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Le droit pénal suisse face à l'assistance au décès

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Le droit pénal suisse face à l'assistance au décès

CASSANI, Ursula

CASSANI, Ursula. Le droit pénal suisse face à l'assistance au décès. In: Bertrand, D. .. et al.

Médecin et droit médical : présentation et résolution de situations médico-légales . Chêne-Bourg : Ed. Médecine + Hygiène, 1999. p. 81-90

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42613

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D. BERTRAND T.-W. HARDING M. MANDOFIA BERNEY M. UMMEL

,

MEDECIN ,

E T DRO IT M E DI CAL

Présentation et résolution de situations médico-légales

EDinONS

méd~çine

+hyg1ene

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~

LE DROIT PENAL SUISSE

FACE À L'ASSISTANCE AU DÉCÈS

U. Cassoni

l'euthanasie est un acte qui met fin à la vie humaine, effectué dans le but d'assister une personne dans les instants qui précèdent la mort et de lui per- mettre ainsi de mourir dans la dignité (Sterbehilfe).

le terme d'euthanasie a été utilisé pour désigner des comportements très divers, autoritaires ou volontaires, relevant de la pratique médicale ou non, adoptés dans des buts plus ou moins avouables. les réflexions qui suivent ont trait exclusivement aux comportements qui sont adoptés par les méde- cins et le personnel soignant à l'égard de patients qui sont proches de la mort en raison d'une affection grave ou qui souffrent de troubles cérébraux extrêmes.

1. L'EUTHANASIE, PHÉNOMÈNE INCONNU DU CODE PÉNAL SUISSE

le Code pénal suisse (ci-après «CP,) semble ignorer totalement cette assistance particulière fournie au patient. les art. 111 à 117 CP protègent la vie humaine de manière absolue, indépendamment de la qualité de cette dernière, le malade incurable et souffrant de douleurs atroces bénéficiant de la même protection contre les actes homicides que n'importe quel autre être humain, fût-il jeune et bien portant. Abréger la vie humaine, ne serait-ce que de quelques instants, constitue, du point de vue de ces dispositions, un homicide.

La protection est absolue dans un autre sens encore: si tout un chacun est habilité à mettre fin à sa propre vie par le suicide, il ne saurait valablement consentir à une atteinte à sa vie qui serait perpétrée par un tiers. l'art. 114 CP, meurtre sur la demande de la victime, réprime l'acte de celui qui donne la mort à autrui en cédant à la pitié et agit sur la demande instante et sérieuse de sa

"victime». Selon le système mis en place par ces dispositions, le fait que le

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DROIT MÉ.DICAL POUR LE MÉDECIN

patient soit incurable et qu'il demande à son médecin de mettre fin à sa vie, n'est pas suffisant pour rendre l'acte du médecin pénalement indifférent.

Ces principes clairs ont été élaborés à la fin du XIX• siècle, dans lequel notre code pénal est encore profondément enraciné, époque à laquelle les techniques médicales permettant de prolonger artificiellement la vie du patient et d'exercer par là une certaine maîtrise sur l'échéance de sa mort, étaient encore inconnues. Il n'est dès lors pas étonnant que l'euthanasie ait été absente du système mis en place par les concepteurs de ce code.

Ce qui peut sembler plus étonnant, en revanche, est que cette lacune n'ail pas été comblée à l'occasion de la révision des infractions contre la vie et l'intégrité corporelle qui est entrée en vigueur en 1989. la possibilité de légiférer en matière d'euthanasie fut certes évoquée, mais elle fut abandon- née aussitôt, non pas que l'on voulût ainsi interdire tout acte d'assistance au décès, mais parce que l'on estimait que les milieux de la médecine étaient suffisamment armés pour élaborer des lignes de conduite et mieux à même de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes que ne l'était le légis- lateur.

Cette articulation entre dispositions pénales et règles déontologiques en matière d'euthanasie n'est, cependant, pas exempte de certaines tensions.

2. LA DISTINCTION PROBLÉMATIQ!)E

ENTRE L'EUTHANASIE «ACTIVE» ET «PASSIVE»

les milieux médicaux établissent en général une distinction entre l'eutha- nasie active et l'euthanasie passive, la première étant strictement interdite, alors que la seconde est admise. Cette distinction est notamment présentée comme décisive par la «Directive concernant l'euthanasie» de l'Académie suisse des sciences médicales, datant de 1976 et 1981, ainsi que par la ver- sion actuelle de ce texte, publiée en juillet 1995 sous le titre de «Directives médico-éthiques sur l'accompagnement médical des patients en fin de vie ou souffrant de troubles cérébraux extrêmes'' 1

Le droit pénal ne s'accommode que très imparfaitement de cette distinc- tion entre euthanasie passive et active, qui n'est ni entièrement pertinente, ni suffisante pour départir ce qui doit être condamné pour des motifs d'hu- manité de ce qui doit être approuvé pour ces mêmes raisons:

La distinction entre comportement actif et passif renvoie à la distinction qu'opèrent les pénalistes entre l'action et l'abstention. La plupart des dispo- sitions pénales sont formulées de manière à réprimer un comportement actif. C'est le cas notamment de J'homicide, qui réprime le fait de" tuer», et non le fait de «laisser mourir"·

Bulletin des médecins suisses, vol. 76, rase. 29/30/1995 (du 26.7.95), p. 1226.

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LE. DROIT PÉNAL SUISSE FACE. À L'ASSISTANCE AU DÉCÈS

Ceci dit, le droit pénal assimile l'abstention à un comportement actif lorsque l'omission de l'auteur est contraire à un devoir juridique d'agir. Or, le médecin occupe précisément une position particulière vis-à-vis de son malade, en vertu de laquelle il a le devoir juridique d'agir pour sauvegarder les intérêts que celui-ci lui a confiés, en particulier sa santé et sa vie. Le méde- cin qui n'agit pas pour sauvegarder la vie de son patient, alors qu'ille pour- rait, répond d'homicide.

Il en résulte que le comportement passif du médecin doit être assimilé, du point de vue juridique, au comportement actif lorsque l'omission porte atteinte à la vie et à l'intégrité corporelle du patient. «Laisser mourir, son patient alors que l'on pourrait le sauver, c'est donc bien le «tuer''·

Les juristes ont élaboré des raisonnements subtils afin de fonder en droit l'impunissabilité de l'euthanasie passive. Le point de départ de cette argu- mentation est que la relation contractuelle qui lie le médecin à son patient peut être qualifiée de mandat; dans le cas des hôpitaux publics, les règles sur le mandat s'appliquent par analogie. Il s'agit là d'une relation juridique dans laquelle la volonté du mandant (patient) est déterminante pour définir les devoirs du mandataire (médecin) et dont une des caractéristiques princi- pales réside dans le fait qu'elle est librement révocable par les deux parties.

Le patient peut donc mettre fin au contrat quand bon lui semble et par là même délier le médecin de son obligation juridique d'agir. Lorsqu'il ne met pas fin au mandat, il peut instruire le médecin pour qu'il lui prodigue des soins palliatifs, en renonçant à d'autres mesures prolongeant la vie.

Cette distinction entre euthanasie active et passive n'est cependant pas entièrement satisfaisante. Il est souvent très difficile de déterminer si l'acte du médecin relève de l'action ou de l'abstention. L'interruption d'un traitement peut certes relever de l'abstention - renoncer à donner certains médica- ments ou à mettre en marche un appareil qui assiste les fonctions vitales -, mais elle peut également relever de l'action, lorsqu'il s'agit de retirer une sonde alimentaire ou d'interrompre le fonctionnement de ce même appareil qui maintient les fonctions vitales. Or, rien ne justifie, sur le plan éthique, d'établir une distinction entre ces deux situations, d'approuver la décision prise dans le premier cas et de condamner le médecin dans le second; mani- festement, l'appréciation pénale ne saurait dépendre de la forme que pren- dra plus ou moins fortuitement le comportement du médecin.

La distinction entre euthanasie active et passive est également inapte à rendre compte de manière adéquate de la situation dans laquelle le méde- cin prescrit à son patient un médicament qui améliore certes la qualité de son existence, notamment en soulageant ses souffrances, mais qui a égale- ment pour effet de raccourcir sa vie («euthanasie active indirecte»). Si la dif- férentiation entre comportement actif et passif devait être à elle seule suffi- sante pour délimiter le licite de l'illicite, ce geste médical devrait être qualifié d'homicide. Or, ce résultat serait en contradiction flagrante avec les intérêts du malade.

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DROIT MÉDICAL POUR LE MÉDECIN

3. L'EUTHANASIE LICITE

Si les juristes s'accordent à l'heure actuelle de plus en plus pour dire que la seule distinction entre euthanasie active et passive n'est pas déterminante, l'embarras dans lequel ils se trouvent pour remplacer cette délimitation par des critères plus pertinents est évident. Des repères juridiques s'offrent néan- moins au médecin dans la détermination de sa conduite face à ces délicats et douloureux problèmes.

Le premier devoir professionnel du médecin est de sauvegarder la vie et l'intégrité physique du patient. Ce devoir n'est cependant pas un impératif abstrait appliqué aveuglément, mais une ligne de conduite qui doit être interprétée en fonction de l'intérêt du patient.

L'intérêt au maintien de la vie peut s'opposer à d'autres intérêts légitimes du patient, le soulagement de ses souffrances, le respect de sa volonté, de sa dignité humaine et de sa liberté individuelle.

A) LE DEVOIR DE SOULAGER LES SOUFFRANCES

Le devoir de sauvegarder la vie du patient peut entrer en conflit avec celui de soulager ses souffrances, dans le cas précité du médecin qui prescrit à son malade un analgésique dont il sait pourtant qu'il raccourcira la vie de ce der- nier (euthanasie active indirecte). Ce comportement est justifié lorsqu'il appa- raît, selon les circonstances du cas d'espèce, que le devoir d'alléger les souf- frances doit l'emporter, parce que ces souffrances sont insupportables et durables et que la qualité de vie à laquelle le patient pourrait encore s'at- tendre sans l'analgésique serait dès lors très mauvaise.

Le médecin est alors en droit de prescrire la quantité d'analgésique qui est nécessaire pour soulager la souffrance. Il ne saurait, en revanche, administrer au patient une dose excessive, dans le but direct de provoquer la mort immédiate ou d'en rapprocher l'échéance.

8) LE DEVOIR DE RESPECTER LA LIBERTÉ ET LA DIGNITÉ HUMAINE DU PATIENT 1. Lorsque le patient est lucide

Tout traitement médical forcé constitue une atteinte à la liberté indivi- duelle, doublée le plus souvent d'une atteinte à l'intégrité corporelle (piqûres, pose de perfusions, etc.).

Les atteintes à la liberté individuelle peuvent être justifiées dans certaines situations particulières, lorsqu'il s'agit, par exemple, de traiter contre leur gré des patients qui, en raison de leur pathologie particulière, ne sont pas en mesure de se déterminer de manière raisonnable.

Lorsque le patient souffre, en revanche, d'une affection grave qui le mènera inéluctablement à la mort dans un avenir proche et qu'il exerce, en pleine connaissance de cause, son droit de déterminer la manière dont il

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LE DROIT PÉNAL SUISSE FACE À l'ASSISTANCE AU DÉCÈS

veut passer les derniers instants de sa vie, le médecin doit respecter ce choix, sous peine de porter une atteinte inadmissible à la liberté individuelle du malade.

Dans ces conditions, le médecin a non seulement le droit, mais le devoir de renoncer aux mesures qui maintiendraient le patient en vie contre son gré, voire d'interrompre ces mesures.

Pour que le malade puisse exercer son choix, il doit cependant être ren- seigné de manière complète et exacte par le médecin. Les exigences s'adressant au médecin sont à cet égard les mêmes en fin de vie qu'à tout autre moment du rapport thérapeutique. L'assistance à la personne en fin de vie consiste dans le dialogue, le partenariat avec le malade, et la renon- ciation des médecins à se laisser guider par l'impératif technique2 plutôt que par des considérations qui relèvent de la qualité des derniers instants de la vie.

2. Lorsque le patient n'est plus lucide

Le problème se pose en des termes légèrement différents lorsque le patient n'est plus lucide et que le médecin devra dès lors faire le «Choix entre la qualité et Jo quantité »3 des derniers instants sans l'aide de ce dialogue avec le malade.

Ici encore, son choix devra être guidé par la volonté - présumable, puis- qu'elle ne peut plus être exprimée - du patient, ainsi que par son intérêt objectif, à l'exclusion de tout autre motif, d'ordre privé ou collectif. Ici encore, la dignité humaine du patient est le premier fil conducteur des décisions à prendre.

Le point de départ de l'appréciation consiste, cela va de soi, dans le dia- gnostic sur l'état de santé du patient et le pronostic concernant ses condi- tions de survie probables. A partir de là, les directives de l' ASSM fournissent les critères suivants:

- La gravité et l'intensité des interventions et des contraintes auxquelles est soumis le patient doivent être proportionnelles aux résultats thérapeu- tiques escomptés (ch. 3.2).

- lorsque ce pronostic est incertain, le médecin doit tenir compte de la volonté présumée du patient, qui peut se manifester notamment par des signes vitaux ou être déduite de déclarations antérieures écrites ou orales du patient (ch. 3.3 al. 1 et ch. 3.4). Concernant la valeur d'une

R. Baumann-Hoelzle, Unbeschrankte Kontrolle über den eigen en Tod? Ethische Ueberle- gungen zur Sterbehille in den Niederlanden, Neue Zürcher Zeitung des 12/13 mars 1994.

O. Guillod, f. Guinand, validité et elficacité du testament biologique, ROS 1988 (1 07), p. 401, p. 415.

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DROIT MÉDICAL POUR LE MÉDECIN

éventuelle déclaration antkipée écrite («testament de vie>>), les direc- tives de l' ASSM affirment, de manière péremptoire, que «celle-ci est déterminante». Cette affirmation est, bien sûr, trop absolue: la déclara- tion écrite ne doit être déterminante que si elle correspond toujours à la volonté présumable actuelle du patient. Comme n'importe quelle autre déclaration de volonté unilatérale, le testament de vie peut être révo- qué librement par celui qui l'a fait, sans quoi il représenterait d'ailleurs un engagement excessif qui serait nul en application de l'art. 27 al. 2 CC. La révocation n'étant soumise à aucune exigence de forme, toute déclaration contraire -écrite, orale, voire même par signes, lorsque le patient n'est plus à même de parler et d'écrire - faite vis-à-vis d'un proche, du médecin ou d'un membre du personnel soignant, est suffi- sante pour que les directives anticipées cessent d'être « détermi- nantes>>.

- Lorsqu'il existe un espoir raisonnable que le patient puisse recouvrer son aptitude à la communication sociale, cette perspective doit «en principe,. être déterminante dans le choix thérapeutique du médecin (ch. 3.3 al. 2). Toutefois, si les circonstances permettent d'établir une volonté présumable contraire du patient, cette dernière doit être res- pectée.

- Le médecin doit s'efforcer d'adopter un comportement qui puisse être compris par les proches du patient. Lorsque le patient est mineur ou sous tutelle, aucune mesure de survie ne pourra être interrompue ou refusée sans l'accord de son représentant légal (ch. 3.3 al. 3).

Ne saurait être licite, le geste qui abrège l'existence d'un patient pour des considérations d'ordre purement économique liées au coût du maintien en vie, alors même que ce dernier paraît encore conforme à l'intérêt et à la volonté présumée du patient, pas plus que l'acte abrégeant la vie d'un patient, afin de permettre le prélèvement rapide d'un organe dans le but de sauver ainsi la vie d'un autre patient.

4. LE SUICIDE MÉDICALEMENT ASSISTÉ

Bien que ne relevant pas de l'euthanasie proprement dite, la participation au suicide d'autrui peut néanmoins constituer un acte d'assistance au décès.

Les directives précitées de l' ASSM déclarent que l'« assistance au suicide n'est pas une activité médicale» et invitent le médecin à s'efforcer «de sou- lager, de soigner et de guérir les douleurs physiques et morales pouvant amener un patient à des intentions suicidaires,, (ch. 2.2). Sous l'angle du droit pénal, l'assistance au suicide d'autrui, fournie par un médecin à un patient capable de discernement, dans le but de l'aider à mourir dans la dignité, n'en reste pas moins licite.

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LE DROIT PÉNAL SUISSE FACE À ~ASSISTANCE AU DÉCÈS

A) TRAITEMENT jURIDIQUE DIFFÉRENT DE L'HOMICIDE ET DE LA PARTICIPATION AU SUICIDE

Le droit pénal suisse ne traite pas de la même manière l'acte homicide et l'assistance au suicide. Alors que le premier est toujours punissable, même lorsque l'auteur agit par compassion, la seconde ne l'est qu'exceptionnelle- ment, lorsque l'auteur qui fournit l'assistance a un mobile égoïste.

Sous l'angle juridique, la question essentielle est par conséquent celle de savoir si l'acte qui met fin à la vie est commis par le médecin ou par son palient lui-même. Si l'assistance fournie par le médecin consiste à agir sur le corps du patient dans le but de provoquer ainsi sa mort, il y a homicide, punissable, en vertu de l'art. 114 CP, même lorsqu'il est commis par pitié et à la demande du patient. Si, en revanche, le médecin se borne à préparer à l'intention du malade l'instrument que ce dernier appliquera à son propre corps, par exemple l'injection d'une substance létale, il ne s'agira pas d'homicide mais d'assistance- impunissable- au suicide d'autrui. En effet, l'art. 115 CP, intitulé «Incitation et assistance au suicide>>, réprime la partici- pation au suicide d'autrui dans la mesure seulement où l'auteur a un mobile égoïste.

L'élément clé réside ainsi dans l'état d'esprit de celui qui aide autrui à mettre fin à sa vie. Le mobile égoïste serait manifeste s'agissant de l'assistance fournie dans un but lucratif ou pour satisfaire des ambitions personnelles. A l'inverse, il ne viendrait à l'esprit de personne de retenir le mobile égoïste lorsque cette même assistance est fournie à une personne dans le seul but de l'aider à exer- cer son choix de mettre fin à une vie qu'elle ne désire plus poursuivre. Il n'y a d'ailleurs pas matière à application de l'art. 115 CP, non plus, lorsque celui qui fournit l'assistance n'agit ni par altruisme, ni par égoïsme, mais pour un mobile moralement neutre, par exemple par simple indifférence.

A supposer donc que le médecin accepte de venir en aide à son patient, que ce soit en lui remettant une substance mortelle que ce dernier s'admi- nistrera lui-même ou que ce soit en lui prodiguant des conseils en vue du sui- cide, cette assistance ne relèverait pas de l'art. 115 CP. Il va de soi, cepen- dant, que la remise au patient du moyen de commettre le suicide ne doit procurer au médecin aucun enrichissement, dont l'obtention pourrait être qualifiée de but égoïste.

8) PAS D'HOMICIDE PAR ABSTENTION EN CAS DE SUICIDE

Les développements qui précèdent font abstraction de la qualité particu- lière que revêt le médecin, puisque l'art. 115 CP ne fait aucune distinction entre l'assistance au suicide fournie par un simple particulier et le suicide médicalement assisté.

Lorsque l'assistance au suicide est le fait du médecin qui favorise ainsi l'acte commis par son patient, il faut encore se demander si la responsabilité pénale

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DROIT MÉDICAL POUR LE MÉDECIN

du médecin peut se fonder sur le fait qu'il a, en sa qualité de garant de la vie et de la santé de son patient, le devoir juridique d'empêcher ce dernier de se sui- cider.

La question qui se pose est donc celle de savoir si le médecin qui ne dis- suade pas son patient de se suicider commet un homicide par abstention.

La réponse est négative: /a punissabilité de la participation au suicide d'au- trui est régie exhaustivement par l'art. 115 CP. Cette conclusion est en tout cas incontestée lorsque celui qui se suicide est majeur et parfaitement à même d'apprécier la portée de ses actes. Doctrine et jurisprudence suisses s'accor- dent pour dire que la seule forme punissable de participation au suicide d'une personne majeure et saine d'esprit est l'incitation ou l'assistance active commise par égoïsme, à l'exclusion de toute autre action ou omission, notamment celle qui résiderait dans l'abstention du médecin qui n'empê- cherait pas son patient de se suicider4Il en va différemment, en revanche, du médecin qui a en face de lui un patient incapable de discernement qui lui révèle son intention suicidaire: dans cette hypothèse, une partie de la doc- trine admet que le médecin a le devoir juridique de sauver son patient, sans quoi il se rendrait coupable d'homicide5La question de savoir s'il existe un devoir juridique à la charge du médecin d'empêcher le mineur ou l'interdit capable de discernement de commettre le suicide n'est pas résolue de manière certaine.

S. PERTINENCE DE L'APPRÉCIATION JURIDIQ!JE DE LEGE LATA ET PROPOSITION DE LEGE FERENDA: VERS UNE LÉGALISATION DE L'ACTE PROVOQlJANT DIRECTEMENT .LA MORT?

La renonciation au traitement ou à des mesures de maintien en vie, de même que l'interruption de ces mesures, peuvent, dans certaines circons- tances, être conformes à l'intérêt bien compris du patient. A condition que le geste du médecin ait pour seul but de servir l'intérêt du patient, de sauve- garder sa dignité humaine et sa liberté de choisir la manière dont il entend vivre les derniers instants de sa vie, il devra être considéré comme conforme au droit pénal, sans qu'il y ait lieu de recourir à la distinction artificielle et insuffisante entre comportement par omission et par commission.

De même, le médecin qui, sans mobile égoïste, accepte de venir en aide à son patient adulte et capable de discernement en lui fournissant les moyens de se suicider commet un acte pénalement indifférent.

RSJ 1996 p. 214; RJN 1980 p. 1 08; J. Rehberg, in Honsell et al. (éd.), Handbuch des Arzt- rechts, Zurich, 1994, pp. 324-328; M. SCHUBARTH, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht, Bd. 1, Delikte gegen Leib und Leben, n" 1 7 ad art. 114 el n• 36 s. ad art. 115.

M. Schubarth, op. cil., n" 37 ad art. 115; contra: J. Rehberg, loc. cil.

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Ll üllOIT PÉNAL SUISSE FACE À l'ASSISTANCE AU DÉCÈS

Les art. 111 ss CP Interdisent, en revanche, les actes dont le but direct est de provoquer le décès du polienl et de raccourcir ainsi sa vie par rapport à la durée qu'elle aurait sans l'intervention du médecin, "si on laissait faire la nature"·

La distinction entre l'assistance au suicide, en particulier le suicide médi- calement assisté, et l'euthanasie «active directe, peul sembler à la fois inadéquate dans bien des situations auxquelles sont confrontés les praticiens el contestable sous l'angle éthique. Lorsqu'un patient demande de pouvoir mourir, pourquoi refuser ce choix à celui qui n'est plus physiquement en mesure d'exécuter sa propre volonté mais venir en aide à celui qui en est encore capable?

Le postulat Ruffy vise à modifier cette situation juridique, par l'introduc- tion dans le Code pénal suisse de la disposition suivante6:

"Art. 115bis CP: Interruption non punissable de la vie Il n'y a pas meurtre au sens de l'article 114, ni assistance au suicide au sens de l'article 115, lorsque sont cumulativement remplies les conditions suivantes:

1 . La mort a été donnée à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci.

2. La personne défunte était atteinte d'une maladie incurable ayant pris un tour irréversible avec un pronostic fatal, lui occasionnant une souffrance physique ou psychique intolérable.

3. Deux médecins diplômés et indépendants tant l'un envers l'autre qu'à l'égard du patient ont tous deux préalablement certifié que les conditions fixées au chiffre 2 sont remplies.

4. L'autorité médicale compétente s'est assurée que le patient a été convenablement renseigné, qu'il est capable de discernement et qu'il a réitéré sa demande.

5. L'assistance au décès doit être pratiquée par un médecin titulaire du diplôme fédéral que le demandeur aura choisi lui-même parmi ses médecins.»

La disposition proposée constitue un fait justificatif spécial, dont l'appli- cation aurait pour effet de rendre licite un acte remplissant les éléments constitutifs d'un homicide. Contrairement à ce qui est expressément prévu par la disposition proposée, ce fait justificatif ne saurait s'appliquer à l'assis- tance au suicide au sens de l'art. 115 CP. En effet, il n'est pas envisageable

Comeil national, 94.3370, motion Ruffy, transformée en postulat en mars 1996.

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DROIT MÉDICAL POUR LE MÉDECIN

que les conditions énoncées aux ch. 1 à 5 de la disposition proposée soient réalisées alors même que l'auteur aide autrui à se suicider en agissant dans un but égoïste; or, l'assistance au suicide fournie sans mobile égoïste à une personne capable de discernement est pénalement indifférente (ch. 5 ci-des- sus), ce qui rend inutile tout fait justificatiF.

Pour le surplus, le postulat Ruffy consacre une solution très radicale, puis- qu'il propose de rendre l'euthanasie active directe licite. Pour prévenir néan- moins les abus, le postulat propose de multiplier les conditions formelles, jus- qu'à prévoir l'obtention du sceau officiel que confère l'enquête de l'autorité médicale compétente. Ce repli sur le formalisme introduit la bureaucratie dans la chambre du mourant d'une manière qui ne nous paraît pas favoriser la dignité humaine lors des derniers instants de la vie que le postulat vise pourtant à sauvegarder. Les précautions prises ne nous paraissent pas pour autant garantir avec certitude qu'aucun malade ne sera encouragé à subir l'euthanasie. L'expérience en matière d'interruption de la grossesse en vertu de l'art. 120 CP - disposition qui a manifestement servi de modèle pour le projet d'art. 115bis CP- a démontré que la multiplication des obstacles for- mels n'est pas en soi efficace pour contrôler les pratiques effectives.

Il n'en va pas moins que le postulat Ruffy, qui a été suivi, au printemps 1997, de la mise sur pied d'un groupe de travail par l'Office fédéral de la Jus- tice, a eu le mérite de mettre à nouveau à l'ordre du jour un problème qui préoccupe les juristes, les médecins, ainsi que les patients potentiels que nous sommes tous. Le défi lancé est le suivant: trouver une solution coura- geuse, dénuée de toute hypocrisie, sans risquer l'érosion du tabou que constitue l'intangibilité de la vie humaine.

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