ABSENTS
DE NOUS-MÊMES
HÉLÈNE PRADAY
ABSENTS NOUS-MÊMES DE
LA COLOMBE
EDITIONS DU VIEUX COLOMBIER 5, rue Rousselet 5
PARIS
A tous ceux qui sont momentanément échoués sur les rives de la Vie.
© 1961 by La Colombe, Éditions du Vieux Colombier.
Tous droits de traduction, reproduction adaptation réservés pour tous pays.
Now comes the pain of truth, to whom 'tis pain;
O folly : for to bear all naked truths, And to envisage circumstances, all calm.
That is the top of sovereignty.
KEATS.
AVANT-PROPOS
L
A vie, ce don mystérieux, puissant, complexe à l'infini, n'a son sens réel, il me semble, qu'autant qu'elle est Agissante et Créatrice.Durant notre court séjour sur la terre, le but suprême de nos efforts doit être d'aider, dans la mesure de nos moyens, les êtres qui parcourent en même temps que nous le chemin souvent aride, tracé par la destinée.
Oui, la vie en elle-même est un don inestima- ble, nous y tenons toujours, sans savoir exacte- ment pourquoi, bien que les « cloisons » et les
« tous les jours de la vie » la rendent austère et ingrate, même envers les plus privilégiés d'entre nous.
C'est avec ceux qui ont Souffert, qui Souffrent et qui Souffriront, que je désire entrer au contact, afin de leur venir en aide. Cette aide Anonyme qui m'a manquée.
J'en ai trop senti l'absence, pour ne pas essayer de la donner aux autres, ayant eu, moi, l'expé-
rience de me contempler face à face avec mon mal.
Il n'y a ici aucune recherche littéraire, j'ai tâ- ché de raconter le plus sincèrement possible l'Histoire de mon Désarroi. Elle ressemble à celle de beaucoup d'autres, et j'espère qu'elle sera accessible et réconfortante à tous. Tous ceux qui souffrent!
ENFANCE
ENFANCE
J E vais retracer à la manière impressioniste les souvenirs qui ont pris en moi une place ineffaçable, ceux qui ont gardé le parfum le plus pénétrant, enfin ceux qui font de nous ce que nous sommes par rapport à nous-mêmes.
Le premier jour d'été : je pourrai mettre une robe en piqué et une paire de sandales sans chaussettes (tant pis si j'ai des ampoules).
Comme j'aime les fraises! Tous les ans c'est une découverte.
Quel affreux cauchemar, il me poursuit si long- temps...
Mon frère a dix-huit mois de plus que moi, un vrai drame : il va goûter chez des amis, on me laisse à la maison. Pour tout arranger on m'explique que ce n'est qu'un commencement;
c'est mon « PREMIER DÉSARROI »... Je suis déçue, blessée.
Le jouet qui représente « tout » pour vous! Et l'on pense que c'est pour toujours.
Le cours de danse où j'aime tellement être en
« vedette ».
Les goûters pique-nique dans le parc de Saint- Cloud, les violettes et les primevères, comme c'est triste d'en laisser...
La poussière sur la place (bain public des moineaux), si fine qu'elle en devient imperméa- ble à la pluie et au jet d'eau, sous l'ombre opa- que des marronniers... Attention aux souliers blancs.
Quel bonheur de penser à demain qui sera pa- reil à aujourd'hui.
La lampe à alcool, indispensable aux petits dé- jeuners, je vois encore sa grande flamme orange et bleue. Comme elle sentait bon... et la phos- phatine qu'elle créait mystérieusement.
Le bruit prometteur de la porte de l'armoire à provisions. Tout est tellement meilleur entre les repas...
Le premier costume de bain rayé rouge et blanc. C'est peut-être vrai, alors, que j'ai un gros ventre?...
Un triomphe : j'ai enfin le costume marin de mes rêves. Il est tout blanc, mais un choix de cravates variées le transforme un peu.
Le bazar au bord de la mer, ce gouffre profond toujours rempli des mêmes objets fabuleux : les filets, les boîtes en coquillages doublées de satin sang de bœuf; les paniers à crevettes où le nom de la plage est brodé en laine rouge.
Les genêts; ils sentent l'abricot, mais certains piquent...
Le son bruyant et creux du piano entendu en passant devant les villas louées, les balcons fleu- ris de géraniums...
Le fameux pain de mie, si blanc avec la croûte si dure, dont chaque tartine était tout un pro- gramme.
Les fêtes d'enfants avec les lâchers de ballons : le mien s'envole portant une grande étiquette où l'on a inscrit mon nom, mon adresse. Il va jus- qu'à Reims. Pourquoi n'en parle-t-on pas dans les journaux?...
Mon pékinois, tout enrhumé et ronflant, me suit, aussi conscient que moi de notre impor- tance...
Par moment, tel un encens qui se perd sous les voûtes, mes souvenirs s'estompent dans un rêve.
Viennel J'ai toujours un serrement de cœur en y songeant...
Notre maison, le parc où chaque pierre, cha- que feuille me rappellent ces années si longues qui s'éloignent si vite.
La « célèbre » pierre orange, trouvée encastrée dans une rigole le long d'une allée. Mon frère et moi chuchotons autour d'elle persuadés d'avoir découvert un trésor! Elle est restée au même en- droit et ressemble à un éclair au café.
Ceci est une bouée jetée à ceux qui se débat- tent dans les flots démontés de la tempête. La tempête la plus redoutable, celle qui se passe en nous, elle est invisible aux autres.
Une lampe qui s'allume dans la nuit peut rassurer l'enfant, le tranquilliser, lui faire oublier sa peur. Voilà pourquoi a été écrit cette « confession ».
Ce n'est pas un signe de faiblesse que de devoir affronter une telle épreuve, bien au contraire, car d'en sortir victorieux fait con- naître et goûter une Paix insoupçonnée, celle que je souhaite à tous ceux qui l'ont momen- tanément perdue.
AUX MÊMES ÉDITIONS : Le Cri du Royaume, par KAMEL
ZEBDI 7,50 NF
COLLECTION « A HAUTE VOIX » : Lorris dans la Forêt, par GÉRARD
MURAIL, illustrations de MARC
HÉNARD 7 NF
7,50 NF + T. L.
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