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humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

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Université Libre de Bruxelles

Faculté de Philosophie et Lettres & Faculté de Médecine

Unité d’accueil : C.R.I.B.

humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

Jacqueline Wautier

Année Académique 2004 – 2005.

Promoteur de Thèse :

Professeur Jean-Noël Missa.

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Chap. 6 : Clones ou miroirs ? A – Définitions :

Cellules souches : cellules susceptibles de se diviser tant en cellules identiques (dotées d’une double potentialité) qu’en cellules engagées dans une différenciation définitive.

Cellules souches totipotentes : elles proviennent d’un embryon très primitif puisqu’elles caractérisent le premier stade de développement de l’ uf fécondé (quatre premiers jours, morula de 2 à 8 cellules) et peuvent, chacune, conduire au développement d’un individu.

Cellules souches pluripotentes : elles proviennent du bouton embryonnaire (de la masse interne du blastocyste) . Inaptes à assurer seules le développement d’un individu, elles possèdent cependant la capacité de se différencier en cellules endodermiques, mésodermiques et ectodermiques sous l’influence de facteurs biologiques et chimiques appropriés. En outre, dans un milieu de culture adapté, leur particularité tient à une propension à la réplication en cellules indifférenciées conservant intactes leurs potentialités – «indéfiniment» et sans qu’apparaissent d’anomalies chromosomiques ou de mutations.

Cellules souches multipotentes : présentes dans l’organisme adulte et aptes à la trans-différenciation, elles assurent tant leur auto-renouvellement que la production de cellules différenciées particularisant le système auquel elles appartiennent (par exemple, les cellules souches hématopoïétiques à l’origine des différents constituants sanguins - mais susceptibles également d’être guidées vers la production d’hépatocytes, de cellules musculaires, etc.).

Cellules souches unipotentes : présentes dans les organes adultes dont elles assurent la réparation, elles donnent un seul type cellulaire (peau, foie, muqueuse intestinale …) . Cependant, certains organes semblent en être dépourvus.

Clonage : transfert de noyau (germinal, embryonnaire ou encore somatique) .

Clonage reproductif : bien qu’il s’applique également à la bissection ou à la quadrisection d’embryons, le terme recouvre généralement la volonté d’obtenir, via un transfert de noyau issu d’une cellule somatique, un individu génétiquement identique au donneur du matériel nucléaire - à quelques nuances près et tenant essentiellement au legs mitochondrial.

Il convient de souligner que le transfert de noyau ne relève pas nécessairement du clonage répliquant : des enfants sont nés selon une technique recourant à la fécondation in vitro ( et donc au brassage génique

«traditionnel »), à l’insertion du noyau diploïde dans un ovule énucléé offert par une donneuse, et à l’implantation de l’embryon dans l’utérus de la mère génétique - ceci pour contourner une anomalie d’un ovule inapte à l’activation du génome nouveau ou pour éviter la transmission de maladies mitochondriales.

Clone : terme générique désignant un individu ou une colonie possédant un génome identique à l’organisme fondateur - le terme est initialement botanique et désigne alors l’ensemble des plantes issues d’une multiplication végétative.

Cloner : reproduire à l’identique soit :

– un gène, par les techniques du génie génétique ;

– une cellule, en l’isolant dans un milieu adapté à sa division en cellules identiques qui se diviseront semblablement et constitueront une colonie ( N.B. : que les «individus» se diversifient ou qu’ils conservent un «phénotype» identique, tous proviennent d’une seule cellule fondatrice ) ; – un organisme, par reproduction asexuée naturelle ( bourgeonnement, scissiparité ), accidentelle ( scission embryonnaire gémellaire ) ou volontaire ( division d’un embryon primitif ou transfert de noyau extrait d’une cellule plus ou moins engagée sur la voie de la différenciation : moutons, vaches, lapins,…, mais aussi primates ont pu être clonés de la sorte ).

On distingue conséquemment le clonage thérapeutique du clonage reproductif : quand le second vise l’obtention d’un individu viable, le premier entend aboutir à un blastocyste propre à fournir les cellules pluripotentes utilisables dans le cadre d’une médecine régénératrice : ces cellules (E.S.) pourraient intervenir dans le traitement de nombreuses affections humaines ( Parkinson, Huntington, diabète, dystrophie musculaire… ). En outre, le transfert du matériel génétique du patient souffrant dans un ovocyte énucléé permettrait vraisemblablement d’écarter tout risque de rejet lors de la greffe 1 .

1

Avec cependant un léger bémol : d’une part l’identité immunologique à partie liée avec la continuité d’appartenance (un tissu isolé de l’organisme adulte perd, au bout d’un temps déterminé, sa faculté d’être «reconnu» et accepté comme partie du «soi» - cf. J.M. Claverie, Soi et non-soi : un point de vue immunologique, in Soi et non-soi ; d’autre part, l’embryologiste R. Chandebois nous apprend que le maintien des caractères cellulaires/tissulaires (en ce compris chez l’adulte) requiert le plus souvent des interactions et des contacts homotypiques et des actions hétérotypiques – in Le gène et la forme.

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A la différence du recours à des cellules embryonnaires peu différenciées ( jusqu’à 64 cellules ), l’utilisation de cellules prélevées sur un f tus ou sur un adulte offre un nombre quasiment illimité de noyaux : il s’agit alors de déprogrammer ou reprogrammer le génome pour faire cesser les mécanismes de répression et permettre de la sorte l’expression des différents gènes ( une approche semblable conduisit à la naissance de la brebis Dolly, en 1996).

B –Clonage thérapeutique :

En son principe, la technique recouvre le prélèvement d’une cellule somatique sur un donneur futur receveur, l’extraction de l’ADN nucléaire et son insertion dans un ovule énucléé. Si cela devait s’avérer nécessaire et en fonction des possibilités techniques acquises, l’embryon primitif obtenu pourrait être corrigé d’un éventuel défaut génétique. La suite des manipulations consisterait en une multiplication et une différenciation dirigée ( structurelle et fonctionnelle ) des cellules embryonnaires. S’agissant du questionnement éthique et des implications en matière de réorganisations conceptuelles, symboliques, affectives et identitaires, la problématique se confond avec celle de tout autre usage non procréatique de l’entité embryonnaire. Raison pour laquelle ces perspectives et techniques réactivent les débats portant sur la conception d’un embryon hors projet de vie ou interrogeant le recours à des ovules «rares», difficilement disponibles et possiblement promis à une marchandisation ou à des tractations porteuses d’exploitations, de discriminations et d’assujettissements ( de la matière organique, du corps féminin, de la femme ).

1° Dérives ou fantasmes ?

Le contrôle de la différenciation cellulaire ou tissulaire et, plus encore, l’obtention d’organes pluritissulaires posent de nombreux problèmes ( milieux de cultures problématiques, contraintes différenciatrices agressives, spatialisations des tissus et structures, coordinations et coopérations des populations cellulaires et tissulaires, différenciations incomplètes ou impropres, cancérisation ) – et d’aucuns pourraient envisager de passer du blastocyste à l’embryon plus tardif, voire au f tus anencéphale peu ou prou chimérisé (porté par l’animal fournisseur des tissus trophoblastiques). L e clone se déclinerait alors en réservoir :

- mais pas complètement mature ( arrêt du développement embryonnaire - ou f tal ? ).

- mais pas totalement humain (chimérisé et intégré en un cycle animal ).

- ou pas vraiment réalisé ( dépourvu de cerveau, selon Slacks ou Edwards ).

Sera-t-il agrégat cellulaire, système informe et nourricier ( d’un organe particulier ) ou entité anencéphale d‘origine ( partiellement ) hominienne - étrangère aux conditions de possibilité d’une réalisation et d’une soutenance humaines ? Ebauche ou réplique génétique, quasiment identique, mais distante de la communauté des semblables ? Nous devinons en cela une voie ouverte au retour d’une instrumentalisation globale de l’autre en sa matière désaffectée. Avec cependant une conception sous- jacente, sinon inconsciente. Et non pas seulement d’une non-essentialité du support organique et de la forme, mais bien de leur absolue insignifiance : insignifiance de la matière matricielle humaine d’abord, de la forme hominienne juste après, du corps ensuite – selon une dualité radicale remplaçant progressivement le savoir d’un être bipolaire en son expression et néanmoins unitaire en son monisme substantiel.

2° Corps fragmentés :

La production d’organes n’est pas insignifiante, et la route est en construction qui conduirait à un agrégat organique ou à un appareillage hybride : à un artificialisme déniant l’importance de la chair propre au profit d’une fonction utilitaire. Déjà, le corps décrit par la technoscience n’est plus corps-soi, ni même corps de soi, mais corps du soi ( d’un «soi» soumis à variances et à variations temporelles ) : il s’offre de la sorte au n ud identitaire ( au vrai à la puissance volitive ) tel son objet, son outil, son réceptacle ou sa matière distanciée et indifférente. Ce corps-là se fait matière utile dans laquelle l’identité se dilue - à volonté et de volonté. Ce corps est tout et rien, d’une manière fluctuante et dirigée – et non plus pool identitaire, non plus «totalité» vivante et percevante. Ou encore, comme l’exprime D.

Le Breton, «Soustrait de l’homme qu’il incarne à la manière d’un objet, vidé de son caractère symbolique, le corps l’est aussi de toute valeur (…). Enveloppe d’une présence (…) ce qui fonde alors son existence ce n’est plus l’irréductibilité du sens et de la valeur (…) mais la permutation des éléments et des fonctions qui en assurent l’ordonnance. Le corps se décline en pièces détachées, il s’émiette. Structure modulable (…) il est aujourd’hui remanié pour des raisons thérapeutiques qui ne soulèvent guère d’objections, mais aussi pour des motifs de convenance personnelle, parfois encore dans la poursuite d’une

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utopie technicienne de purification de l’homme, de rectification de son être au monde. Le corps incarne (…) le brouillon à corriger.»

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Au vrai, ce qui nous inquiète dans le clonage thérapeutique aujourd’hui présenté ( usant d’un embryon très primitif ) tient au fait que ces intentions curatives médicalement justifiées 3 feraient poids sur la communauté humaine tout en activant et confortant des pratiques porteuses ou factrices de déconstructions : en matière de représentation entitaire identitaire, de n ud corporel référentiel ou, finalement, d’identité ( en son rapport à une continuité bio-graphique et à une unité intime ). L’usage conduirait vraisemblablement à des reconstructions identitaires morcelées assorties de préhensions faussées et utilitaires - de la matière organique complexe d’abord, de l’organisme complexifié ensuite, et de l’individu en bout de course. En conséquence, nous retrouvons l’un des paradoxes ou l’une des articulations problématiques - à opérer cependant : recherches actuelles et malades présents face à des espoirs et à des possibles thérapeutiques distants. Mais aussi, souffrances vécues en regard de transformations humaines et sociales probables mais cependant incertaines. Et encore, individualités empêchées ou douloureuses, dont le nombre n’a de sens qu’au regard de leur souffrance inacceptable, rapportées à la collectivité en sa dimension socio-culturelle et spécielle. En outre, l’utilisation de cellules souches issues d’embryons créés à cet effet nécessiterait une mise à disposition d’ovocytes et, par le fait, ouvrirait plus encore la voie à un commerce ou à une exploitation du corps féminin ( touchant plus spécifiquement les femmes appartenant à des communautés défavorisées ) – si ce n’est à de nouvelles disparités distinguant le patient susceptible de «s’offrir» un ovocyte du patient démuni.

C - Copies ( si peu ) conformes :

1° Clonage reproductif et mirages producteurs :

En 1996, suite à la naissance de Dolly, un «non» consensuel résonne à tout vent : opposition générale au clonage reproductif humain. Refus de produire des hommes ayant à interpréter une partition génomique déjà jouée et laissant à l’individu une variance génétique supposée infime ( en fait, l’ovule énucléé apporte son génome mitochondrial et les gènes ne pourront être pareillement activés, ni donc semblablement s’exprimer 4 ). Très vite pourtant, l’unanimité se scinde : et l’expérimentation est quelquefois envisagée en son principe au nom du savoir, de la liberté, d’une stérilité douloureuse ou d’une promesse ( de solidarité ) thérapeutique. Et la génération d’id-entités basales est parfois souhaitée ou promise au nom d’un avenir chaotique susceptible de menacer l’espèce dans sa fertilité - requérant dès lors, en urgence vitale, cette re-production clonale.

En fait ou en chair, telle technique permettrait l’obtention de sujets dotés d’un ensemble brut de gènes nucléaires identiques à ceux de leur donneur respectif - mais cette «identité» ne recouvre ni une duplication personnale ni une réplication personnelle. Par ailleurs, l’individu ainsi advenu serait, comme tout autre, radicalement nouveau – avec une origine temporelle unique et une insertion abrupte et inédite dans un temps-durée fléché à sens unique. Il n’empêche, entre clone et cloné existerait une similitude troublante ( pour l’édification identitaire et la psyché ) à partir de laquelle pourraient s’élaborer la pensée ou le sentiment d’une multiplicité du même ( en fait, du trop proche ). En outre, le substrat ontologique et métaphysique sous-tendant l’émergence de croyances ou d’espérances en la possibilité d’une réincarnation d’un n ud identitaire ( bio-existentiel et bio-personnal ) préexistant (actuel ou passé, propre ou autre ) est très particulier. En effet, ce substrat fait place à une conception accordant à la vie la nature d’une substance immatérielle, d’une habitante : la vie hanterait la matière ( ici organique, bientôt informatique ? ) tandis que l’esprit en ses dimensions personnale, perceptive et cognitive ( représentative, proprioceptive et autodéfinitoire ) émanerait en adéquation et conformation du seul plan génétique ( et par suite neuronal ). Selon cette perspective minoritaire mais néanmoins perceptible, le matériau se fait média expressif de la «Vie» – une Vie jouant dans la cour de l’âme ancienne puisqu’au dualisme classique qui discriminait entre corps et âme répond désormais un dualisme du message ( ADN, ou message chimique, voire électrique sinon informatique ) et du support (molécules, cellules, corps, cerveau, ordinateur ). Dans cet ordre d’idée, et selon une logique calquée sur les présupposés des chercheurs de la vie artificielle, les

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L’adieu au corps, p. 10.

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Selon la perspective singulière confrontant un potentiel à un sujet en souffrance.

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L’importance relative accordée aux mitochondries varie d’un auteur à un autre et certains insistent sur la fonction des protéines cytoplasmiques : d’aucuns attribuent par ailleurs l’échec du clonage des singes à ces fameuses protéines qui seraient arrachées à l’ovule avec le noyau et ne pourraient dès lors plus assurer le maintien des pôles du fuseau mitotique. // Cf. les travaux de Gerald Schatten et de ses coéquipiers (université de Pittsburgh, U.S.A.) – Science et Vie, Juin 2003. Ces protéines sont, chez le singe et chez l’homme, très fortement attachées au noyau – et sont donc ôtées lors de l’énucléation.

Par ailleurs, même le recours à un ovocyte issu de la lignée maternelle ne pourrait reproduire à l’identique les dissymétries qui modulèrent les sélectivités des accès à la bibliothèque des gènes et qui présidèrent peu ou prou à la particularisation expressive (dissymétries induites par les différents environnements - endogènes ou exogènes).

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postulats de certains partisans du clonage font de l’individuation une déclinaison (en concordance parfaite) d’un code ( génétique ) fondamental : à lui le rôle essentiel – matrice substantielle à pourvoir d’avatars inessentiels et multiples. Message vital et corps support biologique. Négation même du matérialisme, de la vie comme «émergence» ou «résultante» d’une organisation de la matière.

Toutefois, une telle compréhension discrédite presque inévitablement le support, le corps ou l’individu individué – le promettant aux manipulations, à l’insignifiance, à la substitution et à la production sérielle utilitaire. En conséquence, comme la plupart des théories duales, comme la plupart des conceptions niant une substance unique ou pour le moins une consubstantialité, elle accueillerait sans trop sourciller une instrumentalisation grandissante de la matière corporelle.

Dans semblable contexte, notre questionnement porte sur la conjonction d’une croyance en la réincarnation ( en possibles avatars ) et d’une situation d’existence confrontée à des périls toujours plus dévastateurs : menace de destruction du monde des hommes ( pollutions, contagions, anéantissement explosif… ) et menace de destruction d’un monde humain ( d’un monde basé sur une liance tant spécielle que communautaire, tant généalogique qu’individuelle ). Où donc tout se passe comme si cette croyance en une vie autre ( du même, du «soi» ) suffisait à satisfaire l’instinct de survie – où la décomposition du monde humain se donnerait pour transitoire, préparant un lieu neuf pour un individu ( immortel ) pouvant naître de nouveau. Il importe cependant de souligner la complexité d’un phénomène également décryptable sur le mode réactionnel ( défensif ) : face à une insécurité pluridimensionnelle grandissante et devant l’angoisse y associée, l’individu élaborerait un mythe parlant de revitalisation, de renaissance ou de réincarnation. Ou encore, face au temporaire, aux pertes de sens, aux désorientations et désolidarisations, devant la vanité du ponctuel et d’un monde dépourvu de projets, la conscience angoissée et esseulée s’enivrerait d’une pérennisation indéfinie…

2° Science ou mirages improductifs ?

Quelle est alors cette pulsion antithétique qui semble unir en son fonds immortalité et fin du devenir caractérisant pourtant la vie ? Qui tend à articuler évolution ( artificialisée ), dévolution et régression - pour offrir à l’uniformité une espèce déforcée de la sexualité ?

Pulsion ou répulsion involutive ? Et tendant à dévaloriser ou à écarter l’élément humain : du désir au souci, de l’insatisfaction au manque, de l’incomplétude à la faille ( source de liberté et de création ) - tous et toutes marqués de négativité.

Pulsion ou inclination centripète ? Et recelant un déni ou une démission face à la mouvance et à la nouveauté - au profit d’un idéal rigide.

Pulsion ou régression ? Se laissant tenter par l’éternel retour du même et prête à s’adonner à la seule survivance. A sacrifier sa singularité et son unicité, ou plus précisément son sentiment et son affirmation d’unicité singulière - au profit d’un amas moléculaire.

S’agirait-il d’un retrait : de la vie, face à ses risques et limites intrinsèques ; des pulsions, à l’encontre de leurs investissements producteurs et définitoires ; de l’altérité, au regard de sa signifiance interpellante ; et de la singularité, contre une affirmation difficile, incertaine, fragile et angoissante ? Selon J. Baudrillard, ces tentations clonales recouvrent un « suicide spéciel et anthropique » : « Double mouvement contradictoire : (…) l’homme vise à construire son double immortel, parachevant ainsi la sélection naturelle par une sélection artificielle qui lui confère un privilège absolu. (…) dans son orgueil de mettre fin à l’évolution, il inaugure l’involution de sa propre espèce, qui est en voie de perdre sa spécificité (…). Or la mortalité des espèces artificielles est plus rapide encore que celle des espèces naturelles (…). L’espèce retrouverait-elle, par un détour inattendu, la loi des espèces animales qui, au seuil critique de saturation, s’orientent automatiquement vers une forme de suicide collectif ? / L’inhumanité de cette entreprise est lisible dans l’abolition de tout ce qu’il y a en nous d’humain trop humain : nos désirs, nos manques, nos névroses, nos rêves, nos handicaps, nos virus, nos délires, notre inconscient et même notre sexualité – il y a prescription sur tous les traits qui font de nous des êtres vivants spécifiques. Ce qui hante toute manipulation génétique, c’est un modèle idéal par élimination de tous les traits négatifs. Ainsi dans Biosphère II, (…) pas de virus, pas de germes (…), pas de reproduction sexuée. Tout est expurgé, immunisé, immortalisé par transparence (…) / La résorption du vivant dans le survivant s’opère par la réduction progressive au plus petit commun dénominateur, au génome (…) où c’est le mouvement perpétuel du code qui l’emporte, et où les signes distinctifs de l’humain s’effacent devant l’éternité métonymique des cellules (…) / Les limites de l’humain et de l’inhumain sont donc bien en train de s’effacer (…) vers le subhumain (…), vers une disparition des caractéristiques symboliques mêmes de l’espèce.»

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Liberté et incertitudes, plurivocité et latitudes : où l’homme semble menacé en ses spécificités parce qu’il n’a pas de Destin, pas de Destination - et qu’il tend à refuser d’assumer encore (le risque de) l’aventure. Qu’il se donne de moins en moins souvent la peine d’une soutenance individuale et

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L’échange impossible, p. 49- 50.

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existentielle - et moins encore celle de l’invention d’un sens historique singulier et commun ( dans une perspective d’insertion personnelle au c ur de l’humanité/humanicité ). Par suite, il se laisse peu à peu tenter par l’inné au détriment de l’acquis, qu’il lui faudrait nécessairement conquérir, et agrée progressivement à l’imposition plutôt qu’à la construction - au plan sécuritaire, voire à la répétition sécurisante, plutôt qu’à la nouveauté incertaine. Agissant de la sorte, il se démet graduellement de sa nature relationnelle, de son étance situationnelle, de son existenciation active et de sa liberté essentielle – et pourrait opter bientôt pour la certitude insatisfaisante d’une reconnaissance tronquée ( déterminée, aliénée ) plutôt que pour l’incertitude attenant à des relations humaines libres ( mais dès lors réellement et valablement porteuses de légitimation ou de reconnaissance).

Nous présumons donc que ces tentations clonales sont sous-tendues par une vanité ontique, une gratuité ontologique et une liberté infinie qui, nonobstant, sans l’autre comme but et Fin, l’autre comme sujet libre, est liberté pour «Rien». Nous y devinons l’ uvre d’une angoisse existentielle, d’une finitude consubstantielle et d’une volonté y assortie d’accéder au rang de créateur - de se faire fondement universel. Et encore, une incapacité de faire face à la singularité ; incapacité de tisser des liens lâches et serrés avec l’altérité – liens suffisamment souples pour que s’y affirme la liberté, suffisamment étroits pour que s’y rencontrent les individualités. A l’observation, notre modernité paraît souffrir en ses rapports à l’altérité, à la liberté et à l’humain – imprévisibles, jamais acquis, jamais conquis. Et si vraiment seul le pire est certain, l’avenir proche se commettra avec les programmations, les productions et les constructions clonales. Faisant cela et selon une forte probabilité, il façonnerait des individus asservis, délierait le désir avant de le détruire, déferait la liberté, dévaloriserait le sujet humain et insignifierait l’humanisme.

Du reste, non seulement la reproduction sexuée brasse les gènes et permet de compenser anomalies ou dysfonctionnements géniques, mais encore elle engendre la multiplicité - l’offrant à la sélection naturelle et aux connaissances ou reconnaissances humaines. Ainsi, le clonage à grande échelle freinerait-il peu ou prou ladite évolution - l’influence du milieu portant sur une uniformité relative.

Surtout, telle voie reproductive délierait de leurs contrepoids factuels et principiels 6 les mécanismes psychologiques et sociaux portant à la ségrégation. Et réaliserait pleinement l’eugénisme : non plus contester l’inconvenant mais circonscrire à l’extrême l’inconvenance en reproduisant le «même» ; non plus exclure le marginal mais refuser la marge et la juguler; non plus éliminer l’autre, mais défaire l’altérité ( comme notion, représentation, apparence, latitude (s) … ). Non plus contraindre et discriminer mais modeler, programmer et produire - et proprement, sans effusion de sang dans un monde de

«figurants». Car en effet, ce mode de reproduction passerait nécessairement par une extériorisation et une mise à disposition de l’embryon autorisant toutes les manipulations, destinant chacun à une tâche précise ou référant tout individu à une volonté narcissique, une finalité utilitariste, voire une rentabilité économique et sociale. Où des citoyens sériés vaqueraient à des tâches impersonnelles dans un monde refusant l’inattendu et la différence – en ce compris en leur production volontaire («mêmeté» et similarité s’évaluant en ces circonstances en leur alignement sur le projet, le fantasme ou le plan génésiaques).

Non pas d’ailleurs que le clonage puisse radicalement abolir la singularité irréductible ou l’unicité de quiconque : chaque clone aux facultés intellectuelles préservées serait, envers et contre tout 7 , unique.

Mais cette technique contesterait en proportions variables le droit (et le droit signifié) à l’appartenance existentielle propre : qui est droit d’être soi, d’exister une existence irreproductible, irremplaçable et vécue en particularité exclusive. Droit à l’appartenance qui est droit de soutenir à l’être, et sur un mode singulier, une spécificité inédite ; qui est droit, finalement, à une inutilité ontologique 8 , à une gratuité ontique et à un indéterminisme final ( quant à la Fin (alité) de l’individu ). Et semblablement, la technique attenterait au droit à la reconnaissance de cette appartenance intime. Elle attenterait au droit à une inscription généalogique qui ne soit ni fixisme ni stratification. Et encore, au droit à l’intimité préservée et à celui d’un voile d’ignorance recouvrant le destin biologique. Le clonage violerait de même le droit à une unicité reconnue et voulue et le droit à une actualisation de l’identité singulière dépourvue

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Contrepoids factuels : l’autre en ses différences, comme en sa différance. Autrui faisant ingression et repère. La diversité et la multiplicité des singularités offrant leur présence particulière dans des relations de vis-à-vis propres à développer les sentiments d’intimité (personnelle) ou de reconnaissance … dans un monde commun.

Contrepoids principiels : l’autre comme semblable au-delà de ses différences. Autrui comme sujet libre et valeur. L’humanité comme communauté de singularités rassemblées par la similarité de leur soutenance en différance…

7

Contre ses créateurs, et douloureusement ; contre lui-même, et difficilement.

8

Ou encore à un «sens», une «fonction», «une utilité» en béance. Il s’agit d’une «inutilité» principielle et initiale, abstraite, laissant ouvertes les voies existentielles des constructions multiples (de sens, de rôles, d’affects et d’affections, de fonctions…).

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d’entraves ( a priori ou principielles ) - ou encore exempte de processus schizoïdes. Il violerait le droit à l’affirmation et à la reconnaissance inconditionnelles de l’unicité – et rendrait douloureuses ces affirmation et construction. Il violerait en outre le droit à l’indéterminisme biologique, générationnel et destinal : l’enfant se ferait réponse surdéterminée au projet ( chargé de mission et chargé d’exister en continuité, remplaçant ou image-reflet).

En la matière, prenant appui sur la force affirmative et singularisante de l’apparence, d’une apparence unique, l’avis 5’ du CCNE (français) souligne que : «Le caractère unique de chaque être humain, dans quoi l’autonomie et la dignité de la personne trouvent support, est exprimé de façon immédiate par l’unicité d’apparence d’un corps et d’un visage, laquelle résulte de l’unicité du génome de chacun (…)». A notre estime, évitant en outre de troubler la réflexion portant sur la gémellité, l’autonomie et la dignité trouvent confirmation ou facilitation, et non point « support », dans cette visualisation de l’unicité (d ’apparence spécifique ) : c’est parce qu’il est un sujet singulier semblablement reconnu a priori ( et voulu tel ), qu’il est une « personne » ( en «promesse» intime et par promesse tierce – et toujours déjà, par principe et par anticipation ), que l’individu exprime et exhibe et fait être son unicité. Ou encore, ce n’est pas parce qu’il est unique qu’il est digne. Au contraire, c’est parce qu’il est digne ( en principe, promesse ou fait ) et qu’il se préhende ( ou préhendera ) tel face à l’autre opérant semblablement ( en cela aidé par une apparence originale ), parce qu’il n’est à rien ni à personne ni à aucun projet existentiel tiers subordonné, qu’il est irremplaçable et irréductible, et qu’il le sait du savoir de l’autre qui le forma originellement, de tout cela, par tout cela, qu’il est unique. En d’autres termes, c’est le sentiment d’unicité qui constitue l’une des conditions autorisant l’expression de l’humanité, qui est moteur de celle-ci 9 . Ce sentiment donc, et sa reconnaissance par l’autre. Or, du fait du clonage, ce sont précisément ces sentiments et reconnaissances qui seraient menacés ou soumis à une douleur et à une culpabilité supplémentaires dans leur expression. Partant, ce n’est pas à proprement parler la dignité du clone qui serait hypothéquée, mais celle de son créateur. Nonobstant et pour sa part, le clone verrait sa nature déniée et son sens ( existentiel et «ontologique» ) dérobé ou contrefait : ou plus précisément, serait contesté en son droit ( et dans son fait ) d’un non-sens originel et d’une indétermination ontologique et ontique.

3° Gémellité, altérité et clonage :

Sauf, quelquefois, dans l’imaginaire ou dans la pathologie mentale, le jumeau n’est ni moitié ni copie ni image. Et l’élément déterminant des relations gémellaires, comme de l’identité de chacun, tient à cette certitude : il ne s’y immisce nulle secondarité, nulle subordination - subordination imposée, présumée ou ressentie d’un reflet préhendé ou se préhendant dans l’ordre de l’inessentialité vis-à-vis de son modèle initialisant, et suscitant peu ou prou une redevance existentielle ou une sujétion. Aucune des deux individualités constituant le couple fraternel ne peut s’intégrer dans le schème d’une re-production volontaire ou d’une démultiplication de l’autre. Chacune est, pleinement, totalité et singularité. Par contre, le clone naît ( naîtrait ) d’un désir ou d’une volonté de multiplication du même – quelles qu’en soient les raisons ou déraisons. Ainsi lesté, tantôt dans l’attente de l’autre, tantôt dans sa propre représentation, au niveau du désir créateur ou au niveau de la perception d’intériorité, selon la volonté réelle qui l’initialisa ou selon son imaginaire personnel, le clone serait pour le moins partiellement délesté de légitimité intime ( et d’intimité légitime/toujours déjà légitimée ). Et perdrait, dans ce qui préside à sa conception comme dans l’imaginaire déployé, la reconnaissance et la soutenance ( tierces d’abord, intimes ensuite ) de l’altérité fondamentale – une altérité pourtant requise, tant en son fait incontournable qu’en sa reconnaissance, pour que s’édifie l’identité et que se mettent en place les relations humaines.

En d’autres termes, le clone «est», a priori, pensé comme un double : il relève de l’addition quand ce n’est de la substitution - un ou plusieurs individus sont ajoutés en série, dans une série, et par là même se voient confrontés à une étrangeté eu égard à leurs vis-à-vis. Etrangeté d’une situation atypique, d’une rupture d’historicité, d’une singularité peu ou prou déniée ou excédentaire. Etrangeté d’une dépossession originelle. «Etrangeté d’être», éprouvée par quiconque se voit délesté d’une

«valeur» strictement personnelle - celle de la gratuité d’une advenue hasardeuse, de la liberté d’un génome imprévisible ou de la nouveauté radicale d’une combinaison génique unique. Valeur inestimable, irremplaçable et motrice de l’accueil ( toujours déjà légitimant ) d’une individualité voulue en ses différences, conçue dans l’altérité et désirée dans un décentrage ( de soi ) grâce à l’autre ( partenaire affectif ) et pour un autre (l’enfant lui-même).

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Car ce sentiment d’unicité fait sens et cherche un sens (individuel et global) ; car il a partie liée avec la responsabilité et l’éthicité.

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I. Rieusset-Lemarié, partant d’un entretien entre Anne Pinchon et deux s urs jumelles, tient des propos très justes quant à cette altérité présumée douloureuse du clone : écoutant l’une des s urs,

« (Catherine) : Le décalage dans le temps ne règle rien. ( ) L enfant se comparerait sans cesse à son double plus vieux, c est monstrueux ! ( ) Aucune fille n a envie de ressembler à sa mère ! Ou alors, il faudrait que le cloné soit mort.» , I. Rieusset-Lemarié commente : « Que cette jumelle ne puisse concevoir comme tolérable la situation d’être le jumeau génétique de sa mère que si celle-ci est morte est significatif. Pourtant, cette situation n’en serait peut-être que plus aliénante, car le clone ne pourrait pas même se confronter avec son «cloné» pour marquer sa différence et serait hanté par le fantasme de n’être que la réincarnation d’un autre qui vivrait en lui, par procuration, en lui volant sa propre vie. Mais cette remarque spontanée (…) traduit le fait que dans la confrontation des clones, la seule façon de se différencier est la mort de l’autre. Les mythologies gémellaires tout comme les observations des psychanalystes témoignent de cette ambivalence de la relation entre jumeaux qui peuvent passer instantanément de l’amour fusionnel à un désir de meurtre, et doivent chercher un équilibre entre ces deux pôles pour se différencier (...). Mais ce désir de meurtre, à l’égard d’un parent, n’a pas les mêmes conséquences symboliques. Avoir un désir dipien de «meurtre du père» (…), c’est être confronté au fantasme de l’acte sexuel des parents, grâce auquel on est né.

Dès lors, traverser la crise dipienne permet de se situer comme sujet par rapport à la relation d’altérité du couple dont il est issu. En revanche, vouloir tuer, dans son père, son jumeau génétique, son double, revient à ne pouvoir trouver son identité que dans la négation de l’autre»

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.

Issus d’un processus naturel et nés d’un désir parental accueillant la différence ( d’une reproduction sexuée et sexuelle ), les jumeaux s’inscrivent dans l’être et dans l’existence sous le signe du hasard et de la liberté. Le clone, par contre, devrait son existence à une intervention technoscientifique écartant le hasard, s’attachant à créer du même et hypothéquant la liberté au profit d’une volonté humaine et d’un déterminisme génétique. Le clone serait un produit - et là réside le point d’ancrage de l’aliénation. Son altérité, ses différences et sa différenciation se verraient, peu ou prou, consciemment ou inconsciemment, par la volonté ou par le désir, associées à des mécanismes de perversion ou d’imperfection - ou seraient ressenties telles des agressions ( au mieux inscrites dans l’ordre du dommage collatéral ). Or, cette altérité sentie, pensée, soutenue et reconnue est essentielle à la construction de l’identité, à l’élaboration des relations interpersonnelles, à l’édification sociale et à la pacification du monde humain.

D - Miroirs ?

Tout enfant advient d’un autre, porté ou quelquefois contredit par son désir - et sa construction humaine sera reprise à soi de ce donné premier. Mais comment pourrait s’élaborer une construction proprement personnale sans repères réellement personnels – s’imposant tels ? Comment se réaliserait ce processus d’individualisation et d’insertion ( concomitante ) en dissonance ( de singularisation et d’alignement en différance ) si cette altérité génitrice était image/reflet se cherchant en sa créature ? Comment se produiraient la différenciation et la distanciation (à intégrer nécessairement en une communauté de semblables différents et à préserver impérieusement des tentations phagocytaires ou confusionnelles ) si cette altérité générée était reflet/miroir déformant se trouvant en son créateur pour s’y perdre ? Ou encore, comment assumer une individualité originale, libre et responsable, quand l’existence propre est justifiée par une identité rêvée dont il faudrait se démarquer pour être pleinement avant que d’exister ?

En fait, l’enfant requiert un mandat pour se distancer du donné et se faire «être de projets» en pro- jet vers l’avenir de son être. Et ce mandat, cette légitimation de son advenue dans le monde, légitimation existentielle plus forte que la contingence, n’est rien d’autre que l’amour gratuit des géniteurs - rien d’autre que leur désir générant. Mais ce désir ne peut être fermé sur lui-même : il doit être ouvert à l’altérité pour que le petit d’homme s’en nourrisse et puisse s’ouvrir au monde et à lui-même. Or, à l’opposite du désir d’enfant, qui est acceptation d’une liberté nouvelle et d’un répondant singulier, qui est rencontre d’altérités ( un homme, une femme ), ou encore accueil et adoption d’un individu en échappement ( à l’égard des désirs qui l’initialisèrent ), à l’opposite donc, le clonage tend à refuser toute affirmation de subjectivité «tierce» ( d’intimité autre et menaçante 11 ) et s’enchante et s’enchaîne sur un fantasme de continuité du même.

Enfant-clone et clone d’enfant :

A distinguer deux cas de figure paradigmatiques :

- Tout d’abord, l’enfant-clone issu du désir (à lui-même et en lui-même aliéné) de se re-produire : dans une quête de vie éternelle ou selon un rêve narcissique de duplication. Quête inaccessible du même hors du même, de soi hors de soi. Quête-négation de la vie ( qui est changement et devenir ) guidée par une

10

La société des clones à l’ère de la reproduction multimédia, p. 275. // Entretien transcrit dans : Nous ne sommes pas des clones.

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Menaçant, entre autres choses, d’un échappement ou d’une dépossession d’une part du monde.

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tentative inefficace de fixation matérielle et de translation ( trans-individuelle et trans-générationnelle ) du ud ultime de l’intimité identitaire. Recherche éperdue de soi ( ou du mirage de soi ) mis en image dans le vivant né de la chair propre - qui resterait nonobstant chair vivante et irréductiblement autre. Qui conséquemment s’affirmerait chair pensante et fuyante jetée dans un monde différent. Vie nouvelle donc, mais assignée et préfigurée : aliénée, du fait d’une volonté tierce recouvrant l’autoréférentialité du désir générant. Reflet tronqué se cherchant et se découvrant, dans sa spécificité et pour l’autre, fondamentalement inessentiel : pressentant, dans une souffrance probable, sa différenciation personnale malvenue. Existence enclose dans un regard parental aveuglé par un désir centripète inapte à fonder quiconque – par trop empli de lui-même.

Néanmoins, comme tous et chacun, comme petit d’homme, l’enfant-clone aspirerait à la légitimation de son unicité personnelle et existentielle ( à elle seule référée ). Pourtant, plus que quiconque, il se percevrait vraisemblablement et le plus souvent sur le mode impersonnel d’une singularité inessentielle et prédéterminée ( possession intime déniée, problématique ou douloureuse, voire ingressée sinon agressée ).

Désiré pour ce que jamais il ne sera – ou pour ce qu’il aurait à soutenir dans l’insincérité d’un rôle.

Partant, à la question du «Qui suis-je ?» , la réponse risquerait d’être destructrice : «Je n’existe pas» ,

««Moi» n’existe pas» . Ainsi, celui que l’on justifie d’un Fin étrangère, à qui l’on offre pas la gratuité de son existence, la singularité de son individualité et l’irremplaçabilité de sa personne, celui-là est, sera ou serait toujours «vide» - en manque d’être, en rupture de lien, en deuil de lui-même et, finalement, « en trop pour l’éternité » 12 . Certes, comme toute autre subjectivité, l’enfant-clone se ferait reprise de soi à soi par soi. Et s’élèverait vraisemblablement au fait et au vouloir de la singularité, au fait et au concept de l’individualité, au fait et au droit de l’unicité : autre que tout autre – y compris son géniteur. Mais il s’accomplirait dans l’incomplétude et dans la douleur inéludable de l’acte de négation { de ce qu’il serait sans l’être (= matière à l’autre trop semblable) au profit de ce qu’il ne pourrait aucunement être (= voulu originellement comme irréductible altérité ) }. Bref, le clone serait toujours déjà, et le plus souvent, une avanie au désir qui le fit et un avatar imparfait. Libre et aliéné : libre par et dans les aliénations, comme tout autre, mais percevant sa liberté consubstantielle et existentielle ( ontologique ) comme une aliénation suprême puisque cet indéterminisme-là l’opposerait et l’exclurait du désir créateur originel.

- Parallèlement à ce narcissisme aveuglé ou à cette pulsion centripète, émerge la demande de l’enfant de remplacement : enfant doublure, enfant perdu. Echange impossible, « criminel » selon J-M. Delassus 13 : où l’on «tue» une seconde fois l’enfant mort par une substitution le ravalant au rang d’objet – catégorie perte et profit. Que dire alors de ce rêve démentiel de répliquer le mourant ? Sinon que cette attente insatisfaite, par essence insatisfaite, entraînerait vraisemblablement un rejet, conscient ou masqué, de l’individualité singulière réelle. Rejet dont les conséquences déterminantes relèveraient d’un manque à être radical et d’une personnalisation illégitime – manque ne pouvant se combler, personnalisation ne sachant se légitimer, d’un projet toujours déjà soumis comme projet-autre ( projet d’un autre ou pour un autre ). Partant, mort et vivant entameraient dans l’imaginaire un impossible dialogue - ou un impossible duel. Où le disparu phagocyterait l’existence du vivant. Où ce dernier déferait par son existence vivante l’existence morte : déferait le poids existentiel et affectif, la valeur ontico-existentielle du mort. A chaque instant, à chaque phase de son développement individuel et individual, le vivant recouvrirait et anéantirait un peu plus le disparu – et son agir, son vivre même, seraient supposés gommer et recouvrir et se confondre avec un autre que simultanément ils renverraient toujours un peu plus au néant. Action destructrice posée en toute innocence par son agent mais voulue ou attendue par les géniteurs – action irréalisable qui l’empêcherait pourtant d’exister ( comme individu unique et gratuit ). Substitution impossible où l’on voudrait qu’une naissance englobe et annule, en les absorbant, la mort et le mort – mort dépossédé de sa réalité passée par la dérivation du deuil parental et par la présence de sa réplique.

Et telle exigence recouvre un transfert de «personne» : le clone doit être, et être parfaitement, celui qui n’est plus, n’aura jamais été, sera toujours et nouvellement… Comme si le mort n’avait jamais existé, comme si la mort n’était jamais survenue, comme si la vie et l’esprit et la personnalité étaient les habitants d’un corps habitacle – et ce principe d’identification / d’identité ne pourrait accepter aucune faille, sans quoi l’édifice exploserait et entraînerait dans sa chute refoulements, illusions et construction familiale.

12

Selon l’expression de Roquentin, dans La nausée, de J.P. Sartre // ou encore, selon Sartre, orphelin de père, orphelin de ce désir légitimant, dans Les mots.

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Clone ou enfant ?

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Pourtant et au vrai, hors contexte symbolico-affectif, réplique moléculaire ou nouveau-né unique et génétiquement dissemblable, c’est tout comme. Nonobstant, aux regards fermés des parents, le nouveau venu s’identifierait peu ou prou à une déclinaison «imaginaire» - image déformée de leur souffrance refusée ou de leur deuil persistant de son absence. Tel enfant serait reflet d’une souffrance, enfant de l’absence : enfant imaginé et imaginaire. Soumis cependant à la tentation d’une conformation et d’un reniement : reniement par conformation ébauché au motif d’une altération d’identité ou d’un devenir autre supposé le réaliser en quintessence identitaire. Où donc la subjectivité en voie de dépersonnalisation se soumettrait à une aliénation articulant négation, dénégation et démission - recouvrant les unes et les autres une quête de légitimation et d’assentiment mais aboutissant à une construction par déconstruction ou par déstructuration personnale (: pour que l’individu se fasse ce qu’il serait sans l’être, à savoir une pure représentation ou une simple expression charnelle d’un génome donné ). Il s’agirait là de simulacre ou de tentative de reprise à soi faussée : d’une soutenance personnelle et personnale assignée à l’étrangeté ou à l’aliénation par l’extériorité d’un phantasme et par l’altérité d’une subjectivité anéantie ( celle du mort ) - imposée de surcroît dans une concurrence impensable et insoluble du fait d’un impossible face-à-face. Il s’agirait en dernier recours d’une reprise à soi pour l’autre de ce qui est commun et inessentiel. En conséquence, l’enfant clone serait peu ou prou livré à l’aliénation et étranger à lui-même : dépossédé possédé par un sentiment d’exclusion.

E - Filiation et singularité :

S’agissant de signifiances et de représentations, le clone, comme aspiration, fantasme ou concept, se pose tel un médium ou un entremetteur : entre l’homme et lui-même ( en le re-présentant ), entre l’homme et son désir ( en le satisfaisant dans un «toujours déjà» - toujours déjà acquis ), entre l’homme et sa solitude essentielle ( en la contrecarrant ), et finalement entre l’homme et sa finitude ( en la repoussant ).

S’agissant d’individuation, le clone, comme réponse aux désirs, apparaît tel une chair marquée d’une altérité tronquée ( par et pour l’autre ).

S’agissant enfin d’existenciation ( en sa conscientisation autant qu’en sa soumission aux regards tiers), le clone, comme subjectivité en vis-à-vis, s’offrirait ou se refuserait selon toute vraisemblance sur le mode d’une intimité à elle-même dérobée. Il s’exposerait et s’imposerait, à l’autre comme à lui-même, tel un substrat corporel exprimant les qualités qui préfigurèrent au choix génésiaque - les exprimant, y échouant ou s’y refusant. A ce titre, il s’inscrirait dans l’ordre de la «monstruosité» : il monstrerait et montrerait ses différences ( en l’occurrence des différences réduites à l’extrême et assorties d’une difficulté de différance produite par le poids conjugué de l’apparence, d’une volonté délirante, d’un désir illusionné et d’une angoisse trompée ). Par suite, par la force de ce qui se donne à voir et du désir fondateur, le clone se connaîtrait tel et serait ainsi perçu. Souffrances et discriminations tiendraient en conséquence tant à une assignation charnelle et existentielle qu’à une singularisation inscrite dans le domaine de l’extériorité ou de l’étrangeté 14 - et entravant une individualisation en singularité proprement intime. En conséquence, la réplication présage d’un enfant-objet : parce qu’elle réfèrerait à la projection hypertrophiée du géniteur ou renverrait à l’image floue et fuyante d’un disparu. Ou encore, sous l’alibi éthique ou médical, parce qu’elle se ferait détour thérapeutique ( réplique du «double espoir» ) et témoignerait d’une finalité étrangère à l’être nouveau. Or, la réification (ou la secondarité) d’une existence, fut-elle partielle et promise au temporaire, la transfigure en existence-pour-autrui et risque de l’écarter peu ou prou d’une insertion communautaire et d’un sentiment de légitimité individuelle ou personnale, voire d’une perception intuitive d’égalité ontologique - et nul ne peut être de la sorte subordonné, sur-valorisé ou dévalorisé pour faire front sur un fonds qui jamais ne pourra, pour lui, être commun. En cette matière, nous acquiesçons à l’analyse de H. Atlan craignant pour l’être répliqué un esclavage nouveau – esclave de son génome, esclave du projet qui le fit selon une précision infernale.

1° Narcissisme, transmission, indifférenciation :

La loterie génétique assure à l’enfant l’imprévisibilité de ses caractéristiques physiques et personnales : elle le protège ce faisant d’un transfert parental narcissique ou fantasmatique trop important et dès lors inéluctablement contraignant ou anxiogène. Dans l’hypothèse clonale, par contre, cette distance visible, cette béance connue des déterminations et ces émergences acceptées d’altérité et

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Domaine ou mode de l’extériorité : singularisation imposée par l’autre, référée à une intimité tierce, développée en négation d’une émergence personnale ou existentielle proprement singulière / personnelle. // Domaine ou mode de l’étrangeté : étranger à lui-même, étranger et étrange pour l’ensemble des semblables soutenant leurs différences. Le clone serait dès lors celui dont la similitude et la singularisation ingressée (par le projet, le fantasme du modèle) se détachent en différences «radicales» - eu égard au mode procréatique commun, eu égard à l’indéfinition et à l’indétermination communément partagées, eu égard aux inscriptions généalogiques habituelles.

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de divergence n’existent pas ou, plus précisément, ne sont pas conçues, pas conceptualisées – permettant dès lors un transfert délirant. De surcroît, suite à ce surinvestissement initial inévitablement promis à contestation active ou passive, point le risque d’un retrait affectif ou d’une distanciation secondaire : où l’enfant en sa réalité irréfutable serait perçu tel un avatar tronqué et décevant.

Dès lors, opération délibérée ou dommage collatéral, le clonage userait et abuserait d’autrui en le dépossédant d’une part de sa singularité individuale et de son poids existentiel. Or, la libre disposition de soi ne justifie en rien l’appropriation d’un tiers - et même la rend en toute logique inacceptable et antithétique. En l’occurrence, l’on ne peut légitimement en appeler à la liberté individuelle en matière de clonage car l’acte fait advenir au devenir un être autre – autre conscience, autre sujet, autre liberté.

En fait, tout acte procréatique établit par son «faire» une responsabilité totale et un devoir éthique et anthropologique. Responsabilité et devoir qui ne peuvent se satisfaire ni d’un asservissement principiel, ni d’une instrumentalisation originelle ( et induite ), ni d’un désinvestissement affectif, ni d’une destruction du symbolique, ni d’une attaque destructrice de l’altérité. Responsabilité et devoir qui ne peuvent conséquemment s’accommoder d’une technique transfigurant l’enfant en un instrument ( d’une satisfaction narcissique ), en un médiateur ( face à l’angoisse née de la préhension de la finitude ) ou encore en un moyen ( palliatif d’un deuil trop douloureux ou agent thérapeutique ). Certes, en son existenciation, l’individu travaillerait à sa libération et à son affirmation. Mais à quel prix ? Dans quelles souffrances et ambiguïtés : médium, figurant ou accessoire d’une satisfaction tierce dévorante ?

En fait, si le clonage se donne ici ou là comme élément de maîtrise destinale ou existentielle, s’il se propose en technique médicale appliquée à une pathologie de stérilité, il s’impose plus fondamentalement en contrefaçon de l’aléatoire génomique et en élément perturbateur des mécanismes identitaires : brouillant les repères et proposant à l’individualisation 15 un miroir déformant ou une exigence contraignante - induisant, peut-être, le sentiment de se fuir soi-même. Certes, chaque enfant naît dans un contexte affectif et historique donné : investi de désirs et d’attentes spécifiques ou chargé d’espoirs requérants. Mais si tout être humain en construction est confronté à de tels achoppements, ils ne peuvent être comparés aux problèmes se profilant à l’horizon existentiel d’un hypothétique clone : leur quantité, intensité, nature et signifiance ontologique se décupleraient très probablement dans la confusion déstructurante d’un être originellement répliqué. Car le clone, avant tout, avant toute rencontre de l’altérité spécifiante et fondatrice, avant même toute sensation ou perception intime, serait porté à l’existence comme «autre» ( que lui ) – soit comme continuité biologique, soit comme prothèse narcissique, soit encore en lieu et place d’un autre. Il s’insérerait dans le monde et dans la situation sur le monde de la contestation : contestation de sa singularité identifiante ( et par la suite identitaire ). Il naîtrait aliéné, un peu ou beaucoup, par le désir autoréféré ou concentrique qui le soutînt : soumis en son intimité ingressée à un «moi» menacé de virtualité, et dépossédé d’une trame historique et narrative propre - prolongeant dès lors en rêve et en chair l’histoire du donneur.

En outre, indéfinissable en termes de filiation comme en termes d’altérité, le clone est l’innommable dans le monde de l’inconscient et des affects : double, répliqué ou reflet, frère ou fils ? Innommable, indistinct, dépersonnalisé ou sur-personnalisé – inscrit dans l’entre-deux du même et de l’autre, du soi et du non-soi, du singulier et du pluriel, de l’unique et du démultiplié. Face à cela, la «vie psychique» et ses exigences – celle du répliquant, celle du répliqué, celle des autres… Une «vie psychique» qui se développe, doit se développer, en différenciation - c’est là son enjeu essentiel et son mode d’être. Une

«vie» qui s’affirme en recherche et en soutenance d’une singularité faisant uvre d’individualisation - par et dans une construction entitaire démarquée. Qui est besoin vital de trouver et soutenir un espace relationnel référentiel propre à nourrir les processus de discrimination, partition et particularisation personnale. En d’autres termes, la psyché exige un devenir entitaire individué et singularisé inscrit dans une mouvance historico-existentielle qui fasse sens pour l’individu. Exécutant un travail d’intégrations ( des perspectives, perceptions, mémoires, pulsions et états… ) ou de synthèses ( le plus souvent dialectiques ), elle se nourrit des mouvements sur lesquels elle s’accorde. Elle se définit du temps-devenir qui la soutient et l’emporte. Elle se trouve en son unicité et en son unité grâce aux pluralités et aux diversités qu’elle rencontre. Dans le même ordre d’idée mais sur un autre plan, l’identité requiert l’expression langagière tout autant que la préhension évidente d’une relation articulant individualité et fonds

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Proposant finalement à la construction identitaire et à la soutenance singulière des domaines s’interpénétrant et des frontières indéfinies susceptibles d’ouvrir et de perturber les concepts, catégories, sentiments et reconnaissances : où le vis-à-vis se pose comme modèle du Même et, simultanément, comme représentation de l’Autre ; où le soi se donne comme représentation de l’autre, copie du «même» et, simultanément, autre que l’autre, autre que lui-même et Autre que tout autre…

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mondain, intimité et altérité, soi et non-soi, je et tu, avant et après. Elle requiert une relation de reconnaissance réciproque assurant d’une inscription dans une histoire, dans un sens humain, dans une évolution mondaine et spécielle, dans une construction ( commune ) anthropologique et dans une biographie personnelle. Hors cette relation unissant deux individualités soutenues et reconnues en leur singularité, il n’est qu’indifférence, confusion ou instrumentalisation ( indifférence à l’égard de l’autre ignoré, confusion dans le «moi» élargi de la fusion et de la folie, instrumentalisation d’une part de l’autre).

Enfin, face à ces exigences et nécessités, la diade clonale : répliquant et répliqué introduiraient presque inévitablement une forme d’indifférenciation et un germe de chaos dans le lieu familial. A corps défendant ou complice, à ressemblance mensongère, à généalogie culbutée, à repères obscurcis, à désirs ici déliés et là déniés, par jeux de mirages et effets de miroirs, le clonage est susceptible d’impulser l’indicible et l’innommable autant que la dépossession et l’a-historicité au sein d’une famille confrontée à l’intégration d’une personnalité hypertrophiée et d’une autre contrariée – confrontée à l’articulation du devenir et de la persistance, de l’hyperindividualisme et de l’échange relationnel, des individualités et d’une structure confusionnelle. Il s’agirait en tout état de cause d’une structure psychotique – telle que la révèle la pratique clinique dès lors qu’un membre de la famille se voit nié dans son identité (: soit dissout dans un système qui le phagocyte, soit assimilé à un autre idolâtré ou détesté ). Ces problèmes existentiels d’identité, de reconnaissance et d’insertion ( d’une liberté en marche dans un substrat commun ) dépendraient, dit-on, de l’accueil ( social et familial ) et du désir procréateur, mais il nous paraît qu’un tel désir de réplication est, par genèse, pathologique et pathologisant.

Par ailleurs, la filiation introduit la question du temps ( avant, pendant et après ) et la problématique subséquente de l’identité à construire en cette chronologie à soutenir. Or, le clone serait le plus souvent privé à l’origine, la sienne, d’un temps propre – temps perçu et reconnu en sa radicale nouveauté.

Temps nouveau ( voulu, senti, pensé, offert et reçu tel ) inscrit dans une histoire continuée lui offrant à la fois une origine personnelle et une forme de pérennité comme maillon d’un devenir familial, spéciel et anthropique : maillon d’une Histoire l’intégrant, s’en modelant et le dépassant dans une durée à venir qui, peu ou prou, portera sa trace. Mais, sans points d’arrêt, comment pourrait-on situer le clone dans le temps du monde et de la psyché ou dans l’aventure généalogique familiale – dans le temps substrat et mesure de l’aventure, dans la généalogie productrice et mesure du temps, dans la durée ( normalement irréversible en sa flèche ) des processus et réalisations psychiques ?

Ainsi déjà de la femme, celle qui ordinairement porte et articule les générations : en qui se rencontrent et se spécifient les catégories – du passé ( génétique, généalogique et familial ), du présent et du futur, du masculin et du féminin, du soi et du non-soi ( l’enfant en son ventre ). Qui sera-t-elle et qu’offrira-t-elle aux consciences naissantes ? Que deviennent ses rôles et statuts ? Jumelle de sa mère ; belle-s ur, «fille» et belle fille de son père ( social ). Fille et petite fille des grands-parents maternels.

Etrangère aux grands-parents paternels – sans liens biologiques. S ur de sa tante et tante de ses frères et s urs non clonés : mélanges des liens et des repères et bouleversement des générations stagnant psychologiquement, conceptuellement et bio-chronologiquement. En fait, bousculant la filiation et l’interdit, le clonage élimine les différences réelles ou virtuelles, objectales ou conceptuelles, catégorielles et naturelles - mépris de l’altérité identifiante et désenclavante, mépris des tabous différenciant et complexifiant les donnés matériels offerts à la réflexion, mépris des limites édificatrices et protectrices des dualités comme des libertés humaines. Et mépris des interdits organisateurs.

Pourtant, ces quatre notions ( altérité, tabou, limite et interdit ) délimitent souvent le viable - que ce soit pour l’individu charnel ( protégé de la violence chaotique et conduit à une distanciation/différenciation ), pour la subjectivité identitaire ( dépendante de l’altérité ) ou encore pour la société organisée ( substrat, milieu et produit ). Pourtant encore, refuser les limites, c’est s’enclore dans la folie – celle déjà qui défait les frontières du corps propre, de la subjectivité ou du «moi» pour fondre et confondre les individualités.

Mais le clonage rompt encore avec un autre processus d’historialisation : celui du désir et de la construction de l’identité psychique. En effet, à l’origine, rivé au corps en sa pleine présentativité*, le désir est désir/besoin de satisfaction d’un moi vague : peu individué et proche de la forclusion. Partant, le moi désirant devra sortir de cette enceinte et de cette emprise relationnelle unicentrée/autocentrée pour se constituer en individualité singulière : il lui faudra éviter le piège de l’apparence et de l’image propre qui l’emprisonne à lui-même – et emprisonne et comprime avec lui l’individualité, la subjectivité et l’humanité. Ainsi, souvenons-nous de Narcisse : épris, pris et prisonnier d’un désir insatiable, fixé à son image ( apparence sans substance ) - il en mourra. Or, cloner, ne serait-ce pas en quelque sorte donner la chair à une «image» de soi ? Ne serait-ce pas, au moins partiellement, offrir à son désir primitif une

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prison de chair qui séquestrerait tant l’être nouveau que la psyché génitrice s’y cherchant ou croyant s’y trouver ? Et produire un carcan charnel qui contiendrait pour la comprimer jusqu’à l’implosion la relation clonale –enfermant dans un combat toujours déjà perdu réplique et répliquant ? Du reste, nous en appelions à Narcisse mais nous pouvons semblablement évoquer l’inceste : celui-ci, comme le clonage, brise une histoire et une historicité et fait uvre de confusion. Car effectivement, l’inceste dérobe à l’autre son corps autant que son insertion dans un réseau familial et social. Il refuse à l’enfant le don ou la reconnaissance d’une place «sacrale». Pourtant, le descendant est celui qui, parce qu’il est humain, transmettra l’humanité qui lui fut transmise - et toute l’aventure de l’homme tient à ces transmissions, à ces mises à part et à ces interdits issus d’un processus d’humanisation qu’ils concourent à développer : en offrant à l’homme la possibilité d’une construction de sens et de signifiance, en lui soumettant le substrat de la symbolisation, en l’inscrivant dans une aventure généalogique fléchée et en le portant en son décentrage et en ses dépassements ( au-delà de la référence immédiate du désir, au-delà de l’appropriation violente, au-delà d’une autoréférence ). En résumé, le clonage s’apparente à l’inceste parce qu’il «reproduit» le plus proche «parent» : soi-même. Parce qu’il soumet autrui à un désir narcissique centripète. Parce qu’il extrait, serait-ce sur le seul mode fantasmatique, l’enfant de son temps, de son histoire, de ses repères, de sa subjectivité et de son corps. En outre, il refuse la rencontre avec l’altérité jusqu’ici nécessaire à la reproduction humaine. Et J.C. Guillebaud illustre justement ces thèmes : «(…) le père qui possède sexuellement le corps de son enfant cède à un désir inhumain, au sens le plus précis du terme. Il brise le cours du temps. Il efface la parenté. Il interdit à la victime – et à l’éventuel enfant à naître – de «prendre place dans la chaîne des générations». L’inceste est cousin germain du génocide en ce qu’il aboutit à «détruire l individu en détruisant son lien de parenté ». Ce qu’il violente, en somme, ce n’est pas seulement le corps de l’enfant (..), c’est très exactement ce qui fonde son humanité. «Les cliniciens, note Solos, montrent bien les conséquences de cette mise hors génération consécutive à une enfance plongée dans la terreur d une famille déparentalisée : suicide, dépression grave, vie affective perturbée, bref, impossibilité de vivre dans l une quelconque des places assignées par la parenté. »

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»

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2° Clonage et négation :

Certes, le rêve du double n’est pas neuf ; il transparaît au c ur des mythes fondateurs et s’intègre dans les structures de la pensée sauvage. Mais sa possible actualisation ( comme incarnation ) malmènerait a priori la soutenance de l’unicité individuelle et la liberté des insertions ( temporelle, familiale, sociale et spécielle ). Et l’on passerait d’une négation/dénégation fantasmatique ( fonds porteur d’imaginaires et de créativité ) à une négation réalisée ( illusoire mais porteuse d’effets ) se réfractant en répétition. En définitive, par ces techniques multiplicatives et dans les faits psychiques, nous ramènerions notre unicité à une occurrence insignifiante et dédoublable. Dès lors, naître par clonage ne dénoterait pas d’une perte substantielle mais d’un manque existentiel. Ne reflèterait pas un «soi» dupliqué ou délesté mais un

«moi» confronté à l’agression ou à l’ingression d’un tiers. Ne frapperait pas d’indignité le sujet appelé à l’être, mais dé-couvrirait le désir créateur et l’aveuglement de son agent : témoignant d’une humanité en lui et par lui insignifiée ou diminuée - négation de l’évolution qui fut et est encore différenciation et émergence hors de l’En-soi et hors de la nature ( comme unité muette et insignifiante).

Au bout du compte, cloner consisterait, dans l’intention et dans l’aspiration, à satisfaire sans entraves ni limites référentielles un besoin de continuation – besoin de faire trace et lignée contre l’anéantissement. Reviendrait, dans le fantasme, à reproduire le même. Aboutirait, dans l’acte, à réduire l’inédit à partie congrue : à resserrer la faille des déterminants et déterminations où s’inscrivent le changement et la nouveauté. Et induirait, dans les repères et mécanismes identitaires ( individuels, généalogiques, familiaux et sociaux ), d’innombrables confusions. Par suite, cette action, comme anti- action, relèverait d’une négation de soi 18 comme être unique et irremplaçable ; de soi comme individualité moniste d’expression duale et de réalisation ou d’existenciation circonstancielles ; de soi comme esprit relationnel, pensée historique et liberté situationnelle - insistons, non pas dans les faits réels existenciés mais dans l’image de soi ( sentie / ressentie, pensée/conceptualisée, reçue ou assignée ) soutenant le projet. Telle pratique duplicative contribuerait à une société inclinant à l’uniforme : à une société de rigidités où quelques élus ( perdus eux aussi, mais leurrés ) se mireraient dans un regard autre se cherchant à jamais. Ce n’est donc pas une éventuelle sous-humanité du clone, perspective inepte, qui nous tient lieu d’argument ; et pas plus le risque d’un anéantissement réalisé/actualisé de l’unicité individuelle. Cependant, le corps est «corps -(d’) -homme» : il s’insère dans le monde qu’il donne – perçoit, reçoit et ressent. Il dit ( et se dit ) qui il est lors même que l’individu est charnel et relationnel :

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Denis Solos, L’inceste, un crime généalogique, Esprit, décembre 96.

17

Le principe humanité, p. 141.

18

De l’autre en première intention, de soi en alignement mi conséquentiel mi mécanique des intuitions, conceptions et représentations.

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