• Aucun résultat trouvé

Le droit pénal suisse face à la corruption de fonctionnaires

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le droit pénal suisse face à la corruption de fonctionnaires"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le droit pénal suisse face à la corruption de fonctionnaires

CASSANI, Ursula

CASSANI, Ursula. Le droit pénal suisse face à la corruption de fonctionnaires. Plädoyer , 1997, vol. 15, no. 3, p. 44-48

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:21662

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Ursula Cassal/i, professeure li l'UI/iver.\'iré de Genève

Le droit pénal suisse face à la corruption de fonctionnaires

1. La corruption, un phénomène sans importance?

La conuption est le comportement d'une personne assumant une fonction pubüqu~ ou privée et qui contrevient à ses obligations, parce qu'elle se voit accorder un avantage qui ne lui est pas dû'. Lorsque le cOlTompu est un fonctionnaire, la cOlTIlption a pour but de détourner la puissance publique au ser- vice d'intérêts particuliers2

La cOlTllption pOite atteinte à dcs valcurs fondamentales de notre société; eUe ne constitue nullement un mécanisme de redis- tribution des richesses qui «met de l'huile dans les rouages» de l'économie, comme le voudraient certains économistes adeptes d'une approche neutre sur le plan éthique. La corruption de Fonctionnaires porte atteinte, en prentier lieu, à l'intérêt juridique collectif du caractère régulier et objectif du processus de décision au sein de l'administration, ainsi que de la confiance que le public est fondé à placer dans la probité de cette defluère. Le coût social va, cependant, au-delà de ceUe atteinte directe: la cOITuption fausse la concurrence et entraîne des préjudices éco- nomiques importants pour la collectivité, en tout cas lorsque le corrupteur a pour but d'obtenir un marché et qu'il répercute le montant payé au corrompu sur le prix de sa propre prestation. Enfin, la corruption est également propre à léser des intérêts indivi- duels, par exemple lorsqu'un concurrent est écarté non pas parce que l'offre contractuelle

l, Pour Ime défil/ilioll (llralague, cf la Résolulioll SIlr III lutte CO/lIre III corn/I,/ioll e/I Europe. JO C d//22.1.1996, p.

443.

2. M. BAti/ELLI. Die Bes/ecllllllgs/arbesfiii/de des .vchll'eizeri.vchell Slrcljge.ve/:.bllches. Beme, 1996. p. 6.

qu'il soumet est moins intéressante mais parce que la décision d'adjudication est influencée par un avantage personnel accordé à un fonctionnaire bien placé.

Statistiquement, les condamnations pour con'uption constituent un phénomène margi- nal, puisque les tribunaux pénaux suisses rendent environ une dizaine de décisions définitives par année en application des ail.

288, 315 et 316 CP, dont 9 en moyenne concernent des particuliers reconnus cou- pables de cOiTuption active'. Cela ne signifie pas, pour autant, que le phénomène soit éga- Iement dénué d'importance dans les pra- tiques effectives4; tout porte à croire, au contraire, que le chiffre noir est important dans ce domaine.

Le faible nombre de cas découverts ou du moins rendus publics s'explique en partie par le lien de réciprocité' qui se noue entre le cOlTUpteur et le cOiTompu et le fait que ces derniers ont un intérêt convergent à la sauve- garde du secret qui entoure leur transaction.

On peut certes imaginer des mesures d'encouragement au bénéfice de la partie qui serait prête à rompre ce pacte, telles que l'atténuation, voire même l'exemption, de la peine récompensant les «repentis»; toutefois, des mesures de ce type n'atteignent pas ceux qui sont pleinement satisfaits de leur «cocon- tractanl1> et espèrent bien poursuivre des relations mutuellement profitables.

Le faible nombre de cas découverts s'explique en outre par lc fait que, dans bien des cas, la discrétion est également souhaitée

3. Rel/.~eig/!emel!/s de l'Office fédéral de III s/alisliqne; les defl/iers chiffres disponibles COllcemelll l'allllée 1994.

4. M. PIETfI, Die Besfecfll/llg scf/ll'e;zeriscller IInd ol/sliiuJischer Beomfer, il/ Slmfrechlllnd OJ/emlichkeil, Fesfschrift Rehberg, ll/rich. /996. pp, 233 sS., l'. 234 s ..

5. 1.T. NOQNAN, Bribes, Berkeley el Los Angeles, VI/irersil)' of CaliforllÎG Press, 1984, p, 3.\:1'.

(3)

par l'administration dont l'agent est cor- rompu et qui préfère ignorer l'affaire en la bagatellisant ou la régler sur le plan interne, éventuellement disciplinaire, plutôt que de la porter devant les tribunaux pénaux. Quant aux particulie" défavorisés par une décision viciée par la corruption, ils n'ont pas forcé- ment connaigsance du fait que le processus de décision au sein de l'administration a été faussé.

U est donc fort probable que les statis- tiques des condamnations ne reflètent que très irnpatfaitement la criminalité effective en matière de corruption. Une modification de la manière dont le potentiel de nocivité de la cOl1uption est perçu, en particulier au sein de l'administration, pourrait entraîner une augmentation drastique du nombre de condamnations, à l'instar de ce qui s'est pro- duit en Italie et en AUemagne6. Ceci dit, aucune recherche scientifique n'est venue à ce joW' étayer les estimations alarmistes avancées par certains pénalistes, selon les- quelles se développerait en Suisse une cor- ruption systémique et généralisée'; ces craintes sont probablement plus pertinentes pour la conuption privée que pour la cormp- tian de fonctionnaires.

2, Faut-il réviser les disposi- tions du code pénal suisse réprimant la corruption?

Le droit pénal suisse fait preuve d'une cer- taine réserve dans la répression des compor- tements qui sont propres à léser ou à mettre en danger la probité de l'activité administra-

6. Alors qlle la police tllfem(lIIde m'air el/II/oyellue CQl/lwissmlce de 167 cas de corrl/priol! pelldam les al/I!ée.~ /963-70 (fJOIi/' l'AI/ell/aglle de l'Ollest l'elliement), ce chiffre se manie à 3253 pOlir l'mmée 1994 (!Wur Ioute l'Allemagne); cf D. DOWNG, Empfehlell sic"

iù/(Iellmgel/ des Stm} III/d Slmfprozessreclns. 11111 der Gefuh!' VOII Ko/'wption ill Staal, Wirtscluift Ulld Gesell- sc/wft wirksam lU begegmm?, Gutachœn Cflirt/ell 61.

Delltschen Jmùtel1ttlg, 1996. p. C 13. No/wbs/allt cef/e b'olut/oll. DOLLING estime q/le le chijJre 1I0ir reste imporul/lt (op. cil., p. C J6 ss.).

7. BALMELU. op. cit. Ilote 2. p. 2; PlETH. op. cil. Ilote 4.

p. 235; à l'opposé, le grolll'erle tH/l'ail "Sicherheitwrii- fimg I/lld KOl'l1lpriol/» tlu DFJP dresse /III éral des lielLf trè.f m.nl/mnt tlalls SOli mppon filial relldu en octobre 1996 (polir II/le apprécilltioll critiqlle. cf M. BALMEW / C. SCHWYlER. Der Kom11'Iiollsbericht -eill Benlhi- gUllgsmillel? Nl2 dl/28jOlll'ier 1997).

tive de l'Etat. Alors que le secteur nnaneier s'est vu imposer progressivement un stan- dard éthique de plus en plus élevé, mettant hors la loi des pratiques certes considérées comme douteuses auparavant mais non punissables, telles que le blanchissage d'argent (art. 305bis CP et art. 305terCP) ou les infractions en matière boursière (délit d'initié, art. 161 CP et manipulation de cours, art. 161bis CP), le standard imposé en matière de conuption d'agents publics n'a pas évolué depuis l'entJ~e en vigueur du code pénal suisse en 1942. Or, il est fort à parier que la cristallisation de règles plus strictes, amorcée sur le plan international et dans certains de nos pays voisins, sera un des grands enjeux de la politique criminelle de la prochaine décennie. C'est ainsi qu'un groupe de travt/U illsti/lté pt/r le DFJP a recommandé, dans SOli rapport d'octobre 1996 (Schlussbe/ichr des Arbeirsgl1lppe

«Sicherheitspriifimg und KOJ'/'lIptioll»), une série de mesures préventives et répressives pour combattre la comlption, allant des véri- fications concernant la personne du fonction- naire à l'élaboration de diJ~ctives types gou- vernant l'acceptation de cadeaux personnels par les fonctionnaires et aux mesures visant à améliorer le contrôle financier et à rendre la répression pénale plus incisive.

il est d'ailleurs rassurant de constater que le droit pénal (auquel on adjoignait tradition- nellement le droit disciplinaire s'agissant d'infractions commises par les fonction- naires) est loin d'être le seul instrument de lutte contre la corruption dom nous dispo- sions. De plus en plus, l'accent est .mis sur les règles fiscales qui sont susceptibles d'influencer les conduites de manière déter- minanteR, sur la transparence des marchés publics et la possibilité d'en exclure des compagnies qui pratiquent la cOiruption, la précision des règles comptables et l'élabora- tion de codes de conduite par les entreprises privées elles-mêmes.

Néanmoins, pour mieux comprendre la problématique telle qu'elle se présente sur le plan de la répression pénale, ainsi que les enjeux de l'évolution future qui se dessine, un état des lieux de la législation actuelle s'impose.

8. Cf. f'1l/1icle d'Anne Hél'Îtier ulchal ci-dessol/s.

2.1. Distinction entre la corruption passive et l'acceptation d'un avantage Le code pénal suisse distingue la coouption passive (art. 315 CP) de l'acceptation d'un avantage (art. 316 CP). La pl~lnièrede ces infractions, qui constitue un crime, est com- mise par les «membres d'ulle Ol/Iorité, les fOllctionnaires, les persollnes appelées à

rendre lajllstice, les arbitres, leHApe/1s, rra- ducteurs 01/ ime/prètes commis par l'auto- rité qui, pour faire u/! acle impliquant tille violation des devoirs de lell/' charge, alI/VI1!

d'avance sollicité, accepté ou se seron! fait pmmellre U/1 don Olt ql/elque autl't!m'an!age auxquels ils // 'avaient pas dro;!». La seconde infraction (art. 316 CP) réprime COIIII1IO délit l'avantage sollicité ou accepté p.1rIes agents publics «pot/I' procéder à U/I acte 11011 C011lmire à lel/rs devoirs et l'elliraul dans Jeursfol1ctiolls» .

Cette définition divergente de l'acte du fonctionnaire soulève des problèmes de déli- mitation délicats:

Une première controverse entoure la ques- tion de savoir si l'acte du fonctionnaire cor- rompu doit relever du domaine d'activité spécifiquement confiée à ceIui~i - «sa charge» -ou s'il suffit que sa position parti- culière lui pennette de procéder à l'acte. Les textes légaux divergent à cette ég~d: l'art.

315 CP parle d'un «acte impliq/lallllll1e vio- lation des devoirs de lellr chatgt» en fran- çais (et en italien) et de «pjficlrtll'idrige Amr- shalldlung» en allemand, tandis que l'art.

316 CP se réfère à un «acte 1/011 COI/traire à leurs devoirs et l'emlnll! dt/liS leI//! fonc- tions» «(nidlf pftic1mvidrige AmlSl/Olld-

"/IIg»).

n

est généralement admis que l'art.

316 CP ne vise, COmme l'indiquent les trois versions du texte légal, que les aClesrelevanl des attributions officielles de l'auteur; c'esl la logique même, puisque l'art. 316 CP réplime des actes qui _ si ce n'était pour l'avantage perçu en échange ~ seraient par- faitement réguliers. li en va différemment de J'art. 315 CP, pour lequel le Tribun.1 fédéral adopte une intelprétation plus I~ge, se contentant d'un acte contraire nux devoirs découlant de la fonction, par' lequel le fonc- tionnaire exploite sa position particuliè~e,

que cet acte sail ou non un acte offiCiel

«<Amrshalldlwlg»)'. Le droit pénal suisse pennet ainsi, par exemple, de punirl'inspec-

(4)

teur du service cantonal de l'assurance incendie qui recommande aux assurés ayant subi un sinistre une entreprise qui s'est mon- trée généreuse à son égard, contrevenant par là à des prescriptions expresses en vigueur dans le service (ATF 72 IV 179).

Une seconde controverse a été suscitée par l'affaire Raphael Huber qui a défrayé la chronique judiciaire et mondaine zurichoise.

Le chef du service des autorisations de com- merce de la direction des finances avait octroyé des autorisations et patentes en échange d'avantages plus ou moins subtile- ment déguisés (prêts sans intérêts ou partiel- lement remboursables; achat de toiles peintes par le père de Huber, dont les talents artistiques étaient discutables, etc.). Les autorisations accordées étaient parfaitement admissibles compte tenu de la marge d'appréciation laissée au fonctionnaire dans ce domaine; le processus de décision n'en était pas moins vicié. Se posait donc la ques- tion de savoir si ce seul fait suffisait pour retenir que l'avantage avait été octroyé en vue d'un acte contraire aux devoirs incom- bant au fonctionnaire en vertu de sa charge.

La question était d'autant plus pertinente qu'en l'absence de Huber jugé par contu- mace on trouvait sur le banc des accusés des personnes soupçonnées de cOiTuption active au sens de l'art. 288 CP qui exige, comme l'art. 315 CP, un acte violant les devoirs de la charge incombant au fonctionnaire.

Dans son jugement du 21 août 1995 (RSJ 1996 p. 13), le Bezirksgericht Zurich expose de manière convaincante qu'il y a abus d'un pouvoir d'appréciation et donc acte contraire aux devoirs découlant de la charge du fonc- tionnaire lorsque la décision est rendue selon une procédure irrégulière, qu'elle est objecti- vement insoutenable, ou qu'elle viole le principe de l'égalité de traitement, notam- ment parce qu'elle est entachée de partialité CRSJ 1996 p. 15). Est également contraire aux devoirs découlant de la charge du fonc- tionnaire le traitement accéléré d'une

9. ATF 77 TV 49; 72 J\I 183: Bezirksgericht Zwich dans l'affaire HI/ber, RSJ 1996 p. /3 s.; jurisprudeJlce approuvée par la doctrine dmnil1ame, BALMELU, op. cit.

IlOte 2, p. 158 -164; J. REHBERG, Sll"tIfrecht TV, Delikre gegelJ die AIlgemein/teil, Zurich, 2e éd., 1996. pp. 405, 29J; TRECHSEL. KlIl"zkom/IJel1far, Zuric/l, J989, Il. 50d att. 315); cOll/ra: G. STRATENWERTH, Schweizelisches Strafrecht, BT li, Beme, 4ème éd., 1995, § 57, Il. 16.

requête, non justifié par des raisons objec- tives, de même que le fait que le fonction- naire ne se soit pas dessaisi d'un dossier, alors même qu'il y avait des motifs de récu- sation en raison de ses liens amicaux avec l'administré (RSJ 1996 p. 16). Il va de soi, cependant, que l'on ne saurait fonder la vio- lation des devoirs incombant au fonction- naire sur le seul fait qu'il a reçu un avantage, sous peine de priver l'art. 316 CP de tout champ d'application (Ioc. cit.)'''.

n

faut donc que la pmtialité de l'auteur ait préexisté au pacte conclu avec le corrupteur et que le caractère irrégulier de la procédure découle d'autres motifs que de l'octroi d'un avantage indu.

2.2. Le lien entre l'avantage accordé et l'acte du corrompu La limitation principale des dispositions actuelles réside dans l'exigence d'un lien subjectif (i<Aquivalenzverhaltnis») entre l'avantage octroyé, promis ou sollicité et un acte ultérieur du fonctionnaire, que ce der- nier soit (mt. 315 CP) ou non (art. 316 CP) contraire aux devoirs qui lui incombent en raison de sa charge, Le droit pénal suisse ne réprime pas n'importe quelle libéralité accordée à un fonctionnaire mais l'avantage seulement qui est destiné à obtenir de lui un certain comportement futur. Le Tribunal fédéral a certes posé des exigences peu éle- vées en déclarant qu' «il n' est pas nécessaire que cet acte soit déterminé de manière concrète et précüe ( .. ). Mais iifaui au moilu un liel/. suffisant entre l'avantage et un ou plusieurs actes futurs du fonctionnaire, déterminable de manière générique» (ATF 118 IV 316; plus large encore, A'IF 71 IV 147).

n

n'en reste pas moins que ces disposi- tions supposent établi que les parties sont conscientes du fait que l'avantage est octroyé au fonctionnaire «en vue d'une activité fllfum> de sa part (ATF 118 N 316).

Que des récompenses octroyées a poste- riori pour services rendus soient ainsi décla- rées impunissables, ne crée pas un danger sérieux pour le caractère régulier du proces- sus de décision au sein de l'administration, du moins lorsque les parties ne sont pas appelées à entretenir des rapports futurs. TI en

JO. BALMELU, op. cil. lIute 2, pp. J94 203; contra:

PIETH, op. cil. Ilote 4, p. 242.

va différemment du fait que les avantages accordés dans le but de créer des rapports agréables, sans que le lien avec un acte futur déterminable ne soit perceptible pour le fonctionnaire, échappe également à la sanc- tion pénale. Le processus corruptif est sou- vent amorcé par l'octroi de cadeaux anodins (Anfiittenlllgsphase), sans but évident mais qui sont néarunoins de nature à mettre le fonctionnaire dans l'impossibilité de répondre négativement à une sollicitation futurell .

Pour éviter ces difficu1tés, certains auteurs proposent de renoncer purement et simple- ment à l'exigence d'un quelconque .lien objectif ou subjectif avec un acte du fonc- tionnaire, en créant une infraction de base - applicable aux deux parties en présence - visant tout avantage octroyé au fonctionnaire en relation avec sa positionl2, ce qui exclurait les libéralités vouées non au fonctionnaire mais à la personne privée, telles que les cadeaux d'usage faits en raison de liens familiaux ou amicaux. Il s'agit là d'une pro- position qui a fait son chemin en Allemagne, puisque le Bundesrat a publié un projet de loi du 3 novembre 1995 (<<Korruptionsgesetz») visant à introduire deux infractions de base incriminant l'octroi et l'acceptation d'avan- tages en relation avec la charge officielle''.

Le groupe de travail suisse nommé par le DF)P a formulé des propositions allant dans le même sens.

Une infraction de base ainsi conçue élargi- rait de manière très considérable la répres- sion en matière de corruption, puisqu'elle constituerait un délit obstacle visant des comportements de mise en danger abstrait, sans aucun rapport direct avec le processus de décision au sein de l'administration. La création de délits obstacles peut se justifier lorsque la dangerosité du phénomène que l'on veut enrayer est particulièrement impor- tante; ce fut le cas, par exemple, dans le domaine du blanchissage, pour lequel le nombre important d'affaires dans lesquelles les établissements financiers suisses étaient impliqués justifiait la création du délit obs- tacle décrit à l'art. 305ter CP (défaut de vigi- lance en matière d'opérations financières),

Il. Cf, p. ex., BALMELLl, op. cit. 1I00e 2, p. 14.

12. BALMEUI, op. cil. lime 2, pp. 9/, 280 ss.; P1ITH, op. cit. Ilote 4, p. 243.

(5)

Or, rien ne permet de penser, à l'heure actuelle, que la COlTIlption de fonctionnaires constitue en Suisse une menace importante au point de justifier que l'on porte devant le juge pénal des comportements qui ne mettent pas en danger la probité de l'activité mlmi- nistrative mais tout au plus l'intérêt diffus de la confiance que le public place dans cette dernière.

S'il fallait néanmoins s'acheminer vers la création d'un délit réprimant tout avantage indu accordé à un fonctionnaire, il serait important de veiller à ne pas en exagérer la portée. Il faudrait exempter, d'une part, les avantages dont l'acceptation est dans l'inté- rêt du service administratif, tels que des déjeuners d'affaires ou des cours de forma- tion offerts par des particuliers. D'autre part, il faudrait élaborer des critères d'apprécia- tion pour exclure du champ d'application de la norme les libéralités de peu d'importance correspondant aux usages (<<sozial- adilquat»), tels que les chocolats ou bou- teilles distribués en fin d'année, les cadeaux publicitaires, l'invitation isolée à un repas ou un spectacle (mais non à des vacances), etc.

Le groupe de travail institué par le DFJP recommande à cet égard d'exempter de la répression pénale les cadeaux de politesse ne dépassant pas Frs. 100.-, à condition qu'ils soient annoncés. Au critère de la valeur éco- nomique s'ajoute donc, de manière fort per- tinente, celui de l'absence de clandestinité.

2.3. Traitement privilégié de la corruption active

Le droit pénal suisse consacre des disposi- tions distinctes aux deux membres du couple

«conupteur 1 cOITompu». L'art. 315 CP vise la corruption passive, par quoi il faut entendre le comportement du fonctionnaire qui sollicite, accepte ou se fait promettre un avantage auquel il n'a pas droit pour faire un acte impliquant une violation des devoirs de sa charge. L'art. 288 CP, corruption active, estle pendant de cette disposition, applicable au corrupteur qui agit dans le but de détenllÎ- ner le fnnctinnnaire à violer les devoirs de sa

13. Proje! de modification des.~ 331 al. l,1ère phrase, al.

2, Ume phrase el § 333 al. 1 / ère phrase et al. 2 1ère phrase du Code {lé/Jal allemand: L1 W. SCHAUPEN·

STEINER, Dos Kormptiollsbekiimpfill1gsgesetz, Krimi/JaliS/ik /996, p. 237.

charge. La loi ne connaît, en revanche, pas de contrepartie «active» à l'art. 316 CP visant le fonctionnaire qui sollicite, accepte ou se fait promettre, à l'avance, un avantage pour pro- céder à un acte non contraire aux devoirs découlant de sa charge. Il s'agit là, selon la doctrine actuellement dominante, d'un silence qualifiél4 ; le particulier qui octroie l'avantage ne tombe donc pas sous le coup de la loi, les règles ordinaires sur la partici- pation étant inapplicables.

La symétrie dans le traitement pénal du couple «corrupteur 1 corrompu» est ainsi doublement imparfaite. Elle l'est en raison de l'impunissabilité du comportement actif qui fait pendant à l'infraction visée par l'art.

316 CP. Elle l'est également en raisnn de la peine dont est passible l'auteur: alors que la corruption active (art. 288 CP) constitue un simple délit, la corruption passive (art. 315 CP) est un crime passible de la réclusion pour 3 ans au plus ou de l'emprisonnement;

la peine peut aller jusqu'à la réclusion pour 5 ans, lorsque le fonctionnaire procède effecti- vement à l'acte violant les devoirs de sa charge. Cette différence dans la peine se répercute sur le délai de prescription de l'infractinn en vertu de l'art. 70 CP: 10 ans dès l'acceptation de l'avantage pour l'infrac- tion à l'art. 315 CP (délai relatif, la prescrip- tion absolue au sens de l'art. 72 ch. 2 al. 2 CP étant de 15 ans) et 5 ans (respectivement 7 1/2 ans) pour l'infraction à l'art. 288 CP.

Même s'agissant de conuption proprement dite et non seulement d'acceptation d'un avantage, le corrompu risque donc de se retrouver seul sur le banc des accusés, parce que le délit reproché à son partenaire est prescritJ5.

Cette différence de traitement ne se justifie pas, raison pour laquelle le groupe de travail

14. BALMELLl, op. ciro /Iole 2, p. 222 S5.; R. GERBER, Zrlf Al1Iurhme ~'{)11 Geschenkel1 durcir Beamle des Brl11des, RPS 1979 pp. 243 sS., p. 248; REHBERG, op. cil. lIole 9, p. 410; STRATEMVERTH, op. cil. Ilote 9. § 57, Il. 13:

TRECHSEL, op. cil. IlOte 9, Il. 2 ad art. 316.

15. Deprtis l'abandr)l1 dt! fa figure du défit successif (ATF 116 IV 123), le TF a éCG/1é f'unité d'une série de paiements illicite.\· (liU sens de "(II"/. 316 CP) SOl/.l" f'allgle de III prescription (ATF 1181V 318; pOl/ruile apprécia- lioll critique, cf. BALMEUI, op. cil. Ilote 2, p. 2435S.;

PIETH, op. cit. note 4, pp. 244 ss.; M. PIETH, Die l'erjii/lllmg.l"I"edllficfle Einheit gemiis5 A/1. 71 Abs. 2 SIGB hei Be5tec/lIIl1gsdefikten, BJM 1996 pp. 57 j·S ..

instituée par le DFJP prône son abandon. il est certes exact que le fonctionnaire, contrai- rement au particulier qui le corrompt, viole un devoir de fidélité envers l'Etat dont il est le serviteur. Peu importe, à cet égard, que l'initiative émane de l'administré ou du fonc- tionnaire qui lui indique le «tarif» de sa pres- tation ou lui fait comprendre tout au moins qu'un geste de sa pm-t pourrait faciliter les choses. Cependant, le fait que le corrupteur ne soit pas partie à la relation de fidélité qui existe entre le corrompu et la collectivité que ce del11ier est censé servir ne doit pas obliga- toirement mener à une peine plus douce à son égard. Le droit pénal suisse réprime, en règle générale, la violation des devoirs incombant au fonctionnaire sous la fonne du délit propre pur qui ne peut être commis, à titre principal, que par celui qui possède les qualités exigées par la loi (intmneus);

l'extral1eus, quant à lui, ne peut participer au délit propre pur qu'au titre de la participation accessoire, soit comme instigateur ou comme complice, Or, l'instigateur est pas- sible de la même peine que l'auteur principal (art. 24 CP), alors que le complice bénéficie d'une atténuation qui n'est que facultative (art. 25 CP): Le particulier qui incite donc, par exemple, un fonctionnaire à commettre un abus d'autorité (art. 312 CP), une gestion déloyale des intérêts publics (art. 314 CP) ou une violation du secret de fonction (art. 320 CP) est passible de la même peine que le fonctionnaire lui-même; quant au complice, il n'est nullement assuré de l'atténuation de sa peine. Il est difficile de comprendre pour- quoi le corrupteur actif devrait, lui, bénéfi- cier d'un régime de faveur, sauf peut-être à élargir la marge de manœuvre du juge en abaissant le seuil inférieur de la peine.

Le traitement privilégié dont bénéficie le conupteur actif dans le droit actuel ne sau- rait, en tout cas, se justifier en raison de l'inégalité des avantages retirés de part et d'autre de la transaction illicite. Bien au contraire, on peut supposer qu'un calcul éco- nomique élémentaire incitera le corrupteur à offrir au corrompu des avantages infétieurs au bénéfice qu'il entend lui-même retirer de }' affaire, même si ce bénéfice ne se matéria- lisera en général qu'ultérieurement, s'agis- sant, par exemple, de l'obtention d'un contrat ou d'une autorisation d'exploiter un commerce.

(6)

2.4. La dimension internationale

ConfOImément à l'interprétation courante des art. 288. 315 et 316 CP,la conuption de fonc- tionnaires étrangers n'est pas réprimée, même lorsque les conditions d'application tenito- riale du droit suisse sont réunies, que ce soit parce que le fonctionnaire étranger est cor- rompu sur sol suisse (art. 3 et 7 CP) ou en rai- son de la nationalité suisse de l'auteur (art. 6 CP). Les tribunaux pénaux suisses ne sau- raient donc réprimer la corruption de fonc- tionnaires étrangers, ni confisquer le produit de la corruption en tant que résultat de cette infraction (SJ 1994 p. 110).

IJ ne faut pas croire, pour autant, que cette auto-limitation met notre pays en marge de la communauté internationale. La plupart des droits étrangers font preuve de la même réserve en ce qui concerne la protection de J'administration des Etats étrangers, l'excep- tion la plus notable à cet égard étant le Foreign COITUpt Practices Act (FCPA) américain du 19 décembre 1977 qui réprime la corruption de fonctionnaires étrangers par des compa- gnies américaines paltout dans le monde.

Le droit suisse n'est d'ailleurs pas entière- ment désarmé vis-à-vis de la cOlTuplion de fonctionnaires étrangers, puisque l'entraide internationale en matière pénale peut être accordée, la condition de la double incrimina- tion étant interprétée de manière abstraite.

Lorsque le juge suisse de l'entraide est saisi d'une requête basée sur la conllption d'un fonctionnaire, il doit «raisol/l1er comme si HOII

seulement le corrupteur prés limé avait agi ell Suisse, mais que le fO/Ictio11lwire cOl'lvmpl/

appartenait cl IlIle administration suisse» (SJ 1994 p. 109; cf. également l'ATF 117lb 89)".

Dans ce contexte, l'assistance fournie se limi- tera cependant, en règle générale, à la "petite entraide", puisque le fonctionnaire étranger c011'ompu ne se trouvera selon toute vraisem- blance pas dans notre pays et que le c011'upteur ne peut être extradé sans SOIl consentement s'il est de nationalité suisse (art. 7 ETMP).

Le produit issu de l'infraction est en outre susceptible de faire l'objet de blanchissage d'argent sur sol suisse, puisque la corruption passive est un crime et que l'art. 30Sbis ch. 3 CP déclare également punissables les actes de blanchissage pOitant sur des valeurs patrimo- niales obtenues par une infraction commise à l'étranger. Les tribunaux suisses sont donc en

mesure de réprimer non pas l'infraction ini- tiale mais les actes visant à dissimuler les valeurs patrimoniales qui en sont issues, dans la mesure tout au moins où la compétence ter- ritOliale de la Suisse est dOlUlée. De la même manière, la confiscation poulTa s'exercer sur ces valeurs, non pas au titre de la cOl11lption, mais du blanchissagel7. TI s'agit là d'une anne qui peut se révéler plus efficace que l'entraide intemationale en matière pénale, en particuUer lorsque la cOlTuption est Je fait de ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir politique et judiciaire dans le pays où se déroule l'infrac- tion et qu'il y a par conséquent fort à parier qu'aucune requête ne sera adressée à la Suisse.

Nonobstant l'existence de ces moyens de lutte contre la conuption intemationale, on peut se demander si la solidarité, en pmticulier avec les pays, souvent économiquement faibles, dans lesquels le pouvoir politique et la justice sont en mains de personnes corrom- pues peu enclines à poursuivre ces pratiques, ne commande pas de modifier le code pénal suisse de manière à réprimer égaJement la cor- ruption de fonctionnaires étrangers. Dans son rapport d'octobre 1996, le groupe de travail

«Sicherheitsprüfung und Korruption» a fran- chi ce pas.

L'argument qui est généralement invoqué pour réfuter cette idée est que dans certains pays les affaires ne peuvent se conclure sans l'octroi de pots-cie-vin ~ pudiquement appe- lés «commissions» dans la plupart des cas - à des «sponsors» proches du pouvoir politique et que les compagnies suisses seraient désa- vantagées sur les marchés étrangers s'il leur était prohibé de se COnf0l111er aux usages locaux. L'expérience américaine suite à l'adoption du FCPA a d'ailleurs démontré que de telles craintes sont fondées, aussi long-

16. Ce raisonnementllbolltit à exclure f'emraide lorsque fe!onctionl1aire corrompulI'appartieut pas à l'adlllillis- Imlioll de l'Elat requéram mai.l· cl II/r Etalliers (SJ f994 p. 1/0).

17. Ce point de l'ue est corrfes/é par SCHMlD qlli estime que la colldition de la double p//ilissabilité doit être

!lrte/prétée de IIItl/lière cOl1crète dal/s le collfexte de /'(1/1.

305hi,v ch 3 CP (N. SCHMlD, Anwendlll1gsfragen der Stmftatbes/iillde gegell Geldll"iisclterei, l'or aile//! SlrGB AI"/. 305bis. ill Geldu·ii.l'cherei /lild Sorgfaltspfiicht, FSA

\"ol. 8. p. 1/3: sm' ces questions. cf U. CASSAN/.

Commentaire du droit pêl1(" suisse, 1101. 9, Crimes 0/1 délits colllre l'adminislra/io/J de faj/lstice (Ill"/. 303-3//

CP). Berne. /996. Il. /7 (/d tlrt. 305bis CP).

temps du moins qu'un pays fait «cavalier seuh, dans la lutte contre la conuption à l'étranger. Seule l'élaboration d'un standard minimum par la voie d'une convention inter- nationale largement applicable serait propre à éliminer ou du moins à réduire ces distorsions concurrentielles. Des propositions ont d'ailleurs été faites en ce sens, notamment par le Suisse Paolo BERNASCONl'8

Pour l'instant cependant, les efforts faits par la communauté intemationale prennent la forme de règles non contraignantes (<<soft law,,"). C'est ainsi que l'OCDE a engagé les pays membres, dans sa «Recommandation sur la corruptio/l dans le cadre de tral1sactions commerciales intel'llatÎonale.\·'> adoptée le 27 mai 1994, à examiner diverses mesures, dont l'application de leur droit pénal à la conuption d'agents publics étrangers et la modification des règles fiscales favorisant ces pratiques.

Ces deux exigences ont été réitérées dans la

~~Recolllmandatiolt du cO/lseil SUI' la déducti- hilité fiscale des pots-de-vill versés à des agellfs publics étra11ger.\"» du 11 avril 1996.

Une pression impoltante est exercée égaie- ment par des organisations non gouvernemen- tales, en p3lticulier par Transparency Interna- tional et par Antenna Internationale.

Ce standard rehaussé s'imposera progressi- vement aux Etats eumpéens, comme il s'est déjà imposé aux Etats-Unis, coupant ainsi COUlt aux craintes que la position conCllITen- tielle des sociétés soumises par leur législation nationale à l'interdiction de cOll'Ompre de~

fonctionnaires étrangers pourrait être péjorée par rapport aux compagnies émanmlt de pays qui tolèrent ces pratiques. Il est vrai, cepen- dant, qu'il existe dans notre pays une crainte, très répandue en matière de crintinalité finan- cière, que la Suisse fasse figure de «première de classe"" qu'elle applique avec rigueur des dispositions largement ignorées par des voi- sins moins zélés. Il s'agit là d'une image dont il faudra se débarrasser, si nous ne voulons pas courir le lisque de porter un jour le bonnet d'âne.

/8. (.J. P. BERNASCONI. Présentatioll d'ulI projet de COI1l'el1li(!I1 il1lenU/lù}l/ale cO/lire 1(/ corruptioll, in M.

BORGHlIP. MEYER-B/SCH (éd.).

u/

corl'llprioll.

f'e/ll1ers des droits de l'homme, Fribourg, 1995. p. 209.

19. M. PIl!.TH. S/r(ifreclrtsl'ereillheitliclulI/g durcir «Soft Illw» Ilm Beispie/ der KO/'/'II]Jtimrsbekiimpfimg, RPS 1995 p.107.

Références

Documents relatifs

Le droit pénal suisse ne traite pas de la même manière l'acte homicide et l'assistance au suicide. Alors que le premier est toujours punissable, même lorsque l'auteur agit

Pour terminer, pour les personnes détenant ce document (mais aussi pour les autres), j'insiste sur le fait que l'autorisation obtenue ne constitue pas un sauf conduit uni- versel

Année N° dossier Objet de la demande Situation. Publication des autorisations

Concerne tous les projets de construction ou de démolition, en surface ou en sous-sol, modifiant de façon sensible la configuration, l’apparence ou l’affectation d’un terrain ou

[r]

Au jour de la présente enquête, l'ensemble des autorisations nécessaires à la réalisation de l'opération d'aménagement ont été obtenues à l’exception de

La Municipalité demande ainsi pour la législature 2021-2026 au Conseil communal qu'une marge de tolérance pour tout dépassement de crédit d'investissement n'excédant pas CHF

Le chef du service des autorisations de com- merce de la direction des finances avait octroyé des autorisations et patentes en échange d'avantages plus ou