une voie ouverte au symbolisme et au choix constructif, mais aussi à une dangereuse instabilité identitaire ( d’un être in-fini ). En effet, si l’on entend Damasio, le support neuronal du soi relève d’une connaissance immédiate et continue de l’état métabolique ou du corps métabolique - et des sections du cerveau sont assignées à représenter l’état spécifique de l’organisme à tout ( tous les ) instant (s) : «(…) l’état interne du corps doit être relativement stable en comparaison de l’environnement qui l’entoure. (…) cet état stable est régi depuis le cerveau par des rouages neuronaux élaborés, conçus pour détecter des variations minimales dans les paramètres du profil chimique interne du corps et pour commander des actions censées corriger les variations détectées (…). En résumé, l’organisme, dans le jeu de relations qu’entretient la conscience, est l’unité intégrale de notre être vivant, notre corps, pour ainsi dire ; et pourtant, dans la pratique, la partie de l’organisme appelée cerveau comporte en son sein une sorte de modèle de tout l’ensemble (…). J’en suis venu à la conclusion que l’organisme, tel qu’il est représenté à l’intérieur de son propre cerveau, est un précurseur biologiquement vraisemblable de ce qui finit par devenir le mystérieux sentiment de soi. Les racines profondes du Soi, y compris le Soi élaboré qui recouvre l’identité et la personnalité, devaient se trouver dans l’ensemble des dispositifs eu cerveau qui, de façon continue et non consciente, maintiennent l’état du corps dans les limites étroites et la relative stabilité nécessaires à la survie. Ces dispositifs représentent continuellement, de façon non consciente, l’état du corps vivant, ainsi que nombre de ses dimensions.»

33

. C et état d’activité du cerveau, nommé «Proto-Soi*»

par l’auteur, serait l’assise du Soi-central et du Soi-autobiographique. Où donc le «Soi» conscient élaboré en un vécu personnal semble requérir ( et prendre pied sur ) la représentation neuronale des mécanismes et des équilibres vitaux particuliers de l’organisme – où la modification de ceux-ci induirait conséquemment une modification du fonds informatif et formatif dont émerge celui-là. En résumé, le contrôle métabolique étant la toile de fond ( et le fonds ) du soi primitif, lui-même étant

«assise» et «référence» du soi plus élaboré, la modification des équilibres physiologiques (mais aussi des capacités, aptitudes, particularités et spécificités corporelles) remanierait cette représentation première du

«soi» organo-métabolique et, par suite, transformerait le soi élaboré qui s’en constitue. Dans cette perspective, toute modification «organique» agit sur la pensée qui naît du sentir soi / sentir le monde : sentir les modifications des multiples paramètres faisant organisme. Agit donc sur les représentations du soi et du monde. Agit aussi sur l’émotion. Et Damasio de rapporter par ailleurs celle-ci aux variations physiologiques : base mi organique mi neuronale des sentiments, l’émotion brute serait d’abord un ensemble de modifications des paramètres et états du corps et des organes – ensemble qui sera représenté, réapproprié, interprété et sensé ( doté d’un sens particulier pour chaque individu, en chaque existence).

32

La première occurrence recouvre le mythe d’une possible multiplication personnelle par duplication ; la seconde le phantasme d’une matière malléable insignifiante en soi mais disponible et soumise à la volonté (au n ud ultime du sujet/propriétaire).

33

Le sentiment même de soi, p. 37-38. L’auteur élabora une classification en «conscience-noyau» et «conscience-étendue» : où la conscience-noyau donne à l’organisme un «sentiment de soi» eu égard à un moment précis et à un lieu particulier (conscience de l’immédiat et conscience immédiate, ne recouvrant pas la dimension du futur et n’ayant pour tout passé qu’un point infime toujours évanescent). Plus avant dans la complexité, la conscience étendue donne à l’organisme un sentiment structuré de soi : avec une continuité temporelle, une histoire biographique et une personnalité - avec un passé et un avenir. Selon cette vue, la conscience-noyau est stable tandis que la conscience-étendue est évolutive (et inscrite en plusieurs niveaux d’organisation). Ainsi, le sentiment de soi issu de la conscience-noyau serait le Soi-central : esquisse transitoire de soi (re)créée en chaque interaction du cerveau avec un «objet». Damasio définit alors un Soi-autobiographique non transitoire : la collection mémorisée et systématisée des situations de connaissance des objets par la conscience-noyau.

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En clair, la pensée a aussi partie liée intime avec la peau, avec «le moi-peau» - et avec l’ensemble organo-physique et morphologique. Aussi, à la limite, le membre greffé ou la main amputée, et à l’extrême l’organe reçu ou la prothèse posée, contribuent à la «pensée» et aux représentations, puis à l’actualisation, de «Soi». Partant, briser l’histoire de l’organisme ( sa continuité sentie puis pensée ), briser l’histoire du corps ( son unité sentie puis soutenue ), briser l’histoire de l’individu ( son unicité agissante puis vécue, mémorisée et représentée ) ou briser l’histoire de la personne ( son trajet acté puis existencié ), c’est défaire le long chemin qui conduisit de la conscience-soi ( du Proto-soi, selon Damasio ) à la conscience de soi et à la conscience morale autant qu’artistique ( créatrice de sens, de liens, de symbole et d’humanité ) – c’est défaire le chemin et le travail des complexifications et intégrations qui conduisirent à la possibilité du «sentiment de soi» comme sentiment d’exister et de faire sens ( à partir d’affects et d’émotions). De même, défaire ou perméabiliser les limites corporelles et individuales d’un individu revient à hypothéquer la référence de son intimité, de son «Soi» : en effet, l’individu singulier entend une stabilité, une assise identitaire offerte par la délimitation du dedans et du dehors – l’organisme, son métabolisme, sa structure, la représentation neuronale des systèmes, le soi primitif, puis le soi évolué ( ou «autobiographique», selon Damasio ) se trouvent inscrits «dedans» ou dans une intériorité ( qui est aussi internalité minimale nécessaire ) continuellement confrontée à son autre. Ou encore, la vie de l’organisme, puis la vie de l’identitaire, enfin la vie psychique, se trouvent et se définissent par le maintien d’états et de fonctionnalités à l’intérieur d’un «lieu» déterminé par une limite ou une délimitation. Dans le même ordre d’idée, et selon les mêmes nécessités vitales, l’homme oscille entre être, exister, posséder, exprimer et externaliser. Entre individu et personne, personne et personnage. Et aujourd’hui, le corps se propose comme instrument et représentation du «moi» : mais d’un «moi» peu ou prou travaillé par sa pulsion expressive, d’un «moi» résumé et pris en charge par le «Je» pour être référé à une puissance ou à un projet – et non plus à sa matière ou à ses insertions diverses.

«Moi :Je» : nous entrons désormais dans l’ère de la tautologie – et dans son aire. En ce contexte, le sujet paradigmatique des technosciences est en état d’apesanteur ou d’irréalité : condensé en ses possibles et potentiels et mesuré à ses pouvoirs opératoires. Pourtant naguère, ce «Je» sourdait d’un corps «personnel» ou intime et s’enracinait dans une identité soutenue dans la durée. En d’autres termes, prenant distance, mais conservant ce faisant un rapport pensé, un lien charnel senti et une relation référentielle vécue à l’égard de l’intimité entitaire unitaire, l’individu s’exprimait en un «je» arraisonné à sa matière propre. Et «moi» se définissait alors de ses appartenances : à son substrat organique, à ses possibles, à sa généalogie, à son trajet existentiel vécu et soutenu en continuité - mais aussi à sa terre, à sa culture et à ses projets ou engagements. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : car le corps se tait et se retire tandis que l’identité explose en moments ou en états mouvants. Cependant, sans ces lieux corporels et sans ces références identitaires ou biographiques déclinées en appartenances, ne subsistent que des ruptures : où le «Je» survole un «moi» lui paraissant désormais cadavérique. Où tout lien, toute référence, toute co-naissance à ce «moi» entitaire se donnent pour limites, entraves et dénégations de la puissance ou de la liberté : où l’idée même d’un lien quelconque semble étrange et pose question…

A savoir alors si cet ego délié existe encore – ou s’il bruisse ? A savoir si cette délétion d’un «moi»

référé et référentiel n’implique pas un corps d’apparat ou d’apparence ? Un corps désaffecté : aux frontières troubles ou gommées et ne relevant plus de la présence à soi, présence au monde, présence à l’autre ? A savoir si la subjectivité en errance, si l’intimité éclatée et l’identité fragmentée n’induisent pas des limites dé-limitées ouvrant au néant par la biais d’un corps désinvesti ?

Au bout du compte, dans l’externalité grandissante et dans l’ouverture au non-soi se manifeste, nous semble-t-il, un devenir étranger du soi : perte des limites, perte du lieu, perte du sens et du mouvement unitaire. Où l’individu, comme son corps, comme son «moi» coupé de ses affects et de son lieu originel, comme son «soi» dépourvu de frontières définitoires, se trouve désormais en béance : d’où tout peut fuir, où tout peut s’inscrire – et initier dès lors une perte d’identité et une perte de réalité. Et produire un sujet en manque : manque de fondement, manque de continuité ( biographique, personnale et existentielle ), manque de projet transchronologique, manque de communauté, manque à être et manque d’existence «tangible» ( faisant sens et histoire ). Car le «moi» ne peut être réduit à ce travail abstrait – de même la pensée exige une relation au monde qui la délivre de la circularité solipsiste fondamentalement aliénante.

Où donc l’individu du technoscientifique semble être en état d’a-temporalité et d’irréalité : coupé de l’histoire et de ses références, délié du monde et de ses exigences, coupé des réseaux socio-symboliques et de leur force cohésive, dépourvu de la présence de l’autre et de sa puissance affirmative, extirpé un

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