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humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

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Université Libre de Bruxelles

Faculté de Philosophie et Lettres & Faculté de Médecine

Unité d’accueil : C.R.I.B.

humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

Jacqueline Wautier

Année Académique 2004 – 2005.

Promoteur de Thèse :

Professeur Jean-Noël Missa.

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Chap. 4 : Eugénismes et eugéniques.

A - Définition :

L’eugénisme historique a pour fin ou moteur l’amélioration de la race humaine – et pour substrat théorique l’étude des conditions propres à influencer la transmission des caractères jugés positifs en matière d’humanité. Finalité et théorie se découpent nécessairement sur un fonds idéologique au sein duquel «amélioration», «race», «humanité», «valeur» et «génétique» s’articulent en liens directs et prennent sens très «objectivement». Ainsi, au sens fort ( Eugénisme ), le vocable recouvre une idéologie fondée sur la conviction que l’humanité est portée par une évolution ( un progrès, une progression ) pouvant être aidée ou guidée et tendant vers une réalisation ( d’un homme idéal/idéel ). Conviction, donc, qu’il existe ou pourra exister un homme supérieur - ou plus justement un état hominien ( humanicité ) supérieur. Semblable définition rejoint celle du progressisme quand il désigne une impulsion globale et un mouvement automatisé, voire inéluctable, conduisant vers une amélioration. Si, comme nous l’expose P.-A. Taguieff 1 , « Ce rêve [progressiste] est celui de la belle individualité vivant sans contraintes », alors l’Eugénisme se présente tel un avatar d’une même utopie ( principes humanistes et idéaux fraternels en moins ) : où tout se passe comme si la désillusion (eu égard au progrès inéluctable transcendant l’histoire chaotique des histoires humaines ) se réfugiait dans la foi en une opérativité déjà peu ou prou technicienne.

Cependant, le vocable recouvre désormais une notion complexe, dotée de références multiples et diversement déclinée. Ainsi, si le point commun aux nombreuses utilisations du terme recouvre l’idée d’une «bonne naissance», la divergence tient aux supports philosophiques et sociaux autant qu’aux perspectives prioritaires. Et la naissance «bonne» peut être référée à l’individu qui en adviendrait, aux parents qui l’attendent ou à la communauté qui la reçoit. Elle peut être évaluée au regard de la souffrance intime, de la difficulté familiale ou de la charge sociale. Jugée en fonction de la jouissance personnelle présumée ou de la productivité résiduelle calculée. Jaugée en son alignement sur les possibles et limites de l’espèce, en sa concordance aux désirs et projets parentaux, ou par rapport à une utopie globale ( communément partagée ou arbitrairement imposée ). Et encore, être laissée à l’estime parentale, à l’évaluation médicale ou au verdict étatique. Mais cette divergence des conceptions tient également à la pratique : procédant par évitement de naissances douloureuses ou par sélection/élection des géniteurs ( de certains traits spécifiques … ). Usant d’une méthode douce, informative et propositionnelle, ou recourant aux pressions diverses - voire à l’imposition brutale. Laissant s’exprimer la barbarie qui écarte ou élimine les individus réels, ou mobilisant responsabilité et compassion pour prendre en charge le devenir ( ou l’arrêt du devenir ) d’un individu potentiel. En ces nuances, l’eugénisme oscille du «souci» ( éthique ) au projet ( pragmatique ou utilitariste ) et bascule du privé ( critères familiaux ou personnels ) au collectif ( critères socio-culturels soutenus par les diverses instances d’un groupe structuré ) - quand ce n’est à l’étatique ( projet global, nécessités pratiques et coût spécifique prenant force de loi par l’action de structures de contrôle et d’application ). Ce faisant, il glisse aisément du concret ( souffrance individuelle ) à l’abstrait ( modèle humain ). Par ailleurs, il peut s’inscrire dans une action pluridisciplinaire ( sociale, sanitaire, médicale… ) ou s’asseoir sur une autorité ( de prestige ou de pouvoir ) usant d’une technique interventionniste résumée à son agir opératoire. En conséquence, la pratique se verra qualifiée tantôt de «positive» (promouvant la reproduction d’individus jugés «supérieurs» - aujourd’hui telle élection porterait vraisemblablement sur gamètes ou gènes ) tantôt de «négative» : s’attachant à empêcher la reproduction d’individus jugés «inférieurs» ou, désormais, offrant la possibilité d’exclure certains embryons ( certains gènes ) du cycle menant à l’existence.

Insistons, la pratique est ancienne. Ainsi, encore dénuée de nom, elle se réalisa originellement par l’élimination des nouveau-nés malformés – élimination passive ou active. Se poursuivit dans le sang des combats singuliers ou des rituels collectifs et finit par se formaliser pour aboutir, quelques siècles plus tard, à une théorie raciste couplant stérilisations forcées et éliminations actives d’individus jugés «non conformes». Aujourd’hui, en nos contrées, ne subsistent généralement qu’un principe plus ou moins affirmé et une perspective peu ou prou compatissante : l’espèce et le membre communautaire se voient supplantés par la famille et par «l’individu-personne». Partant, certains auteurs distinguent l’eugénisme ( associé ou inféodé à des idéologies totalitaires et à la mise en uvre de moyens socio-politiques

1

Le sens du progrès, p. 15.

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contraignants issus d’une utopie collectiviste ) et l’eugénique ( associée ou référée à une pratique médicale libérale – instrument d’un souci éthique ajusté à une prise en compte individualisée ).

B - Historique

L’eugénisme, la «bonne naissance». Le terme doit être rendu à son créateur, Francis Galton. Sous ce vocable ( eugenics ) apparu à la fin du 19° siècle ( 1883 ), il s’agissait de théoriser des techniques supposées rabonnir les populations humaines : favoriser les lignées décrétées «convenables» et ouvrir les portes des couvents et monastères aux individus ( simples spécimens ) dont l’échec social, dont la différence physique ou comportementale, dont le dysfonctionnement organique se voyaient transbordés dans le champ ontologique ( essentiel ) pour dénier aux sujets concernés toute «valeur» (personnelle, collective et spécielle ). Enfermement éternel sans crécelle contre une «lèpre» sociale supposée contagieuse et reproductible – enfermement motivé par la fécondité dite «florissante» des inadaptés sociaux ( handicapés sociaux ). Galton, estimant que la science nouvelle devait se décliner conjointement dans l’ordre théorique 2 et dans la dimension pratique 3 , porte une part de responsabilité dans l’assimilation du substrat social misérable et du donné biologique fortuit - confusion où pauvres et exclus apparaîtront tels des handicapés congénitaux frappés d’une impossibilité consubstantielle leur interdisant toute évolution, toute intégration, voire tout épanouissement. Selon cette perspective et en toute cohérence, un refus devrait être opposé à une solidarité contre-venant à une «sélection naturelle»

exprimée dans la lutte pour la vie ( en l’occurrence, la vie décente ). Pire, argumentait Galton, toute option sociale compensatoire lèserait les meilleurs au profit ( inutile ) des dégénérés incapables d’en tirer parti.

Dès lors, mesures structurelles, subventions et allocations furent décrites par ses partisans comme autant de freins iniques et inadmissibles imposés à la bonne marche du progrès. Persuadé du caractère héréditaire des qualités intellectuelles et comportementales ( volonté, patience, tempérance ), Galton aspirait à une race alignée sur quelques êtres exceptionnels et rares - affirmant concomitamment que

«…l’amélioration du cheptel humain ne posait aucune difficulté incontournable»

4

ou encore que « (…) les capacités naturelles de l’homme sont héréditaires, exactement dans les mêmes limites que le sont la forme et les caractères physiques chez tous les organismes. Par conséquent, comme il est facile (…) d’obtenir par une sélection soigneuse une race stable de chiens ou de chevaux (…), il serait tout à fait possible de produire une race humaine surdouée par des mariages judicieux pendant plusieurs générations consécutives. Je montrerai que des actes sociaux très ordinaires, dont les effets sont peu soupçonnés, travaillent constamment à la dégradation de la nature humaine, et que d’autres travaillent à son amélioration»

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.

1° Quelques faits :

L’eugénisme, comme schème à visée opératoire, est associé à la théorie de l’évolution telle que la conçut Charles Darwin. Effectivement, l’intégration de l’espèce humaine dans un monde animal régi par des lois biologiques ( L’origine des espèces, 1859 ) offrit aux rêves de maîtrise leur justification rationnelle et leur mode opératoire. Cette «naturalisation» autorisa également de multiples développements et se prêta bon gré mal gré aux diverses applications sociales qui s’ensuivirent. Certes, Darwin ne traitait pas de l’homme en cet ouvrage spécifique ; mais comme nous le rappellent, entre autres, André Pichot et Pierre-André Taguieff, ses commentateurs et traducteurs ne s’en privèrent pas.

Ainsi de Clémence Royer traitant d’une : «(…)charité imprudente et aveugle pour les êtres mal constitués où notre ère chrétienne a toujours cherché l’idéal de la vertu sociale et que la démocratie voudrait transformer en une sorte de solidarité obligatoire (…). On arrive ainsi à sacrifier ce qui est fort à ce qui est faible (…), les êtres bien doués d’esprit et de corps aux êtres vicieux et malingres (…). Que résulte-t-il (…) ? C’est que les maux dont ils sont atteints tendent à se perpétuer indéfiniment : c’est que le mal augmente au lieu de diminuer, et qu’il s’accroît de plus en plus aux dépens du bien (…). Les données de la sélection naturelle ne peuvent plus nous laisser douter que les races supérieures ne se soient produites successivement ; et que, par conséquent, en vertu de la loi de progrès, elles ne soient destinées à supplanter les races inférieures en progressant encore, et non à se mélanger et à se confondre avec elles au risque de s’absorber en elles (…). Les hommes sont inégaux par nature, voilà le point d’où il faut partir 6 . M ême si l’auteur de L’origine des espèces désapprouva ladite préface, ses écrits ultérieurs tendent à justifier quelque peu les associations brutales qui furent opérées entre dégénérescence de l’espèce et frein social opposé à la sélection naturelle : « Chez les sauvages, les individus faibles de corps ou d’esprit sont promptement éliminés (…). Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, tous nos efforts pour arrêter la marche de l’élimination ; nous construisons des hôpitaux pour les idiots, les infirmes et les malades ; nous faisons des lois pour venir en aide aux indigents (…). Or, quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait (…) combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine (…) .». Et encore : « Tous ceux qui ne peuvent éviter une pauvreté pour leurs enfants devraient éviter de se marier

2

Tentative descriptive des lois de la reproduction ou de la transmission transgénérationnelle des caractères physiques et mentaux.

3

Etablissement et mise en uvre des mesures susceptibles d’améliorer cette reproduction – et concomitamment l’espèce.

4

Hereditary talent and character, cité par J.Rufié in Traité du vivant, p. 641.

5

Hereditary Genius, London, 1869, p. 1-2, cité plus largement par A. Pichot, in L’eugénisme ou les généticiens saisis par la philanthropie, p. 8.

6

Préface à la première édition de De l’origine des espèces par sélection naturelle, trad. fr. C. Royer (1862), Flammarion, 1932, t. I, p. XXXIV-XL

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(…). D’autre part, comme l’a fait remarquer M. Galton, si les gens prudents évitent le mariage, pendant que les insouciants se marient, les individus inférieurs de la société tendent à supplanter les individus supérieurs. » 7 . Liens du biologique, de l’aléatoire et du social - et référence explicite à Galton…

En d’autres termes, le darwinisme biologique conduisit à une transposition de ses schèmes explicatifs dans l’ordre social ( darwinisme social ). Où le moteur de l’Histoire ou de l’Humanité ( comme Progrès, Evolution, Réalisation ) recouvrirait l’effet produit par l’articulation de trois processus : adaptation, sélection et lutte pour l’existence ( de la vie brute à la réussite sociale et au pouvoir y associé ). Comme l’explicite P.-A. Taguieff, « Pour les théoriciens du «darwinisme social» (…), le moteur de l’Histoire (…) c’est le couple formé par les catégories de «luttes pour l’existence» et de «sélection» (…) dont l’effet supposé bénéfique est la «survivance du meilleur» ou du «plus apte». C’est ce mécanisme qui engendre le progrès : par la «survivance des plus aptes (…), l’amélioration indéfinie de l’espèce est assurée – les «survivants» étant censés transmettre leurs qualités héréditaires à leurs descendants. A la condition (…) que le mécanisme de concurrence et de sélection ne rencontre aucun obstacle d’ordre juridico-politique, social ou moral (…). La sélection naturelle doit se poursuivre sans limites dans les sociétés humaines : la politique et la morale relevant du «darwinisme social» impliquent une stricte continuité entre l’état de nature et l’état de société (…). La lutte impitoyable pour l’existence (…) constitue pour les «darwinistes sociaux» l’unique fondement des valeurs et des normes. » 8 . Cela dit, le glissement du biologique au social n’entend pas nécessairement une politique eugéniste. En effet, telle politique ne peut se satisfaire d’une régulation sélective mécanique, elle impose ses critères et applique ses sanctions selon un programme autoritaire et opératoire ( à tout le moins ponctuellement et localement opératoire ). C’est par ailleurs sur cette divergence que P.-A. Taguieff fonde son analyse. Citant Thomas Huxley en contre-exemple, « Comprenons donc une fois pour toutes que le progrès éthique de la société consiste non pas à copier le processus cosmique, non pas à s’en évader mais à le combattre »

9

,

Taguieff précise : « En un sens large, le «darwinisme social» constitue l’une des légitimations idéologiques du libre- échangisme sans freins ni frontières, célébré comme la voie du Progrès indéfini. En quoi il diffère grandement de toutes les formes de sélection humaine relevant de l’eugénisme, qui impliquent, selon diverses modalités et divers degrés (…), un interventionnisme d’Etat, censé orienter l’«amélioration biologique» de l’humanité. La morale et la politique eugénistes présupposent que l’homme, lui-même produit d’une longue évolution, devienne le guide de son évolution future. » 10 . Ou encore, là où le darwiniste se rapporte et confie à la nature, l’eugéniste aspire à corriger positivement l’évolution sociale porteuse de dysgénésie.

Nonobstant, c’est bien une évolution aveugle, procédant par élimination factuelle des spécimens inaptes et par écrasement démographique des populations moins fécondes que nous présenta Darwin en 1859 – dans le prolongement du processus mécanique originel portant sur un foisonnement de structures aléatoires, d’associations de contiguïté, d’organites et d’organismes, d’individus, de colonies et d’espèces : une évolution conduisant des structures élémentaires à l’homme. L’homme qui, depuis son émergence consciente, utilise, exploite ou manipule son milieu et soumet la nature - favorisant l’utile aux dépens de ce qui le dessert. L’homme donc, qui s’offre à ses propres représentations, se mesure à ses pouvoirs et se confronte à sa finitude.

Partant, le désir de subsister, faire poids et trace, est vraisemblablement immémorial en sa manifestation intime : transmettre et s’affirmer en puissance via une lignée résistante et triomphante.

Parallèlement, l’espoir spéciel d’améliorer l’individu est probablement plurimillénaire. Et la tentation collective presque aussi ancienne d’éliminer les spécimens vecteurs de pathologies ou facteurs de désordre et de dysharmonie : éliminer les faibles ou les dépendants, les inutiles ou les souffrants, pour gagner collectivement en force et en pouvoirs …

Ainsi, si l’on s’en souvient, les Spartiates supprimaient les enfants mal constitués, le père romain pouvait refuser la reconnaissance à l’héritier inconvenant, et les athéniens arrimaient leur tolérance des infirmités et malformations diverses à la perspective de rituels sacrificiels («prophylactiques» ) ultérieurs - récupérant socialement un handicap tout en l’écartant plus ou moins efficacement de la procréation ou des lignages prestigieux. Dans le même ordre d’idée, Platon prônait une «Cité idéale» où hommes et femmes seraient sélectionnés pour une reproduction différentielle : à chacun sa juste place dans une cité tripartite ( intellectuels/soldats/paysans ) réservant à tous une éducation en adéquation avec la situation assignée ( pré-destinée ). Ailleurs, des tribus africaines abandonnaient à la forêt les nouveau-nés difformes et les jumeaux affichant ( dans et par la pluralité ) les stigmates des forces du mal ou les germes du chaos

7

La descendance de l’homme et la sélection sexuelle (1871), Ed. Complexe, Bruxelles, pp. 144-145 et 677. Les références sont de A. Pichot qui cite par ailleurs de plus amples extraits et développe plus en détails les articulations réalisées entre les idées de Darwin et l’eugénisme dans L’eugénisme ou les généticiens saisis par la philanthropie.

8

Le sens du progrès, p. 44.

9

Référence de l’auteur (Le sens du progrès, p. 45) : Thomas Huxley, cité par Julian S. Huxley, Religion sans révélation [1967], trad. Fr. A. Godel, Paris, Stock, 1968, p. 243.

10

Le sens du progrès, p. 45.

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( destruction clanique 11 ). Enfin, aujourd’hui, loin des parenthèses sanglantes du siècle passé, loin de ces errements où l’inefficacité le disputait à l’horreur, la question d’une intervention finalisée au c ur du génome ( individuel tout d’abord, spéciel ensuite ) se repose avec force : car les connaissances des substrats géniques et des processus biologiques se précisent tandis que les techniques s’affinent et que l’intervention porte ( ou porterait ) sur des individus encore potentiels …

2° Les lois - notions de chronologie :

Considérés comme les descendants d’une race maudite, dégénérée, les cagots pyrénéens illustrent, à leur dépens et dès le XI° siècle, la face cachée et les mécanismes psychologiques associés à une ségrégation «eugéniste» mi factuelle mi officielle ( structurée ). Groupes isolés auxquels est attachée la lèpre, endogames par obligation, ils suscitent, comme le relève A. Quartararo, « des réflexes de peur et de méfiance (…). Aux alentours de l’an Mil, à l’origine de leur identification, les communautés villageoises les présentent comme (…) porteurs de l’horrible maladie … peut-être des rejetons de conquérants hérétiques (Goths ? Sarrasins ?), convertis récemment au christianisme et qui, à ce titre, éveillent la méfiance. / Au XIX° siècle et au début du XX° siècle, des études (…) s’attachent à montrer qu’il s’agit en fait d’autochtones, toujours méprisés, considérés comme des descendants possibles des lépreux, ayant connu les avatars de l’isolement (…) et désormais catalogués comme goitreux-crétins (…).

Rabelais emploie le mot «cagot» dans le sens de malheureux. Quant aux dictionnaires béarnais, ils désignent le lépreux blanc (…). Dans les régions, il s’applique à tous les déshérités et, par extension, à tous les individus dégénérés physiquement. » 12 . Leur histoire, où se mêlent différences, ostracismes, préjugés, ignorances, craintes et impuissances face à la maladie, permet d’interroger la genèse des processus qui attribuent à l’autre l’origine d’un mal dépassant largement le cadre organique (: formation des groupes, corrélations et gérance du mal et des maux, structuration des identités, désignation de l’autre en ce qui fait différence et renforcement réactionnel de l’image de soi ). Une identification des cagots à la maladie ou à sa transmission est donc opérée qui autorisera, dès la fin du 13° siècle, l’instauration de mesures et d’interdits 13 qui ne cesseront de se multiplier pour aboutir, au 14° siècle, à l’exil forcé ou à des exécutions. Et A. Quartararo d’expliciter : « On les écarte des lieux publics (…). On leur donne seulement un prénom, suivi du nom de leur catégorie (…). Objet d’observations médicales plus nombreuses bien que limitées par le type de savoirs, ces dernières confirment ou infirment, selon les moments, leur tare physique héréditaire (…)» . Il faudra quatre siècles pour que s’ouvre « le temps de la réhabilitation (…) pour ceux qui ont «payé» (…). La fusion se fait lentement après la Révolution de 1789. C’est alors qu’un professeur de l’Université de bordeaux, Francisque Michel, lance une grande enquête sur le sujet en Gascogne et en Pays Basque. Son constat est révélateur : « nous trouvons (…) un grand nombre de cagots. Le peuple sait partout les distinguer quoique aucun signe extérieur ne différencie ces individus. Mais la tradition est là et plaide contre eux. Des préjugés se montrent s’il s’agit de mariage. La race «pure» considère les cagots comme une population maudite et dépravée ». On est au siècle des grandes théories sur les races et sur l’eugénisme ! Entre temps, la lèpre a cédé la place au goitre : le besoin persiste de justifier l’exclusion passée, toujours marquée par le mépris, encore présente à cause du danger de l’hérédité, du mélange des sangs et des signes de dégénérescence de l’espèce (…) » 14 . Outre cet exemple qui prend racine quelques neuf cents ans avant les théorisations eugénistes que nous connaissons, Nicolas Venette ( médecin ) esquissera dès 1686 ( Tableau de l’amour conjugal

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) ce qui peut être interprété tel un programme eugéniste : « Un roi ne sera jamais en état de se défendre (…) s’il a des sujets faibles ou imparfaits (…).

C’est donc une chose digne d’un royaume bien policé, de régler tellement ce qui concerne les mariages, que tous ceux qui y naissent puissent un jour être capables de soutenir les entreprises de celui qui y commande. Si nous pouvions découvrir la cause qui fait qu’il y a tant de personnes petites (...) ou contrefaites, et en même temps ce qui fait les hommes forts et robustes, spirituels et adroits, ce serait (…) un moyen assuré pour remédier aux désordres qui n’arrivent que trop souvent dans les familles et dans les Etats, par la négligence qui se remarque dans les mariages (…) »

16

.

Pourtant, si la Suède adopta, en 1757, ce qui paraît être la première loi eugénique de la modernité ( interdisant les unions entre épileptiques ), il fallut attendre encore quelques cent cinquante ans ( 1914 ) pour que l’Eugenics Record Office ( E.R.O .) porte et supporte les idées et recommandations des eugénistes américains – dressant la liste des pathologies supposées héréditaires et «les» proposant à une stérilisation. Les lois qui concrétisèrent ces avis s’assortirent en outre de décrets limitant l’émigration en provenance de l’Europe de l’Est et du Sud - jugée porteuse d’une « infériorité germinale ». Plus concrètement, l’Indiana ( 1907 ) et l’Iowa ( 1911 ) furent des précurseurs qui votèrent une loi légalisant la stérilisation et qui assignèrent à ce traitement mutilant toute personne internée en asile - qu’elle relève de la déficience mentale, de l’indigence, de l’épilepsie ou de la toxicomanie ( mais l’Iowa procédera de

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Quand donc la similitude des corps évoque celle du désir et présage en cela d’une lutte destructrice (pour l’obtention d’un «objet» unique). Quand aussi la double naissance évoque les parturitions multiples animales et menace conséquemment une différenciation (hominisation) fondamentale.

12

Maladie et exclusion sociale : goths et cagots des Pyrénées, in Le statut du malade, p. 34 – 35.

13

Différenciation vestimentaire {dont un signe rouge (patte d’oie)} que l’on retrouvait avec quelques variances contre les juifs et les lépreux.

14

Maladie et exclusion sociale : Goths et cagots des Pyrénées, une histoire de parias, p. 37 - 39.

15

Un extrait plus long est analysé en ses articulations historiques et conceptuelles par P.-A. Taguieff dans Le sens du progrès, p. 225 et suivantes.

16

La génération de l’homme, ou Tableau de l’amour conjugal, nelle édition, Londres, 1762, t.II, p. 263-264, cité par P.-A. Taguieff, Le sens du progrès, p. 226.

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même à l’encontre de tout individu récidiviste portant atteinte aux lois de l’Etat : délits sexuels, crimes, vols… ). Ces stérilisations massives ( jusqu’à 100 par 100.000 habitants, nous informe M. Jeannerod 17 ) traitaient donc «équitablement» criminels, débiles, handicapés physiques et mentaux, alcooliques et miséreux. Et l’on peut évoquer semblablement, couvrant le premier tiers du 20° siècle, les lois nombreuses autorisant la stérilisation en différents pays européens 18 : Danemark, Finlande, Suisse, Allemagne ou encore Angleterre ( recensant tuberculeux, lépreux, syphilitiques, cardiaques, cancéreux, débiles et alcooliques ). Mais aussi la France 19 , puisqu’on retrouve dans l’Encyclopédie médico- chirurgicale de 1934 une recommandation de «contraception des femmes dont les maternités sont dangereuses pour elles-mêmes ou l’avenir de la race.»

20

. De surcroît, en 1942, Vichy instaura un certificat médical prénuptial.

Pire, on estime à 40.000 le nombre des personnes délaissées et décédées par manque de soins et d’aliments dans les hôpitaux psychiatriques.

De la vasectomie masculine à la salpingectomie féminine, auxquelles s’ajoutent quelques castrations (André Pichot évoque « quelques centaines de cas » aux Etats-Unis, 400 au Danemark, 14 en Finlande, 2 en Norvège 21 ), les stérilisations s’inscrivaient dans des procédures judiciaires qui «sanctionnaient» de la sorte conduites et états contrevenant à l’ordre social ( au projet social ). Partant, comme le relève A.

Pichot « Outre les inévitables préjugés raciaux et moraux (Noirs, femmes légères, etc.), il semble que, dans les démocraties, la justice se soit préoccupée de l’ordre social plus que de l’amélioration génétique de l’espèce humaine, et qu’elle ait ordonné la stérilisation des personnes qu’elle jugeait incapable d’élever des enfants (…). Les usages sociaux, plutôt que biologiques, des lois eugéniques ne proviennent pas d’une mauvaise interprétation des juges. Ceux-ci en respectaient l’esprit. Voici (…) un projet de législation sur la stérilisation des personnes «socialement inaptes» ; il date de 1922 et est dû à Harry H. Laughlin, l’un des artisans de l’eugénisme américain (…) : « Est socialement inapte toute personne qui, par son propre effort, est incapable de façon chronique, par comparaison avec les personnes normales, de demeurer un membre utile de la vie sociale organisée dans l’Etat (...). Les classes sociales d’inaptes sont les suivantes :1° les débiles mentaux ; 2° les fous (…) ; 3° les criminels (…) ; 4° les épileptiques (…) ; 5° les ivrognes (…) ; 6° les malades (…) ; 7° les aveugles (y compris ceux dont la vision est sérieusement affaiblie) ; 8° les sourds (y compris ceux dont l’ouie est sérieusement affaiblie) ; 9° les difformes (y compris les estropiés) ; 10° les individus à charge (y compris les orphelins, les bons à rien, les gens sans domicile, les chemineaux et les indigents). »» 22 . Et Pichot de conclure : « Sous couvert d’arguments biologiques, l’eugénisme a donc surtout servi à régler, de manière expéditive, des problèmes sociaux (…). Du moins dans les pays démocratiques, car on sait à quoi il a servi en Allemagne. Les nazis semblent bien les seuls à avoir jamais pris au sérieux les arguments biologiques des eugénistes (…).

Le raciste qui met les Noirs dans les champs de coton n’est pas le même que celui qui met les Juifs dans les chambres à gaz.

Le premier se réfère (peut-être) à une conception typologique de l’espèce : la race noire serait d’une autre nature que la blanche ; race inférieure mais néanmoins utile, on ne l’extermine pas, on l’exploite (…). Ce racisme (…) n’entraîne pas l’eugénisme. Le raciste qui envoie les Juifs dans les chambres à gaz ne prétend pas, lui, qu’ils appartiennent à une espèce typologiquement différente de la sienne, mais, au contraire, qu’ils appartiennent à la même espèce et qu’ils en sont les éléments inférieurs, un fardeau génétique qu’il convient d’éliminer pour assurer l’élévation de l’homme vers le surhomme. Ici le racisme entraîne un eugénisme censé prolonger l’évolution des espèces, et il s’inspire directement de la théorie darwinienne. » 23 .

Qu’il se légitime de processus naturels, qu’il agite la menace d’une dégénérescence globale ou qu’il se réfère à un éden futur offert à une espèce glorieuse, l’eugénisme relègue au second plan l’individu - qui n’est plus sujet humain - pour se référer au Bien d’une collectivité accédant seule à la dignité et où la Personne est désincarnée de son singulier. L’individu se voit alors défini par son appartenance à un groupe : groupe des élus référentiels ou groupe des exclus associés à une menace déstabilisante, voire contagieuse ( de dégénérescence physique, intellectuelle, culturelle ou morale ). Ces lois sanctionnent les états d’être ( physiques ou comportementaux ) «nocifs» et les eugénistes se posent en gardiens de la Société, de la Nation, de la Civilisation ou de l’Humanité. En fait, pour appréhender globalement cette problématique traitant du statut de l’autre tout autant que de la normalité, il convient de se remémorer que la différence surgissant au sein d’une communauté supposée définir le «semblable» fut de tout temps associée à un risque de désintégration ou d’induction chaotique. En conséquence, tous les groupes structurés se sont dotés de concepts, critères ou références permettant de distinguer en classes et catégories les individus, les liens, modes et intensités d’appartenance communautaire, ou encore les statuts et les qualités : en ces distinctions pratiques et conceptuelles comme en ces équilibres fragiles, dans l’intimité des modes de pensée comme dans l’efficience des régulations civiles, la différence à

17

Chiffres variant selon les Etats, cf. L’utopie eugéniste, p. 51, in De l’eugénisme d’Etat à l’eugénisme privé

18

Si la Virginie délaissa sa loi en 1972 , après quelques sept mille interventions chirurgicales, la Suède opéra plus de treize mille opérations entre 1941 et 1975.

19

La Belgique n’échappe pas au mouvement et nous renvoyons à l’ouvrage de J.N. Missa et Ch. Sussanne (Eds) : De l’eugénisme d’Etat à l’eugénisme privé.

20

Cité par J. Testart, L’ uf transparent, p. 43.

21

L’eugénisme ou les généticiens saisis par la philanthropie, p. 30.

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Ibid ; p. 32-33.

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Ibid., p. 35.

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partie liée avec la déviance - elle-même associée peu ou prou à la notion de culpabilité et appelant conséquemment en retour la répression ou l’éviction, voire l’élimination.

3° Se démarquer :

Pratiquement, aucun groupe ne peut perdurer sans liens concentriques et identitaires – sans donc la reconnaissance d’une communauté plus ou moins instituée. Plus précisément, de tels liens sont propres à définir et à unir les individus, à réguler les relations individuelles, à initialiser l’expression de humanité ( en puissance en chaque petit d’homme ) et à en circonscrire l’affirmation – mais aussi à délimiter le champ offert à l’exutoire. Ils assurent en cela la pérennité des structures, la continuité de la culture et l’arraisonnement de l’identité individuelle : ils offrent des critères référentiels de reconnaissance ( du même, du semblable, de l’autre et du tout autre ). Partant, la communauté met en place des devoirs et des interdits qui, issus de cette reconnaissance, la renforcent en retour : interdits alimentaires, interdit d’endo- ou d’exo-gamie, interdit de l’inceste, interdit de tuer. Mise en place et en structures opérée selon un mouvement historique où interfèrent savoirs, pouvoirs et sécurité y associée ; où interagissent capacités de projections, facultés d’abstractions et forces d’individualisation ou de personnalisation.

Mouvement historique passant du proche ou lointain et du concret à l’abstrait : en effet, si le corps ( en sa forme, en ses maquillages ou en ses scarifications rituelles, en ses postures également ) faisait initialement référence, il s’inscrivit progressivement dans un ensemble de règles et de structures qui complexifièrent les repères identitaires. Peu à peu, langage, coutumes et croyances suffirent à désigner l’autre en sa différence – trouvant alors dans l’aspect physique soit une confirmation soit un indice de cette altérité supposée radicale. De même, cette acculturation des critères identifiants et cette conceptualisation des repères identitaires supplantèrent la marque physique qui naguère explosait dans la difformité : du visible à l’invisible ou à l’intangible donc - et de l’extérieur à l’intime. Mais aussi, au sein d’une même communauté, de l’exception de la monstruosité à la banalité des singularités individuelles.

Ainsi, au sein de l’organisation tribale, le semblable est celui qui appartient à la tribu et seule sa vie est sacrée. Progressivement pourtant, avec les nations naissantes, la protection cohésive sera étendue aux individus du territoire – exception faite de certaines minorités vis-à-vis desquelles cet interdit d’appropriation laisse quelque latitude. Exception faite des esclaves ou du criminel. Aujourd’hui, si l’on écarte la légitime défense, les états de guerre et la peine de mort comme privilège et monopole maintenus de certains Etats, l’interdit de tuer concerne, le plus souvent et en principe, tout individu – quelle que soit sa couleur, sa religion, sa nationalité, son âge, son statut social ou son quotient intellectuel. Cependant, parallèlement à cette ouverture graduelle des frontières de l’Humanité, et allant de paire avec les connaissances scientifiques montrant que la variabilité génique des populations de phénotypes différents est quelquefois moins importante que celle singularisant les hommes au sein d’un groupe défini, il s’opère insidieusement un déplacement de la différence, de son lieu ou de sa compréhension : il ne s’agit plus de démarquer telle «race» mais de particulariser tel individu. De fait, la prise en charge progressive d’une humanité plurielle déplace les critères identitaires et perturbe quelquefois les repères ou les élaborations ( en soutenance ) d’appartenances identifiantes et singularisantes. En conséquence, l’individu laissé à son indéfinition, privé des éléments discriminatoires qui lui étaient offerts pour s’y mesurer, risque de chercher dans le plus proche du quotidien la dissonance significative étayant en négatif une représentation confortante de soi. Dès lors, il importera d’éviter l’instauration d’une mise à distance qui conduirait inévitablement à une sélection opérée à l’encontre des non-( génétiquement )conformes. En d’autres termes, le généticien nous apprend qu’il n’existe pas de races humaines mais, en contrepartie ou en dommage collatéral, il translate la préhension du particularisme - préhension opérée par l’imaginaire collectif déstabilisé ou angoissé devant l’effondrement de ses repères partitifs ayant tous, peu ou prou, partie liée avec la «pensée sauvage»

chère à C. Lévi-Strauss 24 . Subséquemment, une stigmatisation nouvelle, discrète et enfouie dans l’intimité du substrat génétique, risque de frapper les personnes. Il nous incombe alors de ne pas transformer en critère d’exclusion ou en jauge qualitative ce qui relève de la dissemblance - mesurée fréquemment dans sa confrontation à l’attente individuelle ou sociale. Or, l’homme s’est doté de moyens susceptibles de transformer bientôt son être biologique en assonance avec ses désirs originaux : maîtrise ( du monde et de/du «soi» ), liberté ( comme distanciation par rapport aux différents «donnés» ), affirmation ( ou création/recréation ), sécurité ( survie et survivance ) et bien-être ( exemption de souffrance ).

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Très schématiquement, il s’agit du mouvement partageant et départageant la réalité en couples antagonistes (haut/bas, chaud/froid, mort/vie, dedans/dehors, Soi / non-soi, membres / non-membres du clan…). Ce mode élémentaire de pensée contribuera à l’édification des cultures, des règles sociales et économiques, des solidarités et des morales… Il contribuera à l’édification de l’humanité.

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Or aussi, la maîtrise est proche de la manipulation et de l’objectivation ; et la sécurité court à l’immobilisme quand le bien-être se dilue dans l’abstrait ou dans la normativité. Or encore, la connaissance du vivant n’est plus concept ou abstraction, elle est action et reconstruction. Or enfin, dans la poursuite de la performance ( des performances ), le patrimoine génétique s’offre comme pièces montées.

C - Confusion :

Pratiquement, au sein de l’humanité naissante, l’élimination ( ou l’exclusion ) des individus inadaptés aux exigences conjointes du groupe et de l’environnement contribua à la survie de l’espèce en écartant les moins aptes et les moins résistants de la reproduction. Partant, ces pratiques sélectives ou électives s’excusent de l’ignorance ou de l’impuissance et trouvent leur justification empirique dans les luttes ardues requises pour soutenir une existence essentiellement déclinée alors en résistance : « eugénisme » factuel issu des nécessités spécielles, environnementales, structurelles ( d’une sociétalité débutante ) et conceptuelles ( d’un substrat fourni à la pensée et aux mécanismes identitaires ). Nécessités associées à l’hominisation en marche : subsister et se démarquer - se démarquer de l’inerte, des autres animaux et des individualités rivales pour ( et dans ) l’élaboration de l’homme naissant…

Pratiques plurimillénaires donc : au regard d’un présent pressant, face à une survie très incertaine, au sein d’un univers régi par des forces inconnues et du fonds d’une conceptualisation, d’une différenciation et d’une catégorisation perçues en leur précarité. Entre instinct et initiative – et de la voie passive à la voie active. Mais aussi, entre action individuelle et décision consensuelle d’abandon, d’exclusion ou d’élimination (du maladif) : selon divers désinvestissements, en ce compris l’action infanticide, ou par l’organisation de sacrifices et de combats rituels laissant aux vainqueurs le choix des reproductrices. Mais quand ces procédés rétrospectivement associés à la notion d’eugénisme (originel) s’articulaient, en une dépendance certaine, à l’instinct de survie et aux combats laborieux menés à l’encontre d’une nature menaçante et dévastatrice, l’Eugénisme organisé est destructeur de l’autre du seul fait de sa différence. Et s’il revêt diverses formes et formulations, son principe fondateur pose en référent une normalité, une frontière franche entre l’acceptable et l’inacceptable - l’humain et le non humain. Il départage l’univers entre le pur et l’impur qu’avec un sentiment de jouissance il se somme, et nous somme, d’éliminer. Regard qui juge et jauge ; qui démasque, définit ou construit la dissonance pour l’imposer aux regards avant de l’éliminer. Avatar de l’instinct initial, il recouvre la considération prévalente d’une collectivité et d’une abstraction surpassant, pour le nier ou l’anéantir, un individu jugé inessentiel. Rigide en sa référence transcendante, violent en sa méthode, il témoigne de craintes, de haines et d’échecs : échec dans la construction d’une identité (personnelle et communautaire) suffisamment assurée pour recevoir (sans s’en trouver menacée) l’autre en son altérité ; échec dans l’articulation et dans la synthèse ouverte de l’autre et du même ; échec dans l’édification d’une communauté humaine suffisamment ouverte à la concrétude, à la singularité et aux symboles pour reconnaître en l’autre un semblable. Or, la peur d’une perte d’identité peut conduire aux phantasmes ou aux angoisses de destruction - dont résulte quelquefois un besoin pressant et violent de préserver ce qui paraît menacé. Or encore, il est possible d’instituer certaines ressemblances en critères d’appartenance – ou certaines dissemblances en facteurs d’exclusion.

Partant, c’est dans le dépassement des impositions naturelles, dans le refus des destins douloureux, mais aussi dans le dépassement du narcissisme et de l’idéalisme que peut vraisemblablement se profiler une autre voie : celle du «souci empathique» - compassionnel et privé. Et si notre modernité n’échappe pas toujours à la visée eugéniste, elle s’oriente néanmoins généralement en ses ressorts conscients vers cette prise en compte de la singularité concrète de l’individu: prise en compte de souffrances et d’espoirs, de possibles et de pouvoirs ( susceptibles de permettre une actualisation existentielle personnelle / personnale ). En conséquence, il faut clairement distinguer le souci eugénique singulier, réfléchissant au pendant moléculaire d’une «bonne» naissance 25 , de l’Eugénisme utopique ou totalitaire imposant la perspective du tiers. Le premier prend en compte une souffrance personnelle tandis que le second, exploitant toutes les angoisses pour parvenir à ses fins, se réclame de l’espèce ou de la collectivité. Dans cette configuration, l’individu se dilue dans le flou tandis que l’espèce est sacralisée en une surdétermination réductrice - espèce perçue comme modèle référentiel codifié et imposé par une subjectivité dominatrice ou par un Etat coercitif. Au regard de ces différences, l’élément discriminatoire

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Naissance susceptible de se développer en une existence qui ne soit pas simple survivance.

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recouvre vraisemblablement le statut de l’enfant jaugé et attendu : soit maillon inessentiel de la collectivité - dont la conformité ( aux attendus ) et l’utilité (sociale, économique ou autre ) seront les seuls attributs référentiels et justificatifs ; soit individu irremplaçable «personnalisé» et investi de projets empreints d’affectivité - référé à son être propre ( à sa valeur «en-soi», à ses possibles ). Nos craintes se fondent dès lors autant sur l’ingression du potentiel ( ou du virtuel ) dans le processus décisionnel ( et dans sa régulation symbolique ou affective ) que sur une émergence réactivée du souci économique propre à peser sur la volonté parentale. Aussi, le jugement référentiel moral tiendra-t-il au substrat nourricier du désir et des demandes. Et l’on discerne :

-d’une part un souci eugénique légitime axé sur l’évaluation d’une expression satisfaisante ( épanouissante ) de l’individu à venir : estimant donc la possibilité substantielle de cette précieuse soutenance existentielle ( pour l’individu encore à naître ) ;

-d’autre part un Eugénisme de la conformité : au bénéfice de la collectivité (ou du pouvoir en place) ;

-et finalement, oscillant entre les deux, un narcissisme immature : pour soi et selon un alignement du désir sur un idéal trompeur de perfection - ou selon la croyance ( injectée quelquefois dans l’imaginaire collectif ) d’un bonheur héréditaire.

1° Neutralité ?

En principe, la génétique actuelle se distingue du fonds théorique qui soutint l’Eugénisme par sa neutralité - contestant toute notion de «valeur» abstraite en matière génique. Forte de son refus d’obédience aux idéologies politiques, elle entend écarter les pressions sociales pour traiter une souffrance fondamentalement individuelle. Elle se décline au présent comme une science et se conjugue au futur avec l’espoir d’une thérapie susceptible de rétablir entre les hommes une similarité des possibles organiques. A l’opposite, l’Eugénisme impliquait ( impliquerait ) et produisait ( produirait ) une humanité essentiellement inégalitaire. En d’autres termes, l’Eugénisme délire sur une humanité améliorée requérant une modification de la fréquence des gènes jugés «délétères» quand nos conseils génétiques travaillent à un bien être individuel en délivrant des informations de nature médicale et en autorisant un choix d’évitement.

Nonobstant, nulle intention, nulle promesse ne lie indéfectiblement le futur au présent ou l’homme à lui-même. Par ailleurs, nul ne peut omettre ou occulter qu’une souffrance, pour individuelle qu’elle soit, s’insère dans le collectif d’une société qui, peu ou prou, la définit, la circonscrit, l’évince ou l’intègre pour la rapporter, l’articuler ou la confronter à la précarité et au chômage, aux manques à être ou à avoir, aux profits et conflits, à la concurrence et à l’efficience … Bref, la neutralité de l’agir, si on l’entend comme abstraction, comme extraction hors des pressions et des idéologies, ou encore comme intervention strictement ponctuelle, cette neutralité-là, n’existe pas – a fortiori quand cet agir prend place dans un contexte économique extrêmement requérant et que l’élimination des potentiels douteux ou inconvenants s’avère moins coûteuse qu’une prise en charge thérapeutique de l’individu constitué.

Quand l’homme affectionne les idéologies rassurantes et structurantes et que la science, quelquefois à savoir défendant, en suggère de bien tentantes. Quand une fable trompeuse de normalité quantifiable se profile. Certes, l’Eugénisme d‘Etat déstructurait ou niait les singularités dans un magma souvent sanglant pour vénérer l’abstrait sans chair de l’espèce tandis que les techniques modernes se réclament d’une individualisation radicale. Mais d’un extrême, l’autre : il s’agit désormais d’un individualisme où la revendication de particularité, où l’exigence de satisfaction auto-référée, où les fantasmes déliés des attaches collectives risquent de prévaloir ; où le groupe et la solidarité s’étiolent tandis que les contacts personnels s’effacent devant la console individuelle ouvrant au virtuel. Au positif, on en attend une individualisation de la pratique médicale centrée alors sur une prévision et sur une évaluation ajustées des risques encourus - et débouchant sur un traitement «à la carte». On y discerne également une perspective génétique individualisante dans sa découverte de la multitude. Individualisme donc, et liberté dans le choix intime des géniteurs désireux de minimiser les risques de handicaps ou de pathologies lourdes, voire létales. Mais au négatif, on trouve des solitudes, des pertes de références stabilisantes et sécurisantes, des dilutions identitaires, des exigences illimitées et des tentatives de définition, inféodation ou assignation déterminante de l’autre – relevant d’une quête de soi, ou d’une quête de fondement et de légitimation de soi ( en et par l’autre ).

Conséquemment, le problème tient au substrat factuel et principiel, historique et affectif, conscient et inconscient, de tout choix : possiblement éclairé mais jamais totalement dégagé de pressions (seraient- elles d’ordre strictement intime, de nature psychologique ). Choix personnel et cependant nourri de

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discours-tiers. Revendiqué mais cherchant souvent dans le regard d’autrui l’approbation d’une décision douloureuse. Libre et pourtant obligé ( où l’abstention comme la démission relèvent encore d’un «choix» ).

Partant, si rien ne laisse présager d’un retour imminent de l’Eugénisme historique, on ne peut néanmoins écarter d’office l’éventualité d’une radicalisation de l’eugénique singulière. Le substrat économique propre à l’intolérance, et donc à l’évolution totalitaire, rappelle à chaque instant la précarité des situations, la difficulté des concurrences, la nécessité du succès et la rareté croissante des richesses matérielles et naturelles. Le fond social se fait d’ores et déjà particulièrement pressant et décuple les désirs de réussite : il intensifie les sentiments de responsabilité touchant individus et monde à venir, il éveille les angoisses et modifie les préhensions et les compréhensions de la vie et des valeurs. Mais encore, les peurs sont fondamentalement récurrentes et insistantes, elles parlent de la douleur et de la souffrance, de la finitude, des handicaps et du malheur. Mais aussi, les attentes sont éternelles : vivre, vivre plus, vivre mieux … et réussir – réussir les entreprises personnelles, les enfants miroirs et l’existence en continuité signifiante. Face à cela, les techniques concernées, du D.P.I. à l’I.T.G., en passant par d’éventuelles thérapies géniques, n’interpellent ni par leur fait ni par leur présente motivation mais seulement par leurs possibles applications et détournements ( plus techniques que médicaux, plus sociaux que scientifiques, plus utopiques ou fantasmatiques qu’affectifs ou éthiques et plus économiques que compassionnels ).

2° Humanisme, eugénique et Eugénisme ?

Si le souci «eugénique» prend aujourd’hui la voie du conseil génétique dans un colloque «singulier»

médecin/parents, ce «singulier» reçoit en son sein fondateur la multiplicité intégrée du social, du culturel et de l’économique. Raison pour laquelle nous n’écartons pas le risque, à long terme, d’une transformation sociétale et anthropologique appariée à une sélection «bio-logique» - et force est de reconnaître que si chaque malade a un prix sans prix, tout traitement a un coût. En outre, l’interrogation parentale suscitée par les techniques nouvelles rejoint les conceptions actuelles du bonheur et de la responsabilité. Effectivement, si le bonheur n’est pas offert comme promesse en une combinaison génique spécifique, sa construction incessante ou sa quête perpétuelle, ses moments fugitifs ou son actualisation, et plus encore ses conditions de possibilité, tiennent néanmoins à un substrat biologique autorisant un désenclavement : tant en dehors de l’En-soi compact de la matière organique qu’en dehors d’une souffrance étouffant tout autre désir que sa cessation. Dès lors, est-il «bien», ou «juste», ou

«responsable», de mettre au monde un enfant malade, différent ou «non-performant» ? Certes, le malade en lutte ou le handicapé combatif soutiennent ou réitèrent l’un et l’autre, et à chaque instant, la valeur de leur vie - cette vie qu’ils sont seuls en mesure d’évaluer. Au propre, personne ne peut être remis en cause par l’extériorité d’un regard ou par la rationalité d’un jugement tiers et seul l’individu concerné assumera, ou non, son existence : nul ne pourra la vivre pour lui, nul ne pourra la souffrir à sa place. En outre, si «les jeux sont faits», le sens du jeu n’est pas donné. Or ce sens tient tant à une construction individuelle, tant à une mise en uvre de projet personnel, tant à une contribution à l’aventure commune, qu’à la réalité sentie/ressentie d’une place réservée au sein d’une humanité partagée - sans stigmatisation ni assignation à demeure ni jugement dépréciatif. Or encore, l’homme est incomplétude, in-finitude et finitude : assujetti à son corps sensible et mortel – mais tout homme est ce corps, vit par ce corps, soutient ce corps qui le soutient (: qui est lui ). De même, dès qu’un enfant vient au monde, les dès sont jetés : il espèrera et désespèrera, il souffrira, se révoltera en actes ou en pensées et mourra. Mais l’humanité tient dans les réseaux qui l’accueilleront et le construiront avant qu’il ne les reconstruise. Et une vie réussie recouvre une existenciation qui aura pu trouver son sens - par l’autre, avec l’autre, pour l’autre. En ce contexte, le bonheur relève tant d’une intégration et d’une reconnaissance que d’un accomplissement - ou d’un espoir d’accomplissement. Il relève d’une jouissance minimale de soi : d’une possibilité d’expression duale ( corps et esprit ) - et donc d’une délivrance eu égard à la forclusion tant matérielle ( souffrance ingérable et continuelle, corps-prison ) que personnale ( absence du sentiment d’être soi, absence d’édification de personnalité ). Et encore, il relève d’un accueil gratifiant, d’une inscription en une généalogie, en une histoire commune ou en une aventure partagée – et fondamentalement dans l’aventure humaine et anthropique. Conséquemment, eu égard à une vie en élaboration encore inconsciente, les facteurs décisionnels sont multiples et complexes en leur articulation aux vécus ou aux situations - et du fait des incertitudes inhérentes aux processus vitaux, sociaux et mondains. Pourtant une décision doit être prise en conscience - par projections multiples et présomptions conjecturales, selon un processus décisionnel rationnellement informé, émotionnellement enrichi et symboliquement connoté. Car, s’il est de l’insupportable, le refus du «non conforme» obligerait le porteur «d’anomalies»

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ou de discordances à une intériorisation d’infériorité, il gommerait les différences et stigmatiserait les dissonants – sachant que la légitimation première de toute vie est celle apportée par l’autre fondateur : celui qui génère, aime et insère dans la communauté humaine.

3° Humanisme ?

Plus ou moins distinct de l’aspiration parentale affective, un phantasme différent ( minoritaire mais récurrent ) nous inquiète, un fantasme ou un mythe : celui de l’homme parfait.

Pourtant, au niveau génique, l’on ne peut s’assurer de critères universels et atemporels départageant nécessaire, utile, neutre, indésirable et nuisible. Ainsi l’exemple célèbre de la mucoviscidose se perpétuant depuis quelques milliers d’années – bien que la version homozygote soit, et a fortiori fut, létale. Cette pérennité semble s’expliquer par un avantage acquis par les hétérozygotes eu égard à la diarrhée enfantine. Et ce phénomène se révèle agissant dans quelques autres «génopathologies». Comme le souligne Marc Abramowicz, l’obésité ( médicalement et culturellement entachée de négativité ) permit de traverser victorieusement famines et disettes. En outre, nous dit-il, les activations et inactivations géniques, quand elles sont référées aux variations aléatoires du milieu, réservent quelquefois d’agréables surprises : « On pourrait penser qu’une mutation qui inactive un gène (c’est-à-dire qui détruit la fonction de son produit) est nécessairement délétère. En réalité, il n’en est rien. On a récemment découvert par exemple qu’une mutation inactivatrice d’un gène dont le produit est impliqué dans la coordination des réponses immunitaires (le récepteur de chémakines CCR-4) protège de l’infection par le virus HIV, agent du Sida, et contre toute attente, les porteurs de la mutation même à l’état homozygote, ne semblent présenter aucune pathologie. Donc, mutation inactivatrice, absence de pathologie génétique, et bénéfice en cas d’exposition au virus du sida. Qui aurait pu dire il y a quinze ans, avant l’épidémie, que cette mutation est avantageuse ?»

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. Certes, eu égard à la rareté et au facteur aléatoire de la survenance de mutations possiblement avantageuses, et du fait de la probabilité infime de concordance positive entre nos mutations délétères et un environnement nouveau, on ne peut les élever au titre de «gardiennes de l’humanité». Cela sous-entendrait tant une catastrophe écologique ou épidémiologique de grande ampleur ( n’épargnant que ces quelques 1ou 2% des habitants de la planète heureusement mutés ) qu’un pessimisme profond à l’égard des possibilités médicales et techniques. Aussi, connaissant les incapacités réelles y associées, sachant les souffrances vraies induites, et n’ignorant pas que la protection offerte par certaines d’entre elles trouve un équivalent dans des traitements disponibles, nous ne pouvons leur attribuer une valeur ( en soi ) absolue. Nonobstant, elles nous enseignent tant la relativité de l’utile et du nuisible que l’indécidabilité ( au moins théorique ) du bon ou du mauvais gène – partant, elles appellent à la prudence dès lors qu’il s’agit d’opérer des interventions sélectives ou des manipulations germinales. En d’autres termes, les espèces présentes ont réussi ; réussi à se perpétuer et à organiser leur être en accord avec les réquisitions du milieu. Les gènes, comme moyens de sauvegarde d’une organisation vivante, ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais : ils sont en adéquation avec la vie et avec sa transmission dans la différence du similaire – ou ils disparaissent. De même, au sens propre en tout cas, il n’y a pas de compétition entre allèles car il ne peut y avoir compétition entre molécules : simplement, un «tenir ensemble» organistique émerge et se soutient - ou encore une cohérence efficiente de complexité. Au bout du compte, de «mauvais» gènes, associés à tel ou tel risque de pathologie, peuvent être, ailleurs et autrement, bénéfiques ou vitaux ( contre telle ou telle agression environnementale, virale, toxique, mycosique ou bactérienne… ).

Pourtant, aux chercheurs aspirant à améliorer ou à transmuter l’homme, à P. Singer prônant eugénisme utilitariste et abandon du spécisme, le généticien Daniel Cohen (Les gènes de l’espoir) répond en écho : il propose la voie médiane d’un troisième eugénisme, supposé humaniste, et qu’il compare en intention et effets à une vaccination massive. Il s’agirait, selon ses dires, de modeler un monde où de vénérables centenaires débarrassés des maladies liées à la vieillesse apporteraient à tous leur sagesse. Et de construire une société égalitaire où les bienfaits de la médecine ne laisseraient nul exclu. Où l’éducation ouvrirait à l’autre pour intégrer tous et chacun en une communauté unitaire et plurielle. Et le généticien de rêver à l’amélioration du patrimoine génétique : optimisme souriant et idéalisme effarant quand nos sociétés, optant pour l’efficacité et le rendement, se heurtent à la crise, à la surpopulation ou au chômage. Quand nous savons pertinemment qu’aujourd’hui les tests prédictifs et les prises en charges médicales des grossesses s’appliquent à quelques ( à l’échelle planétaire ) privilégiés ; qu’aujourd’hui l’accès aux soins coûteux et traitements dits de pointe se développe en toute inégalité ; qu’aujourd’hui différences et inefficiences se trouvent stigmatisées pour exclure les sujets ainsi masqués des réseaux professionnels, sociaux, éducatifs, culturels et relationnels ; qu’aujourd’hui des

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Génétique médicale et conseil génétique, in La nouvelle génétique médicale, p. 30-31.

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hommes se voient refuser des emplois en fonction de prédispositions connues à une maladie spécifiée;

qu’aujourd’hui des couples candidats à l’adoption se voient opposer un refus motivé par la connaissance d’un portage du gène de la chorée de Huntington ; qu’aujourd’hui, en Europe, des entreprise commerciales prospectent le marché et proposent des tests génétiques aux entreprises ; qu’aujourd’hui des compagnies d’assurance américaines font pression pour faire avorter d’un f tus atteint de mucoviscidose et exigent un diagnostic prénatal suite à une naissance antérieure symptomatique ; qu’aujourd’hui, en certains pays développés, des personnes âgées sont exclues des soins onéreux ou des dialyses ; qu’aujourd’hui des choix doivent être opérés tant en matière de budget «soins de santé» qu’en matière de remboursement de frais médicaux. Aujourd’hui, dans ce monde tel qu’il est : inégalités de soins et de traitements, inégalités face à l’emploi, inégalités d’accueil.

4 ° Normalité, différence, souffrance :

Au-delà des problèmes et dérives inscrits dans le prolongement des mécanismes sociaux traditionnels, restent les complications et dangers intrinsèques aux techniques, concepts et conceptions.

Ainsi, la difficulté du tracé de la frontière séparant normalité et pathologie ou différence et souffrance pose problème. Quid du daltonien ? Quid de l’obèse ? Du très grand ou du très petit ? Frontière floue et mouvante hormis quelques cas exemplaires. De fait, il est des infirmités dont l’expression est indissolublement liée au milieu ( culturel ou naturel ), des handicaps circonstanciellement insignifiants et des maladies ou des différences affirmées en fonction du projet particulier y confronté. Pareillement, il est des états fonctionnels, des apparences ou des profils stigmatisés par le seul regard de l’autre - et, comme nous l’avons dit antérieurement, la vie de qualité recouvre la mise en uvre de projets tenus pour essentiels par le sujet concerné.

Or pourtant, il est des situations imposant une prise de décision – pour l’autre. A notre avis, en ces circonstances, quand la potentialité l’emporte encore sur l’actualisation et que l’entité jaugée est source et souche de l’homme, il importe finalement très peu de la définir statutairement et ontologiquement : fait sens et prévaut la disposition (intellectuelle, éthique et affective) de l’agent qui la préhende, la pense ou la traite. Plus précisément, il importe que l’intervenant soit disposé à percevoir la possible personnalisation future. Ou encore, que l’homme demeure apte à projeter ( de lui sur l’autre / de l’autre sur lui ) et à translater ( d’un potentiel à une actualisation, d’un présent à un avenir ). Partant, dans toute intervention portant sur l’embryon, l’incluant dans le devenir, il est nécessaire que l’opérateur s’instruise et s’affecte d’une possible rencontre ultérieure avec la personne qui en adviendra : personne qui pourra lui demander des comptes ( et devra toujours être capable de le faire ). Nous avons rencontré chez Jürgen Habermas une conception proche de notre sentiment en la matière : « S’il est difficile de distinguer, au cas par cas, une intervention thérapeutique, visant donc l’évitement d’une pathologie, d’une intervention eugénique qui recherche l’amélioration, l’idée régulatrice à laquelle obéissent les délimitations est, quant à elle, typique. Si l’intervention médicale est commandées par un but clinicien thérapeutique, qu’il s’agisse de traiter une pathologie ou de garantir à titre provisionnel une vie de bonne santé, le praticien traitant peut supposer l’accord du patient – préventivement traité. La supputation d’un consentement transfère ce qui a été guidé par des considérations égocentriques dans le champ de l’activité communicationnelles. Le praticien qui opère sur des gènes humains n’a pas besoin, tant qu’il se comprend dans le rôle du médecin, d’examiner l’embryon dans l’attitude objectivante du technicien comme une chose qu’il s’agit de fabriquer ou de réparer (…). Il peut dans l’attitude performative du participant à une interaction anticiper le fait que la future personne accepterait le but du traitement, inévitable dans le principe. Ici, encore une fois (…), la détermination ontologique du statut n’importe pas, seule compte l’attitude clinicienne de la première personne par rapport à un vis-à-vis, quand bien même virtuel, qui, un jour, la rencontrera dans le rôle de la deuxième personne.»

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. En résumé et à notre estime, nous devons absolument éviter d’assimiler la procréation à une fabrique - propre à faire entrer l’individu ( et l’ensemble des réseaux sociaux ) dans le domaine des choses par le biais d’embryons calibrés et de modifications conceptuelles ( de conceptualisations désaffectées et nonobstant autoréférées ). Où donc une barrière franche doit séparer le vivant de la chose, l’En-soi du Pour-soi, l’objectif et l’objectal du subjectif et du personnal. Et si tout (toute la densité personnale en son existenciation, toute l’existence en sa situation multidimensionnelle ) n’est pas dans les gènes, encore faut-il que l’individu ( qui nécessairement s’en fera ) puisse se construire dans un vécu de gratuité et de hasard, de nouveauté et d’indétermination ( tant ontique qu’ontologique ). En effet, gratuité et latitude de différenciation peuvent seules garantir la possibilité d’une reconnaissance valable et d’une appartenance identifiante ( par la communauté et à la communauté de semblables ) – et permettre concomitamment une intuition de singularité et d’appartenance intime ( de soi à soi, comme soi propre et unique ). Ainsi, si la prédétermination génomique

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L’avenir de la nature humaine, p. 80-81.

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