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Le droit suisse des contrats face à la monnaie unique

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Le droit suisse des contrats face à la monnaie unique

THÉVENOZ, Luc

THÉVENOZ, Luc. Le droit suisse des contrats face à la monnaie unique. In: Journée 1996 de droit bancaire et financier . Berne : Staempfli, 1996. p. 17-73

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8253

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Luc Thévenoz

Le droit suisse des contrats face à la monnaie unique

1. Introduction

JI est une cerTitude dont notre pays n'a commencé que récemment il se per- suader: le compte à rebours de l'Union économique et monétaire a démarré.

Comme pour celui d'une fusée aérospatiale, on sait quand il doit aboutir, mais pas s'il sera interrompu auparavant, ni pour quelle raison. En dépit (ou peut-être il cause) des incerTitudes qui l'entourent, et dont M. Merciai nous a donné un aperçu', deux phénomènes m'ont frappé récemment.

Les opérateurs économiques n'ont pas de choix: ils doivent se préparer il la monnaie unique, même si celle-ci devait finalement ne pas se réaliser.

Les grandes entreprises, et plus encore les établissements financiers, ne peu- vent se permettre d'être pris au dépourvu le 1" janvier 1999. Le travail de préparation est très considérable, et les investissements très importants, no- tamment dans les technologies de l'information et dans la formation du per- sonne!. La pluparT des grands opérateurs économiques estiment que le main- tien ou le renforcement de leur position exige qu'ils soient prêts en même temps, ou peut-être avant leurs concurrents. La City of London s'inquiète depuis peu des coûts que la non-participation de la Grande-Bretagne à l'Union monétaire pourrait lui faire subir, notamment au niveau des systèmes de paiement de gros, indispensables à la primauté de ses marchés financiers'-

Deuxième constat: ces investissements consentis par les entreprises s'ajoutent désormais à l'investissement politique des dirigeants des Etats membres de l'Union européenne. Responsables politiques et économiques se trouvent tirer à la même corde: le prix d'un échec de l'Union monétaire croît, contribuant ainsi à en réduire la probabilité.

Les banques sont parmi les premières entreprises suisses à se préoccu- per des incidences que cette Union pourrait avoir pour notre pays, et notam- ment pour notre place financière. Outre un rapporT de l'Association suisse des banquiers3,le nombre de documents et circulaires d'information interne

Les textes cités ci-après par leur auteur et leur année figurent dans la bibliographie thématique proposée à la fin de cette contribution.

1 MERCIAI (1996).

2 "Ambiguity over Emu prompts concem -The City oflondon fears it may lag behind other global financial centres", Financial Times 22.8.1996, p. 6.

3 Cf. ASSOCIATION SUISSE DES BANQUIERS (1996).

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et externe qu'elles produisent en témoigne. Curieusement, les juristes sem- blent avoir pris quelque retard, peut-être parce que les conditions juridiques de cette transition commencent seulement de décanter au sein de l'Union européenne. Le présent rapport, qui ne traite que de quelques-uns des as- pectsjuridiques de la monnaie unique vue depuis un Etat qui n'est pas mem- bre de l'Union européenne et ne participera pas à l'Union monétaire, sou- haite apporter des éléments de réponse à des questions qui, pour paraître presque triviales, mettent en jeu des institutions juridiques complexes:

1. Qu'adviendra-t-i1le 1" janvier 1999 d'un compte tenu par une banque suisse' en francs français (FRF)'? Quid d'un compte en écus (XEU)?

2. Quid d'un prêt à taux variable accordé par un établissement suisse en marks allemands (DEM) ou en francs belges (BEF) remboursable en 2000?

Dans quelle monnaie une obligation libellée en écus devra-t-elle être rem- boursée en 2003? En quelle monnaie et à quel taux ses coupons annuels sont-ils payables entre-temps?

La réponse à ces questions très simples ne forme que la grammaire applica- ble à la solution de problèmes beaucoup plus vastes et complexes, qui tou- chent aux systèmes de paiement nationaux et transfrontières, à la cotation des valeurs mobilières, aux instruments dérivés, à la comptabilité des entre- prises, à la fiscalité des gains et des pertes de change résultant du bascule- ment à la monnaie unique, etc. Mais les questions fondamentales - qu'on va ici discuter sans prétendre à leur épuisement - doivent être élucidées, et ceci n'est possible que si l'on s'attache d'abord aux modalités de l'Union moné- taire, et tout spécialement à la phase transitoire (1999-2001) prévue par le scénario de Madrid, qui donne à cette réforme monétaire supranationale son caractère absolument inédit.

II. Les conclusions du Sommet de Madrid et le scénario de référence

Presque quatre ans après la signature à Maastricht duTraité de l'Union euro- péenne (février 1992), les conclusions du Conseil européen tenu à Madrid les 15 et 16 décembre 1995 réaffirment solennellement la volonté des chefs

4 Par souci de simplicité, on utilisera l'adjectif"suisse" pour désigner le lieu de l'éta- blissement, de la résidence ou du domicile d'une entreprise, d'une banque ou d'un particulier, plutôt que sa nationalité.

S Les monnaies nationales sont abrégées conformément à la norme ISO nO 4217. L'écu (European Currency Unit) est abrégé XEU. On ignore encore quelle sera l'abréviation de l'euro, nom donné à la monnaie unique lors du Conseil européen de Madrid, cf. infra Il.

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DRO(T SUISSE ET MONNArE UNIQUE 19

d'Etat et de gouvernement de mener à bien l'Union économique et monétai- re (UEM)' et lui donnent un scénario de référence'- Celui-ci est l'aboutisse- ment d'une large consultation menée en 1995 sur la base du Livre vert de la Commission'. Il s'appuie également sur un document préparé par l'Institut monétaire européen (IME), précurseur de la Banque centrale européenne (BCE)'.

Voici les grandes étapes du scénario de référence.

Dès que possible en 1998: "examen de passage"

sur la base des données 1997, le Conseil européen arrête la liste des Etats qui participeront à l'UEM dès le 1" janvier 1999.

1" janvier 1999: début de la phase III du Traité

Fixation irrévocable des taux de conversion entre les mon- naies des Etats participant à l'UEM et l'euro;

Première émission d'euros par le Système européen de ban- que centrale (SEBC) sous la forme d'avoirs en compte auprès des banques centrales nationales (monnaie scripturale de banque centrale);

La politique monétaire est désormais menée de façon cen- tralisée par la BCE exclusivement en euros;

Pour asseoir la crédibilité de l'Union monétaire, bascule- ment en euros d'une masse critique d'opérations et de mar- chés: toutes relations entre SEBC et établissements bancai- res, trafic des gros paiements, nouvelles émissions d'obligations par les Etats de la zone euro, marché des devi- ses, etc.;

Pendant toute la phase transitoire, coexistence de la mon- naie unique et des unités monétaires nationales, dont les billets et pièces ont seuls cours légal sur les territoires na- tionaux respectifs;

6 Les conclusions de la présidence du Conseil européen tenu à Madrid les 15 et 16 décembre 1995 ont été: publiées "notamment au Bulletin de l'Union européenne 12f

1995 11-12.

7 Scénario de ré:fé:rence (annexe 1 aux conclusions de la présidence), JOCE 1996 C 22, pp. 2-5.

8 COMMISSION EUROPEENNE (1995). Voir notamment la prise de position de la FÉDÉ- RATION BANCAIRE DE L'UNION EUROPEENNE (1995). Cf. aussi le Progress report on the preparation of the changeover to the single european currency soumis à la Commis- sion européenne le 10 mai 1995 par un groupe d'expert.

9 INSTITUT MONETAIRE EUROPÉEN (1995).

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la monnaie unique devenant l'unité de compte de l'Union européenne, elle remplace l'écu (European Currency Unit, XEU); les dettes libellées en écus sont converties en euros au pair.

31 décembre 2001 au plus tard: fin de la pbase transitoire Mise en circulation des billets et pièces métalliques libellés en euro;

Conversion en euros des dettes libellées en unités monétai- res nationales;

Retrait progressif des espèces nationales.

1" juillet 2002 au plus tard

Les billets et pièces en unités monétaires nationales perdent leur cours légal; elles peuvent être échangées pendant un cer- tain temps contre des euros auprès de certains établissements.

Outre cette chronologie, les conclusions du Sommet de Madrid posent quel- ques principes importants:

La monnaie unique s'appellera euro. Le terme d'écu évoquait trop une unité monétaire artificielle, composée d'un panier de monnaies d'Etats membres, qui manqua de stabilité et sortit affaiblie de la crise du Systè- me monétaire européen en automne 1992.

Pendant la phase transitoire, tandis que l'euro ne sera pas encore émis sous forme de billets et de pièces métalliques ayant cours légal, il existe- ra une "équivalence juridiquement contraignante entre l'euro et les uni- tés monétaires nationales". Les taux de conversion ne sont ainsi pas des taux de change, susceptibles de varier en fonction des performances rela- tives des économies nationales et des aléas des marchés: "tout montant monétaire se verra attribuer, de manière juridiquement contraignant[ e], une contre-valeur immuable en euro au taux officiel de conversion et vice et versa"IO,

Pendant la phase transitoire, "les opérateurs économiques privés auront la faculté d'utiliser l'euro; ils ne devraient pas pour autant y être con- traints"". On a parlé du "principe ni-ni" (ni-interdiction, - ni-obligation).

"Le remplacement des monnaies nationales par l'euro ne devrait pas en soi affecter la continuité des contrats" 12. Le scénario de référence relève

JO Point 9 du scénario de référence (n. 7).

Il Ibidem.

12 Point 10 du scénario de référence (n. 7).

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 21

notamment que, sous réserve d'accord contraire entre les parties, les det- tes libellées en monnaie nationale ou en écus continueront de porter inté- rêt au taux nominal convenu. Toujours sauf convention contraire, les det- tes en écus sont converties le 1 ~ janvier 1999 cn un même montant d'euros (conversion au pair).

Ce qui frappe évidemment, c'est la coexistence pendant trois ans de la mon- naie unique et des monnaies nationales qu'elle est appelée à remplacer. La première n'existera encore que sous forme de monnaie scripturale" dépour- vue du cours légal". Elle sera pourtant le support d'un grand nombre d'opé- rations de gros montants, y compris celles qui mettront en oeuvre la politi- que monétaire de la Banque centrale européenne. Les monnaies nationales resteront probablement le support des paiements et des opérations de détail.

Quels rapports monnaie unique et monnaies nationales entretiendront-elles pendant la phase transitoire? Deux options sont envisageables.

Dans la première approche, l'euro serait une monnaie additionnelle, qui s'ajouterait aux monnaies des Etats participant à 1 'UEM pour ne les rempla- cer qu'à l'issue de la phase transitoire. Toutes seraient certes liées entre elles par un mécanisme de conversion qui, pour être crédible, doit garantir la pos- sibilité illimitée de convertir les monnaies nationales entre elles et avec l'euro aux taux qui auront été fixés le 1" janvier 1999. Cette approche semblait pendant un certain temps préférée par les Allemands, qui auraient souhaité conserver à leur mark le statut de monnaie à part entière jusqu'à l'achève- ment de l'Union monétaire". Ses faiblesses sont néanmoins évidentes: l'idée même que les monnaies composant la zone euro coexistent avec la monnaie

13 Il Y a une différence de nature entre un avoir en compte auprès d'une banque et un avoir en compte auprès de l'institut d'émission de la monnaie dans laquelle l'avoir est libellé. Le premier représente une créance contre un agent économique. Il vaut ce que vaut le débiteur. C'est pourquoi on ne reconnaît pas cours légal à cene "monnaie de banque", les parties étant libres de convenir de ce mode de paiement avec effet libéra- toire. Dans une économie moderne, ce mode de paiement est prédominant (virement bancaire ou postal, chèque, carte de crédit ou de débit, etc.).

En revanche, disposer d'un avoir scriptural auprès de l'institut d'émission (par exemple d'un avoir en compte de virement auprès de la BNS) équivaut à disposer d'un billet émis par cette même banque: dans les deux cas, il s'agit d'une créance contre l'institut d'émission. Sur l'ensemble de la question, cf. G'OVANOll (t994); SCHÙNLE (1984);

WEBER (1983) NN. 32-38.

14 Sur la notion de cours légal, cf. infra ryc. Cela ne signifie pas qu'un paiement par virement en euros ne sonira pas un effet libératoire. Le pouvoir libératoire d'un mode de pa.iement dépend de l'accord, exprès ou tacite (e.g. par l'indication d'un compte bancaire, l'envoi d'un bulletin de virement postal), du créancier.

15 Cf. notamment Institutions Européennes & Banques nO 34, avril 1996, p. 3. Curieu- sement, BAMFORD (1996) pp. 220-221 considère que c'est l'option qui résulte des con- clusions du Sommet de Madrid.

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unique suggère des biens juridiquement et économiquement différents, cer- tes liées entre eux par une équivalence proclamée, mais néanmoins exposées à un arbitrage entre les unes et les autres, au gré des anticipations du marché sur la pérennité de J'Union et sur son irréversibilité.

La deuxième approche repose sur l'idée que, dès le 1 ~ janvier 1999, la mon- naie unique se substitue aux monnaies nationales, qui subsistent provisoire- ment comme des dénominations particulières de l'euro. Euro et unités mo- nétaires nationales fonnent alors une même entité économique et juridique.

r; euro est bien la monnaie de l'UEM. Pendant la phase transitoire, les unités nationales en représentent des fractions non décimales, dans lesquelles billets et pièces métalliques sont libellés jusqu'à l'émission de billets et de pièces en euros. Dans cette seconde approche, il y a "identité de substance" entre euro et unités nationales. Seul le premier devrait être coté sur le marché des devises, puisque les secondes n'en sont que des dénominations. Cette appro- che ne rend pas impossible toute tentative de spéculation ou d'arbitrage en- tre les différentes dénominations, mais elle ne les facilite pas.

Outre qu'elles ne se prononcent pas sur cette alternative, les conclu- sions de Madrid ont une portée politique majeure, mais restent dépourvues d'effet juridique. La définition de l'euro et les rapports de succession avec les monnaies qu'il remplace requièrent un statut juridique précis, en fait une loi monétaire commune à tous les Etats membres participant à l'Union éco- nomique et monétaire.

III. Les deux règlements proposés par la Commission

Les conclusions de Madrid prévoient que les travaux préparatoires sur le statut juridique de l'euro seront achevés d'ici à la fin de l'année 1996!6 Les services de la Commission s'y sont attelés. Diverses ébauches successives ont fait l'objet de consultations depuis juin 1996, la première ayant été ren- due public par une indiscrétion éditoriale!'. On connaît désormais la double proposition de la Commission, reproduite en annexe!'.

Il est acquis que les actes qui seront adoptés par le Conseil prendront la fonne du règlement. La monnaie unique devant se substituer au même ins- tant et selon les mêmes modalités aux monnaies nationales participantes,

16 Point 6 des conclusions de la présidence (n. 6).

17 Institutions Européennes & Banque nO 36, juin 1996, pp. 3-4.

l!l COMMISSION EUROPEENNE, Propositions de règlements du Conseil sur J'introduc- tion de ['euro (Art. 109 L (4) CE) et sur certaines dispositions y afférentes (Art. 235 CE), Bruxelles, 16 octobre 1996, document COM (96) 499; annexes 1 et Il, infra pp. 64-71.

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l'Union européenne ne saurait se limiter à édicter une directive (art. 189 al. 3 CE), c'est-à-dire à prescrire un résultat en laissant aux Etats membres le soin de la transposer dans la législation nationale. Seul le règlement cor- respond à l'idée que la souveraineté monétaire est irrévocablement et com- plètement transférée par les Etats membres à l'organisation supranationale, qui l'exerce en édictant des règles de droit dotées d'un effet direct et impéra- tif dans les rapports des autorités (de l'Union et des Etats membres) entre elles et avec les particuliers, en même temps que dans les relations entre particuliers (art. 189 al. 2 CE).

Alors que l'on a longtemps parlé d'un "règlement euro", ce sont deux textes que la Commission a proposés au Conseil le 16 octobre 1996. Ce dédoublement de la substance normative tient aux dispositions du Traité CE qui fondent la compétence du Conseil en même temps qu'au besoin de ras- surer les opérateurs de marché dans les meilleurs délais. La compétence d'édicter la lex mone/ae de la monnaie unique repose sur l'art. 109 L § 4 CEI9. Le Conseil statuera à l'unanimité des Etats membres participants à l'UEM, ce qui suppose que la liste de ceux-ci ait été arrêtée. Or elle ne le sera qu'au début 1998. Cependant, de nombreux groupements profession- nels réclament depuis 1995 déjà que certains principes soient fixés aussitôt que possible, et qu'ils s'appliquent sur le territoire de tous les Etats mem- bres de l'Union européenne, que ceux-ci fassent ou non partie de l'Union monétaire. Les principales préoccupations concernent la continuité des con- trats'O, ainsi que les règles de conversion et d'arrondi. Un règlement peut être pris aujourd'hui déjà sur ces matières par le Conseil sur la base de

l'art. 235 CE, qui a une vocation subsidiaire'1

C'est pourquoi le Conseil se trouve aujourd'hui saisi de deux projets de règlement, le premier "fixant certaines dispositions relatives à l'introduc- tion de l'euro" pour être adopté immédiatement après le Conseil européen qui se réunira à Dublin en décembre 1996 (art. 235 CE)", alors que celui

19 "Le jour de J'entrée en vigueur de la troisième phase [1er janvier 1999], le Conseil, statuant à J'unanimité des Etats membres ne faisant pas l'objet d'une dérogation, sur proposilion de la Commission el après consultation de la BCE, arrête les taux de con- version auxquels leurs monnaies sont irrévocablement fixées et le taux irrévocablement fixé auquel l'Ecu remplace ces monnaies, et l'Ecu sera une monnaie à part entière. [ ... ] Selon la même procédure, le Conseil prend également les autres mesures nécessaires à l'introduction rapide de l'Ecu en tant que monnaie unique de ces Etats membres."

mCf~V

21 "Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonction-

nement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet efret, le Conseil, statuant à l'unanimité Sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées:'

22 Infra annexe l, "projet de règlement de base", pp. 64-66

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"concernant l'introduction de l'euro" sera arrêté au printemps 1998 à l'una- nimité des Etats membres participant à l'UEM aussitôt que ceux-ci seront connus (art. 109 L § 4 CE)". Par commodité de langage, je parierai ici du projet de règlement de base à propos du premier texte, qui devrait être adop-

té dans les tous prochains mois, et qui affirme le principe de continuité des contrats tout en réglant les taux de conversion et l'arrondi, ainsi que le pas- sage de l'écu à l'euro. Le projet de règlement monétaire désignera ci-après le second texte, qui fixera le statut et le cadre juridiques de l'euro et sera donc véritablement la lex mone/ae de l'Union monétaire.

Ces deux textes traduisent les conclusions de Madrid en les précisant.

Ils règlent notamment les points suivants:

l'euro sera dès le le< janvier 19991a monnaie (unique) des Etats membres participant à l'Union économique et monétaire; il remplacera les mon- naies nationales selon des taux de conversion irrévocablement fixés le 1"

janvier 1999; il sera divisé en 100 cents";

pendant la phase transitoire, les unités monétaires nationales et leurs sub- divisions coexisteront avec l'unité monétaire euro", dont elle formeront des fractions non décimales; l'équivalence entre elles et avec l'unité euro est déterminée par des taux de conversion qui seront irrévocablement fixés le 1" janvier 1999";

pendant toute la période transitoire, les contrats et tous autres instruments juridiques restent libellés dans l'unité monétaire choisie par leurs auteurs";

ils sont en principe exécutables dans celle unité" au moyen des billets et des pièces nationales qui conservent cours légal"; les accords contraires des parties (antérieurs ou postérieurs à celle date) restent réservés30; les processus de paiement pouvant rendre nécessaires plusieurs conver- sions successives entre euro et monnaies nationales, avec à chaque étape un arrondi des montants convertis, les algorithmes de conversion et d'ar- rondi seront définitivement fixés dans le règlement de base";

23 Infra annexe II, "projet de règlement monétaire", pp. 67-71.

24 Art. 1,2 et 3 du projet de règlement monétaire; considérants 1·3 du projet de règle- ment de base.

25 Art. 6 § ) du projet de règlement monétaire.

26 Art. 1, VO taux de conversion, et 3 et considérants 4.à 6 du projet de règlement monétaire; cf. aussi art. 3 al. 1 et considérant 7 du projet de règlement de base.

HAn.7 et considérant 10 du projet de règlement monétaire; art. 3, 1ère phrase, du projet de règlement de base.

28 Art. 8 al. 1 du projet de règlement monétaire; des exceptions figurent à l'al. 3 s'agis- sant des systèmes de paiement.

29 Art. 6 § 1, 9 et 15 et considérant 14 du projet de règlement monétaire.

30 Art. 8 § 2 du projet de règlement monétaire; art. 3, 2e phrase, et considérant 7 du projet de règlement monétaire.

31 Art. 4 et 5 et considérants 10 à 12 du projet de règlement de base.

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 25

l'écu cesse dès le 1 U janvier 1999 d'être l'unité de compte de la Commu- nauté européenne; il est remplacé par l'euro au pair; cette règle vaut non seulement pour les rapports entre les organes de l'Union européenne et avec les Etats membres (écu officiel), mais aussi pour les dettes privées dont l'unité de compte est stipulée par référence à l'écu officiel (écu privé)", pour lesquelles toutes dérogations contraires des parties restent réservées33 ;

le principe de la continuité des contrats est réaffirmé", principe sur le- quel on va revenir".

De (nombreuses) autres questions ne sont pas réglées par le futur "règle- ment euro", et devront l'être dans d'autres actes:

tout ce qui touche à la politique monétaire et à ses instruments n'y figure pas; ces questions sont d'abord du ressort de la future Banque centrale européenne, dont les décisions sont préparées par l'Institut monétaire européen; le maintien de l'incertitude en ces matières" contraste avec le besoin de sécurité juridique relative au statut juridique de la monnaie et à ses effets sur les contrats en cours;

pour rester conforme à sa vocation de la loi monétaire de l'euro, acte de souveraineté s'imposant aux Etats tiers, le règlement euro ne saurait trai- ter de questions qui ressortissent à la protection des consommateurs":

ainsi, l'interdiction ou la limitation des commissions de conversion38, com- me le double affichage des prix, ne devraient pas y être réglés, quitte à ce qu'ils le soient ultérieurement et dans d'autres textes".

32 Sur les notions d'écu officiel et d'écu privé, cf. infra Tv'A.2.

33 Art. 3, 2e phrase, et considérant 7 du projet de règlement monétaire.

34 Art. 3, 1 ère phrase, et considérant 7 du projet de règlement de base; cf. aussi art. 7 du projet de règlement monétaire.

]5 Cf. infra V

36 Cf. MERCIAI (1996).

37 Cf. cependant Je considérant 8bis du projet de règlement de base, qui énonce juste- ment que d'éventuelles dérogations (conventionnelles) au principe de Ja continuite des contrats devraient être négociées individuellement et ne pas être imposées par le tru·

chement de conditions générales.

38 Puisque les conversions entre monnaies nationales participantes et avec l'euro, gou- vernées par des taux fixes impératifs et irrévocables, ne sont pas des opérations de change, les banques ne sauraient faire rémunérer ce service par un différentiel de cours achat 1 vente (spread).

39 Considérant 1 du projet de règlement monétaire.

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IV. Monnaie unique et pays tiers: une question de droit international privé

Conformément à l'art. 189 al. 2 CE, le "règlement euro" n'aura d'effet di- rect que sur le territoire des Etats membres. Quel sera sa reconnaissance à l'extérieur de l'Union européenne? De quelle manière les Etats tiers lui don- neront-ils effet dans leur juridiction? C'est la question que pose en substan- ce le postulat déposé le 22 mars 1996 par Mme Lili Nabholz et 26 autres membres de l'Assemblée fédérale40 Bien que la réponse du Conseil fédéral ne soit pas toujours facile à comprendre, les développements qui suivent en confirment les conc1usions41.

Si les règlements du Conseil seront directement applicables par toutes les autorités - judiciaires comprises - des Etats membres de l'Union euro- péenne, il n'en est pas de même des tribunaux des Etats tiers. Ce sont les règles de conflits de lois du tribunal saisi qui détermineront si et à quelles conditions il convient de donner effet au règlement de base et au règlement monétaire. On examinera ici la démarche des tribunaux suisses en applica- tion de la loi fédérale de droit international privé42On peut présumer que les solutions qui en résultent sont proches de celles auxquelles de nombreu- ses juridictions hors de l'Union européenne devraient parvenir, les règles de rattachement en matière monétaire ne variant pas trop dans les pays de tradi- tion civiliste comme dans ceux de common law43.

Carticle 147 LDIP dispose:

"] La monnaie est définie par le droit de l'Etat d'émission.

2 Les effets qu'une monnaie exerce sur l'ampleur d'une dette sont détermi- nés par le droit applicable à la dette.

3 Le droit de l'Etat dans lequel le paiement doit être effecrué détermine dans quelle monnaie ce paiement doit être fait."

40 Postulat nO 96.3171, reproduit notamment in ASSEMBLÉE FÉDÉRALE, Résumé des délibérations Ile partie, été 1996, p. 85.

4[ Cette réponse sera publiée au Bulletin officiel 1996 Conseil national ...

42 Loi du 18 décembre 1987 (LDlP), RS 291.

43 Pour un large aperçu comparatif, cf. notamment HAHN (1990), KLEINER (1985) et MANN (1992). Des travaux entrepris au sein du Conseil de l'Europe ont abouti en 1967 à une convention européenne relative aux obligations en monnaie étrangère, qui traite essentiellement de la monnaie du paiement, de la réparation du dommage subi par le créancier en raison d'un paiement tardif et de la possibilité d'obtenir condamnation dans la monnaie de compte. Cette convention n'est pas entrée en vigueur, seul le Luxem- bourg l'ayant jusqu'ici ratifiée. Le Conseil fédéral n'en fait pas une priorité, cf. "Sixième rapport sur la Suisse et les conventions du Conseil de l'Europe", FF 1996 1 405, 423 s.

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 27

Il soumet ainsi la question à trois compétences législatives distinctes. On examinera donc le domaine de la lex monelae (ou lex pecuniae), de la lex causae, ainsi que de la lex loci solutionis44.

A. Le domaine de la lex monetae

1. Sort des monnaies nationales remplacées par l'euro

Conformément à l'art. 147 al. 1 LDIP, la monnaie dans laquelle une dette est exprimée est définie par la loi de l'Etat qui émet cette monnaie. Cette règle confirme le principe de droit international qui reconnaît à tout Etat la compétence de donner son nom à la monnaie qu'il émet, d'en arrêter la définition (par exemple par référence à un poids d'or, ou d'argent, ou par référence à une autre monnaie), d'en fixer les subdivisions, et de régler les modalités de son émission4s . Ainsi, le droit suisse édicte que "l'unité moné- taire suisse est le franc" et qu'il se divise en cent centimes'6, qu'il équivaut à 47/217 gramme d'or fin" même si la Banque nationale est dispensée de l'obligation de rembourser ses billets en lingots d'or'''.

Par l'effet de l'art. 147 al. 1 LDIP, c'est donc la loi de l'Etat d'émis- sion qui définit l'objet de toute dette exprimée dans la monnaie de cet Etat.

La lex monelae n'a cependant rien à dire sur la question de savoir à quelle monnaie les auteurs d'un acte juridique ont voulu se référer. Si un contrat ou un billet à ordre est libellé en "francs" sans préciser s'il s'agit du franc fran- çais, belge, luxembourgeois ou suisse, la solution relève de l'interprétation de la volonté des parties; elle est régie par la lex causae".

En revanche, c'est bien la lex monetae qui dispose qu'une monnaie est supprimée pour être remplacée par une autre monnaie, et à quel taux les sommes libellées dans l'ancienne unité monétaire sont converties dans la nouvelle unité. La loi monétaire établit ainsi un lien récurrent (recurrent link, rekurrenter Anschluss) 50, reconnu par les autorités étrangères. C'est ainsi qu'au début de la V' République le nouveau "franc" français s'est subs-

44 I.:art. 147 LDIP a été commenté par DASSER (1996), DUTOIT (1996) et VISCHER

(1993); cf. aussi VISCHER (1987).

45 Cf. MANN (1992) pp. 461-463.

46 Art. 1 er de la loi fédérale sur la monnaie, du 18 décembre 1970 (RS 941.10).

47 Art. 1 er de l'arrêté du Conseil fédéral fixant la parité-or du franc, du 9 mai 1971 (RS

941.102).

'" Art. 21 et 22 de la loi sur la Banque nationale, du 23 décembre 1953 (RS 951.11);

art. 2 de l'arrêté du Conseil fédéral concernant le cours légal des billets de banque et la suppression de leur remboursement en or, du 29 juin 1954 (RS 951.171).

49 Cf. infra Ive. Pour des règles d'interprétation en cas d'ambiguïté sur la monnaie stipulée, cf. art. 1031 al. 4 et 1122 al. 4 CO.

50 HAHN (1990) pp. 383 s.; MANN (1992) pp. 266-270; DASSER (1996) N. 4 ad LDlP 147. avec d'autres références.

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titué au taux de 1: 100 à l'ancien "franc", ou encore que le "mark allemand"

a remplacé le "mark de la République démocratique allemande" le 1 U juillet 1990. Cette dernière réforme présente du reste la particularité que le taux de conversion était de IDEM pour 2 Os/mark, sauf pour les salaires, traite- ments, rentes, loyers et fermages, ainsi que pour certains avoirs d'épargnes, lesquels furent convertis au taux de 1: 1'1.

En vertu du principe du lien récurrent, il appartient aux Etats membres de la future Union économique et monétaire de décider du remplacement de leur monnaie nationale par la monnaie unique. Or ils ont délégué cette com- pétence souveraine à l'organisation supranationale'2 Il revient donc bien aux organes de la Communauté européenne - et plus spécifiquement au Conseil statuant à l'unanimité des Etats membres qui participeront à l'Union monétaire dès le premier jour (art. 109 L § 4 CE) -, d'édicter la loi monétai- re qui créera la monnaie unique et fixera les taux auxquels celle-ci rempla- cera les monnaies nationales participantes. L'art. 147 al. 1 LDIP enjoint au juge suisse de reconnaître cette succession de monnaies.

2. Le cas particulier de l'écu

Ce qui vient d'être dit ne vaut cependant pas pour l'écu. Tel qu'il est défini actuellement, l'European Currency Unit est une unité de compte dont la définition résulte de l'addition de certaines quantités (d'importance fort iné- gale) des monnaies des douze premiers Etats membres de l'Union européen- nel3. La composition de l'écu a varié à plusieurs reprises jusqu'en 1992.

I:art. 109 G al. 1 CE, introduit par le Traité sur l'Union européenne, fige cette composition jusqu'au premier jour de la troisième phase, où l'écu dis- paraîtra au profit de la monnaie unique. I:écu est donc une entité abstraite dont la valeur économique est fonction de la valeur sur le marché des devi- ses d'un panier de monnaies européennes, parmi lesquelles le DEM et le FRF pèsent pour plus de la moitié". On appelle souvent écu officiel cette

51 Articles 6 et 7 de l'annexe l (Bestimmungen. über die Wiihnmgsunion und über die Wiihrungsumste/lung) au traité instituant une union monétaire, économique et sociale entre la République fédérale d'Allemagne et la République démocratique allemande, du 18 mai 1990, reproduits in HAHN (1990) pp. 443-446.

l2 Cf. notamment les art. 3A § 2, 105 § 2, 105 A, 107, 108, 108 A, 109. 109 J, 109 L

§ 4 CE.

l3 Cf. règlement (CE) n" 3320/94 du 22 décembre 1994 concernant la codification de la législation communautaire existantes sur la définition de l'écu après J'entrée en vi- gueur du traité: sur l'Union européenne, lOCE 1994 L 350, pp. 27-28. La composition du panier est rappelée sous "C" de l'annexe III, infra pp. 72 55.

54 Le poids de chaque monnaie au sein du panier ne peut être calculé qu'en multipliant le coefficient affecté à cette monnaie par son cours de change exprimé dans une mon- naie de référence. A la différence des coefficients, qui ne changeront plus d'ici à la

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 29

unité composite en tant qu'elle sert à établir les comptes des organes de l'Union européenne avec les Etats membres et avec leurs propres fonction- naIres.

Les entreprises et les particuliers peuvent être intéressés par les pro- priétés de stabilité relative de ce panier de monnaies. C'est pourquoi il a été adopté par d'importants opérateurs privés pour servir d'unité de compte:

dans cette fonction-là, on l'appelle écu privé". Des banques européennes se sont mises à ouvrir des comptes libellés en écus (privés) et à procéder à des virements, grâce notamment à un clearing interbancaire patronné par l'As- sociation bancaire pour l'écu et exploité effectivement par la Banque des règlements internationaux (BRI) à Bâle. Dès lors que des mécanismes ban- caires le permettaient, on a assisté à des émissions d'emprunts obligataires en écus, lesquelles ont à leur tour donné naissance à un véritable marché de change de l'écu contre les principales devises56.

Si l'écu se comporte à certains égards comme une monnaie, il n'en est pourtant pas une". Il n'est pas émis par une entité souveraine et ne fait pas l'objet d'une politique monétaire. La Communauté européenne qui a défini l'écu, ne dispose pas encore de la souveraineté monétaire, qui ne lui avait pas été déléguée par les Etats membres. Les écus privés en circulation dans le public sous forme d'avoirs en compte auprès d'établissements bancaires sont créés par ceux-ci sans qu'aucune autorité monétaire, aucun institut d'émission ne régule ou n'agisse sur cette création. Enfin, il n'existe pas d'espèces monétaires libellées en écu qui aient un pouvoir libératoire géné- ral, sans même parler du cours légal.

Le règlement communautaire qui définit l'écu n'est donc pas une lex mane/ae au sens de l'art. 147 al. 1 LDIP. Ni l'Union ni la Communauté européennes n'ayant émis l'écu comme une monnaie (elles n'en auraient pas eu la compétence), elles ne sauraient au regard des Etats tiers créer, par disparition de l'écu, le poids de chaque monnaie évolue au gré des variations de change de toutes les monnaies composant le panier.

55 Il existe en fait deux sortes d'écus privés. La plus fréquente est définie par référence au panier officiel de l'écu tel qu'il est occasionnellement modifié par les autorités communautaires (panier ouvert): elle suit donc les changements de définition des tex- tes communautaires. La seconde adopte la composition du panier officiel de l'écu au moment du contrat en excluant toute modification ultérieure (panier gelé). A ma con- naissance, la plupart des instruments bancaires (e.g. comptes en écus) et financiers (e.g. obligations en écus) sont expressément ou implicitement définis'comme des pa- niers ouverts.

56 Sur tous ces aspects, voir infra la bibliographie relative à l'écu. Pour un point récent de la situation, cf. INSTITUT MONÉTAIRE EUROPÉEN, Rapport annuel 1995, Francfort

s.M~, avril 1996, pp. 17-18 (marchés de l'écu privé) et 76-77 (surveillance du système de compensation et de règlement en écus).

" MANN (1992) p. 23; HAHN (1990) p. 36; DASSER (1995) N. 5 adLDlP 147; WEBER (1994) p. 390.

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l'effet du "règlement euro", un lien récurrent entre une non-monnaie et la véritable monnaie pour laquelle la compétence leur a été déléguée. En d'autres termes, la conversion en euros et au pair des montants libellés en écus ne s'impose pas aux Etats tiers - et donc au juge suisse - de la même manière que la conversion en euros des sommes libellées en unités monétaires natio- nales selon les taux de conversion qui seront arrêtés le 1" janvier 1999. Le sort des dettes libellées en écus, c'est-à-dire en unités de compte librement adoptées par les parties à un contrat, ressortit à la lex con/ractus. On y re- viendra plus loin'8.

B. Les questions qui ressortissent à la Lex causae

Si la loi de l'Etat d'émission définit l'objet de toute dette libellée dans cette monnaie, elle ne détermine pas le quantllm de l'obligation, non plus que son existence, sa validité, ses effets en général ou encore le moment de son ac- quittement.

Ces questions, sanS doute les plus nombreuses pour le conseil juridi- que, sont régies par la loi applicable à l'obligation en question (Iex causae ou lex obligationis. ou encore lex contractus). Celle-ci est déterminée par le juge du for en application de ses règles de rattachement. Ces règles figurent en Suisse dans la loi fédérale sur le droit international privé, ainsi que dans divers autres textes, notamment certaines conventions internationales59.

Les règles de rattachement en matière contractuelle ne seront pas une surprise pour les juristes européens, familiers de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, conclue à Rome le 19 juin 198060.

Elles accordent la plus large liberté de choix aux parties (rattachement sub- jectif, art. 116 LDIP). A défaut d'une élection de droit, est applicable la loi

de l'Etat qui présente les liens les plus étroits avec le contrat (art. 117 al. 1 LDlP), lesquels sont réputés exister avec l'Etat dans lequel la partie qui qoit fournir la prestation caractéristique a son établissement ou sa résidence (art. 117 al. 2 LDlp, concrétisé par un catalogue des "prestations caractéris- tiques" à l'al. 3).

Une obligation contractée en francs luxembourgeois ou en marks alle- mands peut indifféremment être soumise au droit luxembourgeois ou alle- mand, ou encore au droit anglais - ce qui est fréquent s'agissant de contrats

" Cf. infra VI.

S9 Cf. notamment la convention de La Haye sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, du 15 juin 1955 (RS 0.221.211.4), et celle applicable en matière d'accidents de la circulation routière, du 4 mai 1971 (RS 0.741.31).

60 Texte reproduit notamment in Rev. crit. 1991 415-426. Pour une comparaison, cf. Gabrielle KAUFMANN-KOHLER, "Le droit international privé des contrats: la Suisse face à l'Europe", SJ 1992 257-278.

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 31

financiers ~, à celui de l'Etat de New York ~ on pense ici aux swaps - et pourquoi pas au droit suisse, La loi applicable au contrat n'est donc pas nécessairement celle de l'Etat dont la monnaie est utilisée comme unité de compte, Une dette de francs français ~ ou demain une dette d'euros ~ n'est pas nécessairement soumise au droit d'un Etat membre de l'Union monétai- re, Chaque fois que ce n'est pas le cas, l'effet du basculement à l'euro sur le sort du contrat échappe aux règlements édictés par les organes de l'Union européenne. Ainsi, pour tout contrat dont la tex causae n'est pas le droit d'un Etat membre de l'Union européenne, le juge suisse recherchera dans cette tex causae les règles qui détermineront le sort du contrat dont les obligations monétaires ont été transformées en euros par l'effet de la lex monetae.

On y reviendra aussitôt après l'examen de la loi applicable au paiement des dettes d'argent.

C. La monnaie du paiement

La compétence monétaire s'exprime notamment dans l'émission de signes monétaires, généralement des billets et des pièces métallique, ayant cours légal. Les dettes d'argent sont des dettes de somme: enes s'acquittent par la remise d'espèces (généralement de montants divers) dont la somme égale exactement le montant dû. Le cours légal est cette propriété que le législa- teur attache à certains signes monétaires par laquelle le créancier a l'incom- bance de les accepter en paiement, à défaut pour lui d'en subir certains in- convénients.

Par exemple, les billets de la Banque nationale suisse ont un cours légal illimité, alors que nul n'est tenu d'accepter plus de cent pièces métalliques en paiemenfil. Alors qu'elle constitue plus de 83% de la masse monétaire

MI 62, la monnaie scripturale (avoirs en comptes bancaires ou postaux mo·

bilisables par virement) est dépounrue du cours légal63. Confonnément aux art. 91 à 96 du Code des Obligations (CO), le créancier qui refuse d'accepter en paiement des espèces ayant cours légal et régulièrement of·

fertes tombe en demeure d'acceptation. L'intérêt moratoire éventuel cesse de courir; le débiteur peut se libérer en consignant ladite somme.

Le cours légal d'une monnaie est limité dans l'espace par la souveraineté territoriale de son émetteur. Les francs suisses n'ont pas cours légal en Fran-

61 A l'exception de la Banque nationale et des caisses de la Confédéraiion, art. 6 de la loi fédérale sur la monnaie (n. 46).

62 Chiffre calculé pour juin 1996, cf. BANQUE NATIONALE SUISSE, Bulletin mensuel août 1996, n° 8, tableau B21' La masse monétaire Ml est l'agrégat monétaire totalisant le numéraire en circulation, les dépôts à vue et les comptes de transactions (comptes d'épargne et de dépôts qui servent principalement au trafic des paiements, plus camp·

tes salaires à vue). Il représente donc les moyens de paiement à vue.

63 Sur cette question en général, cf. GIOVANOLI (1994) et WEBER (1983).

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ce, et réciproquement Comment une dette peut-elle être payée dans un lieu où la monnaie dans laquelle elle est libellée n'a pas cours légal? I:art. 147 al. 3 LDIP répond à cette question en disposant que c'est la loi du lieu (la tex loci solutionis) où le paiement est dû qui détermine de quelle manière l'obli- gation peut être acquittée. Elle concerne donc la dette in solulione, et non in obligalione, aspect qui ressortit à la lex causae. On se souviendra que lors- que l'exécution forcée en est recherchée au lieu où le paiement est dû ou dans un autre lieu, la loi qui organise la procédure peut également trouver application.

Lorsque le paiement est dû en Suisse, l'art. 84 al. 2 CO offre au débiteur une faculté alternative64. Celui-ci peut (toujours) offrir des espèces Iibel- tees dans la monnaie de la dette. A moins que le paiement n'ait été stipulé en "valeur etTective", le débiteur peut aussi, son choix, se libérer "en monnaie du pays au cours du jour de )'ëchéance".

V. La continuité des contrats

Le passage à la monnaie unique affectera la valeur économique des contrats comprenant des prestations dans l'une des monnaies participantes. I:Union monétaire devrait en effet avoir un double effet en termes de parité externe (taux de change de l'euro vis-à-vis des monnaies étrangères) et de courbe des taux d'intérêt (rémunération des emprunts sur le marché monétaire et le marché des capitaux variant en fonction de la durée de l'emprunt).

Au 1" janvier 1999, les taux de conversion des monnaies participantes en euro seront déterminés de sorte à refléter, aussi fidèlement que possible, la parité externe de chaque monnaie participante. A court terme, la va- leur des créances libellées en unités monétaires nationales ne devrait donc pas être substantiellement affectée. A plus long terme (quelques mois, quelques années), l'euro devrait - on l'espère - offrir une meilleure sta- bilité et une plus forte parité externe que ce n'aura été le cas des mon- naies participantes avant l'Union monétaire, à l'exception probablement du mark allemand. Si l'euro s'avère une devise plus forte que le franc français, le franc belge, la livre irlandaise, etc., les créanciers en bénéfi- cieront, alors que les prestations d'argent sont plus onéreuses pour les débiteurs. Ce raisonnement vaut essentiellement pour les créanciers et les débiteurs établis hors de l'Union monétaire. Pour un créancier ou un débiteur établi sur le territoire de l'UEM, les coûts et les bénéfices de cette plus forte parité s'équilibrent dans la mesure où s'équilibrent ses actifs et ses passifs, ses revenus et ses charges.

64 WEBER (1983) NN. 346-349; même solution auxart. 1031 al. 1. 1098 al. 1 et 1122 al. 1 CO.

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 33

A une monnaie plus stable correspondent des taux d'intérêts plus faibles.

Puisque le taux d'intérêt incorpore la rémunération du créancier pour le risque d'une dépréciation de sa créance Sur le marché des changes, cette prime est d'autant plus faible que la monnaie est plus stable. Si l'on fait à nouveau exception de la devise forte qu'est le mark allemand, les em- prunteurs devraient donc pouvoir s'endetter en euros (ou en unités moné- taires nationales, qui sont consubstantiellement identiques à l'euro) à des taux plus faibles après le 1 er janvier 1999 qu'avant. Les dettes souscrites à taux variable (par exemple par référence au L1BOR ou au PlBOR) .an- térieurement à cette date bénéficieront de la détente des taux. Celles por- tant intérêt à taux fixé5, en revanche, paraîtront plus onéreuses à leurs débiteurs si ceux-ci ne peuvent rembourser par anticipation pour em- prunter aux nouvelles conditions.

Les effets de l'Union monétaire en termes de parité externe comme de cour- be des taux devraient cependant rester limités. Les critères de convergence dont le Traité de Maastricht fait une condition d'accès à l'Union économi- que et monétaire ont précisément pour but de réduire les écarts entre les économies et les monnaies nationales qui vont s'intégrer au sein de l'UEM.

C'est un aspect de la liberté contractuelle que les parties peuvent anti- ciper l'impact d'un événement futur certain ou incertain en convenant par anticipation des conséquences qu'aura pour leur contrat par exemple le pas- sage à la monnaie unique. Mais il est indispensable qu'aucun contractant ne puisse unilatéralement imposer à l'autre la modification ou la cessation des obligations réciproques pour ce seul motif. C'est pourquoi tant les organes de l'Union européenne que les associations professionnelles consultées lors de l'élaboration du scénario de référence ont affirmé et réaffirmé le principe de continuité des contrats.

"Les opérateurs économiques doivent avoir la certitude que la réalisation de l'UEM ne constituera pas une perturbation fondamentale des facteurs économiques, de telle sorte que les contrats libellés en monnaies nationa- les ou en Ecu panier pourraient être révoqués unilatérnlement et devraient par conséquent être renégociés, Ce principe d'irrévocabilité serait d'appli- cation générale.'>66

"Le principe de la continuité des contrats peut seulement se justifier com- me principe général, et de ce fait prévaloir sur les situations juridiques individuelles, s'il peut être appliqué de manière unifonne à tous les types

65 Lequel ne sera pas affecté par J'introduction de l'euro, cf, art, 3 et considérant 7 du projet de règlement monétaire,

66 COMMISSION EUROPÉENNE (1995) p. 71 N. 129. Dans son avis du 26 octobre 1995, le Comité économique et social confirme que "la garantie de la continuité des contrats est un élément qui revêt une importance vitale, non seulement pour la monnaie 1U1ique, mais aussi et surtout pour garantir la sécurité jun'Jique dans le marché intérieur", Document CES 1174/95, p. 24 N. 7.4.

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de contrais et parties contractantes, et pour autant que les avantages et les inconvénients qui résuhent du passage à la monnaie unique s'équilibrent donc les uns et les autres.'>67

Les conclusions du Conseil européen de Madrid sont dépourvues de toute ambiguïté:

"Le remplacement des monnaies nationales par l'euro ne devra pas affec- ter. en soÎ. la continuité des contrats, sauf si ceux-ci en disposent autre- ment:>68

Après toutes les réaffirmations de ce principe dans la littérature juridique récente", on peut y voir une véritable opinio necessitatis. Les demandes de régime particulier ne devraient pourtant pas manquer complètement. I:idée fut par exemple émise que les crédits à la consommation devraient être rem- boursables par anticipation au choix du consommateur dans le cadre du chan- gement d'unité monétaire'O Il semble par ailleurs que les assureurs belges aient réclamé un droit unilatéral d'adapter leurs polices d'assurance-vie à cette même occasion. Entamer un régime de dérogations ouvrirait la voie à d'innombrables exceptions, rompant ainsi l'équilibre des avantages et des inconvénients qui résultera, pour les entreprises et pour les ménages, du pas- sage à la monnaie unique.

Bien qu'il n'ait guère été invoqué dans le débat", l'affionation de la continuité des contrats actualise un principe plus ancien et désonnais bien ancré dans les droits modernes, celui de la valeur nominale des dettes d'ar- gent (nominalisme, Nomina/ismus, Nennwertprinzip). Les dettes d'argent sont des dettes de somme: elles sont acquittées par la remise de signes monétai-

67 FEDÉRATION BANCA1RE DE L'UNION EUROPÉENNE (1995) pp. 31-32.

68 Point 6 des conclusions de la présidence (n. 6), réaffirmé au point 10 du scénario de référence (n. 7).

69 Cf. notamment ASSOCtATION SUISSE DES BANQUIERS (1996) pp. 12-18; FISCHER / KLANTEN (1996); HAUSER-GERHARTER (1996); LÉVY -ROSENWALD (1996) pp. 115-121;

PIGOTT (1996); SCHENKER (1996) pp. 17-21; TERRAY (1996); YEOWART (1995); ainsi que les contributions de DELEBECQUE (France), MORETEAU (USA), DASSESSE et COLOSH / KARAM (Etat de New York), SWEERTS et VANDEMEULEBROECKE (Belgique), DUFREsNE (Banque européenne d'investissement), GRANATA (Italie), MATTOUT (taux d'intérêt) et BaSSIN (instruments dérivés) dans SOUSI et al. (1996).

70 Rapport sur l'application de la directive 87/I02/CEE, du Il mai 1995, document COM 95 (117), p.59 N. 193. Critiqué sur ce point par FÉDÉRAT10N BANCAIRE DE L'UNION EUROPEENNE (1995) p. 32. L'idée ne semble pas avoir été reprise par les servi- ces de la Commission.

71 Cf. cependant le commentaire de l'art. 3 du projet de règlement monétaire par la Commission "En prévoyant le remplacement des anciennes monnaies nationales par l'euro selon les taux de conversion applicables, cet article établit un 'lien récurrent' entre chacune des anciennes monnaies et la nouvelle monnaie. Il garantit ainsi la con- tinuité: des contrats et autres instruments juridiques en accord avec le principe de nomi- nalisme." Doc. Corn. 96 (499).

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DROIT SUISSE ET MONNAIE UNIQUE 35

res dont le total égale le montant dû aujourdu paiementn On verra plus bas comment ce principe s'est affirmé en Suisse dans la jurisprudence relative à l'effet des fluctuations monétaires sur les dettes".

A. L'expression du principe de continuité dans les projets de règlement

Le principe de la continuité des contrats sous réserve d'un accord contraire des parties est ainsi exprimé à l'an. 3 du projet de règlement de base (qui devrait être adopté à bref délai sur fondement de l'art. 235 CE):

''rintroduction de l'euro n'a pas pour effet de modifier les termes d'un instrwnent juridique ou de libérer ou de dispenser de son exc:cution, et elle ne donne pas à une partie à un instrument juridique le droit de le modifier ou d'y mettre f III unilatéralement. La presente disposition n'empêche aucune convention entre les parties."74

Cette grande concision contraste avec la formulation très détaillée proposée par le City of London Joint Working Group on European and Monetary Union75:

"Article 5 Continuity of Money Obligations, ConlTacls, InslTnments and Related Secunty Documents

Without prejudice to Article 6 below:

a. The changeaver to the Euro shall not affect the continuity of any maney obligation or any contract. instrument or related security document existing on or after the flISt appointed day, and each such maney obliga- tion, contract, instrument, related security document and any right of set- off shaH continue in full force and effect aCter such changeover. Accordin- gly, except for the substitution, where applicable, of the Euro for the ECU or an old currency, as the case may he, the tenns (including, without limi- tation, any fixed interest rate or interest rate spread) of each such money obligation, contract, instrument orrelated security document shall he unaf- fected by the changeover.

b. No persan subject 10 a money obligation or who tS a party ta or bene- ficiary ofa contract, instrument or related security document shall he enti- tled by reasan only of such changecverto vary or to cancel, resein(\, termi- nate or redeem that money obligation, contract, instrument or relaled security.

" Cf. surtout MANN (1992) pp. 271-310; HAHN (1990) pp. 77-92; GUTZWILLER (1972) not. pp. 6-16; WEBER (1983) NN. 182-282.

13 Cf. infra VB.4.

74 Lire aussi le considérant 7 de ce projet de règlement, infra annexe J, p. 64. La ques- tion du libellé de la dette (maintien des unités monétaires nationales jusqu'à la fin de la période transitoire, libellé en euro au-delà) fait l'objet des art. 7 et 14 du projet de règlement monétaire.

7S CITY OF LONDON JOINT WORKING GROUP ON EUROPEAN ECONOMIe AND MONETARY UNION (1996) pp. 284 SS.

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