MALADIES
MICROBIENNES
DES VINS
LES
MALADIES MICROBIENNES
DES VINS
FERMENTATION ALCOOLIQUE — MALADIES MICROBIENNES CASSE DES VINS
HYGIÈNE DU VIN — TRAITEMENTS DES VINS MALADES
PAR
À. BOUFFARD
professeur d'œnïologieet technologie a l'école nationale d'agriculture de Montpellier
MONTPELLIER
C 0 ULET ET FILS, ËDIT ÉU IIS ti, Grand'Rue, 5
1901
INTRODUCTION
Des microbes de toutes sortes interviennent à
chaque instant dans la préparation du vin.
D'abord, c'est un microbe, la levure, qui trans¬
forme le sucre du raisin en alcool. Plus tard, si
la précieuse liqueur est abandonnée à elle-même
et sans soins, d'autres microbes, mais de nature différente et malfaisante, deviennentla cause des maladies du vin connues vulgairement sous le
nom de la fleur, de l'aigre, de la tourne, de la
pousse, de l'amer, de lagraisse, etc.
La possibilité d'aider dans son œuvre, utile,
la levure alcoolique et au contraire de com¬
battre les ferments de maladie justifie, pour le vigneron, le désir de connaîtrela manière d'être de ces collaborateurs ou de ces ennemis, tous infiniment petits.
11 faudrait un volume entier pour écrire leur histoire, encore bien incertaine. Cependant, un court et précis résumé des propriétés de chacun d'eux, accompagné d'une image photographique,
nous a paru propre àguider le vigneron dans les opérations, souvent obscures, de son antique profession. Tel est le but que nous avons visé
dans ce modeste volume, fruit des observations
du laboratoire et de la pratique cle la cave.
A. Bouffard.
LES MICROBES
DE LA
VINIFICATION
LEVURES ALCOOLIQUES
FERMENTATION ALCOOLIQUE
(Planche I, fig. 1 et2)
Saccharomyces. — Champignons unicellulai-
res. Il existe plusieurs espèces ou races qui paraissent spéciales à certains milieux fer- mentescibles : moût dè raisin, de pomme, d'orge, levain du pain, lait, etc. Forme très variable: ronde, ovale, elliptique, massue,
poire, plus ou moins allongée ou régulière.
Dimension : grand diamètre, 6 à 10 millièmes
de millimètre ; petit diamètre, 4 à6 millièmes de
millimètre.
Les levuressemultiplient parbourgeonnement
dans les liquides enfermentation. Semées surdes
milieux solides humides(bloc de plâtre, tranche de
pommede terre), dans certaines conditions d'ina¬
nition et de température, elles forment à l'inté¬
rieur de la cellule de petits corps reproducteurs (spores) en nombre et de forme variable, résis¬
tant mieux aux agents de destruction que les sujels adultes bourgeonnant.
Les S. cerevisiae fermentent le moût d'orge
houblonné pour donner de la bière, à haute ou basse température (levure haute, levure basse).
Le moût de raisin est fermenté plus particulière¬
ment par les S. ellipsoïdeus, S. apiculcitus, S.
pastorianiis..., etc. Parmi ces levures, on distin¬
gue de nombreuses variétés différantles unes des
autres par leur action chimique sur les milieux
sucrés: neutres ou acides et par le goût particu¬
lier, plus oumoins sensible, qu'elles donnent aux
liquides fermentés (bouquets).
Milieu fermentescible.— La fermentation alcoo¬
lique est la résultante de la nutrition et de la multiplication des levures; un milieu fermentes-
cible doit donc réunir les conditions chimiques et
physiques nécessaires à leur vie.
Le milieuchimique
referme
des matières hydro¬carbonées, azotées et minérales.
Matières hydrocarbonées. — Sucres : glucose, levulose, directement fermentescibles; saccha¬
rose (sucre de canne ou de betterave), maltose (sucre de l'orge germée), lactose (sucre de lait),
ne fermentent qu'après transformation en glucose
et levulose par la sucrase, la maltase, la lactase, agents chimiques sécrétés par les levures. Le
sucre de betterave devantêtre ainsimodifiépréa¬
lablement fermente plus lentementque le glucose
et le levulose.
Matières azotées. — Peptones végétalesou ani¬
males, bouillon de viande, sels ammoniacaux.
Ces substances se rencontrent associées dans le
jus de fruits ; il est bon parfois d'ajouter du phosphate d'ammoniaque pour nourrir le ferment
etaidér la fermentation (0 gr. 2 par litre), surtout
àtempérature basse.
Matières minérales. — Phosphate de potasse, chaux, magnésie, etc.
Bien que la levure se plaise mieux en milieu neutre, on fermentera, cependant, en milieu acide, beaucoup plus redouté par les ferments parasitaires de maladie (bactéries, microcoques) qui, toujours mélangés à ces levures, tendent à
se développer parallèlement. Acidité du moût de
raisin, 5 à 8 grammes par litre, exprimée en acide sulfurique.
Conditions physiques. — Température mor¬
telle: 50° à 60°, si elle est maintenue pendant
9 jours, 40°. Avant d'atteindre celles-ci et à
un degré inférieur, déjà la levure souffre et fonc¬
tionne mal ; la qualité desliquides fermentéspeut
en être affectée. En vinification, ne pas dépasser
30° à 35°, utiliser la pratique du refroidisse¬
mentpar les réfrigérants (1). Les vinsfaits àbasse température (25° à 30°) sonttoujours meilleurs.
(1) Réfrigérants: Vauché, Egrot, Derov, etc.
Le moût de raisin fermente difficilement au-
dessous de 20°, la bière fermente à6°, question
de milieu et de race de levure.
La chaleur dégagée dans la fermentation pro¬
vient de ladécomposition du sucre ; pour 180gr., transformé enalcool, elleestestiméeexpérimenta¬
lement à 21 calories. Un liquide après fermenta¬
tion-complète aurait ainsi, sans perte de chaleur,
une élévation de température de 21°. Mais le re¬
froidissement par le milieu ambiant: parois des
cuves, air, etc., réduit ce dégagement de chaleur
de moitié ou des deux tiers. On constate, en effet,
que pour une vendange renfermant 180grammes de sucre par litre et ayant une température de
mise en cuve de 25°, la température maxima
varie de 35 à 40°.
L'airpar son oxygèneintervient dans la vie-du ferment; ilrajeunit lescellules, aideàleurprolifî-
cation et leur donne plus d'énergie pour achever
la fermentation complète du sucre (pratique de
l'aération de lavendange).
Substances toxiques, antiferments,mutâge, sté¬
rilisation. — L'alcool à 40 o/o donne la mort instantanée aux levures. A 17,5o/o, il faut quinze
— 12 —
avingt jours de contact. Les levures semblent périraubout d'un temps plus long à la dose d'al¬
cool maximum qu'elles produisent par fermenta¬
tion, 16,5 à 17o/o. Le moût de raisin portéd'un
seul coup parvinage à 12 o/o d'alcool nefermente
pas. S'il est additionné peu à peu d'alcool, la
fermentation étant déjà en marche, il faut 16 o/o (compter en alcool pur) pour arrêter celle-ci complètement.
(1) Les mêmes proportions d'acide sulfureux
sont environ dix fois plus actives ou toxiques
dans l'eau pure que dans le moût sucrédu raisin.
La dose de 0 gr. 4parlitre dans l'eau est mor¬
telle immédiatement; si on descend à 0 gr. 2, il
faut Sjours de contact pour tuerles levures.
Dans le moût de raisin, ces quantités doivent
être plus élevées. Une partie de l'acide sulfureux
initial se combine peu àpeu aux sucres etconsti¬
tuealors un composé inoffensifpour les levures.
Mais cette combinaison n'estjamais complète, et quand l'équilibre est atteint ilrestetoujours une fraction moindre d'acide libre toxique: 10à 25o/o
pour des proportions initiales de Ogr.6 à0gr.05.
(1) Observations inéditesde l'auteur.
Nous donnerons quelques exemples : l°dans
un moût renfermant 150 gr. de sucre par litre,
0 gr. 4 d'acidesulfureux total, 0gr. 05 à l'état libre, 2 à 3jours de contact sont nécessairespour tuer les levures ; ce liquide estdès lors complète¬
ment stérile pour toutes les levures dont on peut l'ensemencer dans la suite.
De 0 gr. 3 à Ogr.2, le milieu est encore mor¬
tel, mais au bout d'un temps plus long. Au-des¬
sous de 0 gr. 2 total, le moût n'est plustoxique,
car, à l'état d'équilibrede combinaison, il ne ren¬
ferme que 0 gr.02d'acide sulfureux libre etdans cettelimite leslevurespeuvents'acclimater. Enfin,
aux doses inférieures, la fermentation seulement estretardée de plusieurs heures à plusieurs jours.
En pratique, il faut au moins 0gr. 3 par litre
d'acide sulfureux total pour stériliser un moût
et 0 gr. 2 à 0gr. 1 pour suspendre temporaire¬
ment la fermentation.
Les moûts stérilisés par l'acide sulfureux de¬
viendront aptes à fermenter par des soutirages répétés à l'air qui faciliteront le départ du gaz etpar l'addition d'un moût enpleine fermentation (pied de cuve).
— 14 —
Produits de la fermentation. — D'après Pas¬
teur, 100 gr. sucre de betterave (saccharose),
donnant 105gr. 25 sucre interverti, moitiéglu¬
cose, moitié levulose, produisent en fermentant :
alcool, 51 gr. ; acide carbonique, 49 gr. 20;
glycérine, 3 gr. 4 ; acide succinique, 0 gr. 66;
levure nouvelle, 1 gr. 33. Il faut encore ajouter
0gr. 2 d'alcools supérieurs: propylique, amyli-
que, isobutylique, isobutylglycol, etc., soit 1/200
de l'alcool vinique ; 0 gr. 1 d'acide acétique, de l'aldéhyde. En se basant sur les chiffres ci-des¬
sus, pour obtenir un litre d'alcool à la tempéra¬
ture de 15°, il faut 1 kil. 553 de sucre de bet¬
terave ou 1 kil. 687 de glucose ou levulose.
Dans l'industrie, ce rendement n'est point aussi élevé; il varie suivant les races de levures,
la nature du milieu, la température; on ad¬
met sur le rendement précédent une perte de
5 o/o, soit alors, en pratique, pour produire un litre d'alcool purà 15°jde température, 1 kil. 630
de sucre de betterave ou 1 kil. 700 de glucose,
souvent même 1 kil. 800. On fera usage de ces données dans le sucragede la vendange.
Origine des levures. — On les trouve sur la
peau des raisins, sur les fruits, les fleurs, dans
les locaux de fermentation ; elles sont plus.nom- * breusesau moment de la maturité du raisin; une insolation prolongée, des pluies abondantes en
diminuent le nombre ou les détruisent. On a
pensé que les saccharomyces, d'une organisation
si simple, provenaient de champignons supé¬
rieurs, de moisissures à formes alternantes ; cette hypothèse probablen'est point encore démontrée par les faits.
Théorie de lafermentation.—Lafermentational¬
cooliqueestunphénomènechimiquecorrélatifd'un
acte vital commençant et s'arrêtantavec cedernier;
il n'y a jamais fermentation alcoolique sansqu'il
y ait simultanémentorganisation,développement, multiplicationdeglobules ouvie continuée, pour¬
suivie, des globules delevuredéjà formée! (Pas¬
teur). L'école pasteurienne rattache la décompo¬
sition du sucre et le caractère ferment alcoolique
aux fonctions respiratoires de la levure. Toute
cellule, levure, moisissure, mucor, dans un mi¬
lieu aéré, respire de l'oxygène libre et utilise la presque totalité du sucre comme aliment de construction pour former de nouvelles cellules
— 16 —
sans produire de
l'alcool. Dans
unmilieu
non aéré, privé d'oxygènelibre, dans des conditions
d'asphyxie, le sucre sert
tout à la fois d'aliment
de construction et de source d'oxygène ou d'éner¬
gie; alors, attaqué en
plus grande quantité, il
sedédouble en alcool et en acide carbonique. 11 y a d'autant plus de sucre
décomposé
parrapport à'
l'unité de levure nouvelle produite que le
milieu
est moins oxygéné ; ce rapport, est
le pouvoir
ferment ; établi dans l'unité de temps,
il devient
le pouvoir
actif
et augmente avecl'aération.
En pratique, pour
la récolte de 1
grammede
levure nouvelle, on décompose 75 à 100
de
sucre.
Cette hypothèse
semblait appuyée
parla
ma¬nièred'êtrede certainsmucors : M. circinelloïdes,
M, erectus, M. spinosus, etc.,
qui
àla surface
des moûts sucrés brûlent le sucre sans produire d'alcool, mais noyés et
asphyxiés dans
cesmilieux
en donnent 8o/o, en prenant
le caractère ferment
alcoolique, sans
cependant
setransformer
en saccharomyces semultipliant
par spores.Tout récemment, en 1897, des faits nouveaux
sont venus modifier les déductions précédentes.
M. Bùchner, de Munich, a pu
extraire du
succellulaire des levures une substance de nature
purement chimique (enzyme, zyrnase) qui, en
dehors du contact de la cellule vivante, dédouble
le sucre en alcQol et enacide carbonique. Si, pour la fermentation, la présence directe des levures
n'est pas indispensable, celles-ci, productrices
nécessaires de cette zvmase, en sont toujours la
cause. Il resterait à expliquer dans la fermenta¬
tion l'action de l'oxygène, qui se lie peut-être à
la sécrétion de cet agent chimique.
LEVURES APICULÉES
(Planche II, fig. 1)
Improprement appelée Sciccharomyces apicu-
latus: forme de citron, mamelons aux deux pô¬
les, qu'il ne faut pas confondre avec des,bour¬
geons. Fait fermenter le glucose et le lévulose;
ne sécrète pas de sucrase, n'intervertit pas le
saccharose et, par conséquent., ne le fait pas fer¬
menter.
Maximum d'alcool produit, 4 à 5 o/o. Pour la
même quantité de sucre, rendement d'alcool in¬
férieurau S. ellipsoideus; rendementégal dans les liquides peu riches en sucre. Il existe plusieurs
— 18 —
races ; elles se montrentau
début de la fermenta¬
tion desjus de
fruits
:raisins,
pommes,etc.
;les
S. ellipsoïdeus
paraissent les refouler
enleur
succédant. On lesrencontre l'hiveren terre, où se
conserve l'espèce.
FERMENTS DES MALADIES DU VIN
Suivant l'aspect ou le goût du vin altéré, celui-
ci est dit malade: de la fleur, de l'aigreou aces- cence, de la pousse, de la tourne, de l'amer, de
la graisse, etc.
On divise ces maladies en deux groupes carac¬
téristiques:
lor groupe : fleur, aigre. Microbes vivant à la surface des liquides et formant des voiles; le
vin reste limpide. L'aigre se reconnaît à l'odeur de vinaigre (acide acétique), à la saveuracide ou piqûre. Le microbe, en forme de bâtonnet très
court, presque sphérique, est huit ou dix fois plus petit que celui de la fleur, qui est de forme elliptique (Planches I et il). Dans ces deux mala¬
dies, l'alcool est l'élément du vin particulièrement
atteint. Dans la fleur, il subit une combustion
complète sans laisser de traces nuisibles, le vin
est simplement affaibli en alcool. Dans l'aigre, l'alcool, incomplètement brûlé, se transforme en acide acétique, qui reste dans le vin et l'aigrit.
2e groupe: pousse, tourne, amer,
graisse,
man- nite, etc., pas de voiles àla surface; liquide
trouble. Microbes, bactéries en forme de très petits bâtonnets
(un millième de millimètre),
courts, isolés ou réunis en une sorte de
chapelet
donnant l'apparenced'un
filament plus
oumoins
flexueux. L'alcool est respecté; les acides,
la
crème de tartre, le tannin,la glycérine, etc., sont
la proie de ces germes
vivants.
MYCODERMA VIN1
(Planclie II, fig. 2)
Sàpcharomycesmycoderma :
cellules elliptiques
allongées, légèrement dépriméessuivant le petit
diamètre, points réfringents à chaque
extrémité,
même dimension que les levures. Normalement végète à la surface des
liquides alcooliques
sous forme de voile blanchâtre (fleur du vin), qu'il ne faut pas confondre avec
le voile
du Mycoderma aceti, d'aspect plus gras.
Dans
ces conditions, aidé par l'oxygène de l'air, il
brûle
complètement l'alcool, qu'iltransforme
en eau eten acide carbonique (1).. Cette combustion porte
aussi sur laglycérine, l'acide succinique, atténue
(1) C2H"0+60= 3H20 +2C02.
Bouffard. Maladies microbiennes des vins. Pl. III
Fig. 1
Acescencc, aigre (Mvcoderma accti).
Fig. 2 Ferment dela graisse
CouletetFils, éditeurs,Montpellier
passagèrementle bouquet des vins. Sur les vinspeu alcooliques, ilse développe plus facilementque le
ferment acétique, il le précèdesouvent. Il est tué
par la chaleuret gêné ou tué aussipar l'acide sul¬
fureux, comme le ferment alcoolique. Immergé
dans les liquides sucrés, il fonctionne comme un véritable saccharomyceset donnede l'alcool.
C'est surtout son action sur le vinqui intéresse
le vigneron. Celle-ci est lente et peu redoutable
si le voile n'est point contaminé par le ferment acétique. Mais la pureté de ce voileseprésentant
rarement et, dans le doute, il faut éviter la fleur
en tenant les tonneaux soigneusement ouillés.
MYCODERMA ACETI — ACESCENCE
PIQURE
(Planche III, fig. 1)
L'acescence, désignée aussi sous les noms
d'aigre, de piqûre, est la plus commune des ma¬
ladies microbiennes des vins; elle atteint facile¬
ment les mieux constitués s'ils ne sont soignés
convenablement. Une connaissance élémentaire de la cause du mal guidera le vigneron sur les
moyens à employer pour l'éviter. On devra tou-
22
jours préférer les moyens préventifs, d'une appli¬
cation facile et d'un succès certain, aux procédés
de guérison des vins déjà malades et altérés, procédés souvent sans résultats appréciables.
La piqûre est provoquée par une bactérie mi¬
croscopique mesurant deux à trois millièmes de millimètre, présentant le plus souvent la forme
d'un petit bâtonnet très court, légèrement étran¬
glé dans son milieu. Il sereproduit par segmen¬
tation de la cellule et sur place, de façon à pré¬
senter l'aspect de chapelet d'articles. Il existe cinq espèces connues qu'on trouve à la sur¬
face des boissons alcooliques sous forme de
voilequi, au début, peut être confonduavec celui
de la fleur. Cependant, à un certain état de déve¬
loppement, alors que le voile de la fleur est plissé, sec, blanchâtre ou rougeâtre, celui
du Mycoderma aceti est gras et en vieillissant épais et mucilagineux (mère du vinaigre).
Cesdeuxmycodermes, vivantàpeuprèsdans les
mêmesconditions, se développent le plus souvent parallèlement. La bactérie acétique est généra¬
lement mêlée à la fleur ; suivant de légères
modifications dans la nature chimique du milieu,
l'un ou l'autre de ces microbes l'emportera en
refoulant son concurrent. Dansles vins peu alcoo¬
liques, c'est la fleur
qui dominera
de préférence; dans les vinsjeunes, on voit d'abord apparaîtrela fleur, puis, plus tard, succéder le M. aceti.
Des traces de sucre (vin d'Algérie), malgré un
degré élevé d'alcool, semblent favoriser le M.
aceti.
Le M. aceti, comme le M. vini, n'agit qu'avec
le concours de l'oxygène de l'air; mais tandis que le M. vini brûle l'alcool sans laisser de résidu nuisible dans le vin, le M. aceti le fait disparaître incomplètementen donnant finalement de l'acide acétique et de l'eau
(C#0
+30= CH40' + H*0). L'unité de volume d'alcool se transformeen unité de poids d'acide acétique ; 1 cent, cube
d'alcool donne 1 gramme d'acide.
On voit facilement le grand danger que fait
courir au vin la présence du M. aceti, alors
que le M. vini est pour ainsi dire inoffensif.
En outre, l'action du M. aceti est d'autant plus
insidieuse et nuisible qu'il n'est pas besoin de
la production d'une grande quantité d'acide acétique pour rendre le vin impotable : deux
grammes par litre, déjà très désagréables au goût, correspondent à uneperted'alcool bien peu
— 24 —
sensible : 2 cent, cubes par litreoudeux dixièmes
de degré. La gravité de la piqûre ne dépend
pas toujours de
la proportion absolue d'acide
acétique; la même dose est plus sensible dansunvinjeune et platque dans un vin plus alcooli¬
que et vieux. Le goût de piqûre est décelé non seulement par l'acide acétique, mais encore et
surtoutpar l'odeur très pénétrantede l'éther acé¬
tique qui se forme dans la suite.
L'acide acétique que l'on trouve dans le vin représente la presque totalité des acides
volatils,
dosés par un procédé que nous indiquerons plus
loin. Cet acide acétique est de provenances diver¬
ses : il convient de distinguer à côté de l'acide produit par l'acescence du vin ou de la ven¬
dange, dans le cas d'un cuvage à l'air, l'acide provenant de la tourne, de la pousse et même
l'acide produitnormalement parles levures alcoo¬
liques. L'acide acétique des levures est en très
faiblequantité : quelques centigrammes parlitre;
la pousse ou la tourne peuvent donner, par
décomposition de la crème de tartre, près de un
demi-gramme.
Cependant, on reconnaîtra facilement si
la pi¬
qûre provient de l'une ou l'autre de ces
mala-
clies à l'aspect du vin. Dans l'acescence, le vin
est limpide ou ne renfermequederares bactéries
de tourne. La cause du mal est à la surface,
sur laquelle existe un voile, alors que, au con¬
traire, le vin tourné ou poussé est trouble et les bactéries, auteurs du mal, flottent à l'intérieur.
Le liquide tourné a. perdu la presque totalité de
ses acides, desacrème de tartre,saglycérine,etc.;
dans l'aigre, il conserve son tartre.
Certaines conditions de milieu influent sur le
développement du M. aceti, sur le choix des
divers germes dont le vin est généralement
infecté. Pour le M. aceti, il faut une tempéra¬
ture assez élevée dépassant 15° ; le vin se
conservera mieux dans les caves froides. On a
faitplus haut quelques remarquesrelatives àl'âge
du vin, à son degré alcoolique — Il faut attein¬
dre 14° d'alcool pour le mettre à l'abri de l'aces¬
cence. Enfin, sans qu'on puisse en préciser la
cause, certains vins se piquent plus facilement
que d'autres. Les vins filtrés nous ontparu plus
rebelles aux mycodermes que ceux n'ayant pas subi cette manipulation ; nous faisons toutefois
des réservessurcette étrangeanomalie,ne voyant
pas très bien le rapport de cause à effet.
— 26 —
Si les procédés chimiques
employés
pourréta¬
blir un vin aigre ne donnent pas toujours des ré¬
sultats très satisfaisants, il n'en est pas de même
des moyens mis en œuvre pour
empêcher le vin
d'aigrir. Ce que nous savonsdes-manières d'être
du M. aceti permettrade faire un choix
judicieux
de ceux-ci.
1° L'acétifîcation exigeant le jeu combiné
du M. aceti et de l'oxygène de l'air, on empê¬
cheral'action du parasite an supprimant le con¬
tact direct du vin avec l'air. Si dans les tonneaux
pleins, le vin peut sans
inconvénient s'aérer et
se bonifier par l'air traversant la
paroi du bois,
il y a danger au contraire, par
la vidange
oula
consume, à laisser une surface de vin en contact
libre avecl'air qui remplit le vide.
Comme
con¬séquence : maintenir le tonneau
plein
parl'ouil-
lage est lemoyen le plus sûr d'éviter
l'acescence.
L'ouillage peut être continu ou
intermittent.
Dans l'ouillage continu, par un tuyautage en caoutchouc, on met la bonde du tonneau ou des
tonneaux en communication avec un fût plus petit faisant office de ouilleur,
plein de vin
et placé à un niveau supérieur. 11 existeaussi des
ouilleurs continus consistant en une sorte de
bouteille que, pleine, on renverse sur le vin, à la
bonde. L'ouverture de la bouteille affleure à la surface du liquide de telle façon que, quand le
niveau baisse dans le fût, le vin de la bouteille s'écoule pour faire le plein.
Ces instruments sont d'un fonctionnement
assez délicat et on leurpréférera, avec une sur¬
veillance bien établie, l'ouillage intermittent.
Tous les huit ou quinze jours au moins, suivant
l'activité de la consume, on fera le plein à l'aide
d'un broc rempli de vin sain, mis en réserve,
et soigné à cet effet. S'il existe des mycoder-
mes à la surface, on ouillera avec un entonnoir
qui, débouchant sous le liquide, fera remonter les fleurs; un petit excès de vin les rejettera
en grande partie hors du fût.
Dans le cas où l'on voudrapréserver complè¬
tement le vin du libre contact de l'air, on ver¬
sera à la surface une couche d'huile comestible neutre de goût ; on pourra ainsi laisser le vin
en vidange sans trop d'inconvénient. Pour une couche d'un demi-mètre carré et une épais¬
seur de 3 millimètres, il faut 1 litre et demi d'huije. Dans les soutirages, l'huilesera recueillie
— 28 —
à la surface du dernier vin écoulé, puis clarifiée
par le repos ou
la filtration
;2° Les germes des
maladies
étantvéhiculés
par l'air, on a
pensé,
enfiltrant celui qui
pénètre dans
le
tonneau,mettre le vin à l'abri
des altérations microbiennes. En principe, cela
serait vrai et efficace si le vin et le tonneau ne contenaient pas déjà eux-mêmes
des ferments in¬
fectieux. 11 faudrait alors stériliser au préalable,
par le chauffage,
le
contenuet le contenant,
ce qu'on négligede faire
ou cequi est difficile à
réaliser d'une façon absolue.
Cette filtrationde l'air est obtenue par labonde hydraulique
qui oblige le
gazbarbotant dans
l'eau àsedébarrasser de ses germes vivants. Par
un dispositif très commun
dans les laboratoires
de chimie etrappelant le flacon laveur,
l'eau peut
être remplacée par de
la glycérine, de l'alcool
;ce dernier a la prétention, que
l'expérience
nevérifie pas,d'agircomme
antiseptique de l'atmos¬
phèredu tonneau.
L'air, dans le même but,
serafiltré sur un tampon de coton (fausset
stérilisa¬
teur). Ce coton
imprégné de soufre donnera,
en s'oxydant, ce
qui n'est
pastrès bien dé¬
montré, de l'acide sulfureux. En tout cas,
il
est nécessaireque le vin et le tonneau necontien¬
nent pointde germes
d'acescence
et queles
appa¬reils suffisamment bien ajustés sur le tonneau
ne laissent point pénétrer l'air impur par les joints. En
réalité, c'est l'oxygène de l'air qu'il
faudrait supprimer en entretenant dans le
vide
des fûts une atmosphère de gaz carbonique,
comme pendant ou à la fin
de la fermentation
alcoolique. Mais, peu à peu et pardiffusion, le
gaz carbonique traversant
les parois
poreuses du tonneau est remplacé par de l'air oxygéné, capable alors dedéterminer l'acétification.
3° Emploi des antiseptiques. — Pour
des rai¬
sons d'hygiène publique, ils sont peu
nombreux.
Avec l'alcool, le vin doit être porté à 14°, ce qui
n'estnipratique niéconomique. On a vu que,
dans
lecas dela bondealcoolique,l'air passant surl'al¬
cool peut difficilement
aseptiser le vide du
ton¬neau.
L'acide salicylique, que dans certains pays
on emploie à des doses variant de 1 à 5
décigram-
mes par litre, peut rendre des services, mais son usage est interdit en France.
L'acide sulfureux sera utilisé dans la lutte con-
— 30 —
tre l'acescence. Il est certain que, comme pour leslevures, dans des liquides non sucrés,telsque le vin, 3 à 5 centigrammes sont capables, au
bout d'un temps suffisant, de tuer les mycoder-
mesdans des vases fermés. Mais si l'air arrive librement au vin, dans les conditions ordinaires
de conservation ou par la consume, l'antisepsie
n'a point d'effets durables et le liquide est susceptible de se contaminer à nouveau. Néan¬
moins, l'acide sulfureux s'ajoutant à i'ouillage augmentera les chances de conservation Pour
les vins rouges, on ne peut guère dépasser 3à5 centigrammes par litre, si l'on veut éviter une décoloration trop sensible. Pour le vin blanc,
on augmentera, doublera même la dose sans craindre le même inconvénient. L'acide sulfureux s'obtiendra par la combustion d'une mèche sou¬
frée, et le vin sera entonné par la bonde du
dessus du tonneau méché et renfermant encore son gaz sulfureux. Plus sûrement on emploiera
le bisulfite-de potasse, d'un dosage facile : soit
6 à 10 centigr. de ce sel par litre pour avoir 3 à
5 centigr. d'acide sulfureux actif.
La bonde Pages (1) conviendra parfaitement
(1) M. Pages, à Narbonne.
pour lesvins en vidange que l'on tire au fur et à
mesure de la consommation. Cette bonde consiste
en uncônecreux, métallique,que l'on engage par
sa plus petite base sur labonde du tonneau. Dans
l'intérieur est fixée une mèche soufrée que l'on
allume detempsentemps entirant le vin; l'écou¬
lement du liquide aspire le gaz sulfureux et pro¬
duit une asepsie relative et suffisante. — On peut
aussi tenter de brûler une mèche dans la partie
vide dutonneau, en ayantsoinavant, parinsuffla¬
tion d'air, de rendre l'atmosphère comburante.
Les vins blancs paraissent se garder ainsi plus
brillants et plus limpides.
Chauffage. — Le chauffage du vin par le procédé de la pasteurisation tue bien les germes
acétiques. Mais si letonneaun'est point lui-même stérilisé, si les objets ou l'airencontactavecle vin
sont impurs, l'acescence se manifestera ensuite
tout aussi facilement. Ce procédé, si radical pour les autres maladies: tourne, pousse, graisse,
amer, etc., n'est point ici bien indiqué.
On aconseillé, dans le cas où un voile de myco- derme s'est déjà développé à la surface du vin,
de détruire son activité en injectant à l'intérieur
— 32 —
du vide un jet de vapeur produit par une
petite
chaudière facile à imaginer. On chauffe ainsi la partie du vin réellement
infectée.
Traitement ou guériSon des vins acétifiés. — Dépiquage. — On peut se proposer, pour
rétablir
le vin : de faire repasser l'acide acétique à
l'état
d'alcool; de l'enlever du vin ; de l'absorber; de le
neutraliser par des bases.
Examinons la valeur
de ces divers procédés :
1° Dansl'état actuel de nos connaissances chi¬
miques, on ne peut songer à
faire
repasserdans
le vin l'acide à l'état alcool;
2° On a conseillé en Italie, pour enlever l'acide acétique du vin, de faire des
distillations frac¬
tionnées: une première distillation
donnerait
l'alcoolet les parfums duvin, la
deuxième l'acide
acétique que l'on rejetterait.La première partie
serait ajoutée au résidu laissé
dans l'alambic,
une addition d'eau rétablirait le volume du vin.
Cette opération se ferait dans un
vide relatif et à
basse température. On peut juger à
priori de la
difficulté pratique d'un tel
procédé.
L'absorption de l'acide
acétique
parle coke
ainsi que par la carotte ne nous a
point donné les
résultats annoncés par les inventeurs; même à
forte dose de carotte, le vin en prenant le goût caractéristique de cette racine était tout auss;
piqué.
3° Un courant d'hydrogène naissant (procédé Flavio-Mengarini) peut réduire une partie de
l'acide acétique existant dans le vin; il doit avoir aussi l'inconvénient d'attaquer les autres acides;
le procédé nous paraît d'une application délicate.
4° La neutralisation de l'acide par les bases alcalines, de façon à former des acétatesdépour¬
vus de la saveur caractéristique du vinaigre, est
encore, malgré son imperfection, le seul remède
à conseiller.
Les bases employées pour saturer théorique¬
ment 1 gr. d'acide acétique sont: chauxhydratée (chauxéteinte) (CaOFPO), 1 gr. 2parlitre. Potasse hydratée (KOH), 0 gr. 93. Carbonate de potasse (C03K2), 1 gr. 1. Tartrcite neutre de potasse,
3 gr. 7. En réalité, quand dans un milieu acétique telque le vin, renfermant d'autres acides libres, on ajoute une base, celle-ci ne neutralise point entièrement l'acide acétique. Suivant des
lois d'équilibre chimique très complexes, cette
base se partage entre les divers acides, et l'acide
3
— 34 —
acétique n'en
prend qu'une part très difficile à
préciseret
variable évidemment suivant la consti¬
tution acide du milieu. Ce partage ne
peut être
déterminé par le
dosage des acides volatils, et
l'expérience nous a
donné
unrésultat prévu à
l'avance. En effet, on a retrouvé par
distillation,
dans un vin contenant 2 grammes
d'acide acé¬
tique, la même
dose avant et après l'addition .de
potasse
correspondante.
Nous n'avonspu juger
de la correction du vin
que par
la dégustation. On a comparé le vin dépi¬
qué par
la
potasseéquivalente à deux grammes
d'acide acétique, à
des échantillons de vin renfer¬
mant des doses variables et connues
du même
acide. Il nous a semblé au goûtque
dans
cevin,
dont l'acidité totale était
égale
à5
grammes parlitre,onavait pu
neutraliser ainsi
untiers environ
des deux grammes
de l'acide acétique existant
initialement. Pour la
neutralisation complète,
il aurait fallu ajouter
des proportions de bases
trop élevées et
dès lors nuisibles.
Le carbonate de potasse nous aparu
présenter
une supériorité sur
les autres formes de bases,
c'est aussi, avecla chaux,
l'agent le moins coû¬
teux. 1 gr. 1 de
carbonate de potasse sec neu-
35
tralise théoriquement 1 gr. d'acide
acétique.
Mais, d'après ce qui a été dit plus haut, on ne
peut compter, dans la pratique, que sur le tiers
à la moitié de cette neutralisation.
Le tartrate neutre ou sel végétal est d'un bon emploi, mais d'un prix un peu élevé (1).
Quand on voudra dépiquer un vin, il convien¬
dra de faire des essais préalables, en ajoutant
à une série d'échantillons des doses de bases saturant théoriquement 1 gramme, 2 grammes, 3grammesd'acide acétique, soit 1 à2grammesde
carbonate de potasse pur et sec; il serait dan¬
gereux de dépasser ces chiffres. La dégustation, après5 à6jours de repos, indiquera dansquelles
limites il conviendra pratiquement de se tenir.
En opérantsur une plusgrande massede vin, une bordelaise par exemple, on jettera le sel dans le vin, puis on agitera pour dissoudre et bien mélanger. L'acide carbonique qui se dégage du
carbonate n'a aucun inconvénient, au contraire.
(!) On trouveracette substance pure et sèche chez les mar¬
chands de produits chimiques.
— 36 —
TOURNE ET POUSSE
VINS
MILDIOUSÉS
(V.Gayon)
(Planche 1Y, fig. 1 et2)
On a désigné
ainsi
et ondésigne
encoreune
seule maladie. Cependant
Pasteur laisse
souponner qu'il peuty
avoir plusieurs altérations de
natureetdecause différentes. Dans ces
dernières
années, on a cru
distinguer la pousse de la
tourne, soit par les
microbes, soit
parla nature
de leurs
produits. Comme forme,
cesont de
petites
cellules, de très courts bâtonnets, se re¬
produisantpar
segmentation, perpendiculairement
à leurlongueur.
Ces segments
ouindividus res¬
tent souventaccolés les uns au
bout des autres
;avec l'âge, les
points de contact devenant moins
nets,les cellules,en
quelque sorte agglutinées par
leurs extrémités, figurent un
véritable filament
dans lequel on les
distingue à peine isolément.
Les vins dits poussés
laissent dégager du gaz
carbonique,cequenefont
pasles vins dits simple¬
ment tournés (?).
L'abondance de
ce gazest assez
grande pourchasser
endehors les douelles
des tonneaux, faire sauter
les bouchons des bou-
Pl. IV
Fig- 1
Ferment jeune de la tourne.
Fig. 2
Ferment âgé de la tourne.
CouletetFils,éditeurs, Montpellier