• Aucun résultat trouvé

humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences."

Copied!
56
0
0

Texte intégral

(1)

Université Libre de Bruxelles

Faculté de Philosophie et Lettres & Faculté de Médecine

Unité d’accueil : C.R.I.B.

humanité à l épreuve de la génétique et des technosciences.

Jacqueline Wautier

Année Académique 2004 – 2005.

Promoteur de Thèse :

Professeur Jean-Noël Missa.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(2)

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(3)

Chap. 2 : Statuts multiples de l’embryon et implications ultérieures.

A – Définition :

Le terme «embryon» est généralement utilisé pour désigner l’ uf fécondé en ses premiers développements : de la fécondation à la huitième semaine incluse. L’embryogenèse recouvre conséquemment les premières divisions et l’implantation dans l’utérus ( lors de la première semaine ) pour se poursuivre, au-delà du quatorzième jour, par l’apparition des éléments qui évolueront en système nerveux. Par suite, les différents organes s’ébauchent au cours du second mois ( à référer à la fécondation ) – en cette perspective, éclairant la nature conventionnelle de toute subdivision, René Frydman étend l’usage du terme jusqu’à la fin de l’organogenèse ( 12° semaine ).

Cependant, au-delà des conventions diverses, l’embryon de moins de quatorze jours, ou blastocyste, se particularise par une totipotence autorisant une scission ( accidentelle ou expérimentale, voire diagnostique - DPI ) dépourvue de conséquence quant à la pleine potentialité d’individuation des sections obtenues. En outre, ledit blastocyste se compose d’éléments relativement hétérogènes quant à leur participation à la structure individuée : certains constitueront en effet les annexes embryonnaires ( trophoblaste, placenta, cordon ombilical ). Au regard de telles spécificités, les anglo-saxons proposèrent de désigner cet embryon primitif par le terme «pré-embryon» - réservant l’appellation traditionnelle à la structure dotée de la ligne primitive.

Délaissant ces faits biologiques observables, nous nous intéresserons prioritairement aux statuts divers accordés ou refusés à cet embryon dès lors qu’ils s’étendent du biologique ( uf fécondé ) à l’ontologique ( souche «humaine» ) : avec des insertions possibles dans l’ordre de la matière organique ou dans celui du vivant, avec également des intégrations diverses dans les différents domaines ( épistémologique, expérimental, médical, procréatique, juridique, moral, symbolique ou psychanalytique ).

Ainsi, est-il «chose» : exclu par nature du champ éthique et dépourvu de statut propre ( civil, juridique ou moral ) – inféodé aux projets qui le firent, aux géniteurs ou aux producteurs ? Est-il «être» humain ou

«entité» inscrite génétiquement dans l’espèce mais différant d’un individu (et a fortiori d’une personne ) du fait de sa divisibilité résiduelle ? Est-il «personne potentielle» - sans droit, mais associé par le regard ou le savoir d’un tiers à la communauté humaine et à une reconnaissance suffisante pour l’exclure du champ des choses marchandes ? Est-il «personne» en promesse ou en devenir - avec un statut protecteur et des droits ? Ou encore, est-il, de principe et de fait, membre de cette communauté humaine : sacré dès l’origine et de décret plus ou moins transcendant ( cf. C. Boutin et P. Verspieren ) ?

B – Embryogenèse:

1° Processus et devenir :

Advenir des gamètes et devenir du zygote. L’embryogenèse recouvre une transformation initiée par un programme caractéristique de chaque espèce : une organisation temporelle et spatiale expansive inscrite à l’état de potentiel ( cellulaire ) ou de disposition ( structurelle ) dans l’ uf. Ou encore, le déploiement en une matérialité extensive d’un génome nouveau activé par des signaux protéiques maternels présents dans l’ovule : non plus seulement croissance et multiplication du même mais enchaînement de modifications et diversité. Comme le souligne J.C. Ameisen, même si l’on ne peut confondre «possibilité» et «réalisation», «individuation» initiée et «individualité» accomplie, «Cette cellule originelle est déjà, à l’instant où elle se forme, l’ancêtre d’un corps d’enfant, d’un corps d’adulte à venir (…), d’un cerveau qui déchiffrera et recomposera en nous le monde environnant (…). Plus mystérieusement encore que la construction de chacun de ces organes est l’émergence de ce que nous appelons un individu : l’intégration de cette diversité dans un ensemble dont les potentialités sont sans commune mesure avec la somme des potentialités de chacun de ses éléments.»

1

.

Désormais et selon les perspectives ou les motivations, l’embryon s’impose à la réflexion tel un

«être» ou un «projet d’être », une «entité» ou un «système», une «réserve» ou une «promesse». A l’observation pourtant, il apparaît comme «quelque chose» dont la forme et le volume se détachent en structure évolutive cohérente sur un fond autre. «Quelque chose» de vivant : usant d’une énergie, modifiant son environnement, en recevant des signaux et en produisant. «Quelque chose» de perméable à l’autre, déjà : inscrit dans une communication primitive ( chimique, protéique et physico-mécanique ) et néanmoins fermé sur lui-même tel une entité unitaire à maintenir contre ( et par ) les pressions et agressions ou ingressions multiples. Par ailleurs, quoi que l’on veuille, l’embryon est originellement une confluence : d’un homme et d’une femme. Il est support d’identité et marque et fait d’altérité.

1

La sculpture du vivant, p. 21.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(4)

Aboutissement non abouti ( ponctuel et provisoire ) de l’évolution et de l’histoire – mais aussi ouverture à l’avenir. Résultat et jonction divergente des sexes, des générations, des différenciations et différences.

Entre deux, en quelque sorte – et entre eux. Point de liberté et de devenir. Figure d’altérité individuelle et de similarité essentielle/spécielle. Matière et matière en fuite dans sa complexification devenante…

Une entité individuée donc, mais qui, nonobstant, ne peut survivre par soi : démunie de pouvoir, dénuée de savoir et dépourvue d’intention de singularité ( ou de singularisation intentionnelle ). Entité sans conscience-soi* mais dotée du plan et du potentiel et du matériel qui, au-delà de l’inconscience et dans la complexification de la conscience primitive, lui offriront la conscience de soi - et d’un soi unique peu ou prou autodéterminant. Entité dotée d’une cohérence continue : organisation ( organisante ) soutenant une relation continuelle des parties au tout et du tout aux parties - cette organisation témoigne par ailleurs de l’unité d’ensemble. En d’autres termes, c’est le maintien d’une unité par intégration d’une pluralité d’éléments qui témoigne d’une cohérence d’individuation – opposable à l’agglomérat. Raison pour laquelle l’on ne peut réduire l’embryon, même primitif, à la somme additive des gamètes - qui ne peuvent être rapportés à la structure ( intégrative et expansive ) qu’ils forment par con-fusion de leur matériel ( et dont émergent des propriétés radicalement distinctes de celles qui les spécifièrent en leur isolement ). En l’espèce, la notion de probabilité est trompeuse quand elle assimile la fréquence ( d’un événement, d’un processus ) et la propriété ( d’un être, d’un étant, d’un état ou d’une entité ). Comme le note par ailleurs judicieusement V. Bourguet : « Selon [ nombre de bioéthiciens ](…) il y a une certaine probabilité pour qu’un ovule soit fécondé ; de même il y a une certaine probabilité pour qu’un ovule fécondé devienne un adulte, de sorte qu’entre un ovule et un zygote il y aurait une différence de degré (...) et non de nature. (...) la notion de probabilité leur permet d'affirmer l'identité des gamètes et du zygote – comme si l’imposition d’une mesure commune signifiait l’identité ou l’équivalence des choses mesurées (…) un ovule {n’est pas} potentiellement un uf fécondé. (…) il faut une rencontre avec quelque chose d’autre (…). En revanche, la division cellulaire ou la formation du sillon neural n’arrive pas au zygote, mais par le zygote, comme son faire (…)» 2 .

Outre cela, les définitions de l’embryon de moins de quatorze jours, très au-delà des motivations pratiques ou éthiques, s’alignent sur nos peurs ou nos angoisses primitives et sur nos imaginaires fondateurs – elles en témoignent et en usent. Ainsi, l’on fait de cet embryon un système non individué, capable de dédoublement - tel le monstre de nos cauchemars ou l’hydre à sept têtes. Une construction susceptible de dégénérer en môle ou tumeur destructrice – entité dangereuse donc, presque ennemie.

Une entité en migration ou divagation, sans attache au corps maternel – étranger émigré, migrant clandestin. Une entité sans identité immunologique affirmée, dénuée de système nerveux, dépourvue de sensibilité. Et encore ou surtout, une entité traçant dans sa genèse l’histoire du vivant, de l’animal, des vertébrés, des mammifères et de l’homme. Mais cette histoire qui s’incarne et se donne désormais à voir semble perturber le psychisme anthropique : mémoire de l’animalité, du commencement aveugle et aveugle à lui-même. Rappel de l’impuissance fondamentale, de la dépendance globale et de l’indifférencié ou du chaos violent. Résurgence angoissante des origines, de la facticité et de la contingence, de la matérialité déterminante, de la finitude et du non-sens. Souvenir d’une condition tout d’abord imposée, aléatoire et fragile. Evocation d’un être et d’un mode d’être en équilibre entre deux néants, deux tendances, deux états, deux faits - d’un être substantiellement «un» et pleinement dual en son expression ou en son épanouissement. Dès lors, ces manipulations ou soumissions de l’embryon se donnent aussi comme quêtes de fondements, de pouvoir ou d’auto-création ( transposée, déférée, rapportée, figurée ou translatée – transgénérationnelle ).

2° Le rapport Warnock ou la prise en considération de l’indivision :

La notion de «pré-embryon» est apparue dans le rapport Warnock en 1984 et délimite à revers la mise en place de l’embryogenèse dans le devenir du zygote. Issue des nécessités expérimentales, cette notion entend fixer une limite aux expériences portant sur un uf en individuation : « L’ uf (…) se divise en un nombre croissant de cellules, les blastomères, tout en étant acheminé vers l’utérus. C’est là que la morula se creuse d’une cavité et se transforme en un blastocyste formé de deux populations cellulaires distinctes : l’une est périphérique (…) le trophectoderme, l’autre, interne, est l’amas embryogène. A cette première période de développement de l’ uf d’un mammifère (…), succède la période de développement intra-utérin tributaire des relations anatomiques entre le conceptus et la mère, établies lors de l’implantation (nidation (…).) C’est alors que le trophectoderme se développe en un feuillet placentaire, le trophoblaste, tandis qu’à partir de l’amas embryogène se différencient un peu plus tard l’embryon proprement dit ainsi que ses annexes (…) l’embryogenèse (des mammifères Thériens) ne concerne qu’une population limitée de cellules au sein du conceptus déjà implanté. Cette distinction (…) avait permis d’introduire la notion de «pré-embryon» dont le statut peut être bien différent de celui de l’embryon. C’est en effet le moment de transition entre ces deux états qui détermine le

2

L’être en gestation, p. 49,

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(5)

stade ultime au-delà duquel le maintien en culture et l’expérimentation ne sont plus autorisés dans un nombre croissant d’Etats (…) Le conceptus humain est alors âgé de 14 jours.»

3

.

Cette distinction conventionnelle basée sur une différenciation observable entend contourner le piège d’un questionnement portant sur le «moment» ou sur l’«instant» d’émergence de la personne humaine en puissance - tout en autorisant des recherches supposées bénéfiques pour l'humanité souffrante. De surcroît, les partisans de cette borne limitative peuvent arguer d’un réel changement de potentiel ou de puissance : au-delà du quatorzième jour, le génome s’active sélectivement et les cellules embryonnaires extraites ne pourront plus constituer un individu complet. Partant, les tenants de cette position estiment, d’une manière évidemment symbolique, qu’un «individu est «né»».

Si les pays traditionnellement attachés à l’éthique kantienne hésitèrent à tracer semblablement la sphère proprement humaine, ils se trouvèrent néanmoins confrontés à la nécessité de laisser à la science une certaine liberté d’action. Par suite, face à une pratique imposée à leur réflexion, ils élaborèrent le notion de «personne potentielle» - susceptible également d’introduire une déclinaison du degré d’appartenance à la communauté humaine ou à la communauté éthique.

3° Perspective sacrificielle ?

Si l’on en croit René Girard, toute société entretient avec la violence une liaison mouvementée. Et toute évolution transfigure cette violence destructrice en violence sacrificielle : celle qui fait lien, qui réunit en communauté identifiante et définitoire les individus - rompant avec la violence déchaînée ( ou en chaîne ). Plus spécifiquement, les pulsions, concurrences et mimétismes ( en ce compris du désir ) menaçant de déconstruction ou de destruction les organisations humaines requièrent que soit tracée la sphère des semblables et délimitée celle où s’exprime l’Autre en son altérité irréductible - sacrifiable.

Par suite, le progrès équivaut à un élargissement toujours plus grand du cercle des semblables réclamant, requérant ou méritant une protection. Il consiste encore à figurer et transposer le sacrifice ou la victime ( du quidam au prisonnier, du «monstre» au du bouc émissaire animal, voire à son effigie… ). Et aujourd’hui, une relation semblablement décryptable, analogique mais non identique, paraît être tissée entre la communauté humaine et l’embryon. Embryon source, de tous et chacun. Embryon lien dont le développement et les gènes rassemblent la communauté des hommes en une espèce «unique/Une».

Embryon étranger, qu’une scission ontologico-sémantique offre à l’utilitaire en instituant une distance interne eu égard à l’individuation ( et donc à l’humanité en sa dignité ). Embryon sauveur – par la grâce de ses cellules souches. Embryon «sacrifié» au nom du bien commun. Embryon pour le moins dual en son statut et en sa nature objectifiée, et qu’un passage en éprouvette déshumanise peu ou prou pour l’offrir aux manipulations diverses.

Pour rappel, les rites sacrificiels anciens portaient sur des êtres «objectivement» 4 (et) subjectivement 5

«autres», préhendés dans une «non-humanité» ou une «sous-humanité» de contraste. Imposés à des êtres réels et offerts à des dieux imaginaires, ces sacrifices visaient un bien ou un mieux potentiels ( apaisement des divinités, attente de bonnes récoltes … ) pour produire effectivement un accroissement tangible de cohésion et susciter une diminution réelle des tensions internes. Ils détournaient la violence tribale collective ( indifférente à l’identité de sa victime ) sur ceux qui importaient moins – ou n’importaient pas. Semblablement et différemment, l’embryon, l’embryon désaffecté de son lieu originel et dépourvu de désirs parentaux protecteurs, concentre sur lui le «mal» ( l’action destructrice ou utilitariste, l’intervention eugénique et sélective ) pour prémunir les membres de la communauté humaine de la destruction pathologique, accidentelle ou onto-spécielle ( vieillissement, mort ). En outre, la bipolarité de la victime sacrificielle tribale est maintenue ( appartenance /non-appartenance, positive/négative ) par le passage en éprouvette et la prise en compte d’un éventuel désir de parentalité : superflu ou surnuméraire, il est encombrant et perturbateur ; déstructuré, il promet le salut. Nonobstant, contrairement aux immolations passées et bien qu’ils aspirent comme elles à un bien éventuel ( thérapies, préservation individuelle et spécielle… ), nos désistements sacrificiels à l’égard de potentiels risquent de ne pas apaiser la «violence» – entendue ici comme rupture, ségrégation, indifférenciation et mal-gérance des souffrances, des différences, des appartenances et des relations interindividuelles multiples…. Au contraire, dans l’effacement des repères et limites, dans l’amoindrissement des constructions symboliques ou affectives, dans leur amoindrissement ou leur refus circonstancié, ces pratiques encourent le risque de la susciter indirectement. Pourtant, quand l’équation met en opposition réel et

3

Copies conformes, p. 76.

4

Autre clan, autre tribu, autre lieu de vie, ou autre apparence, voire autre espèce.

5

Décrétés tels en vertu de critères choisis.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(6)

potentiel, concrétude et abstraction, personne souffrante et symbolique menacée, présent et futur, il est clair que le choix portera sur la préservation ou le souci du premier terme aux dépens du second – l’alternative s’avérant inhumaine et inepte. Nonobstant, à long terme, telle option révélera vraisemblablement ses effets pervers et menacera ce qui fut motivation, raison et Fin des engagements et interventions : l’individu réel en ces signifiances, latitudes et spécificités humaines.

On l’aura compris, nous traitons en ces lignes d’analogies et de processus très figurés et nous reconnaissons opérer en cela un véritable forcing de la théorie sacrificielle. Néanmoins cette opération nous paraît édifiante quant aux processus ou quant aux schèmes plus ou moins conscients qui guident nos options et comportements.

4° Personne, de l’impossible définition :

Plurisignifiante, la notion de «personne» recèle son ambiguïté constitutive : une dimension passive ( dépendante de l’observateur ) associée à une dimension active ( d’auto-affirmation personnelle ), mais aussi une composante bio-anthropique appariée à une composante socio-juridique, et encore un état de fait ( observable ) associé à un état de valeur ( décrété et assignable ).

Qu’est-ce alors qu’une personne ? Un individu humain répond le sens commun. Un individu humain potentiel ou actuel, mature ou immature, conscient ou inconscient, capable ou incapable, mineur ou majeur - un individu humain, quel que soit son état de puissance, de liberté, d’affirmation ou de situation. Mais face à cela, les faits et le droit : ceux-là nous enseignent que, pour prendre sens et valeur, bénéficier de droits ou d’insertion dans l’entrelacs des réseaux structurels et symboliques humains, un individu doit être doté ( reconnu ) de ce statut «personnal» protecteur. Or, cette reconnaissance, en ses conditions et exigences, est relative au moment historique –aux dogmes philosophico-religieux, sinon scientifiques, aux contextes économiques, aux buts et projets socio-politiques et aux sensibilités individuelles. Or encore, l’évolution culturelle actuelle va dans le sens d’une dominance de l’artefact juridique aux dépens des réalités morphologiques.

Pourtant, si l’on écoute R. Andorno, « Soit la personne est identifiée à tout être humain vivant, soit on exige de l’individu humain quelque chose de plus (…) la deuxième position conduit à une attitude d’indifférence à l’égard des hommes les plus faibles qui peuvent être exposés à des traitements dégradants voire supprimés (…) ; le respect ne s’adresse ici qu’à (…) ceux qui ont la chance de posséder certaines qualités jugées «essentielles» (…). Bien au contraire, c’est la seule appartenance à l’espèce homo sapiens qui devrait déterminer son statut de «personne». Tout autre critère convertirait certains hommes en juges des autres et la notion des droits de l’homme serait supprimée à sa racine (…) ce n’est que lorsque l’homme est reconnu comme personne sur la base de ce qu’il est simplement par nature, que l’on peut dire que la reconnaissance s’adresse à l’homme lui-même et non pas à quelqu’un qui pourrait être «enchâssé» dans un concept que d’autres ont érigé en critère pour la reconnaissance 6 . En d’autres termes, on ne peut remplacer un être de chair complexe et multipolaire par une qualité ( éthique ou juridique ) strictement attributaire et peu ou prou arbitraire sans livrer en retour l’individu ( dans sa matérialité ou son existence brute ) aux caprices des volontés diverses. On ne peut assujettir à d’autres une liberté humaine, ni conditionner ou subdiviser l’humanité. En conséquence, dans nos réflexions comme dans nos pratiques, la «personne»

culturellement et statutairement advenue et la «personnalisation» biologiquement et psychologiquement élaborée ne pourront être confondues quand la seconde tient d’un processus d’édification en perpétuelle évolution ( jamais fini ) relevant de l’organique, de l’identitaire ( préhendé et auto-évalué ), du psychologique, de l’affectif, du relationnel et de l’existentiel - ce processus est le travail de l’organisme en ses métabolismes, de l’esprit en ses oeuvres et de la liberté en acte ( confrontée à ses aliénations fondatrices) . Aussi, si le spécimen humain est tel par définition génomique (issu de l’espèce ), si le sujet en sa personnalité actée est existenciation soutenue, travail continuel et liberté ( auto )affirmée, la personne humaine éthico-juridique est décrétée par référence ( soit intimement soutenue, soit observée quand ce n’est accordée par l’autre ) à un ensemble de normes, de droits et de modèles contraignants.

Ledit décret dessine a priori son champ de pertinence et d’application pour définir un ensemble de critères donnant droit aux droits communs. En ces domaines, Lucien Sève précisera que : « Dans l’être humain, l’humanité est présente à titre de fait. Dans la personne, elle est représentée comme valeur. C’est cette représentation qui constitue la conscience morale. Celle-ci «doit concevoir un autre qu’elle-même (un autre qui est l’homme en général) comme juge de ses actions» - un autre qui peut être une personne réelle ou une personne purement idéale que la raison se donne à elle-même» 7 .

En fait, la «personne» statutaire ( comme réalité artefactuelle bénéficiaire d’une valeur ajoutée et assurée de garantie ) est une création humaine relativement moderne - et son apparition témoigne d’une prise en

6

La bioéthique et la dignité de la personne, p. 47-48.

7

Pour une critique de la raison bioéthique, p. 26.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(7)

compte particulière de l’autre où se mêlent le juridique, l’historique et l’éthique. Il y a décision d’attribution unique d’un statut englobant et apriorique garantissant des droits inaliénables et une dignité irrévocable. Adjonction de sens et de valeur. Institution d’une appartenance globale et protectrice. S’il s’agit là d’une intronisation décisionnelle, circonstancielle et conditionnelle en sa réalisation, elle confère néanmoins des droits dépassant l’actualisation ponctuelle et plénière des caractéristiques référentielles - et l’incapable bénéficie de la liberté d’autrui. En d’autres termes, toute promesse ( de d’accession à ce statut ) reçue, perçue ou supposée et acceptée en son principe, ne serait-ce qu’une fois, une seule, inscrit à jamais l’individu dans cette dimension éthique et juridique – quelle que soit la distance séparant l’être advenu du devenir attendu ou éloignant l’être de ce qu’il fut. Toute émergence en cette inscription, si fragile, si temporaire ou si incertaine qu’elle fut, y enracine définitivement l’individu. De la même manière, dans une communauté humaine ayant toujours partie liée avec la dimension symbolique, nécessitant un substrat commun et un accueil originel, cette reconnaissance échappe à un individu ( ou à un groupuscule spécifié ) pour être, en cas de lacune ou de refus singulier, réalisée et entérinée par le fonds et le front collectifs de l’humanité. De surcroît, la reconnaissance du groupe vaut contre le refus singulier – mais la reconnaissance singulière oblige le groupe.

En ce sens, c’est une erreur de définir en nature ( ou en phase biologique ) le descriptif conceptuel de la

«personne» ( puisqu’il traduit une culture ) : il s’agit d’une notion artificielle, infiniment humaine donc, et à soutenir. En l’occurrence, elle n’émane pas d’un désir singulier d’enfant ( désir cependant éminemment protecteur ), elle ne se commet pas avec le ponctuel et n’a pas à être nouvellement discutée à chaque mise en uvre générative. En outre, elle ne s’annihile pas avec la mise au jour des embryons mais elle attend, telle une promesse et avant même son advenue, tout individu. Elle procède de la faculté de projeter sur l’autre une intimité propre et émane de la volonté de transcender les particularismes pour offrir une sécurité d’expression à l’être concerné - et quelquefois contre les tentations utilitaires ou égocentrées. Elle relève de la capacité d’anticiper ou d’imaginer ( mettre en images ) et découle tant de l’aptitude à reconnaître ( un semblable «possible» ) que de la faculté de mener une réflexion éthique.

Bref, au-delà du savoir animal - instinctif - permettant déjà au rat de reconnaître son congénère, c’est toujours initialement une transposition de nos perceptions et modes opératoires qui spécifie l’autre comme semblable. Nonobstant, définir un statut personnal pour y référer droits, appartenance et valeur tout en distinguant ( par exclusion ) les êtres susceptibles de réquisitions utilitaires ou manipulatrices, et définir ce statut par le seul désir ( individualisé ou collectif, mais dénué d’une dimension affective, de repères spéciels et de limites stabilisatrices protectrices ), équivaut à lui soumettre pour les légitimer toutes les manipulations – quel qu’en soit l’objet.

Et l’on peut entendre ici D. Folscheid : «Qu’est-ce enfin qu’une personne ? Elle ne peut pas être assimilée à la personnalité, car elle constitue simplement une non-chose qu’on traite comme une fin en soi, c’est-à-dire comme un être tout court, qui n’est pas un être pour autre chose. On peut très bien dire que l’embryon est un cas limite, ou degré zéro de personnalité, puisqu’il n’a aucune personnalité, mais en affirmant qu’il peut être considéré comme une personne uniquement parce qu’on le traite comme une non-chose. Il n’y a pas ici de problème de temporalité. La temporalité se manifeste dans le fait que le vivant, par nature, (…) est un «croissant». Nous sommes tous des «croissants»

8

.

Indéfinissable et multiple «personne» donc, et inapplicable statut à un être en projet. Et poids des mots : il est vrai, et heureux sans doute, que le terme «embryon» éveille des représentations étrangères à la notion de «blastocyste» ; que les «manipulations» induisent des craintes masquées par les (techniques de) «recombinaisons» ; et que «l’eugénisme» appelle des spectres hallucinants ou hallucinés repoussés par le choix «responsable» et «compassionnel». De même, il est vraisemblable que la froide mise à distance ou que l’arraisonnement de la pensée à la seule actualité matérielle autoriseraient toutes les expérimentations et toutes les dérives – assimilées à des essais ou à des jeux «intellectuels» portant sur un substrat irréalisé dont l’insignifiance se répercuterait de proche en proche sur l’être constitué. Or, si l’homme est un individu né de l’homme, si la personne est un homme ainsi reconnu, si l’humanicité caractérise un petit d’homme ( un humain ) ouvert à sa propre humanitude par le désir générant, la relation affective et le devoir éthique 9 , ni le désir ni la reconnaissance ne font l’être en sa nature actuelle et/ou potentielle. Simplement, désir et reconnaissance le protègent et permettent son épanouissement – permettent l’expression de l’humanitude en une ouverture à l’autre, au monde et à soi-même. Au vrai, la reconnaissance ( a fortiori quand elle intègre la différence, la distance, l’étrangeté, le potentiel ou

8

L’embryon ou notre docte ignorance, in L’embryon humain, p. 107.

9

C’est-à-dire par la présence singulière ou par la prise en charge collective - solidaire, supplétive ou palliative.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(8)

l’impalpable ) témoigne de l’humanitude de son agent quand l’humanité est d’abord une prise en charge, une intégration ou un accueil protecteur et formateur de l’autre porteur d’un potentiel humain.

C- L’embryon : jauge et reflet ?

Il en est pour estimer qu’une vie humaine existe, et existe comme surgissement absolument sacré, dès l’instant où se rencontrent les gamètes - refusant en conséquence toute gradation jugée totalement artificielle. D’autres cependant reconnaîtront l’humanité de cette vie débutante ( au sens fort, comme valeur et non comme factualité spécielle ) à l’activation du génome nouvellement constitué – si ce n’est au regard d’une indivisibilité acquise. Eloignés d’une telle référence «ontologique», plaçant le critère décisif dans le domaine de ce qui se donne à voire en évidence, certains attendent la visualisation d’une morphologie humaine. Et d’autres, attachés à la notion d’autonomie ou de soutenance organique intime, reportent l’inscription dans l’ordre humain au stade de viabilité ex utero. Attachés à une option

«normative», focalisés sur un fonds minimal d’aptitudes, il est des auteurs ( tel F. Crick, co-découvreur de la double hélice A.D.N. ) pour émettre l’idée que chaque nouveau-né devrait voire son accession à l’humanité conditionnée par un contrôle de sa dotation génétique. Mais d’autres, se rapportant à la dimension relationnelle et affective de la condition humaine, exigent que le nourrisson pousse son premier cri, qu’il échange et crée ( ou figure la promesse) des relations individuelles : qu’il développe ( ou expose) son humanitude. En l’occurrence, nous dit le généticien G. Vassart, «Même si cela doit paraître choquant à beaucoup, je considère que la femme doit avoir la maîtrise complète de sa reproduction. A mes yeux, elle a le droit de vie et de mort sur son enfant quasiment jusqu’à l’accouchement (…). Savoir à partir de quand un embryon ou un tus devient un être humain est une question qui n’a pas grand sens pour moi. A mon avis, ce stade se situe beaucoup plus près du moment où il a poussé son premier cri et où sa mère l’a vu que d’un stade cellulaire ou embryonnaire donné. A ce moment là se produit quelque chose de neuf (…). C’est d’un comportement de type relationnel que dépend la survie de l’enfant. La mère ne dispose plus de beaucoup de temps pour décider qu’elle n’en veut plus.» 10 . Une telle conception trouve son assise théorique dans la dimension fondamentalement néoténique et diachronique de l’édification humaine et identitaire : la naissance n’actualise pas instantanément le petit d’homme en

«Personne» plénière ( comme répondant social et moral, personne juridique imputable ou personnalité psychique achevée ). Elle souligne en cela que l’individu n’accède à lui-même et en ses dimensions plurielles que très progressivement.

Alors, premières divisions, blastocyste, quatorzième jour ou douzième semaine - quand tous les organes sont en place et la morphologie visiblement humaine ? D’évidence, toute limite arbitraire peut être modifiée, jusqu’où ? A la réflexion, pister l’émergence de la personne dans une entité cellulaire revient à y chercher l’humanité quand précisément celle-ci est échappement à l’entité brute ( échappement au biologique ) et reconstruction symbolique des liens et du monde - où la symbolique est valeur ajoutée, projection, mais aussi insertion dans un entrelacs de réseaux et de signifiances d’un autre ( tiers ) faisant ingression dans l’évidence d’une communauté d’être et d’espèce (communauté présente, à venir ou en devenir… ). Nonobstant, la question de l’individualité et de la «dignité», c’est-à- dire de l’humanité et de la valeur anthropique de l’embryon 11 , est fondamentale. En premier lieu, parce qu’elle pose la problématique du dualisme – ou de l’habitation de la matière par «autre chose» qui, soit la dépasse, soit se l’approprie pour la métamorphoser en son autre ( la vie, la conscience, l’esprit ).

Ensuite, parce qu’elle retentit sur la définition de la communauté humaine en ses limites – et définit les récipiendaires de la dignité (humaine/personnale ) et des droits. Enfin, parce qu’elle touche aux conceptions et aux vécus de l’identité ( de tous et chacun ) et de l’organisme ( en son dépassement métabolique -puis neuronal- de l’organique ). En effet, le rejet de l’embryon dans une pré-individuation, et donc dans une phase pré-identitaire, retentit peu ou prou sur la construction personnale ( psychique/intime) : contribuant à scinder l’individuation en phases désolidarisées et l’individualité en une fiction –répondant alors à un individu fictif et à un parcours existentiel chaotique.

En d’autres termes, les différentes compréhensions de l’individu ( et du «soi» ) dans ses liens à l’en- soi, au pour-soi, à l’autre et à l’humanité dans son ensemble influent inévitablement sur toute relation

«humaine» et sur toute construction «éthique». Par suite, ces conceptions de l’individualité et de la communauté humaine dessinent à rebours le champ des appropriations et le domaine éthique : elles codifient l’ensemble des attitudes humaines ( eu égard aux semblables et à l’altérité, vis-à-vis des consciences en soutenance ou par rapport à tout empêché, face à une présence ou au-delà de l’absence ).

10

La course folle, p. 154.

11

Comme élément de la communauté, origine de l’individu, articulation des concepts, point d’arrêt ou questionnement des appropriations utilitaires, n ud tensionnel éthique.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(9)

Ainsi de ce critère relationnel caractérisant une tendance prépondérante de la bioéthique actuelle et fondant ses principes ou définissant son champ sur une communauté morale coextensive à l’intersubjectivité des sujets (-personnes) : où l’interférence relationnelle mi-perçue mi-voulue ( sentie/ressentie autant qu’acceptée et soutenue ) se fait condition sine qua non d’une reconnaissance et d’une institution de l’homme en homme (-personne) par l’homme. Dans cette optique, la vie

«phénoménale» d’un individu humain n’assure pas ou pas nécessairement de rôle réquisitoire, ne garantit pas inconditionnellement l’appartenance à la communauté des personnes ( protégées ). Le corps vivant de l’individu ne s’impose pas automatiquement comme présence requérante – et la forme humaine n’est pas obligatoirement signifiante. Pour les défenseurs de cette conception, il faut désormais, en surplomb, un sceau d’humanité ( humanité effective ) : nécessité d’une relation inter-active assurant de la réalité, non pas seulement d’un autre membre de l’espèce, mais bien d’un autre «je».

Nécessité donc d’un alter ego, d’un sujet – ou d’une promesse ( comprise telle ) de répondant. Comme le souligne V. Bourguet : « Tous les courants du relationnisme sont d’accord (…) sur l’idée que la relation intersubjective est la condition apriorique et le cadre de la relation éthique – ou qu’on ne saurait avoir d’obligations et/ou de devoirs qu’envers un autre sujet. Leur différence vient de ce qu’ils ne conçoivent pas l’intersubjectivité humaine de la même façon ou plutôt que certains fondent la reconnaissance de l’autre comme personne, c’est-à-dire comme un «moi qui n’est pas moi», sur la seule promesse d’un visage ; d’autres sur le sentiment de pitié, d’autres encore sur la capacité de l’autre homme à communiquer rationnellement (Engelhardt) »

12

.

Pourtant, s’il est exact qu’une existence nouvelle ne peut être extraite et abstraite du monde humain l’accueillant ( qu’elle ne peut être suspendue hors du lieu et du temps ), s’il est indubitable qu’elle s’inscrit en expansion dans le devenir ( du fait de changements physiologiques, organiques et psychiques ), s’il est irréfutable qu’elle existe pour et par autrui avant que d’exister pour et par elle-même, il n’en reste pas moins qu’un nouveau-né naît vivant, sensible ( à la douleur et au plaisir ), réceptif ( à l’autre) et doté de possibles ou de potentiels qui l’attachent à l’espèce ( et dont l’absence même fait front sur une appartenance commune à ladite espèce ). Ainsi, l’enfant dont nul ne voudrait ni ne s’occuperait, demeurerait biologiquement hominien et potentiellement ( en ses possibles initiaux, ses seuls possibles ) humain : il serait ontologiquement une personne en friches ( où donc seuls son statut et son actualisation sont totalement inféodés à une reconnaissance tierce ).

Pourtant donc, dès lors que la nature «en-soi» d’un devenant est occultée, que son devenir est écarté, que son appartenance à l’humanité est repensée ou sa valeur strictement référée à autrui, il se trouve exorbité de son «être» propre - mais aussi de l’en-soi comme réalité, de la vie comme phénomène et devenir, de l’existence comme existenciation intime, de l’humanité comme sphère symbolique et de la communauté humaine comme lieu spéciel, social, conceptuel et affectif. Exorbité, pour se soumettre au processus mental que son exclusion nous découvre : se soumettre à une conceptualisation accréditant un assujettissement à l’autre - à son «bon vouloir», à sa reconnaissance ou à son pouvoir. Cependant, une telle inféodation menace tous et chacun en proportions diverses car embryons et f tus manipulés ou récusés par principe ou abstraction témoignent d’un rite de passage à dimension partitive et à extensions déshumanisantes – susceptible de s’appliquer à tout individu. Par suite, le devenir «potentiel» de la

«personne» ( qui est construction culturelle et juridique ) relève d’une déconstruction des Droits de l’Homme et des réseaux éthico-symboliques. Et si l’on peut comprendre le point de vue qui accorde une importance fondamentale à la socialisation, aux relations établies actualisant le potentiel humain, on ne peut omettre qu’il est plusieurs manières d’être «personne» ( et même «personne potentielle») dès lors qu’interviennent les notions de «relation» ou de «répondant». Car le jeune enfant, en un sens, n’est qu’un acteur social potentiel. Car le comateux est un sujet en suspens. Car, différemment ou semblablement, le malade ou l’incapable juridique, le fou ou le débile, l’esclave ou l’affranchi sont des répondants et des acteurs sociaux incomplets. A l’analyse, référer la valeur éthico-existentielle d’un individu à la conscience de soi ou à la puissance relationnelle effective ( revendication des droits, assomption des devoirs, interpellation d’une conscience autre) revient à assimiler une valeur en soi ( et pour le «soi» concerné ) à une valeur pour autrui ou pour la société. En outre, telle perspective fait implicitement de l’adulte conscient et puissant une «fin» ( ontologique, paradigmatique ou normative ) - soumettant à revers tout incapable ou tout homme en impossibilité d’affirmer ou d’exposer sa

«personnalité» au risque d’une récusation.

Or, à notre estime, telle situation témoigne en ses développements et implications d’une forme de régression morale ou sociale : où l’on déferait la construction de l’humanité-communauté. Où,

12

L’être en gestation, p. 292.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(10)

fondamentalement, l’on hiérarchiserait les êtres et les droits selon une humanitude graduée inscrite entre des bornes arbitraires - ou selon une humanité définie en statuts multiples. Telle classification rejoint en son principe l’axiologie aristotélicienne : où l’homme libre l’emportait sur l’esclave, l’homme sur la femme, l’adulte sur l’enfant, l’être raisonnable sur le moins raisonnable ( la raison étant pour Aristote l’essence de l’homme ). De surcroît, le critère d’intersubjectivité et l’attribution statutaire de

«l’humanicité» relèvent d’un certain aveuglement - leurs partisans paraissant fermés à cela même qui s’impose à leur regard : l’humanitude comme fonds commun ( aptitude 13 ) et possibles virtuels 14 , l’humanité comme fait et construction, l’humanicité comme état et statut, l’homme comme membre d’une communauté spécielle et symbolique, l’humain comme valeur et projet, la personne comme dualité ( matière et matière qui se fuit ), le devenir comme mode d’être et l’intimité comme identité devenante. Au vrai, décider du moment où l’individu ( l’embryon, le f tus, l’enfant, l’homme ) prend en charge son humanitude pour atteindre à l’humanicité relève d’une métaphysique nourrie de symbolisme, d’affectivité et de projections identifiantes – mais certainement pas de critères scientifiques. En conséquence, l’embryon risque d’osciller durablement entre le statut objectal et le statut personnal.

Cependant, la métaphysique évoquée est celle qui fait l’homme… Et qui fait l’homme car elle est tournée vers l’au-delà ( au-delà de l’évidence, du palpable et de l’immédiat) : mouvement du sujet et de sa perception partant d’un monde donné et familier pour conduire à un ailleurs - pour amener à un décentrage, à une extériorisation hors de soi. Et c’est en ce sens qu’elle est souci, accueil et liance, éthicité et ouverture.

A cette aune, l’embryon n’a pas de statut ; ou il en a mille. La multitude des statuts attribués en extériorité – comme tous et chacun. Mais différemment et plus radicalement, car il ne peut se poser tel : ni interférer ni revendiquer. Car il est ce petit rien qui porte sa totalité comme un simple «possible» - en puissance intrinsèque mais selon une possibilité extérieure. Car il est fondement biologique infime en puissance d’échappement. Car il s’insère dans l’ordre matériel de la structure organique en puissance - et en puissance par soi impuissante et multidépendante. Aussi, pour l’observateur distant, tout au plus a- t-il, cet embryon, la nature organique d’une entité biologique évolutive ou potentiellement capable d’évolution. Pourtant, source et souche de l’individu humain, le statut y attribué rétro-définit l’homme et la société et l’humanité : dans les attendus et les entendus de la notion de personne, dans le sens et le champ de la communauté humaine, dans les extensions de ce qui fait «humanité» et dans les sensibilités, les imaginaires et les constructions tant symboliques qu’affectives, tant sociales que personnales, tant intimes qu’externalisées.

C’est dans ce contexte que se pose la question épineuse de l’utilisation à fin non procréatique de l’embryon. Et l’on peut écouter A. Kahn en la matière : p artant d’un constat ( les embryons surnuméraires générés par les PMA ne pourront tous être transférés en vue d’une naissance ), le généticien estime qu’une recherche appliquée à ces entités biologiques qui furent, selon ses termes, « projets possibles d’une personne » 15 et qui restent à ce titre dignes d’un certain respect, est « moralement praticable » : « La reconnaissance de la dignité des personnes n’a jamais été un obstacle insurmontable à la réalisation de recherches biomédicales à tous les âges de la vie humaine, chez l’enfant, l’adulte ou le vieillard. / Il est vrai que la particularité de la recherche sur l’embryon est qu’elle aboutit en général à sa destruction, ce qui la singularise totalement des autres formes de recherches sur l’Homme. Cependant, cette objection tombe dès lors que la destruction de l’embryon est programmée indépendamment de tout projet de recherche. / En quoi serait-il plus respectueux vis-à-vis d’un embryon humain de le détruire (...) plutôt que de le soumettre à une recherche de qualité dont on espère un accroissement des connaissances et des moyens de lutte contre l’infertilité ou les maladies du développement ? Il y a là (…) un élément de solidarité entre une vie qui n’adviendra pas et l’amélioration des conditions d’établissement d’autres vies humaines dans le futur qui rappelle la greffe d’organes de donneurs morts, où des personnes disparues passent à des personnes vivantes en difficultés des «témoins» de vie. » 16 . Certes, l’argument touche, et touche juste. Non seulement parce que l’on ne peut nier la logique du raisonnement. Mais encore, plus fondamentalement, parce qu’il prend en compte l’insertion de cet embryon, de cette promesse d’humanité devenue impossible, dans un réseau de solidarité ou dans une perspective «obligeant» à la reconnaissance. Pourtant, un certain malaise persiste devant les différents processus en uvre ( : de construction et conceptualisation utilitaristes, de rupture identitaire et de distanciation affective ou symbolique ). Devant, surtout, un enchaînement des faits paraissant inéluctable.

13

Aptitude aux aptitudes, dont celles de projections et d’introjections, de représentations, de parallélismes ou d’analogies (de décentrage et de distanciation, d’affectabilité et d’émotivité, d’extériorisation et d’intériorisation…).

14

Possibles virtuels ou possibles en puissance indéterminés (et innombrables) qu’un arrangement génomique unique circonscrira et qu’une situation existentielle actualisera en sélectivité.

15

Et l’homme dans tout ça ?, p. 82.

16

Ibid., page 85-86.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(11)

Et si ce malaise indéfinissable ne peut ni ne veut se traduire en refus global, il appelle néanmoins à la prudence et à la retenue. Certes, nous reconnaissons la différence distinguant la production d’embryons à fin utilitaire de l’utilisation des zygotes surnuméraires issus des techniques de P.M.A.: les intentions et implications, comme les voies de réinsertion dans l’humanité déclinée en communauté et concept, comme encore les reconstructions de liances, diffèrent en ces deux situations. Mais ce qui nous trouble tient au fait que les désymbolisations et les réifications s’étendent et se répandent en contagions ou en glissements imperceptibles et néanmoins agissants – où l’on passerait du surnuméraire au construit 17 , de la réinsertion en des fins ou en des réseaux humains à l’extraction ou à la désaffection, et de l’exception à la banalité. Or, manipuler un embryon construit à cette seule fin, comme si l’on triturait un objet, c’est se défaire des représentations et des constructions ou se couper des projections et de l’imaginaire : c’est soumettre toute réalité et toute entité à l’utilitaire et finalement manipuler la source impalpable ( potentielle mais incontournable ) d’une liberté en projet en impossibilisant les émotions sans lesquelles pourtant l’homme n’est plus vraiment tel. C’est aussi faire régresser ou pour le moins rigidifier les mécanismes qui construisirent l’humanité : dans la soutenance et la perception d’un au-delà, d’un dépassement, d’un devenir et d’une transposition. Selon une ouverture à la dimension diachronique et une proximité construite vis-à-vis du distant. Dans une attention soutenue à l’égard du champ symbolique et par une attribution anticipative de signifiance. Partant, la dignité et l’anthropo-logie 18 sont en cause - dignité et anthropologie de l’espèce qui ne peut sans en souffrir, sans se réduire en matérialité, exclure de son sein ( sans perplexité ni reconnaissance d’une tension éthique) quelque représentant que ce soit. Car l’individu humain est celui qui reconnaît en l’autre un semblable ( ainsi en est-il à l’égard du «fou», du monstre ou du handicapé soulignant dans leurs différences une appartenance commune ) - et cela lui permit d’évoluer et de confirmer et de construire son humanité comme ensemble spécifiant son espèce. Conséquemment, excluant de cette enceinte ce que bon ( pratique ) lui semble, il s’exclut lui-même et se perd hors de lui.

1° Du respect comme condition de possibilité :

On l’aura compris, l’embryon est à notre estime souche humaine, point de confluence multidimensionnelle, centre de convergence des préhensions humaines et plan structural matériel d’une individualité personnale - «matière humaine» et personne en puissance, organisme en devenir et structure de cellules vivantes organisées. Porteur des gènes qui, d’une certaine manière, se constitueront en échappement aux gènes. Mais sa compréhension, son classement, sa mise à disposition ou son exclusion sacrale, comme encore la trame des constructions fantasmatiques, affectives ou symboliques qui l’enveloppe, reflètent et condensent nos savoirs ou pouvoirs, nos espoirs et valeurs, nos capacités de décentrage ou nos représentations ( de nous-mêmes, de l’humanité ). Plus précisément, l’embryon en sa situation mesure le degré d’actualisation de notre humanitude en sa dimension symbolique comme en son éthicité - définissant la sphère humaine et posant ses limites. Ou encore, il représente «l’autre» en son altérité radicale et se présente comme point limite de l’altérité – dessinant en cela nos liens à celle- ci. Car autrui, au-delà de la similarité, tend toujours au tout autre pour la conscience y confrontée en extériorité. Et doit susciter cependant une nécessaire prise en compte dès son surgissement. Articuler cette assomption éthique et pratique au «paraître» ( comme corps achevé ) ou au «pouvoir» ( volonté ou conscience ) relève d’une subordination à ce qui fait norme ( pour le groupe considéré ). Partant, la quête du même ( ou des signes du même) risque d’aboutir à des structures conceptuelles, catégorielles et sociales partitives. Et le statut accordé à l’embryon ou le décodage de son identité influent ( sur ) et témoignent de la manière dont nous recevons autrui en son altérité autant qu’en son entité d’en-soi pour soi. C’est en ce sens que V. Bourguet peut dire que « Nul doute qu’autrui soit un alter ego dans l’économie humaine ordinaire, mais cela signifie-t-il pour autant que le position d’être d’autrui ait pour condition la saisie de son alter- égoïté ? Est-ce sur une ressemblance avec moi que doit s’appuyer l’affirmation de la personnalité d’autrui ? Si le zygote humain incarne dans ce contexte le plus grande distance phénotypique et affective entre l’homme et l’autre homme, n’est-il pas propre au contraire à nous indiquer le véritable sens de l’altérité d’autrui ? » 19 . En d’autres termes, la manière dont l’homme appréhende l’embryon ( en son incomplétude ou en son identité expansive, en sa fragilité ou en son manque de qualités propres au sujet accompli ) retentit sur la préhension de sa propre identité, de

17

Selon l’argument conséquentialiste soutenant que s’il n’est pas « mal » de produire des surnuméraires en dommage collatéral d’une naissance attendue, il ne peut être « mal » de les produire au bénéfice immédiat d’une naissance effective, fut-elle ancienne, et de sauver de la sorte un « vieux bébé » - selon l’expression de J. Harris, Genes, Clones, and Immortality, p. 129.

18

Entendons le logos de l’être anthropique : sa mise en signes, en représentations et en symboles, ou encore sa distanciation et son décentrage permettant tant les rapprochements et les liances que son rapport «parlé» avec l’au-delà - au-delà de soi, de l’immédiat, du présent, du visible et du tangible, ou encore de l’actuel (en acte(s)).

19

L’être en gestation, p. 298.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(12)

ses propres fragilités, manques ou dysfonctionnements – et conséquemment sur l’attitude adoptée à l’égard des plus faibles, incapables ou malades, inconscients ou impotents. Retentit de même sur l’attitude eu égard au corps et à sa signifiance – à son appropriation intime ( identitaire/personnale ) comme à sa mise à disposition collective ( gamètes, embryons, tissus, organes, force de travail ). Ainsi, la non personnalisation de l’embryon dépersonnalise la chair inconsciente – et introduit l’idée d’un corps étranger à la personne ( en son identité ultime ). En outre, faire de l’homme adulte, semblable en son achèvement comme en sa subjectivité exprimée, le critère d’une accession à la sphère éthique ou la référence normative de l’humanité pose problème dès que se manifeste autrui en ses différences. Si donc l’embryon ne peut être défini tel une «personne», ni traité tel un objet, il se présente à notre entendement comme entité biologique sacrale, mais non sacrée, inscrite dans le devenir et issue de l’espèce humaine - riche d’un potentiel ( puissance de ) apte à ( ou susceptible de ) s’actualiser en individu humain. Raison pour laquelle il requiert un respect irrévocable ( différent cependant d’un Respect Transcendant, Absolu ou même Prévalant ).

Partant, et même en deçà du quatorzième jour, l’éthique ne pourra omettre une interrogation des motifs et attendus des expérimentations : cherche-t-on à parfaire la connaissance des signaux et mécanismes cellulaires décidant d’une maladie ou d’une guérison, ou laisse-t-on s’exprimer un désir prométhéen ? Aspire-t-on au contrôle des pathologies, ou nourrit-on une fuite en avant susceptible de meurtrir et machiner l’humanité ? Tend-on à soigner, ou aspire-t-on à créer par delà toute limite - tel Prométhée défiant l’interdit ? S’efforce-t-on d’extérioriser pour comprendre et guérir, ou pour manipuler et contraindre ? Parle-t-on de pathologie ou de stérilité ? De souffrance ou d’insatisfaction ? De besoins ou de désirs ? Car l’expérimentation à objectif thérapeutique ne peut se confondre avec la tentative entêtée d’incarner nos imaginaires. Car l’artifice transitoire ne peut se perdre en une artificialisation ou une extériorisation toujours plus longue, voire définitive, de l’homme à sa source - jusqu’à l’utérus artificiel ou animal qui, s’il n’entacherait pas l’être en formation d’indignité ni ne déboucherait nécessairement sur l’Autre de l’homme, conduirait cependant à une humanité transformée par une rupture historique, charnelle, relationnelle, existentielle et anthropologique. Car donc la technique accoucherait, sans douleur et dans l’artifice, d’un être naturel mais dont l’être-au-monde échappe à toutes nos conjectures.

Par suite, jamais la science ne pourra nous dire ce qu’est une «personne», et pas plus ce que recouvrent la dignité, le respect ou l’humanité. A l’opposite, la philosophie ne peut nous dire ce qu’est un spécimen ( biologique ) de l’espèce humaine. Mais l’une éclaire l’autre qui l’interroge en retour – sachant que l’éthique ne joue pas sur le terrain du biologique et qu’elle s’enracine dans le domaine de l’être qui se fuit – celui des concepts, du relationnel, du symbolique, de la valeur ajoutée et de la construction humaine ou anthropologique. Qu’elle s’épanouit et uvre dans le lieu de la projection ( des projections et projets ) et du souci. Qu’elle rappelle à l’homme sa dualité et sa spécificité. Qu’elle lui représente son mode d’être : cette reprise du donné concourant à l’expression de soi face et pour et par l’autre, mais aussi cet «être ensemble» dans un monde commun insensé auquel donner sens. Par ailleurs, la dignité de chaque individu doit envelopper tout son être, toute l’histoire de son être - et nous fûmes, tous et chacun, un embryon : une entité singulière unique ( mais non encore stabilisée en son unicité ), une structure vivante ( mais non encore viable ) riche d’une puissance hominienne et d’un potentiel d’humanité. L’embryon que j’étais… L’homme futur qui d’un embryon sera et s’existenciera selon une individualité non ajustable à un état mais proprement émergente d’une relation au temps, au changement et au devenir – à un devenir propre…

Cela dit, la dignité d’un embryon, celle d’un f tus et celle d’un enfant né, et dès lors le respect y associé, ne requièrent pas le même traitement - ni ne pèsent du même poids dans la balance mesurant les souffrances et définissant les préséances. Ou encore, ces «dignités», rapportées tant à une puissance et à un potentiel internes qu’à un lien intrinsèque au futur propre, tant à une appartenance biologique spécielle qu’au savoir tiers de cette appartenance, ne limitent pas semblablement les appropriations diverses. Car le respect se décline en modes différents - celui-ci n’ayant ni les mêmes propriétés ni les mêmes facultés que celui-là. En d’autres termes, le respect n’est ni monolithique ni univoque : il s’extrait de l’abstrait et se décline et s’incline face à la concrétude, face à la sensibilité, face à l’actualisation, face à la présence et à la présence consciente ( où le degré de complétude, le niveau de sensibilité, l’intensité de la conscience prescrivent certaines priorités ). Le respect recèle et entend, requiert et induit, une prise en compte : une limitation des actes d’appropriation et une articulation hiérarchisée aux valeurs ( sens, signifiances et références ). Et encore, une articulation différentielle aux souffrances,

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(13)

aux consciences, états de conscience et réquisits humains. Et semblablement, une intégration en des réseaux de liance et ( d’adjonction ) de valeur. Mais aussi, une inscription dans un monde humain symbolique, dans une perspective anthropologique et dans une perception tant éthique qu’affective, tant analogique que projective, tant prospective que psycho-formative, tant immanente et immédiate que méta-physique («transcendante» 20 ) et médiate - cela quand tous les éléments et tous les niveaux comme toutes les intrications et toutes les protections se déclineront dans des hiérarchies commandées par la réalité et la matérialité ( le stade de développement biologique ) des individus concernés. Ainsi, le respect dû à l’embryon relève de la retenue émue et du souci prospectif eu égard à la source vive et bien réelle de tout homme : à préserver des réifications préméditées et utilitaristes, du monnayage et de toute inféodation aux fantasmes exprimés par des individus en rupture de communauté humaine ( eugénistes ou utopistes ) ou en rupture d’espèce ( promoteurs de chimérisation, de sur- ou sous-humanisation… ). Ce respect, dû à l’humanité dans son ensemble, à l’espèce comme substrat commun et à l’homme comme singularité, relève du maintien des conditions de possibilité de l’hominisation, de l’humanisation et de l’humanisme.

2° L’embryon comme jauge et image

Pour introduire la conclusion de cette discussion, nous pourrions en référer à ces réflexions de D. Le Breton : «L’interrogation sur le statut de l’embryon naît des usages médicaux dont il est l’objet : sexage, DPI, embryons surnuméraires qui s’accumulent, hypothèse d’expérimentations médicales (…). Ce n’est pas l’embryon lui-même qui soulève des difficultés, mais le fait qu’il soit projeté hors du corps. Fragment d’humanité, personne potentielle, morceau de corps, amas de cellules, il participe au brouillage des frontières symboliques, à la mécanisation de l’homme et à l’humanisation de la machine. Pure création médicale, devenu surnuméraire avec les PMA, en réserve si l’implantation ou la grossesse échoue, conservé comme objet virtuel dans l’azote liquide. Immobile dans le froid, hors du temps, hors du corps, hors du monde, hors du désir, l’embryon pose ensuite à ses «parents» (les mots glissent et se révèlent impuissants à nommer l’insolite) des questions redoutables.»

21

.

En fait et vraisemblablement, la société a et aura l’embryon qu’elle mérite : un embryon dans lequel l’homme se décrypte et résume. Soit un amas organique insensé et utilitaire ; soit une organisation complexe dénuée de sens en elle-même mais offerte à la signifiance par une soutenance tierce l’inscrivant dans une communauté bipolaire ( de matière et de symbole, d’actuel et de potentiel… ). Soit un organisme primitif assigné à son immédiateté matérielle et rapporté ( en son statut, en sa valeur et en son sens ou en sa signifiance ) à la puissance arbitraire d’une volonté tierce ; soit une potentialité, une promesse ou un projet d’être. Pour nous, cet embryon est donc miroir et reflet de l’humain, de l’humanitude et de l’humanité. Reflet et miroir de la société et de la science dans leur préhension de l’homme. Révélant, de l’individu et de la collectivité, tant les savoirs que les croyances, tant les pouvoirs que les valeurs, tant les espoirs que les désirs, tant les affects que les imaginaires. Et les représentations collectives sont ainsi passées de l’embryon sacré, habité par une âme à plus ou moins brève échéance, à l’embryon objet de curiosité et d’expérience. De l’entité organisée en auto- organisation … à l’assemblage … et de celui-ci au puzzle ou à la mosaïque livrée à la libre décision d’un producteur d’ uf. Bref, de la matière organique au virtuel indéfini en attente d’attribution ou d’affectation. A l’homme désormais de réfléchir à la signifiance et aux impacts de ces déclinaisons - et à la communauté de décider. A notre estime pourtant, on ne peut définir une entité réelle en fonction de son utilisation possible ou recherchée. Dès lors, même si nous ne concevons pas que l’embryon puisse, dès la conception, relever d’un droit «absolu» ou infragmentable ( d’un droit à une protection pleine et a- référée ), il nous paraît que sa mise en uvre volontaire ne peut se dissocier sans dommage 22 d’une motivation procréatique.

Pourtant, nous pensons que la réification de l’embryon est presque inévitable et que s’ensuivront conséquemment des transformations sociales et anthropologiques. Car cette voie s’inscrit dans le fantasme d’une auto-production du corps et du soi : comme rupture eu égard au monde (matière mondaine ), vis-à-vis de l’autre, contre toute imposition limitative et à l’encontre de tout substrat et de tout milieu relationnel. Car la soutenance humaine, propre à l’abstraction, à l’assignation statutaire et à la fragmentation des perceptions, soutient ces procédés. Car aussi la souffrance des hommes la justifie - et l’on ne peut écarter systématiquement une voie débordante de promesses au motif de dommages collatéraux inscrits dans un avenir plus ou moins éloigné et dans la dimension du seul «possible»

20

Au-delà des impacts ou effets matériels, au-delà du lieu, du temps et du domaine immédiatement concerné.

21

L’adieu au corps, page 82.

22

Sans dommage pour les mécanismes d’élaboration identitaire et personnale autant que pour le substrat des représentations, projections, décentrages et symbolisations.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

(14)

indémontrable. Car donc l’obligation éthique à l’égard du futur, ou des générations futures, ne peut faire exploser celle qui nous lie au présent et à nos semblables. En outre, confortant cette intuition d’une inévitable réification, force est de constater que l’individu embryonnaire est rudimentaire, qu’il n’exprime pas les spécificités de son développement ultérieur et qu’il ne s’insère pas dans une relation personnelle. Qu’il figure une entité floue et une identité trouble face à une homme libre ( sans imposition Transcendante d’ordre destinal ou éthique ) préhendant sa propre relativité, mais aussi sa contingence et sa ponctualité 23 , comme un vide où se dissolvent désormais toute approche et toute tentation sacrales…

Cependant, la réification de l’embryon implique et suppose une scission temporelle et biographique de l’individu – scission ouverte sur une réification de l’homme : de son corps/chair et de ses modes d’être. Ainsi, déjà et peu à peu, les hommes se préparent à s’organiser selon les lois du commerce et s’accommodent d’une conception les ravalant à la catégorie des choses ou les transfigurant en producteurs (de travail, de plus-value, de bénéfices, de gamètes, d’organes, de satisfactions et de personnages multiples ). Comment alors, face aux conceptions utilitaristes, devant les exigences d’efficience et contre l’extrémisme relativiste, intégrer l’embryon dans la communauté éthique sans en exclure concomitamment la réalité concrète d’un individu souffrant? Comment, devant l’autre imperceptible et potentiel, l’autre tellement distant, comment se projeter et se mettre en la situation d’un être qui de la situation n’a que l’environnement ? Comment s’identifier à un être futur, à une quasi- virtualité ou à une probabilité ? Comment, aussi, se référer sans s’asservir à l’avenir et limiter des droits propres à ces droits encore impersonnels ?

Comment, sinon par projection, sur le potentiel embryonnaire présent ( actuel ), d’une réalisation future ? Par le savoir et la conscience d’un devenir continu : d’une continuité individuelle, d’une édification personnale ininterrompue, d’une appartenance spécielle et d’une historicité plurielle et pluridimensionnelle ( des mécanismes identitaires et/ou psychologiques, des structures socio-culturelles et des réseaux agissants du symbolique et de la signifiance ). Savoir d’une aventure humaine unique assortie d’une responsabilité tentaculaire, transgénérationnelle et transchronologique : non pas à l’égard d’individus fictifs pas mais vis-à-vis de réalités individuales amenées à l’existence et intégrées dans un monde qui devra rester ouvert à l’émotion, au symbole, au libre arbitre et à l’altérité. Responsabilité reçue des prédécesseurs, responsabilité à transmettre :comme condition et substrat d’une existence réellement signifiante, d’un choix vraiment conséquent, d’une libre disposition de soi opposée à toute démission en des mains autres et d’une aventure anthropique réelle ponctuée d’innovations opposables au mécanisme et au déterminisme stricts. Responsabilité de préserver, non pas un sens (qu’il appartient à chacun de construire, qu’il appartiendra aux individus du futur d’inventer ou de soutenir ), mais bien les conditions de possibilité d’une construction de sens et de signifiance. Savoir et conscience, donc, du rôle de l’imaginaire, de la fonction des réseaux symboliques de reliance et des processus identitaires.

Savoir et conscience et juste estimation des phénomènes interactifs qui président à la construction des sociétés ( et des modèles sociaux ) tout en régissant la mise en place des principes ou des valeurs éthiques propres à borner les actions et à dessiner l’image de l’homme. Où mécanismes, phénomènes et constructions conceptuelles ou pratiques s’avèrent interdépendants et pluri-influents – quelquefois sur le mode de la contagion ou du glissement peu perceptible dans l’instant considéré ( le lieu délimité, le plan précisé ou le champs concerné ) mais néanmoins fortement agissant dans le monde humain global. Dès lors, il s’agira de dépasser l’éthique du même - non pas en la ruinant mais en l’ouvrant à l’autre. Car, si la reconnaissance du semblable signe des capacités ou des facultés humaines, elle est nonobstant insuffisante et incertaine. En effet, basée sur le même ( ou le semblable ), elle est toujours menacée d’une non-éthicité - c’est-à-dire d’une attitude d’exclusion, d’une mouvance circonstancielle, d’une soumission au Pouvoir, aux utopies et aux projets divers ( socio-économiques, géo-politiques, idéologiques ou mystiques, scientifiques ou utilitaristes ).

Bref, si l’embryon n’est pas une «personne», sa prise en compte nous révèle à nous-mêmes et nous renvoie tant à notre propre statut qu’à notre «nature» en soutenance pour nous interpeller finalement quant aux limites. Son insignifiance onto-existentielle ( en soi ) et sa plasticité, sa totipotence cellulaire et sa multi-signifiance conceptuelle, sa complexité biologique essentielle et sa complexification temporelle continuée, sa réalité spécielle et sa potentialité portée telle une puissance susceptible d’éveiller nos émotions et nos identifications, tout cela nous rappelle avec force que la nature moléculaire substantielle relève d’un en-soi physico-chimique, que le sens est attribué par notre entendement, que les valeurs sont

23

Non plus seulement individuelle mais également spécielle.

Click to buy NOW!

ww

w.docu-track.com w Click to buy NOW!

ww

.docu-track.com

Références

Documents relatifs

À partir d’un examen des discours de l’éditeur à l’intérieur du paratexte éditorial de la collection et de l’œuvre arctique de Jean Malaurie à Thulé, l’objet du présent

Dans les pays du Nord, l’agriculture productiviste a développé des techniques de culture et des formes d’élevage à hauts rendements mais qui suppose d’énormes

La reprise de la méiose, du stade prophase I au stade métaphase II, est facilement obtenue in vitro chez les mammifères autres que la chienne (et la femme) : chez les bovins

Par ailleurs, nul ne peut omettre ou occulter qu’une souffrance, pour individuelle qu’elle soit, s’insère dans le collectif d’une société qui, peu ou prou, la définit,

Ainsi, l’argument fondamental utilisé par les promoteurs d’une telle intervention méliorative ou transformatrice ( les gens sont plus heureux quand ils gagnent en contrôle sur leur

Le clonage reproductif témoigne de la peur de l’autre : d’un autre cependant nécessaire pour arrimer le sujet humain à la réalité et au sens – mais aussi, d’un autre

Cette croissance associée à la perforation de la zone pellucide par digestion enzymatique entraîne une sortie de l'embryon de la zone pellucide (un espece de coq

Pour lire l’image d’un nombre a, on repère a sur l’axe des abscisses (axe horizontal), on se déplace verticalement jusqu’à la courbe, et au point d’intersection, on