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Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre

JUIN, Guillaume

Abstract

Romain Rolland incarne la figure de l'antihéros : écrivain connu et reconnu à travers le monde grâce au succès littéraire de Jean-Christophe, il tombe à partir de 1914 dans une dissidence intellectuelle dont il ne parvient pas à se sortir. L'article "Au-dessus de la Mêlée" est asséné depuis la Suisse, lieu de refuge pour de nombreux européens voulant demeurer libres. Il devient à l'échelle du monde un exemple à suivre. Ses articles, sa correspondance et sa posture sont observés, relayés, admirés. La diffusion de ses idées et de ses écrits touche l'Europe et le monde. Que cela plaise ou que cela irrite, malgré les acteurs en présence et les nationalismes exacerbés par les circonstances du conflit, il assume ses paroles et ses actes.

Il adresse au monde un message humaniste afin de défendre la Justice et la Vérité.

JUIN, Guillaume. Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2013, no. L. 773

URN : urn:nbn:ch:unige-268355

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:26835

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:26835

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Université Paris IV Paris Sorbonne – France Université de Genève – Suisse

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Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre

« L’humanité a besoin que ceux qui l’aiment lui tiennent tête et se révoltent contre elle quand il le faut. »

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Thèse de doctorat en histoire contemporaine

Sous la direction d’Antoine Fleury (Université de Genève) Et de Georges-Henri Soutou (Université Paris IV)

Juillet 2012

Guillaume Juin

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Résumé

Romain Rolland incarne la figure de l’antihéros : écrivain connu et reconnu à travers le monde grâce au succès littéraire du roman-fleuve Jean-Christophe, il tombe à partir de 1914 dans une dissidence intellectuelle dont il ne parvient à pas se sortir.

Alors que démarre la Grande Guerre, il est de son devoir d’intellectuel engagé et d’humaniste de dire ce qu’il croit juste et humain. Que cela plaise ou que cela irrite, malgré les acteurs en présence et les nationalismes exacerbés par les circonstances du conflit, il assume ses paroles et ses actes. Il adresse au monde un message humaniste afin de défendre la Justice et la Vérité. L’article « Au-dessus de la Mêlée » est asséné depuis la Suisse, lieu de refuge pour de nombreux européens voulant demeurer libres. Se trouvant en Suisse au moment du déclenchement de la guerre, il décide d’y demeurer afin de mener un combat humaniste et pacifiste au nom de valeurs alors menacées. Il est rejoint par d’autres dissidents français en 1915 mais il décide alors de se retirer de ce combat solitaire. Il doit cependant continuer à combattre ses ennemis, il doit se méfier des intellectuels et des écrivains qui cherchent à se mettre en relation avec lui, il doit se défendre aussi à l’égard de ses alliés qui cherchent à utiliser son nom : son objectif est de demeurer indépendant.

Il devient à l’échelle du monde un exemple à suivre. Ses articles, sa correspondance et sa posture sont observés, relayés, admirés. La diffusion de ses idées et de ses écrits touche l’Europe et le monde : elle est à la racine des réflexions et des premières mesures qui œuvreront pour la réconciliation européenne.

The story of Romain Rolland is that of an antihero. The literary success of his epic novel, Jean-Christophe, turned him into an internationally famous and well-respected writer; but, from 1914 onwards, he became trapped in the role of intellectual dissident, and would never really break free from it.

When the First World War broke out, Rolland saw it as his duty, as a politically engaged and humanist intellectual, to express what he believed was just and humane. What he was saying appealed to some, and outraged others; and in particular, often offended the nationalistic feelings that were being exacerbated by the conflict – but he always took full responsibility for his words and actions. He put forward a humanist message to the world, in defence of Justice and Truth. His controversial article entitled “Au-dessus de la Mêlée”

(“Above the Crowd”) was written in Switzerland, which had become a refuge for many intellectuals who refused to be drawn into demonising their fellow Europeans on the basis

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3 of their nationality. Rolland was in the country when the war broke out, and decided to remain there in order to defend the values of humanism and pacifism that were then being threatened. Other French dissidents joined him in 1915, but at this point he decided to pull out of this struggle, which was leaving him increasingly isolated. However, he still had enemies to fight, and needed to be wary of any intellectuals and writers who tried to contact him. He also had to defend himself against people on the same side as him who would try to use his name without his consent: his aim was to remain independent.

He became an inspiration for people the world over. They paid close attention to his articles, his correspondence and his attitude, and discussed and admired them. The dissemination of his ideas and of his writing had a huge impact on Europe and on the wider world: it was at the root of the thinking and of the first steps which would lead to European reconciliation.

Mots-clés : Romain Rolland, pacifisme, intellectuels, Grande Guerre, revues, engagement.

Key-words: Romain Rolland, pacifism, intellectuals/intellectual figures, First World War, journals, political engagement.

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Illustrations

Otto Dix1, Lichtsignale (Signaux lumineux), 1917

Frans Masereel2, Des passants

1 Une présentation est proposée en annexe 1.

2 Une présentation est proposée en annexe 2. Les illustrations de la page 4 sont aussi de Frans Masereel, tout comme celle qui illustre la couverture. Les citations sont de Romain Rolland.

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Remerciements / Notes à l’attention du lecteur

Je tiens d’abord et avant tout à remercier mes directeurs de thèse, Antoine Fleury et Georges-Henri Soutou. Ils ont accueilli avec intérêt mon projet de thèse, son sujet au croisement de différentes disciplines. Ils ont su cadrer et orienter mon travail.

Ils furent pendant ces dernières années à la fois des guides scientifiques et des mentors me guidant dans mon parcours professionnel.

Je remercie ensuite ceux qui, dans les bibliothèques et les archives, m’ont permis de m’orienter et de trouver ce que j’y cherchais : les professionnels qui accompagnent les chercheurs dans leur démarche de recherche sont parties prenantes de la réalisation d’un travail de la sorte.

Enfin, un salut amical et affectif pour ceux qui parmi mes amis et ma famille m’ont encouragé, m’ont aidé, m’ont relayé parfois.

Le travail de recherche et de rédaction d’une thèse n’est finalement pas un exercice individuel car le résultat est collectif.

Cette thèse fut réalisée dans le cadre d’une cotutelle entre l’Université Paris IV (Ecole doctorale 2 – Histoire moderne et contemporaine) et l’Université de Genève en Suisse (Département d’Histoire générale).

Toutes les citations de Romain Rolland apparaissent en italique et en décalé par rapport au corps de texte. Les autres citations seront intégrées au corps du texte. Le Journal des années de guerre 1914-1919 apparaitra JAG dans les notes de bas de page.

Un index et une liste des annexes (la liste précise les sources) sont proposés.

Les Cahiers Romain Rolland, régulièrement mentionnés, sont cités par leur numéro. La mention de chacun des cahiers est systématiquement au pluriel : Cahiers Romain Rolland 20 par exemple.

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Avant-propos

Pourquoi s’intéresser à Romain Rolland ? Pourquoi vouloir se plonger dans la vie d’un intellectuel français qui fut formé au XIXème siècle puis qui rédigea le premier grand roman-fleuve de la littérature française au début du siècle suivant avant d’incarner l’intellectuel engagé pacifiste au cours de la Grande Guerre ?

La réédition en novembre 2007 du roman Jean-Christophe3, la parution au cours de cette même année d’un numéro de la revue Europe4 consacré à Romain Rolland prouvent que l’intellectuel suscite toujours de l’intérêt.

Les publications récentes ou à venir d’actes de colloques5, de monographies consacrées à l’intellectuel montrent la poursuite d’une activité scientifique riche et stimulante. Elle trouve son prolongement auprès des éditeurs et donc des lecteurs.

De plus, l’intellectuel français continue d’intéresser au-delà de la France vu notamment l’écho qu’il suscite auprès de chercheurs et d’universitaires étrangers6.

L’histoire des intellectuels en France a montré l’existence et l’émergence de quelques figures intellectuelles bien identifiées par l’historiographie française. Retenir les figures essentielles de Charles Péguy, Anatole France, André Gide, Jean-Paul Sartre ou Raymond

3 Romain Rolland, Jean-Christophe, Paris, Albin Michel, 2007.

4 Revue Europe, Romain Rolland, octobre 2007, n°942.

5 Romain Rolland, une œuvre de paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010 ; Romain Rolland et la Suisse, in Etudes de lettres, revue de la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne (à paraitre).

6 Ashok Collins en Australie, Chinmoy Guha en Inde, Suzann Gundermann en Allemagne en sont quelques exemples.

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8 Aron pour ne citer qu’elles ne doit pas aboutir à l’oubli ou à une analyse à la marge de nombreuse autres.

Parmi eux, Romain Rolland occupe une place particulièrement singulière qui s’ancre pleinement dans la longue tradition de l’histoire des intellectuels français.

Cette place singulière s’explique d’abord par le fait que l’écrivain fut absent physiquement pendant de longues années du réseau et milieu intellectuel français de la première moitié du XXème siècle7.

Elle est ensuite due aux prises de positions idéologiques de Romain Rolland qui s’est toujours placé comme un ardent défenseur de la vérité et d’une certaine conception (la sienne peut-être) de l’humanité. Ces prises de positions n’ont que très rarement été ébranlées par un courant intellectuel, un mouvement idéologique, une appartenance à un groupe.

Romain Rolland n’eut pas la postérité littéraire et historique d’autres intellectuels français du XXème siècle. Les raisons sont nombreuses mais elles ne doivent pas empêcher ou détourner le chercheur de l’objet d’étude Romain Rolland en tant qu’intellectuel engagé et influent dans les relations nationales et internationales de son temps.

A partir de 1914, il occupe une place tout à fait centrale dans le réseau des personnes qui prônent l’idéal de justice et de vérité pour lequel il s’est toujours senti investi.

Son absence de Paris à partir de cette date lui coûta sans aucun doute les jugements hâtifs véhiculés depuis Paris par des écrivains, des journalistes, des intellectuels au sujet de sa supposée désertion. Cette absence lui permit cependant d’entretenir des relations spirituelles et des échanges intellectuels avec d’autres acteurs de la pensée en Europe et dans le monde.

Sa voix était entendue hors de France. Elle était reprise, soutenue, relayée.

La cotutelle de thèse entre l’Université de Genève et l’Université Paris IV Paris-Sorbonne dans laquelle ce travail s’inscrit trouve ainsi sa justification dans la ligne directrice retenue : celle de l’exil intellectuel en Suisse choisi par Romain Rolland au titre de son engagement dans les débats et les combats idéologiques de la Grande Guerre.

Romain Rolland n’avait pas choisi de s’installer en Suisse. Il s’y trouvait au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le choix d’y demeurer fut celui de pouvoir y mener le combat au nom d’un certain nombre de valeurs menacées.

7 Romain Rolland séjourna à de nombreuses reprises en Suisse, séjours qui s’étalèrent souvent sur plusieurs années.

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9 Seul à travers les articles qu’il publia notamment dans Le Journal de Genève ou en compagnie d’autres réfugiés français qui le rejoignirent à Genève, Romain Rolland fut au cœur des débats idéologiques et pacifistes européens en marge du conflit.

Le « commerce spirituel »8 que connut l’écrivain entre 1914 et 1919 fut à la fois intense, vif, international. Il contribua à la place centrale que l’intellectuel français joua alors aux yeux d’autres penseurs dans le monde. Il incita Romain Rolland à poursuivre ce qu’il avait tenté d’entreprendre, malgré sa souffrance morale et ses doutes quant aux retombées réelles de son action. Ce commerce spirituel s’ancre pleinement en histoire des relations internationales étant donné la nature et l’origine de ceux qui étaient en contact avec lui : artistes, journalistes, écrivains, ouvriers, hommes politiques, hommes du front, hommes de science … de toutes nationalités.

Il sera nécessaire dans un premier temps de revenir sur le parcours du clerc Rolland, sur la construction de ce parcours, ses origines et sa formation. Ce retour permettra de mettre en valeur la construction intellectuelle de Romain Rolland et son ancrage dans une dimension européenne et internationale.

Le rayonnement international suscité par la pensée de l’intellectuel pendant la Grande Guerre trouva son accomplissement précisément au moment où Romain Rolland était en Suisse, conférant ainsi à la ville de Genève en particulier et à la Suisse de façon plus générale une dimension pacifiste et internationaliste :

« On pourrait même affirmer qu’elle [Genève] pourrait prétendre à une profondeur historique qu’il serait difficile à d’autres lieux de référence ou d’étape de la longue marche de l’Europe vers son unité […] La vocation « européenne » de Genève s’enracine dans les mouvements démocratiques et pacifistes qui émergent dans les premières décennies du XIXème siècle. »9

Le rayonnement de la pensée de Romain Rolland devra être débattu afin d’analyser d’un point de vue historique si les personnalités en contact avec l’intellectuel ont porté par la suite une voie, un mouvement, une action en écho à celle rencontrée pendant la guerre auprès de l’écrivain. Ce rayonnement et ces échanges ont-ils eu un effet sur les populations civiles de l’époque, sur les combattants du front ? Ce vaste mouvement collectif transfrontalier a-t-il accouché d’un courant, d’un mouvement, d’une entreprise pacifiste et/ou internationaliste à l’échelle européenne ?

8 Romain Rolland emploie lui-même le terme.

9 Antoine Fleury : « Genève : lieu de mémoire d'une Europe rêvée et de l'Europe des réalités », in Penser l'Europe, 40 ans d'études européennes à Genève, Genève, Institut européen de l'Université de Genève, 2003.

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10 Romain Rolland eut une correspondance très dense et variée :

en Allemagne : Annette Kolb, Albert Einstein, Herman Hesse ; Irlande : Bernard Shaw ;

Autriche : Stefan Zweig ;

France : Paul Claudel, Charles Péguy, Auguste Rodin, Alphonse de Châteaubriant, Jean- Richard Bloch, Henri Guilbeaux, Marcel Martinet, Pierre-Jean Jouve, Charles Baudouin, Gaston Thiesson, Gustave Dupin, Jean Debrit, Claude le Maguet, Charles Vildrac, Louis Gillet, René Schickele ;

Inde : Rabindranath Tagore ; Italie : Sofia Bertolini ;

Pays-Bas : Frederik Van Eeden ;

Russie : Maxime Gorki, Paul Birukoff, Anatoli Lounatcharsky, Igor Stravinsky ; Suède : Ellen Key, Sven Soderman ;

Suisse : Paul Seippel, Carl Spitteler, Edmond Privat, Frédéric Ferrière.

Ces quelques exemples, non exhaustifs, visent à montrer que l’intellectuel français s’est entouré de personnalités qui ont eu un rôle important à jouer dans les orientations politiques et idéologiques alors en débat.

La relation spirituelle et internationaliste entretenue par Romain Rolland avec d’autres personnalités de son temps s’ancre dans la notoriété acquise par l’intellectuel français, acquise par ses prises de position idéologiques comme par les actions pacifistes menées depuis la Suisse.

Si ces actions sont à replacer dans un contexte plus général fait d’initiatives souvent individuelles ou issues de groupes restreints d’hommes, il n’en reste pas moins que la parole de Romain Rolland fut entendue et relayée. L’étude des traductions de ses articles dans de nombreuses langues étrangères, l’analyse historique du commerce spirituel qu’il a entretenu entre 1914 et 1919, la portée et l’impact de son combat intellectuel et moral seront notamment abordés. Ces éléments contribuent à l’histoire des intellectuels au XXème siècle en tant qu’outils de compréhension à la place des idées et des hommes qui les relayent au sein d’une histoire plus globale des relations internationales.

Ils participeront peut-être d’une réhabilitation historiographique de Romain Rolland comme figure essentielle des intellectuels engagés, porte-voix et garde-fou moral pour nombre de ses contemporains.

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Table des matières

Pages liminaires (page 2)

Résumé, illustrations, remerciements, notes à l’attention du lecteur Avant-propos (page 7)

Table des matières (page 11) Introduction (page 16)

Un long combat au nom de l’humanité : 1914-1919 (page 16)

Contexte historiographique (page 21)

Etat de la question (page 23)

Termes du sujet, problématique et plan, méthodologie et critique des sources (pages 26, 29, 31)

Chapitre 1 (page 34)

« Il n'est jamais aussi simple que vous voulez le supposez » Pierre-Jean Jouve Eléments de contexte (page 34)

1.1 Eléments biographiques (page 38)

1.1.1 Chronologie sélective et indicative (page 42)

1.1.2 La construction intellectuelle de Romain Rolland (page 44) 1.1.3 Le statut de Romain Rolland en 1914 (page 46)

1.2 La notion d’intellectuel : de la Belle Epoque à la Grande Guerre (page 49)

1.3 L’engagement de Romain Rolland en 1914 (page 51)

1.4 La question du pacifisme chez Romain Rolland (page 55)

Chapitre 2 (page 57)

Romain Rolland : bâtisseur solitaire d’un mouvement collectif

2.1 Le choix de Romain Rolland en 1914 : la Suisse, au chevet d’une Europe déchirée (page 57)

2.1.1 La Suisse pendant la guerre (page 57)

2.1.2 La représentation diplomatique française en Suisse (page 59)

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12 2.1.3 Genève face à la guerre (page 61)

2.1.4 Le choix genevois de Romain Rolland en 1914 (page 64)

2.2 L’engagement de Romain Rolland et des réfugiés français à Genève pendant la guerre (page 71)

2.2.1 L’engagement de Romain Rolland en 1914 et 1915 (page 71)

2.2.2 La réussite d’un appel : l’arrivée de réfugiés français sur le front genevois à partir de 1915 (page 74)

2.2.3 Un groupe de migrants français (page 79)

2.3 L'aventure ordinaire d'un intellectuel franc-tireur, autorité morale malgré lui (page 85)

2.3.1 Les précautions prises par Romain Rolland à l’égard de ses alliés (page 85) 2.3.2 L'affaire du Bund Neues Vaterland (BNV), exemple de son « aventure ordinaire » (page 90)

2.3.3 Romain Rolland, incarnation d’une autorité morale malgré lui (page 93)

Chapitre 3 (page 99)

Un « commerce spirituel » international

3.1 La constitution d'un front de résistance morale à l'échelle internationale (page 100)

3.1.1 Romain Rolland et l’Allemagne (page 101)

3.1.2 Romain Rolland, Frederik Van Eeden (Pays-Bas) et Emile Verhaeren (Belgique) (page 116)

3.1.3 « L’Europe, je m’en fous », Georg Brandes (Danemark) (page 119)

3.1.4 Romain Rolland en quête de soutien en Suède et en Tchécoslovaquie (page 121)

3.2 Le temps des confrontations ou comment se positionner ? (page 124) 3.2.1 Stefan Zweig (Autriche), un ami fidèle et un contradicteur loyal (page 124) 3.2.2 Un commerce ralenti avec l’Italie et l’Espagne (page 130)

3.2.3 Romain Rolland face aux conceptions anglo-saxonnes de la guerre (page 133) 3.2.4 Le commerce spirituel russe (page 145)

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13 3.3 De l’écho intellectuel de Romain Rolland en Asie aux réactions conservatrices franco-suisses (page 154)

3.3.1 La voie eurasiatique (page 154) 3.3.2 Les amitiés suisses (page 156) 3.3.3 Passions françaises (page 160)

Chapitre 4 (page 171)

Romain Rolland sur l’échiquier de la vie

4.1 La vie publique d’un intellectuel exigeant (page 171)

4.1.1 Romain Rolland et l’Agence internationale des prisonniers de guerre (page 171) 4.1.2 L’attribution du Prix Nobel de littérature : propagande, controverses et regrets (page 179)

4.1.3 Romain Rolland et la représentation diplomatique française en Suisse (page 183) 4.2 La vie privée d’un intellectuel dissident (page 191)

4.3 Influences, réception et traces de la pensée « rollandienne » (page 203) 4.3.1 La réception d’un article, « Au-dessus de la Mêlée » (page 204)

4.3.2 La question des traductions des textes de Romain Rolland (page 211) 4.3.3 Les traces de la pensée « rollandienne » au XXème siècle (page 220)

Chapitre 5 (page 236)

Les actions éditoriales et les productions littéraires

5.1 Les articles d'un dissident français : d'une diffusion limitée en Suisse à une censure en France (page 236)

5.1.1 La relation entre Romain Rolland et la Nouvelle Revue Française : une rupture avant l’heure (page 236)

5.1.2 Editer et publier les écrits d’un fugitif : un combat pour Humblot (page 245) 5.1.3 Dire ce que l’on croit juste et humain : les seize articles d’un dissident (page 250)

5.2 Les revues pacifistes suisses nées pendant la guerre (page 263)

5.2.1 Les trois revues pacifistes françaises nées à Genève au cours de la guerre : Demain ; Le Carmel ; Les Tablettes (page 264)

5.2.2 Coup d'œil sur quelques revues pacifistes genevoises (page 272)

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14 5.2.3 Audience et portée des revues pacifistes (page 274)

5.3 La « Déclaration d'Indépendance de l'Esprit » : dernier acte symbolique ou première pierre d'un mouvement intellectuel paneuropéen (page 277)

5.3.1 Le projet d’une Internationale de l’Esprit (page 277) 5.3.2 « La Déclaration d’indépendance de l’Esprit » (page 278) 5.3.3 Un projet controversé, loin de faire l’unanimité (page 280) 5.3.4 L’écho américain à la Déclaration (page 282)

5.3.5 La pensée « rollandienne » comme substrat intellectuel aux mouvements d’après- guerre (page 283)

Conclusion (page 293)

Index des noms de personnes (page 299) Archives – Sources – Bibliographie (page 304) 1. Archives (page 304)

1.1 Archives en France 1.2 Archives en Suisse

2. Sources imprimées et électroniques (page 305) 2.1 Recueil de documents

2.2 Ouvrages d’époque 2.3 Récits

2.4 Journaux d’époque et revues 2.5 Journal personnel

2.6 Sites internet 2.7 Correspondances

3. Bibliographie (page 312) 3.1 Articles, périodiques, revues 3.2 Ouvrages généraux

3.3 Ouvrages relatifs à l’histoire des intellectuels 3.4 Ouvrages relatifs au pacifisme

3.5 Ouvrages relatifs à l’histoire de la Suisse et de Genève 3.6 Bibliographie sur Romain Rolland

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15 Liste des Annexes et Annexes (page 317)

0 - Lettre ouverte à Gérhart Hauptmann (page 319) 1 - Otto Dix (page 325)

2 - Frans Masereel (page 326)

3 - Œuvres de Romain Rolland (page 330)

4 - Au-dessus de la Mêlée, par Stefan Zweig (page 333)

5 - Lieux de résidence de Romain Rolland pendant la guerre (page 336) 6 - « Déclaration d’indépendance de l’Esprit » (page 337)

7 - Portraits de Romain Rolland (page 340)

8 - « L’esprit contre la guerre » de Romain Rolland (page 343) 9 - Visite de Roger Martin du Gard chez Romain Rolland (page 346) 10 - Lettre de Jean Guéhenno à Julien Benda (page 352)

11 - Lettre de Tolstoï à Romain Rolland, 4 octobre 1887 (page 356) 12 - René Schickele (1883-1940) (page 375)

13 - Manifeste des 93 et liste des signataires (page 378)

14 - Visites de Tagore et de Gandhi chez Romain Rolland en 1926 et 1931 (page 383) 15 - « Un homme : Romain Rolland » de Henri Guilbeaux (page 386)

16 - Traductions allemandes et italienne de Romain Rolland en 1965 (page 388) 17 - La Villa Olga en 2010 (page 391)

18 - Couverture de la revue Demain, 1916 (page 394) 19 - Couverture de la revue Le Carmel, 1916 (page 395)

20 -Couverture de la revue La Revue mensuelle, 1914 (page 397) 21 - Entretien entre Romain Rolland et Hermann Fernau (page 398) 22 - Illustrations de Frans Masereel (page 402)

23 - « Romain Rolland, les Suisses et la guerre » de Jean-Jacques Becker (page 404) 24 - « Lettre aux Suisses » de Jean de Saint-Prix (page 408)

25 - Romain Rolland et Maxime Gorki, départ de Moscou, 1935 (page 411) 26 – Lettres de Romain Rolland au président Wilson (page 413)

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Introduction

■ Un long combat au nom de l’humanité : 1914-1919

La Grande Guerre fut pour Romain Rolland un rude voyage au long cours, qui n’a pas pris fin qu’avec la fin de la guerre. Son Au-dessus de la Mêlée ne fut que le début d’une marche sans relâche, où sa route fut semée de préjugés, d’illusions, d’amitiés balayées. Son journal des années de guerre est une confession. Il ne pouvait prévoir tout ce qui allait se passer. Le voyageur qu’il était venait de loin : il venait de cette vieille bourgeoisie française, de vieille province française, nourrie de la double religion laïque de la patrie et de la révolution de 1789. Il fut jeune professeur obligé par métier d’enseigner les programmes de morale laïque et il ne put tenir plus d’un an.

Avec l’Affaire Dreyfus qui fut un choc soudain, on vit en France se déchirer les masques officiels : le vent de la vérité est pour un peuple qui n’y est pas habitué dangereux à supporter. Comme certains n’avaient pas eu la force de plonger au fond du problème, une entente tacite mit fin apparente à la crise. Contre ce compromis, quelques hommes dont Rolland et Péguy se levèrent. Ils étaient désintéressés et par l’intermédiaire des Cahiers de la Quinzaine10, ils sonnaient la charge de façon intrépide contre les mensonges et les crimes de la civilisation. Jean-Richard Bloch, un proche de Romain Rolland, relate dans Destin du siècle en 1931 : « toute notre adolescence fut sous le sceau d’un mot qui était notre devise, notre raison d’être, notre signe de ralliement : servir … Ce mot qui domine toute la vie spirituelle de Tolstoï, Jean-Christophe qui a contribué avec Péguy, avec le mysticisme des années dreyfusiennes, à maçonner autour de nous une forteresse d’obligations humaines et de devoirs moraux… Notre idéal a été une servitude volontaire.

Le plus grave de la chose est que cette leçon ait contribué à faire de nous, en 1914, des sujets consentants. »

Rolland vit en effet avec frémissement ses amis, ses jeunes frères s’engouffrer dans la guerre à l’été 1914. Il reçut de nombreux témoignages :

« Notre fils unique vient d’être tué par une balle allemande. Avant son départ, il m’avait exprimé plusieurs fois son désir de vous écrire. Toute cette belle jeunesse avait trouvé dans vos livres la force et l’héroïsme, que l’esprit critique si développé par l’éducation actuelle étouffe trop souvent. »

10 Voulant peut-être compenser son échec d'éditeur, Charles Péguy lance fin 1899 Les Cahiers de la Quinzaine, qui connaîtront 238 livraisons jusqu'au début de la guerre. Installé rue de la Sorbonne, les Cahiers auront comme collaborateurs Louis Gillet, Georges Sorel, et Romain Rolland.

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17 Cette reconnaissance lui déchira le cœur. Ainsi, quand il entendait Barrès s’extasier sur les vertus du sacrifice que faisait épanouir la guerre, il aurait voulu lui crier « Malheureux ! Ces vertus c’est nous qui les avions plantées dans le cœur de ces jeunes héros ! C’est nous qui avons préparé ces victimes. » Cette génération héroïque de 1914, c’étaient en effet leurs jeunes frères, leurs enfants, une génération d’intellectuels les avaient formés et Romain Rolland appartenait à cette génération.

Rolland lui aussi fit sa confession, il n’avait pas à s’épargner plus qu’un autre. Il était alors en Suisse. Il mit du temps pour trouver son chemin dans ces ténèbres. Il ne voulait guère au départ y guider les autres. Ce n’était point son rôle. Qui était-il pour se conduire ainsi ? Un poète-musicien qui n’avait jamais touché à la politique et qui laissait à d’autres l’action sociale. Il s’en remettait à d’autres plus qualifiés : aux tribuns socialistes dont plusieurs étaient ses amis et qu’il estimait, aux libres intellectuels comme Anatole France, à ces maitres de l’Université et à ces collègues qu’il avait connus de près en tant qu’élève puis en tant qu’enseignant à l’Ecole Normale Supérieure et à la Sorbonne. Ils avaient l’intelligence lucide, les méthodes critiques, le culte de la vérité, il leur prêtait une indépendance d’esprit.

Dans la nuit tâtonnant, il attendait alors qu’une voix s’élève mais rien ne vint que le bruit des armées ce qui le plongea dans une solitude complète. Puisqu’aucun ne parlait, fallait-il que lui parle ? Que dirait-il ? De quel droit ? Qui allait l’entendre ? Chaque jour accumulait le désastre. Tout paraissant englouti : les amis, la patrie et la civilisation. Il fut saisi au cœur par l’opposition crue entre la grandeur du sacrifice et l’ignominie du but. Il se sentait déchiré entre le pieux respect pour ceux qui allaient mourir au combat et la révolte pour ceux qui les tuaient. C’est dans ces conditions qu’il écrit et lit à son ami genevois Paul Seippel l’article « Au-dessus de la Mêlée ». Son adolescence avait trop souffert des années basses d’égoïsme social, de plat opportuniste, de corruption parlementaire et littéraire entre 1880 et 1895. C’est contre les assassins (les tribuns, les penseurs, les Eglises, les gouvernements) qu’il avait lancé son acte d’accusation. Il voulut rassembler les rares indépendants car c’était probablement la seule espérance d’action qui lui était permise.

Il fut découragé cependant car ses paroles de paix tombèrent selon lui sans écho. Elles ne furent connues en France qu’un mois après la parution de son article en Suisse (septembre 1914). Il fut vite désabusé : Barrès en France menait la meute, et Anatole France épeuré rachetait quelques paroles généreuses. Le 1er octobre 1914, quatre ans avant les autres, cherchant un arbitre au dehors, il écrivit au Président Wilson de même qu’il lui envoya son

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18 article « Au-dessus de la Mêlée ». Il s’installa à Genève au cours du même mois pour se mettre au service de la Croix-Rouge internationale et pour travailler à l’Agence des Prisonniers de guerre.

Au milieu de ce travail à l’Agence, il écrivit deux articles : « De deux maux le moindre » et

« Inter Arma Caritas ».

L’ensemble de ces articles souleva contre lui une tempête de haine et de boue.

L’Université était entrée en ligne : ce fut son collègue Alphonse Aulard, l’historien de la Révolution, qui déclencha la campagne d’attaque contre lui. Il fut le premier qui le dénonça publiquement dans un article du journal Le Matin le 23 octobre 1914. Dès le lendemain, l’Action française, l’Intransigeant et la Croix emboitèrent le pas. La Croix lui décocha un javelot : « Romain Rolland, qui a professé naguère en Sorbonne à titre étranger, des cours rétribués librement par ses élèves. »

Toute la tourbe littéraire qu’il avait flagellée dans La Foire sur la Place sautait sur l’occasion pour le faire écharper par l’opinion. Un confrère du Figaro lui proposa de publier ses explications : il écrivit alors une lettre à ceux qui l’accusaient mais son éditeur le dissuada de la publier car l’effet serait déplorable. Il le supplia de ne pas la publier même à l’étranger en lui demandant de laisser les autres plaider son procès. Après l’article

« Les Idoles » de début décembre 1914 dans lequel il traita la patrie d’idole, l’opinion parisienne était résolument contre lui.

En décembre 1914, un déferlement de violence et de haine s’accomplit à son encontre. Les plus indépendants des penseurs s’y étaient mis : Henri Bergson et Rémi de Gourmont.

Barrès savourait d’avance la lente mort de l’Allemagne ce qui amena Rolland à éprouver du dégoût contre cet homme. De même la Suisse contribua à lui reprocher ses actes : ainsi René Payot dans La Tribune de Lausanne à la fin de l’année 1914 avait à la fois tout cerné mais rien compris du personnage : « on pourrait croire en le lisant que l’auteur veut être avant tout un citoyen de l’humanité. » Oui, c’était bien cela.

Romain Rolland se mit alors à analyser les acteurs en puissance, il découvrit les responsabilités des Alliés. Vers la fin du mois de décembre 1914, il lut le Livre bleu anglais : il assistait avec stupeur aux entrevues entre sir Ed. Grey et l’ambassadeur d’Allemagne : celui-ci offrait à la Grande-Bretagne contre promesse de sa neutralité la garantie de l’intégralité de la France et de son empire colonial. Grey, refusant de dire ni oui ni non laissait l’Allemagne affolée s’engager dans le traquenard prévu et l’Allemagne fit irruption en Belgique. Romain Rolland comprit ainsi que la responsabilité était collective.

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19 Mais l’écho de son message trouva preneur : des voix lui répondirent alors, de France et d’ailleurs. Einstein lui écrivit, puis le futur commissaire à l’instruction publique des Soviets Lounatcharsky lui rendit visite.

D’autres lui avaient apporté depuis Paris l’expression de sympathies et de gratitude éveillées suite à la lecture de ses articles. C’est alors qu’Henri Massis commença sa campagne injurieuse contre lui : il lui rendit alors sans le savoir le plus grand des services car sa maladroite animosité obtenait de la censure française ce qu’elle refusait à ses défenseurs : la publication intégrale d’ « Au-dessus de la Mêlée ».

Mais Romain Rolland en avait assez de tous ces fous : il décida en juillet 1915 de reconnaitre son échec (ce qui lui paraissait comme tel) et décida de se retirer. Il se retira d’une aveugle mêlée où chacun des combattants n’écoutait que sa propre passion. Il ne se repentit pas de son combat car c’était son devoir que de le tenter mais il sentait alors l’inutilité de persister davantage.

Cette retraite n’entraina pas cependant une diminution des attaques à son encontre ni non plus une baisse de leur virulence. Ces dernières redoublèrent alors d’acharnement. Paul- Hyacinthe Loyson entra alors en lice et poursuivit comme idée fixe de détruire Romain Rolland.

Rolland décida alors d’oublier ces méchancetés en compagnie de Carl Spitteler, d’Albert Einstein, d’Alfred Hermann Fried le prix Nobel de la paix en 1911. Après ces quelques mois de retraite, Rolland retourna au combat seul car il n’était plus question d’écrire dans Le Journal de Genève ni dans des revues suisses qui ne lui étaient plus ouvertes. Il attendait un allié, ce fut Henri Guilbeaux qui joua le rôle. Il arriva à Genève en juin 1915.

Il créa la revue Demain en janvier 1916. Dès la première année cette revue s’éleva à un haut niveau de discussion et de documentation. Elle regroupa de nombreux intellectuels ainsi que toute l’équipe des grands russes révolutionnaires. Il y publia « A l’Antigone éternelle », « Voix de femmes dans la mêlée », « Liberté », un essai sur Shakespeare,

« Aux peuples assassinés ».

Vers la fin de l’année 1916, la révolution n’avait pas commencé. Mais elle semblait se dessiner. En France, une minorité ouvrière s’était ressaisie et Rolland avait reçu une adresse d’une fraction de la C.G.T apportée par Alphonse Merrheim se rendant à Zimmerwald (septembre 1915). Kienthal avait suivi fin avril 1916 et Lénine avait fait un puissant appel à la lutte des classes et à la révolution prolétarienne. C’est en mars 1917 qu’éclata la nouvelle de la révolution russe et Rolland écrivit alors avec d’autres « A la

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20 Russie libre et libératrice » le 1er mai 1917 (Pierre-Jean Jouve, Marcel Martinet, Frans Masereel, Henri Guilbeaux collaborèrent). D’autres esprits aux Etats-Unis notamment étaient aimantés vers la Révolution russe et Rolland leur tendit aussi la main par l’article

« Voix libres d’Amérique » en septembre 1917.

Rolland se remit à la tâche d’un mouvement, d’un courant internationaliste en voulant soutenir la cause des peuples en créant une internationale de la culture non pour les seuls privilégiés de classes sociales favorisées mais pour les peuples d’alors.

La revue Demain de son côté accentuait son orientation sociale. Guilbeaux aurait voulu accompagner les chefs bolchéviks sur le chemin de la Russie, à travers leur exode de par l’Europe, il ouvrit sa revue à Lénine, Trotski, Lounatcharsky. Mais Rolland ne l’accompagna pas sur ce chemin. Malgré tout, et dans la confusion de l’arrestation de Guilbeaux le 11 juillet 1918 à Genève sous l’inculpation d’atteinte à la neutralité suisse, des libelles cherchaient à compromettre aussi Rolland dans un procès de haute-trahison.

Grâce au mouvement collectif qu’il était parvenu à mettre en place et à fédérer, grâce aux amis réfugiés tels Baudouin, Jouve, Debrit qui répondaient pour lui, Rolland échappa au complot et à l’amalgame sans quoi il aurait pu tout à fait être jugé pour trahison.

Il s’obstinait à espérer en une meilleure élite européenne : il leur dédia les derniers articles de l’ouvrage Les précurseurs et s’attacha à les grouper dans le projet d’une déclaration qui vint au printemps 1919 et qui fut signée par une centaine d’intellectuels du monde entier.

Cette déclaration fut comme une attente : il fondait l’espoir de bâtir une communauté de l’esprit international sans frontières tout en sachant que l’aiguille de la boussole marquait la direction du Nord, celle des révolutionnaires russes et celle d’une croyance en la reconstruction sociale et morale de l’Humanité.

Cette histoire au long cours, ce rude combat au nom de certaines valeurs mené par un intellectuel au destin international, ce réfugié français en Suisse, nous nous proposons de l’aborder afin d’ancrer l’intellectuel Romain Rolland dans une histoire au croisement de plusieurs disciplines. Ce croisement entre la littérature, l’histoire des idées, l’histoire des intellectuels, la biographie, la musicologie n’empêche pas ici l’esquisse d’une typologie de Romain Rolland.

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21 Cette typologie s’est dessinée au gré des recherches portant sur Romain Rolland. Elles démarrèrent en 194511 et n’ont jamais réellement cessé depuis. Qu’elles relèvent de la littérature ou de l’histoire de la littérature, de l’histoire des idées, de l’histoire des intellectuels, des biographies, de la musicologie, des études de ses correspondances ou de l’histoire des mouvements pacifistes et/ou humanistes de la Première Guerre mondiale et de l’entre-deux-guerres, toutes permettent de retenir trois axes de réflexion12.

Le premier axe est celui de la pensée de Romain Rolland avec les questions de l’idéalisme dans son œuvre, le Romain Rolland romancier, la présence de la musique et de l’art dans ses écrits notamment. Puis vient l’apport des correspondances et des échanges épistolaires afin de mieux comprendre son parcours comme ses sources de réflexion. La notion de l’intellectuel engagé constitue le troisième axe. L’historiographie des intellectuels en France s’est penchée sur cette question. Certaines des positions retenues méritent d’être nuancées par certaines sources disponibles sur Romain Rolland.

■ Contexte historiographique

L’historiographie des intellectuels au XXème siècle accorde une place relative à Romain Rolland. La difficulté de fixer l’écrivain français dans un courant de pensée particulier comme l’impossibilité de l’ancrer dans une action collective peuvent être des explications logiques.

Elle a parfaitement mis en évidence le fait qu’il était devenu un symbole du pacifisme à partir du moment où ses articles commencent à être connus, symbole exagéré dans le sens ou Romain Rolland n’avait ni cherché ni voulu incarner ce rôle : pourtant étaient apparus des « décalages nourris de contresens parfois consciemment construits entre le contenu revisité d'une œuvre et l'imaginaire qu'elle a suscité dans un contexte polémique fort. Au- dessus de la Mêlée ne fondait nullement le pacifisme radical à l'origine duquel on le plaça immédiatement. »13

L’historiographie des intellectuels français a alors cherché à comprendre le rôle et l’influence de Romain Rolland sur un certain nombre d’évènements historiques. Elle a montré comment pendant la guerre, son isolement avait nuit à son influence et ses articles eurent une faible audience : « D’où cette question essentielle : quelles furent exactement

11 Thèse sur l’idéalisme de Romain Rolland, qui fut publiée en 1946.

12 Les biographies de Romain Rolland tentent une synthèse de ces trois catégories, dont celle majeure de Bernard Duchatelet, Romain Rolland tel qu’en lui-même ainsi que celle de Stefan Zweig.

13 Christophe Prochasson, in Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004.

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22 les retombées, sur le moment, de cette prise de position, exprimée dans un journal que peu de Français lurent alors ? »14

C’est cependant en envisageant l’action de Romain Rolland dans sa globalité qu’on prend conscience que ses paroles eurent un écho : cet écho se propagea bien au-delà de la sphère intellectuelle française de l’époque et joua grandement sur la manière dont les acteurs (civils, soldats au front, intellectuels européens) se représentaient la guerre. Mentalement, Romain Rolland remit certaines choses en place, il nourrit le débat pour faire évoluer les conceptions et positions intellectuelles de l’époque.

La rupture initiée par Frédéric Rousseau15 afin de sortir d’une histoire culturelle du conflit centrée et expliquée par les représentations des contemporains se trouve ainsi alimentée par l’éventail très large des dimensions que véhiculent Rolland et ses écrits : dimensions idéologiques, politiques, culturelles, sociales, religieuses notamment. Les nombreuses pistes initiées récemment pour une histoire totale de la Grande Guerre trouvent sur leur chemin à un moment où à un autre la profondeur du message de Rolland (dans sa dimension textuelle et analytique) comme l’impact de son combat pendant et après-guerre.

Il incarne après le conflit la figure de l’intellectuel indépendant, observateur privilégié des évènements de l’entre-deux-guerres : l’histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres retient cette image d’indépendance et de courage de certains hommes de lettres qui en 1914 eurent le courage de dire « non ».

Elle retient aussi l’image d’un écrivain français qui fut alors probablement le plus connu dans le monde : « Il n’était rien moins que l’écrivain intellectuel français vivant le plus connu, de Bombay à Moscou en passant par San Francisco. »16

Romain Rolland avait, comme l’a exprimé Michel Winock dans Le Siècle des intellectuels, honoré le courage des lettres françaises pendant la guerre. Il l’avait fait depuis la Suisse qui s’inscrivait alors dans une tradition historique d’accueil et de refuge pour de nombreux acteurs intellectuels en quête de liberté. Il y appréciait le calme lui permettant de travailler loin du Paris des Lettres, bien que la Suisse se soit aussi agitée au début du conflit :

« La Suisse est peut-être plus affolée que les nations directement intéressées. Les employés qui partent s'en vont en pleurant. (En France, me dit ma mère, sur le parcours du train, l'attitude de tous était gaie) »17

14 Pascal Ory et Jean François Sirinelli, Les intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1986.

15 Notamment dans La Grande Guerre en tant qu’expériences sociales, Paris, Ellipses, 2006.

16 François Chaubet, Histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres, Paris, Nouveau Monde éditions, 2006.

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23 L'image de Romain Rolland au calme en Suisse est donc souvent erronée car en dehors du fait qu’il s’y trouvait lors du déclenchement du conflit et qu’il décida d’y rester, les sollicitations furent extrêmement nombreuses à Genève au moins pendant la première année du conflit.

A partir de l’été 1915, Rolland dut sans cesse chercher un difficile équilibre entre la représentation que l’on se faisait en France de sa présence en Suisse, la volonté de se rapprocher de lui par opportunité afin d’user de son nom, et le réel commerce spirituel qu’il mit en place depuis la Suisse.

Cette mise en relation entre l’intellectuel Romain Rolland, le contexte historique de la Grande Guerre, et le contexte factuel d’une présence en Suisse sera donc proposée afin d’ancrer la question de Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre dans la discipline de l’histoire des relations internationales. La composante des interactions intellectuelles européennes en même temps que celle des traces laissées par un intellectuel français en Suisse pour une histoire de l’Europe pendant et après guerre servira de composante directrice du travail proposé.

■ Etat de la question

Il semblerait au vue de l'historiographie que Romain Rolland décida de publier son fameux article « Au-dessus de la Mêlée »18 une fois rassuré par l'issue de la bataille de la Marne :

« Ce n'est que plusieurs semaines plus tard que, rassuré par l'issue de la bataille de la Marne et ayant choisi entre-temps de demeurer en Suisse, il publia dans Le Journal de Genève des 22-23 septembre son fameux article. »19

Ou encore :

« Romain Rolland symbole exagéré de la prise de conscience de la guerre après la victoire de la Marne qui le rassure. »20

Il semble bien pourtant que le clerc Rolland ne soit rassuré par rien au cours de ces années de guerre, pas même par la victoire de la Marne. Celle-ci le décida peut-être à publier son article, mais quelques doutes peuvent être envisagés sur son coté « rassurant ».

Ce qu'il relate le 22 septembre montre ses doutes :

17 JAG, p.32.

18 Article paru au Journal de Genève le 22-23 septembre 1914, article relaté en Annexe 4.

19 Les intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, op.cit.

20 Jean-Jacques Becker, 1914 : comment les Français sont entrés en guerre, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1977.

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« La bataille de la Marne, qui dure depuis cinq jours, et où sont engagés deux millions d'hommes, se termine par une victoire sur toute la ligne. Il semble qu'on nous ait enlevé un poids de dessus le cœur […] Je ne puis d'ailleurs me réjouir que de la victoire française. La défaite allemande m'est pénible ; je ne puis penser sans tristesse à toutes ces souffrances. Je suis révolté par la légèreté joyeuse avec laquelle Morax21 en parle […]

Que s'est-il passé dans nos races, qui a réveillé depuis dix ou vingt ans ces épouvantables instincts ? […] Je lis à Seippel le brouillon de mon article Au-dessus de la Mêlée. » 22

La pensée de Rolland était sujette au doute et le climat dans lequel il se trouvait à Genève était sûrement plus préoccupant que rassurant, quelles que soient les nouvelles.

Seul, et isolé intellectuellement, Romain Rolland ne pouvait être rassuré à Genève comme on pouvait l'être à l'annonce de bonnes nouvelles à Paris.

Enfin, il convient de s'arrêter un instant sur la réelle influence de Romain Rolland et de ses propos contre la guerre pendant la période 1914-1918. Cette question revient régulièrement au cours des travaux et analyses sur Romain Rolland. Nous reviendrons au cours de ce travail sur la manière dont le message de Romain Rolland a été repris depuis Paris, que ce soit au niveau des éditeurs ne souhaitant plus travailler avec lui ou au niveau des intellectuels qui relayaient une image erronée et fausse de Rolland. Cette prise de position permit cependant à certains qui pensaient tout bas ce que lui disait tout haut de croire en leurs pensées et de le rejoindre à Genève.

Il y eut donc une réelle différence entre la manière dont le message et l’action de Romain Rolland étaient relayés par certains intellectuels, penseurs, universitaires de l’époque et une frange de la population qui, découvrant tout au long de la guerre l’action de Romain Rolland, s’accaparait progressivement son message, ou du moins le comprenait.

C'est par exemple ce qu'avouera Charles Baudouin lorsqu'il découvre le fameux article

« Au-dessus de la Mêlée » en août 1915 dans le pamphlet d'Henri Massis « Romain Rolland contre la France »23

D'autres rejoindront Romain Rolland à Genève, mais soulignons que la faible ampleur de la prise de position de Rolland est difficilement quantifiable sachant que l'on se situe dans le domaine de la pensée et des influences.

21 Médecin suisse.

22 JAG, p.51.

23 Henri Massis écrit cet article que publie Le Mercure et qui sera suivi, à partir d'octobre 1914, par une campagne contre Rolland à laquelle participent Alphonse Aulard ainsi que L'Action française, L'Intransigeant et la Croix.

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25 Certaines sources montrent cependant l'influence de Romain Rolland dans certains milieux.

Ainsi, Edmond Privat, correspondant suisse du Temps puis du Journal de Genève à Paris, répond à une lettre de Rolland et lui apporte de nouvelles preuves de son influence sur le peuple de Paris :

« J'en connais qui les copient (les articles) pour les encadrer. Romain Rolland est aujourd'hui vénéré dans ce monde populaire, qui l'ignorait en général avant la guerre […]

Hier encore, un ouvrier syndicaliste est venu me demander Le Journal de Genève, pour copier votre dernier article. Il pense exactement comme vous sur le peuple allemand. Il fait bon causer avec ces hommes-là. Oui, le peuple de Paris mérite qu'on l'aime et qu'on lui donne sa vie … »24

Le mot de « vénérer » est peut-être un peu fort mais ce témoignage confirme ce que Sven Stelling-Michaud annonçait en disant que l'on commence seulement à connaître l'influence que sa pensée exerça dans les milieux populaires, ouvriers syndicalistes25.

Ces quelques exemples permettent de recadrer quelques sentiments ou croyances à propos de certains aspects de la question « Romain Rolland et la Grande Guerre ».

La dimension internationale de Romain Rolland, que nous tenterons d’analyser au cours de ce travail, a aussi pour objectif de mettre en lumière l’influence d’une pensée qui s’est exercée tout au long du XXème siècle, et dont le degré d’intensité a varié selon les périodes.

L’intellectuel français apparaitra alors comme une figure importante de l’historiographie des intellectuels français. Les recherches se poursuivent et l’intérêt scientifique que l’intellectuel français suscite dépasse le champ français : Antoinette Blum de New York University, David James Fisher de University of California, Ashok Collins de University of Western Australia, Chinmoy Guha de l’Université de Calcutta, Suzann Gundermann de l’Université de Munich, Alain Corbellari de l’Université de Lausanne, Marilène Haroux de University of Atlanta en sont des bons exemples.

24 JAG, p.275.

25 Sven Stelling-Michaud, « Le choix de Romain Rolland en 1914 », extrait de La Pensée, revue du rationalisme moderne, avril 1967. Malgré les presque 40 ans de son analyse, le rayonnement de la pensée de Romain Rolland sur les différents milieux sociaux en France semble encore devoir être approfondi.

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26 Termes du sujet

Parler de Romain Rolland dans le contexte suisse de la Première Guerre mondiale revient d'abord à décrire, expliquer et analyser les conditions dans lesquelles il décida de demeurer en Suisse à partir de l'été 1914.

Parler de « contexte suisse » passe ensuite par décrire, expliquer et analyser le début de son combat et de son action.

Qu'il soit physique ou matériel, à l'Agence internationale des Prisonniers de guerre26, ou moral et littéraire, à travers les seize articles publiés entre septembre 1914 et août 1915, son combat fut vécu par l’intéressé comme l’étape obligée d’une prise de position nécessaire.

La volonté de Romain Rolland de demeurer libre et indépendant l’éprouva tout au long de la guerre si bien que la souffrance d’un homme isolé et seul contribua à la fois à nourrir son engagement comme à se décider par moment de se retirer du combat qu’il entendait mener.

Car à la tête du front moral et humain, Romain Rolland semblait bien seul dans cet appel aux peuples que les gouvernements assassinaient alors, malgré l'intense commerce spirituel qu'il connut alors.

Sans que soit clairement délimitée la place accordée à la description, à l'explication et à l'analyse, nous tenterons d'aborder l'ensemble de ces éléments. Ils viendront expliquer et justifier le fait que si Romain Rolland n'était pas en France, c’est qu’il avait décidé de rester en Suisse pour mener son combat, conscient que la Suisse pouvait lui fournir une tribune d'expression.

Parler de « contexte suisse » revient à parler du quotidien que connut Romain Rolland d’abord à Genève pendant la première année du conflit. Un quotidien lié à l'activité et la vie genevoise en 1914, ville neutre dans un pays neutre, ville de Suisse romande en conflit parfois avec la Suisse alémanique, ville humaniste, intellectuelle et francophone.

Mais parler de « contexte suisse » reviendra aussi à prendre conscience que Romain Rolland ne fut pas toujours à Genève entre 1914 et 1919 : Thun, Sierre, Villeneuve, Montana, Romain Rolland quittait volontairement Genève qui parfois l'insupportait du fait de ce combat qu'il menait seul et qui n'entraîna pas d'adhésion de la part des Genevois.

26 Cette Agence est mise en place en août 1914 à Genève par le Comité International de la Croix Rouge, organisme international à vocation humanitaire crée à Genève en 1863 par Henri Dunant pour venir en aide aux blessés et aux victimes de la guerre. Romain Rolland consacrera du temps et de l'argent à cette Agence, destinée à rechercher les disparus et à faciliter les rapports des prisonniers avec leurs familles. Sur ce sujet : Claire Basquin, Romain Rolland et l'Agence des prisonniers de Genève, Thèse, Ecole Nationale des Chartes, 1999.

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27 Le climat genevois et la difficulté que Romain Rolland y rencontra pour fédérer autour de lui l’action qu’il était en train de mener contribua à une rupture durant l’été 1915.

A partir de cette date, Rolland quitte de plus en plus souvent Genève pour retrouver le confort que lui assurait sa position d'écrivain dans d'autres villes suisses : Thun, Sierre, Villeneuve, Montana27.

Genève connaît à partir de ce même moment l'arrivée d'autres réfugiés français.

Paradoxalement, c'est au moment où Romain Rolland sort de la mêlée pacifiste genevoise que certains français28 y entrent.

Leur arrivée, installation, simple voyage pour consulter Romain Rolland - étape obligée dans l'élaboration du parcours d'un jeune révolté - s'étaleront de la deuxième moitié de 1915 à 1917.

Sans le vouloir donc, mais l'assumant sans le revendiquer, celui qui avait osé rompre en raison de divergences idéologiques - le Romain Rolland dissident – se retrouva conseiller puis captif d’un groupe de réfugiés français qui avaient décidé de le rejoindre en Suisse.

Un groupe qui mena ses actions littéraires de manière indépendante et isolée et de manière plus individuelle que collective.

Nous tenterons donc d’envisager cet aspect original du combat pacifiste au cours de la Grande Guerre, combat mené depuis la Suisse. Il est incarné par un groupe de réfugiés français qui rejoignent progressivement la Suisse afin d’y mener des actions pacifistes.

Ils seront ces francs-tireurs français de Genève, parfois cités mais peu mis en lien avec leur mentor spirituel Romain Rolland. Ce groupe avait conscience de former un groupe solidaire, s'organisant de lui-même, se divisant aussi, ce que nous analyserons.

Le fait que ce groupe entende récupérer un certain nombre des prises de position de Romain Rolland contribua par la suite à la volonté de l’homme de revenir dans la mêlée pacifiste.

Ce retour avait comme premier objectif de se défendre de ses alliés français qui accaparaient son image à des fins personnelles.

L’un des principaux combats que Romain Rolland dut mener fut donc celui d’une défense à l’égard de ses alliés au cours de la guerre. La volonté de s’affranchir de tout mouvement ou de tout parti fut sans aucun doute la raison aussi de cette souffrance morale qu’il relate dans ses écrits.

27 Une liste de ses différents lieux de résidence suisses se trouve en Annexe 5.

28 Pierre-Jean Jouve, Henri Guilbeaux, Charles Baudouin, Marcel Martinet, Claude Le Maguet (Salives) …

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28 Resté fidèle à lui-même, ce retour dans l’arène morale au service de l’idéal et de la justice lui permettra en outre une ultime montée au front en 1919 avec sa Déclaration d'Indépendance de l'Esprit29.

L’ensemble de ces aspects, qui s’entendent comme la trame historique dans laquelle Romain Rolland mena son combat d’abord seul puis rejoint par d’autres pacifistes, ne doivent cependant pas altérer une autre trame essentielle de ce travail.

Cette autre trame relève d’une histoire des intellectuels européens puisque Romain Rolland fut au cours de la guerre au cœur d’un réseau, au cœur d’un commerce spirituel, au cœur d’échanges intellectuels à la fois en Europe et dans le monde.

Par réseau, on entend la répartition à travers l’Europe et le monde de voix qui portent un message commun au nom d’un idéal humaniste. Ces voix furent celles d’intellectuels, d’écrivains, de journalistes, de scientifiques, de simples citoyens … qui en grande majorité s’adressaient à Romain Rolland.

L’intensité des rapports et des relations entre l’intellectuel français et les différentes voix porteuses d’un message similaire prouvent qu’il y eut un commerce spirituel intense au cours de la guerre entre Romain Rolland et ces autres voix dissidentes.

La question sera alors bel et bien de savoir quelle fut la portée de leur message et du commerce spirituel alors pratiqué en Europe, commerce porté depuis la Suisse par Romain Rolland. La circulation des idées et l’envoi mutuel d’informations entre Romain Rolland et d’autres intellectuels européens contribuent quant à eux à la réalité de relations intellectuelles internationales lors de la Grande Guerre.

L’ensemble des acceptions de la première et de la deuxième trame évoquées se matérialisent par une production littéraire et éditoriale intense de la part de Romain Rolland, des pacifistes français venus le rejoindre, ou d’intellectuels européens qui portaient aussi un message prônant l’idéal de justice et de vérité.

L’un des principaux combats menés par Romain Rolland fut aussi celui d’un combat par l’intermédiaire de l’écrit.

Ses nombreux articles et nombreuses publications entre 1914 et 1919 doivent retenir toute l’attention qu’ils méritent tant d’un point de vue scientifique qu’éditorial.

L’écho suscité par les articles de Romain Rolland, tout du moins par les seize articles regroupés sous le titre Au dessus de la Mêlée30, est d’autant plus intéressant à analyser

29 Cette déclaration collective est publiée au journal L'Humanité, le 26 juin 1919. Le texte est reproduit en Annexe 6.

30 Les seize articles paraissent sous ce titre en octobre 1915 chez Ollendorf.

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29 qu’ils suscitent d’abord un fort intérêt en Suisse puis une relative crainte. En France, la censure empêche ces articles de paraitre. Elle n’empêchera pas cependant une diffusion au sein de certains milieux français. Dans le monde enfin, nous prendrons conscience que ces articles ont bénéficié d’échos très favorables au sein de certains milieux et auprès de certains intellectuels étrangers. Cette diffusion devra néanmoins être largement nuancée par les nombreuses réactions hostiles et nombreuses manifestations de censure à l’égard des articles de Romain Rolland.

Au-delà de l’étude de cette production éditoriale et littéraire, il conviendra bien sûr de s’intéresser aux autres actions éditoriales pacifistes et humanistes pendant la guerre.

De nombreux francs-tireurs français créèrent eux aussi des revues pacifistes qui ne connurent pas toutes le même sort ni la même diffusion mais elles eurent le mérite de poursuivre le combat lancé par Romain Rolland en 1914. Il sera alors pertinent de prendre conscience de leur réel impact, de la manière dont ces revues se sont constituées, de leur ligne éditoriale, tout comme de leur rapport à Romain Rolland.

Ce rapport permettra de comprendre pourquoi Romain Rolland décide en 1919 d’entreprendre une nouvelle action éditoriale internationale à travers la Déclaration d’Indépendance de l’Esprit.

La délicate situation dans laquelle Romain Rolland s’est rapidement retrouvé lorsqu’il fut rejoint par d’autres dissidents français en Suisse, à savoir le fait qu’il dut constamment se défendre vis-à-vis d’eux, contribua probablement à sa décision de se servir des nombreux contacts nés des correspondances internationales échangées pour publier un nouvel article au rayonnement international en 1919. La « Déclaration d’Indépendance de l’Esprit » prenait la suite d’une longue série d’articles que Romain Rolland avait amorcés.

Ces nombreuses publications d’articles prouveront que la démarche intellectuelle entreprise s’est réellement accompagnée d’une action éditoriale forte dont le rayonnement dépassait de loin le contexte suisse dans lequel Romain Rolland se trouvait alors.

■ Problématique et plan

La question de la portée, du rayonnement et de l’influence du combat mené au nom de l’idéal de justice et de vérité par Romain Rolland entre 1914 et 1919 mérite probablement d’être posée.

Plusieurs raisons peuvent être invoquées. Il est d’abord pertinent de replacer toute étude scientifique sur Romain Rolland dans un contexte plus général d’histoire des intellectuels

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