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Oncologie : Article pp.81-86 du Vol.9 n°2 (2015)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Groupalité et travail de lien dans une unité d ’ oncologie

Working Groups and Liaison in an Oncology Department

M.-A. Pichavant · P. Cannone

Reçu le 15 janvier 2015 ; accepté le 20 avril 2015

© Lavoisier SAS 2015

RésuméCe travail propose une lecture clinique de symp- tômes institutionnels caractérisés par un processus de déliai- son dans une unité d’oncologie. La « groupalité » nous a paru être une voie privilégiée pour développer du lien et favoriser un travail de pensée. Nous avons ainsi élaboré un double dispositif groupal pour les patients et les soignants, où les espaces pourraient venir se renforcer. Un groupe de travail a été proposé aux soignants dans le but de développer un lien d’appartenance. Parallèlement, un groupe de parole a été proposé aux patients et à leurs proches pour se rencontrer.

Mots clésInstitution · Groupe · Liaison pulsionnelle · Oncologie

AbstractThis article reports a clinical analysis, in a Medical Oncology department, of institutional symptoms characteri- zed by a unbinding instinctual process. A working group organization seemed to be the most appropriate way to deve- lop relationship and to favor psychic work. We have set up a dual system for patients and health workers where each group could mutually interact. A working group was avai- lable for health workers in order to develop a corporate affi- liation feeling. In parallel, a support group was available for patients and their families to meet with each other.

KeywordsInstitution · Group work · Binding instincts · Oncology

Présupposés

Les institutions de soins, qu’elles soient hospitalières, médi- cosociales ou sociales, sont des structures sans cesse confrontées au travail de thanatos [1]. Les expressions de ce travail peuvent prendre la forme d’une déliaison de ce qui articule les relations humaines ou d’une confusion dont le but est d’empêcher, voire d’annuler tout travail de pensée dans une sorte de sape de l’activité psychique de mise en représentation et de mise en sens. C’est ce que l’on observe lorsque les patients et les soignants sont submergés et agis par des mouvements pulsionnels non liés qui prennent sou- vent la forme d’une attaque des liens [2]. L’institution est bien ce lieu de réactualisation de cette confrontation à cette quantité d’affects non liés, et c’est précisément dans et par l’institution que des aménagements sont nécessaires pour notamment retravailler la place du transfert mis a mal. Tout l’enjeu de cet article est de montrer comment en tant que psychistes nous avons mis en place un dispositif groupal pour tenter de maintenir le lien social qui se défait sous l’influence de nos sociétés dites hypermodernes [3]. Préci- sons que les travaux de René Kaës sur le groupe et l’institu- tion ont inspiré nos réflexions pour y puiser une conception globale des processus groupaux en jeu. Pour relancer le tra- vail psychique de liaison pulsionnelle, il nous a paru essen- tiel de reprendre ce qui relève et révèle de l’historicité ins- titutionnelle, pour mieux cerner son inscription au sein d’une chaîne généalogique [4]. Nous sommes en mai 2010, date d’ouverture d’une unité d’oncologie hospitalière.

Au regard d’une histoire…

Lundi 31 mai 2010, le service d’oncologie est à présent prêt à accueillir ses premiers malades avec l’ambition d’y déve- lopper la recherche clinique. Sa démarche de soin a pour objectif de proposer au plus grand nombre de patients l’accès à des thérapeutiques innovantes sur des temps courts d’hos- pitalisation. De nombreux essais cliniques industriels et aca- démiques, associés ou non aux thérapeutiques standard, sont

M.-A. Pichavant (*)

Psychologue clinicienne, Institut Sainte-Catherine, 250, chemin de Baignes-Pieds CS 80005, F-84918 Avignon cedex 09, France e-mail : m.pichavant@isc84.org P. Cannone (*)

Psychologue clinicien, docteur en psychologie clinique, service d’oncologie multidisciplinaire et innovations thérapeutiques, Assistance publiqueHôpitaux de Marseille, hôpital Nord, chemin des Bourrely,

F-13915 Marseille cedex 20, France e-mail : patrice.cannone@ap-hm.fr DOI 10.1007/s11839-015-0512-8

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proposés, pour définir la meilleure stratégie possible dans le parcours personnalisé de soin. L’idéologie du service repose sur une technicité médicale croissante étayée par une prise en charge holistique, à dimension humaine. C’est le premier pas, celui de la phase idéologique [5], moment d’uniformi- sation, d’illusion, de fantasme et de toute-puissance.

Le service montre un recrutement croissant de nouveaux patients, une visibilité nationale et internationale sur le plan de la recherche, mais présente également des difficultés de plus en plus marquées par des symptômes institutionnels.

Été 2013, le service a fait à présent ses preuves sur de nom- breuses scènes, administratives, médicales et symboliques avec une équipe de soins en effectif réduit et des conflits larvés qui surgissent. C’est le deuxième pas de la vie insti- tutionnelle, une lutte contre la dépression et l’effondrement.

Dans cette phase que Kaës nomme utopique, des projets idéalisés prennent place à partir d’éléments de la réalité pour faire tenir l’équipe, où l’imaginaire va permettre de les réa- gencer autrement, dans le but d’ouvrir à un ailleurs. L’ima- ginaire offre une possibilité nécessaire mais non suffisante pour créer du sens et permettre de maintenir le lien. Cette démarche de soin, caractérisée par des temps réduits d’hos- pitalisation, place les soignants face à une temporalité spéci- fique sur le mode de l’instantanéité où un certain nombre de leurs tâches vont être effectuées sur un mode opératoire.

L’agir prédomine, ne permettant pas suffisamment de penser ce qu’ils font et ce qu’ils sont, ainsi que de s’inscrire au sein d’une chronologie en termes d’organisation des tâches. Dif- férents indicateurs nous ont interpelés, comme le turnover important touchant cette équipe soignante, justifiant un recours à des personnels intérimaires ; le discours de plainte sur le manque de temps, la surcharge de travail ou encore la pénibilité évoquant un vécu de souffrance dans leur tâche quotidienne. Dans cette même perspective, ces acteurs de soins peinaient à se réunir et à travailler ensemble autour de projets de service. L’idéologie de la création du service n’était plus reprise à leur compte avec des distorsions concernant l’identité, la démarche de soin et une difficulté, semble-t-il, à se sentir appartenir à un groupe soignant.

Dans ce contexte, nous avons cherché à amener le groupe vers une phase dite mythopoétique [5] pour créer du lien, retrouver du plaisir dans les interactions et ainsi impulser une dynamique institutionnelle qu’il pourra continuer d’in- vestir. C’est ici le troisième pas. Nous pensons en effet que certaines modalités de fonctionnement de cette unité de soins peuvent être considérées comme une conséquence des bou- leversements qui affectent notre société hypermoderne et qui ont largement été décrits [6,7]. En effet, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos sociétés ont opéré des transformations considérables au profit du progrès et de la technologie. Elles ont dans un premier temps impacté les garants métasociaux en ébranlant les institutions et les formations encadrant le système social que sont les idéaux, les valeurs, les mythes,

les croyances ainsi que les figures d’autorité et de pouvoir.

Ces mutations ont également eu une incidence sur les garants métapsychiques issus de l’appareil psychique groupal, par une redistribution des alliances et contrats narcissiques inconscients participant en partie à la crise du lien. Ces nom- breux bouleversements se sont déroulés sur une durée trop courte pour qu’ils soient suffisamment intégrés par les indi- vidus. De ce fait, les narcissismes individuels ont été large- ment impactés. Remarquons qu’actuellement le changement constant est encouragé, ce qui s’oppose à une conception de la réalité suivant le modèle de l’inconscient, mais également à tout travail groupal.

Les institutions de soins sont particulièrement touchées par l’hypermodernité avec une mise en échec des garants à partir desquels elles se sont construites, notamment par la rupture des filiations antérieures. Le modèle gestionnaire directement issu du monde de l’entreprise, qui est aujour- d’hui souvent à la tête de ces structures, privilégie les démar- ches d’évaluation, de rendement, d’accréditation sous le couvert d’une idéologie de la transparence [8] et d’un désir d’uniformisation des pratiques afin d’aboutir à des institu- tions idéales. Cette démarche de résultats semble constituer un frein à l’instauration de liens solides et pérennes entre professionnels d’une même équipe [9], instaurant de fait de la rivalité ne favorisant pas l’implication de chacun à la réa- lisation d’un objet commun, la tâche primaire.

Du groupe de travail… au groupe de parole : la voie de la groupalité

Dans ce contexte, nous nous sommes demandé quel dispositif proposer au sein de ce service pour accompagner la dyna- mique institutionnelle et favoriser le travail de pensée, notam- ment autour des conséquences des mutations du métacadre ? Nous nous sommes ici inspirés des travaux de Pinel et Gaillard [10] selon lesquels les dispositifs de groupe avec les équipes soignantes pourraient leur permettre d’élaborer et de traiter certains effets des mutations du métacadre décrits plus haut.

Dans ce service où tout va très vite, il est finalement dif- ficile d’aller à la rencontre de l’autre, que ce soit son collè- gue de travail, le patient ou même les malades entre eux.

Face à la logique médicale omniprésente, à l’urgence soma- tique, nous souhaitions proposer à ces soignants de faire un pas de côté lors de réunions pour se rencontrer. Du côté des patients, nous avons observé cette difficulté à créer des repè- res institutionnels dans leur confrontation à la temporalité soignante. De ce fait, nous avons proposé un temps groupal qui puisse s’intégrer au rythme des soins, favorisant ainsi les échanges et les rencontres. Notre objectif principal était de se décaler en proposant des temps qui permettent d’inscrire de la subjectivité dans l’institution. Ces espaces de groupes

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distincts avaient pour objectif de créer des lieux possibles de dépôt et d’élaboration de la souffrance. Ces deux groupes ont été élaborés et conçus pour fonctionner de façon paral- lèle durant une même période dans le but de favoriser une dynamique d’ensemble où les effets propres de chaque espace se renforceraient réciproquement pour avoir une action conjointe sur la vie du service.

Méthode

Nous avons donc mis en place, pour une période de six mois, un groupe de travail auprès de l’équipe soignante que nous avons appelé « Les thématiques du vendredi » et un groupe de parole ouvert aux patients et à leurs proches nommé « La porte ouverte ».

Le groupe « les thématiques du vendredi » a eu lieu une fois par mois, de janvier à juin, dans la salle de soins. Ce groupe était ouvert à tous les professionnels du service, mais seuls les professionnels administratifs et paramédicaux y ont participé. Il proposait de réfléchir autour de la pratique soi- gnante, à partir de thématiques, dans le but de développer davantage de liens au sein du groupe professionnel et de revenir dans l’après-coup sur les situations qui les ont tou- chés. L’objectif sous-jacent était qu’au fil des séances un sentiment d’appartenance au sein de leur groupe profession- nel puisse se développer. Le choix des thématiques nous a paru judicieux afin d’amener une réflexion sur la relation avec les patients, tout en nous décalant d’un possible travail d’analyse de pratique. Devant les résistances à se réunir, ce choix des thématiques était un prétexte pour favoriser l’émergence et la circulation de la parole. Chacune des séan- ces de groupe a été enregistrée et retranscrite avec l’accord des participants auxquels l’anonymat a été garanti.

Le groupe « La porte ouverte » était ouvert aux patients et proches de l’unité de soins, au rythme d’une fois par semaine dans le bureau du psychologue. Des informations sur ce dis- positif étaient données à l’aide de flyers distribués à l’ensem- ble des patients de l’unité. Ce temps était pensé comme un groupe de parole ouvert de type soutien–expression [11] afin de partager leur expérience subjective autour de la maladie, mais pas seulement. En effet, nous postulons que « La porte ouverte » permettrait de développer les relations entre les patients et leurs proches en mutualisant une expérience sub- jective commune. Face aux multiples contraintes d’un ser- vice hospitalier avec notamment ce rapport au temps où tout va très vite, nous avons voulu leur offrir l’opportunité de se rencontrer dans un espace de groupe afin qu’ils puissent éventuellement se créer des repères entre eux. Nous pensions ainsi que ces patients investiraient ces temps et continue- raient à être en lien en dehors, notamment au sein des espa- ces interstitiels de l’unité. Une retranscription par prise de notes a été effectuée dans l’après-coup de chaque séance.

Analyse des résultats

Le groupe de travail auprès des professionnels a été bien investi malgré les réticences préalables à travailler collecti- vement. À noter que peu de temps avant sa mise en place, différents soignants sont venus nous trouver pour nous adresser une demande d’un temps groupal afin d’aborder des situations cliniques qui les ont marqués. Remarquons que des résistances et une certaine angoisse avant la mise en groupe étaient présentes, marquées par des rires, des hési- tations ou des silences, mais que celles-ci, au fur et à mesure, ont été moins marquées. Les professionnels ont investi ces temps dans une large mesure afin de questionner la rencontre avec l’autre en souffrance, notamment pour aborder les éprouvés contre-transférentiels que cela a suscités en eux.

Pour exemple, Anna, une aide-soignante du service, va par- ler de son ressenti et interroger dans le groupe son rôle auprès des familles : « Je suis bloquée devant les familles, je me dis je suis qui ? Enfin, je ne peux pas arrêter leur peine, je me dis je ne peux pas les consoler, j’ai pas de mots à leur donner, alors j’apprends, enfin j’essaye de l’apprendre. »

Ces groupes ont aussi permis de revenir dans l’après-coup sur des situations cliniques et de réactualiser les émotions qui ont été suscitées par la rencontre. Par exemple, Vanessa, une des infirmières, a pu évoquer durant le groupe un accompagnement d’une famille lors du décès d’une patiente qui a été difficile à vivre pour elle et dont la charge émotion- nelle était forte (voir vignette ci-après). Elle a ainsi pu parler de ce qu’elle a ressenti et pu réactualiser les affects suscités par la rencontre avec cette famille. Ce travail de reprise a eu pour fonction que ses affects perdent une large part de leur charge mortifère mais aussi d’informer les autres membres de ce qu’elle a éprouvé, afin d’être confortée dans son iden- tité professionnelle.

« Je suis en colère, ce n’est pas normal que ça se passe comme ça ! Pourquoi dans ces circonstances ils l’appren- nent comme ça, ils n’ont même pas eu le temps de lui dire au revoir ! En partant, je suis quand même partie faire un bisou sur le front à la défunte, mais je n’étais pas bien, c’est la première fois que ça m’arrive. La nuit, je n’ai pas réussi à dormir correctement, ça me travaillait…C’est vraiment une situation qui a été dure à vivre pour moi, je termine la semaine avec ça, et je reviens le vendredi matin, un décès encore. C’est la première situation qui m’a mise dans un état où je n’arrivais pas à maîtriser mes émotions, vraiment pas…» (Vanessa, infirmière).

« Moi, je pense que ne pas maîtriser tes émotions, je ne crois pas que ce soit un problème, parce que quand une famille ressent que la personne qui s’occupe de son pro- che ressent une émotion aussi forte, je crois que ça les touche. Bon, moi pour l’avoir vécu personnellement, tu

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te dis que t’es pas qu’un numéro » (Virginie, infirmière coordinatrice).

« Dans cette situation, j’aurais réagi de la même manière parce que cette famille était touchante, voilà, j’avais la fille qui s’était mise à pleurer dans mes bras, pareil. Ils avaient l’espoir d’une guérison. Elle s’est absentée dix minutes, et la patiente est morte à ce moment-là. La famille était poignante, on sentait ce lien, c’était le pilier de la famille cette patiente, mais en émotion, c’était lourd.

On ne pouvait pas ne pas être touchés » (Sophie, cadre de santé).

Ainsi, dans ces moments où le professionnel évoque, face au groupe, sa difficulté ou encore questionne son attitude professionnelle, nous avons pu identifier des marques d’étayages. Le groupe va ainsi avoir une fonction contenante en accueillant le vécu de l’autre, lui donnant du sens, per- mettant par la suite la transformation de ces éléments psy- chiques. Ces séances ont par ailleurs permis une réflexion autour de la spécificité de la tâche primaire et du rôle propre des professionnels, permettant ainsi de questionner les prises en charge de façon globale à partir des positionnements de chacun. La question des soins palliatifs a été abordée à plu- sieurs reprises et a permis une réflexion collective à partir de ce que cela signifie pour chacun. Ces groupes ont également permis d’élaborer autour des tensions qui existent dans le groupe professionnel. Notamment lors de la thématique sur l’agressivité, l’espace a été investi par les soignants pour évoquer ces mouvements pulsionnels qui existent entre eux, comme une conséquence des mutations institutionnelles auxquelles ils doivent faire face. Rappelons que la plainte est un mode d’expression privilégié pour évoquer ces boulever- sements. Nous avons également repéré parfois un discours relatif au manque et à l’insatisfaction qui, pour certains, caractérise leur fonction professionnelle.

L’analyse de discours, à partir des retranscriptions, nous a permis de repérer différents traits de similitudes et également des « incorporats » culturels [12] qui sont les traits caracté- risant la façon d’être d’un groupe, comme le recours à l’ac- tion et la capacité à faire face à une situation donnée. Cette caractéristique de l’acte est restée très présente dans les séan- ces analysées et mise en avant à partir de discours concrets et descriptifs. Dans le secteur somatique, la symbolisation s’ef- fectue au moyen de l’acte [13]. L’acte médical va leur per- mettre de lutter contre les avatars de la pulsion de mort à l’œuvre via la maladie, en focalisant la déliaison sur un adversaire commun. Nous avons également pu repérer un rassemblement en sous-groupes de catégories professionnel- les proches. Par exemple, à différents moments, les secrétai- res ont pu se retrouver autour de caractéristiques communes spécifiques à leur identité professionnelle. Elles ont ainsi pu se rassembler autour du fait qu’elles n’étaient que rarement en contact direct avec les patients. Peu de valeurs et de repré-

sentations communes ont été identifiées ne permettant pas alors de parler de repères identificatoires solides. Des mar- ques de soutien ont été adressées, mais peu de marques de coétayage, dans le sens où ces marques s’inscrivaient rare- ment dans une réciprocité. Nous pouvons affirmer qu’au fur et à mesure des séances les soignants ont réussi à penser collectivement autour de la spécificité du soin dans l’unité permettant que la tâche primaire devienne un objectif com- mun à cette équipe.

Groupe « La porte ouverte »

Le groupe de parole avec les patients et leurs proches a été peu investi dans ses débuts, comme c’est souvent le cas.

Avec persévérance, il nous a paru essentiel de maintenir le cadre de ce dispositif dans le temps afin que celui-ci puisse être repéré comme un élément du service. Effectivement, il a ensuite davantage fait l’objet de participation et de régula- rité. Il nous paraît important de préciser que certains patients ayant intégré le groupe étaient également suivis individuel- lement par l’un des psychologues. Cela a bien entendu modi- fié les rapports psychiques entre les personnes durant ces groupes de parole. Cependant, cela ne nous est pas apparu constituer un frein, dans la mesure où nous avons pris en compte et pensé ces deux dispositifs (individuel et groupal) en amont et pendant les séances avec cette dimension. À chaque fois que ces groupes ont été investis, les échanges ont été très enrichissants, et leur contenu se rapportait majo- ritairement au vécu de la maladie. Par exemple, Jacques, 41 ans, demanda lors d’une séance de groupe de ne pas évo- quer la maladie. Pendant que les autres participants se pré- sentaient et parlaient de leurs loisirs, ce fut Jacques lui-même qui changea de thématique pour précisément questionner auprès des autres participants leurs rapports à la maladie.

Il continua dans cette direction pendant l’essentiel de la séance.

Ce groupe a donc permis à chacun de partager son expé- rience subjective, afin de la confronter au regard d’un autre traversant la même réalité et de se sentir moins seul dans l’épreuve qu’il traverse. Dans ce sens, il a permis aux parti- cipants de comparer leurs points de vue à partir des apports de chacun, dans une forme de confrontation au « même », comme nous le montre cette séquence où ils abordent leur vulnérabilité quant à la maladie.

« Vous êtes quand même dans une période particulière…» (Michel, 45 ans).

« Par exemple, ils refusent que je débarrasse la table. Je ne suis pas handicapée quand même ! En même temps, je ne fais pas grand-chose, je suis tellement fatiguée. À cause de ça, je ne sors plus, à cause du vaccin contre la grippe, je

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ne l’ai pas fait. Si je sors et que j’attrape quelque chose.

On est plus fragiles quand même ! » (Marie, 58 ans).

Pourquoi vous êtes persuadés qu’il va vous arriver quelque chose ? Moi, vendredi, alors que je sors de la chimio mercredi, j’ai prévu de partir avec 14 personnes dans le Gers. Il y a quatre heures de voiture, mais je veux continuer à faire ce que je faisais » (Michel, 45 ans).

« Cest quand même pas vous qui allez conduire ? » (Marie, 58 ans).

« Ben si, mais ma femme est là si besoin, et je peux m’al- longer dans la voiture. Je sais que ça va être limite le temps que le poison fasse son effet, mais c’est important d’aller au-delà » (Michel, 45 ans).

« Moi, cest trop tard, je n’ai pas fait le vaccin contre la grippe, j’évite d’être en contact. Je me dis « motive-toi », mais quand le corps ne veut pas…» (Marie, 58 ans).

« Moi, je continue, dans ma tête je ne suis pas malade » (Sophie, 42 ans).

Ces groupes ont permis notamment l’expression de res- sentis émotionnels. Ils alternaient souvent avec des moments plus légers comme dans cette vignette où ils parlent de la perte des cheveux.

« Attendez, je vais prendre un exemple. Vous, vous avez vos cheveux. Moi à la première tout est parti. C’est l’in- tensité et la réaction de chacun » (David, 68 ans).

« Moi, à votre place de perdre mes cheveux, je l’aurais très mal vécu » (Jean, 57 ans).

« Si je peux permettre, ça ne se voit pas » (Anne, 45 ans).

« Au début, ça fait bizarre, mais je suis un homme, c’est moins contraignant que pour une femme. Aujourd’hui, je m’en contrefous » (David, 68 ans).

« Moi, je commence à les perdre, c’est difficile de les voir tomber, de voir le cheveu s’abimer, devenir plus fin et rêche » (Céline, 52 ans).

« Pour une femme, c’est plus difficile même si vous avez beaucoup plus d’opportunités de les dissimuler, avec les coiffes, le maquillage et tout » (David, 68 ans).

« Cest vrai que pour vous le turban c’est compliqué ! » (Céline, 52 ans).

« Alors que moi j’avais commencé à y réfléchir à part le bonnet ou un béret…Ma femme m’a demandé de trouver une moumoute : « le petit-fils, ça va le choquer de te voir sans cheveux ». Moi j’habite à la campagne, il y a rien du tout, j’ai regardé sur Internet, et je suis allé l’acheter. Vous savez combien ça m’a coûté ? Neuf cent soixante-cinq euros quand même ! » (David, 68 ans).

« Ah ouais quand même, c’est pas rien » (Anne, 45 ans).

« Maintenant, il ne faut pas les perdre quoi » (Jean, 57 ans).

À partir de nos prises de notes, nous avons repéré une recherche de points de similitudes entre ces participants,

notamment autour du type de cancer, des traitements ou de la cause de la maladie dans un processus d’identification et de recherche du même dans l’autre. Par exemple, à l’une des séances, les participants se rejoignaient autour d’une cause commune à leur pathologie, l’amiante. Cela leur a permis de se rassembler autour d’une unité, d’un ancrage commun qui produit un lien.

Discussion

Ce travail montre l’importance de mettre en place et de pérenniser des espaces groupaux au sein des institutions de soins dans une ère d’avancée technologique et thérapeu- tique, et de pôles dits d’excellence. Quelles que soient les structures de soins, il persiste toujours cette nécessité de se réunir pour que la parole et ses effets puissent continuer de nous révéler et de redonner à chacun une place de sujet.

« Les thématiques du vendredi » ont permis aux profes- sionnels d’expérimenter l’être ensemble, de développer des liens entre eux, notamment autour de la tâche primaire, et parfois d’évoquer les difficultés que chacun peut éprouver.

Tout cela a été possible, car les participants ont investi l’ani- mateur comme objet commun idéalisé et se sont identifiés à lui. Un début de sentiment d’appartenance au groupe et d’apaisement a ainsi pu se développer dans l’équipe soi- gnante. Cette appétence au groupe s’est appliquée également aux patients qui, pour certains, se sont saisi de cet espace groupal devenant un temps pour soi pour partager avec d’au- tres autour d’une réalité commune, la maladie. Bien que la composition des groupes de patients ait changé d’une semaine à l’autre, le partage de leurs vécus subjectifs autour d’une même réalité a créé un lien d’étayage réciproque. Dans ce sens, nous avons observé qu’après les séances, les patients continuaient à échanger entre eux dans les espaces interstitiels. Ces différents éléments nous permettent de dire que certains patients et proches ont pu identifier ce temps comme un repère de cette unité de soin. Ce double dispositif a permis de développer et de mettre l’accent sur les capacités de régulation et de soutien du groupe face aux difficultés que chacun peut vivre. Nous pouvons affirmer par ailleurs que ce dispositif a participé à diminuer les tensions au sein de l’ins- titution et qu’il a contribué à ce que l’atmosphère y soit plus sereine. Ce travail a donc permis aux membres de cette unité de cancérologie de développer davantage de liens entre eux, mais il aurait été nécessaire que ce double dispositif soit mis en place sur une plus longue période afin de pouvoir obser- ver des effets durables sur la vie de ce service. Ce projet, tout d’abord mis en place pour une durée de six mois, nécessite- rait une pérennité suffisante pour qu’il puisse démontrer des effets sur les mutations des garants métapsychiques, mais également sur la déliaison institutionnelle à l’œuvre. Il va être reproposé par de nouveaux cliniciens dans le but de

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confirmer les effets observés, et peut-être, nous l’espérons, que ces effets pourront se généraliser au quotidien de cette unité de soin.

Conclusion

Il nous paraît important de considérer au sein des institutions de soins les mouvements groupaux de façon globale, en n’oubliant pas les effets de la population accueillie sur les professionnels de santé et inversement. Il est possible de considérer ces mouvements de déliaison pulsionnelle à l’œu- vre dans ces institutions confrontées réellement à la mort en tant qu’un processus de mélancolisation [14]. Il s’agit notamment de mouvements d’abattement et de désespoir qu’il est possible de repérer chez ces professionnels en lien avec les différentes pertes auxquelles ils sont confrontés.

Dans cette perspective, le groupe nous paraît être un dispo- sitif de premier choix pour permettre à ces professionnels de penser ces mouvements et de se prémunir contre l’insatisfac- tion et l’instabilité qu’ils peuvent ressentir au travail, mais également pour développer davantage de cohésion entre eux.

En effet, la groupalité constitue une voie privilégiée dans nos structures hospitalières, même si les difficultés résident dans les modalités de sa mise en place et surtout de sa pérennisa- tion dans le temps [15]. Le groupe reste ce lieu réceptacle des attaques et des résistances sur lesquelles nous nous appuyons pour impulser et maintenir ce travail de lien dans une dynamique et perspective communes.

Liens d’intérêts :Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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