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Contre le droit pénal de l'ennemi

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Academic year: 2022

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Contre le droit pénal de l'ennemi

ROTH, Robert

ROTH, Robert. Contre le droit pénal de l'ennemi. Beccaria , 2020, vol. V, p. 45-48

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155754

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Contre le droit pénal de l’ennemi

Robert Roth Université de Genève

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Beccaria c’est d’abord le rejet du « droit pénal de l’ennemi », la peste schmittienne1 qui a envahi notre législation pénale. Dans une « société bien ordonnée »2, il n’y a pas d’« ennemis du genre humain », même pour les « atrocités qui défient l’imagination », pour reprendre la formule à mon sens beaucoup trop emphatique et certainement non beccarienne du Statut de la Cour pénale internationale3. Le droit est d’abord et avant tout le « gardien des libertés »4, avant d’être une protection contre le mal qui dort en nous.

Et la proportionnalité doit régner en toutes choses, y com- pris dans le langage.

Est-ce un anachronisme que de faire de Beccaria l’un des pères des droits de l’homme ? Rappeler qu’il est aussi une référence privilégiée des maîtres à penser de l’autorita- risme chinois5 ne suffit pas à le réfuter. Ce que Beccaria est peut-être le premier à mesurer, c’est qu’il faut faire pénétrer ce qu’il n’appelle pas encore les droits de l’homme dans le

1 Je fais ici référence à l’œuvre de Carl Schmitt, qui continue à exercer une influence, davantage dans certains pays latino-américains ou méditerranéens qu’en Allemagne. L’expression « Feindstrafrecht » (droit pénal de l’ennemi) connaît toutes sortes d’usages contemporains, qui se montrent plus ou moins distants et critiques à l’égard de la ma- trice schmittienne, qu’il est hors de propos de décrire ici. Voir pour une discussion Massimo Donini, Michele Papa (a cura di), Il diritto penale del nemico. Un dibatitto internazionale, Milano, Giuffrè, 2007 et une contribution en ligne de Günter Jakobs, très influent dans les pays men- tionnés, G. Jakobs, « Bürgestrafrecht und Feindstrafrecht », HRR- Strafrecht, 2004/3.

2 Maurizio Viroli, La théorie de la société bien ordonnée chez Jean-Jacques Rousseau, Berlin/New York, de Gruyter, 1988.

3 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Préambule, deuxième considérant.

4   Yves Cartuyvels, « Responsabilité morale et défense sociale.

Deux versions asymétriques de l’individualisation des peines en Belgique au XIXsiècle », in Michel Porret, Élisabeth Salvi (éds), Cesare Beccaria. La controverse pénale XVIIe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2015, p. 184.

5 Ning Zhang, « Pour ou contre Beccaria. La réception du traité Des délits et des peines dans la Chine contemporaine », in Cesare Beccaria, La controverse pénale, op.cit., p. 267-280.

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procès pénal. Cela fait partie de la recherche d’équilibre et de modération qui est dans l’air du temps.

Beccaria est sans doute aussi proche, à certains égards, de Montesquieu que de Rousseau, dont son œuvre est une sorte de transposition dans le champ pénal.

Rechercher l’équilibre, rejeter les « peines superflues », ce n’est pas (d’abord) faire preuve de charité, chrétienne ou non. C’est d’abord garantir les conditions de la société bien ordonnée ; bien loin d’être un révolutionnaire, Beccaria est un conservateur, soucieux de maintenir l’ordre social. Son message – que l’excès répressif menace tout autant sinon davantage l’ordre social que les crimes « les plus atroces » – est crucial dans une société où tant de facteurs et d’ins- truments, en particulier de communication, poussent à l’excès. La surenchère organisée par certains médias autour de provocations qui n’en sont pas tant elles rencontrent l’adhésion plus ou moins secrète de la bête qui en nous côtoie l’ange, la mécanique infernale des réseaux sociaux avec leurs dispositifs d’approbation instantanée incom- patibles avec la réflexion critique menacent de balayer la modération et le souci de la proportionnalité sans lesquels il ne peut y avoir de législation et de pratique pénales effi- cace et utile.

« Efficace » et « utile », les termes peuvent paraître froids, distants. Ils sont le parfait antidote à la « passion de punir »6 qui a saisi nos sociétés contemporaines. Abordant la torture ou la peine de mort sans passion, mais dans une approche purement analytique, Beccaria condamne ces modes de punition, non pas (en premier lieu) sur la base d’arguments moraux, mais parce qu’ils ne sont pas stricte- ment nécessaires au maintien ou à la restauration de l’ordre social. Il y a donc un continuum entre la dénonciation de

6 Didier Fassin, Punir. Une passion contemporaine, Paris, Seuil, 2017.

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ce que nous considérons aujourd’hui comme des institu- tions barbares et la modération des peines. Ces institutions barbares sont aujourd’hui condamnées par les principaux instruments du droit international des droits de l’homme ; ces mêmes instruments ne prennent par position quant aux pratiques punitives, sous réserve de la condamnation – en Europe ! – de sanctions qui priveraient la personne qui les subit de toute perspective de réintégrer la société7.

La sagesse froide de Beccaria reste donc un garde-fou indispensable pour modérer nos législations et nos pra- tiques punitives et cantonner le droit de punir dans les limites de la raison plutôt que celles de la passion.

7 Entre autres décisions, Cour européenne des droits de l’homme, déc. Prehn c. Allemagne, 24 août 2010, req. n° 40451/06.

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