UNIVERSITE DE NANTES
UFR lettres et langages
Département Sciences de l’Education
Master 1 Sciences de l’éducation
Coéducation parents-enseignants
et évaluation à l’école maternelle
Appréciation du carnet de suivi
des apprentissages par les parents d’élèves
et effets sur la coéducation
Sous la direction de Christophe Michaut
GIRARD GOUYETTE Isabelle
Année 2016/2017
Remerciements
J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce mémoire :
A Christophe Michaut, mon directeur de mémoire, pour son accompagnement, ses conseils et
sa grande disponibilité.
A l’enseignante de la classe de MS/GS, pour l’intérêt qu’elle a porté à mon travail, sa pleine
collaboration, et sa contribution essentielle à la réalisation de ce mémoire.
SOMMAIRE
Introduction ……….. 6
Partie 1 : Approches théoriques sur l’évaluation et sur la coéducation
à l’école maternelle ……….10
Chapitre 1. Cadre théorique et évaluation
1.1. Evaluation à l’école : de quoi parle-t-on ? ……….………10
1.1.1. L’évaluation diagnostique ………...12
1.1.2. L’évaluation formative ………13
1.1.3. L’évaluation sommative et la docimologie ……….14
1.2. Spécificités de l’école maternelle française et genèse de l’évaluation à
l’école maternelle ……….………...16
1.2.1. Les spécificités de l’école maternelle au travers du prisme du
prisme de son histoire ……….16
1.2.2. De l’évaluation à l’école maternelle : pourquoi ? comment ? ………...21
Chapitre 2 : Ecole et famille : quand il est question de coéducation
2.1. Qu’est-ce que signifie la coéducation ? ……….26
2.2. Coéducation : un point de vue historique de la relation parents/école en
constante évolution………..…….…..30
2.3. Co-éduquer : une pluralité des logiques d’action parentale………...……33
Chapitre 3 : Axes de recherche
3.1. Modèle de recherche et d’analyse ……….37
3.2. Hypothèses de recherche ……….……..39
Partie 2 : cadre méthodologique et recueil de données ………..……40
Chapitre 1 : Description du cadre contextuel
1.1. Photographie de l’école maternelle de A. et de la classe de MS/GS
de Mme G………..40
1.2. Conception du carnet de progrès par l’équipe pédagogique …………..………….42
1.3. Utilisation du carnet de progrès et pratique professionnelle de l’évaluation
dans cette classe ……….…………44
1.4. Rapports entre les parents d’élèves et l’enseignante………..……….45
Chapitre 2 : Cadre méthodologique
2.1. Présentation de l’échantillon des parents entretenus………...………46
2.2. Conditions du recueil des données ………..48
2.3. Présentation des outils : le guide d’entretien ………...……...49
Partie 3 : Analyse et interprétation des résultats ………..52
Chapitre 1. Analyse des entretiens et vérification des hypothèses
1.1. Styles parentaux et valeurs éducatives ………...52
1.2. Le carnet de progrès comme élément facilitateur de coéducation ………55
1.2.1. Contexte de la mise en place du carnet de progrès : éthique de
l’outil et style pédagogique de l’enseignante ………..55
1.2.2. Le carnet de progrès comme élément médiateur entre l’enfant
et ses parents ………...…………..57
1.2.3. Le carnet de progrès : un outil qui permet aux différents coéducateurs
de parler le même langage ………59
1.2.4. Le carnet de progrès : reflet de la vie de la classe et impact
sur le style parental ..……….60
1.2.5. Le carnet de progrès : levier d’ une plus grande coéducation ……….63
1.3. Le carnet de progrès : un élément qui interroge, qui limite ou qui
empêche la coéducation ……….……66
1.3.1. Le carnet de progrès comme vecteur d’interrogation parentale .…….66
1.3.2. Le carnet de progrès comme objet limitant la coéducation …………..68
1.3.3. Le carnet de progrès : paramètre qui empêche la coéducation ………72
1.3.4. Le carnet de progrès : un outil perfectible du point de vue parental…73
Chapitre 2 : Des difficultés à coéduquer à des perspectives pour parfaire la coéducation
2.1. La coéducation : une position difficile à atteindre ……….………76
2.1.1. Une relation entre coéducateurs spontanément évoquée dans le
cadre de la difficulté scolaire ………..………76
2.1.2. La coéducation : un espace / temps à inventer ………77
2.1.3. Coéducation : un concept fragile, à faire évoluer et progresser
au rythme de chacun ………78
2.2. Limites de cette étude et perspectives pour parfaire la coéducation
2.2.1. Aux frontières de cette recherche ……….………80
2.2.2. De nouveaux horizons pour la coéducation ?...81
Conclusion ………...……….85
INTRODUCTION
« Psychologie positive », « parentalité positive », « discrimination positive »
Expressions de nos jours courantes qui envahissent les unes de nos journaux ou magazines, et
qui font régulièrement l’objet d’émissions télé ou radio… Mais à quoi renvoie exactement ce
qualificatif « positive » ? A l’opposé, y’aurait-il une psychologie, une parentalité, ou une
discrimination négative ?
A l’heure de la Refondation de l’école avec la loi d’orientation et de programmation du 8 juillet
2013, et plus précisément dans le nouveau programme de l’école maternelle paru au bulletin
officiel du 26 mars 2015, c’est bien à l’école qu’est attribuée ce qualificatif : elle est désormais
tenue de « pratiquer une évaluation positive », qui engage l’élève « à avoir confiance dans son
propre pouvoir d’agir et de penser, dans sa capacité d’apprendre et réussir sa scolarité et
au-delà ».
Aussi, l’approche retenue par l’institution pour l’acception de cette forme d’évaluation est
clarifiée dans les termes suivants : « L’évaluation positive est une évaluation conduite avec
bienveillance, qui souligne les petites réussites, les progrès, petits ou grands, les essais, qui
participent de la motivation de l’enfant, en les lui signifiant, ainsi qu’à ses parents. Il ne s’agit
pas de comparer les réalisations ou les « performances » de l’enfant à celles des autres, mais
de le situer dans un parcours d’apprentissage qui est dessiné par les programmes et attendus
de fin du cycle 1.» (in Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de
la Recherche, Ressources maternelle-Évaluation de l’observation instrumentée au carnet de
suivi, EDUSCOL, avril 2016)
En outre, d’après les textes officiels, cette évaluation, mise en œuvre selon des modalités
définies au sein des équipes pédagogiques, est pensée par chaque école pour être rendue
« explicite pour les parents ». La loi fait donc obligation de donner des informations aux parents
pour rendre compte, par le biais d’un référentiel nouveau, des démarches et des résultats de
l’évaluation scolaire de leur enfant.
A ce stade, une question émerge : qu’est-ce qui justifie, explique ce choix institutionnel d’une
évaluation positive ? A ce sujet, le CNESCO, Conseil National d’Evaluation du Système
Scolaire (2014) souligne le très fort développement des évaluations dans l’univers scolaire, soit
internes aux établissements, soit externes dans le cadre de compétitions internationales. Ce
thème de l’évaluation, véritable sujet de société qui enflamme les débats publics (notamment
le sujet de la notation), s’il est le refuge de la liberté pédagogique des enseignants, a tout de
même évolué, sous l’influence des autres pays de l’OCDE, avec la mise en place de l’approche
par compétences et le développement du « nouveau socle commun
de connaissances, de
compétences et de culture (article 13 de la loi du 8 juillet 2013)», qui comporte
de nouveaux
critères d’évaluation des élèves par les enseignants. Aussi, Le CNESCO fait le constat d’un
système éducatif « hésitant entre deux modèles d’évaluation : l’un traditionnel, fondé sur la
liberté pédagogique et la prescription cadrée de programmes et d’évaluations normées et
pilotées par le Ministère, et l’autre superposant de nouveaux ingrédients comme le socle
commun ou les classes sans note ». Aussi, dans un contexte de comparaisons internationales,
avec notamment les résultats de l’enquête PISA qui mettent en évidence la façon dont le
système éducatif français creuse les inégalités sociales, c’est bien le sens donné à la pratique
évaluative qui est interrogée et infléchie par le Ministère, au travers de l’orientation vers une
évaluation positive et bienveillante et ce, sur le terrain de l’école primaire.
Aussi, pour interroger et analyser les effets produits par cette évaluation positive, de
nombreuses entrées de recherche peuvent être envisagées : l’évaluation du point de vue des
élèves, « cibles » de ce dispositif qui peut leur permettre « d’identifier leurs réussites, d’en
garder des traces et de percevoir leur évolution ».
Nous aurions pu également nous cantonner à analyser cette évaluation bienveillante au travers
du prisme de l’enseignant, qui doit la penser comme un « outil de régulation » s’appuyant sur
une « observation attentive et une interprétation de ce que chaque enfant dit ou fait », en
mettant par la suite « en valeur le cheminement et le progrès de chaque enfant ».
L’approche effectivement retenue pour ce mémoire fera la mise au point sur ceux considérés
comme les partenaires de l’école, à savoir les parents d’élèves, et plus précisément les parents
d’élèves de l’école maternelle de A. Il s’agira donc de s’interroger en quoi le carnet de progrès
dans la classe de MS/GS de l’école maternelle de A., répondant à la demande
institutionnelle d’une évaluation positive, est un outil favorisant directement une plus
grande coéducation entre l’enseignante, les parents d’élèves et les élèves de cette classe.
De surcroit, l’étude viendra questionner ce document de suivi des apprentissages pour savoir si
le carnet de progrès produit un effet indirect sur le concept de coéducation, en étant un
levier pour aider les parents d’élèves à mieux comprendre les enjeux de la maternelle.
Par ailleurs, cette évaluation positive et bienveillante, promue par le Ministère de l’Education
Nationale depuis 2013, n’est mise en application dans les classes maternelles que depuis une
ou deux années. D’une manière générale, peu d’ouvrages en sciences sociales portent sur
l’école maternelle au regard des autres niveaux de scolarisation, où, au contraire, moult travaux
de recherche analysent les inégalités scolaires et sociales au sein de l’enseignement secondaire.
C’est en effet ce que constate le CNESCO (2014) qui, dans son rapport sur l’évaluation des
élèves par les enseignants dans la classe et les établissements, remarque une « faible exploration
scientifique des réglementations et des pratiques évaluatives en classe, notamment dans
l’enseignement primaire, particulièrement peu couvert par ces recherches ».
En conséquence, cette nouvelle pratique évaluative semble n’avoir guère été interrogée,
questionnée sur les effets qu’elle peut engendrer au sein de la classe maternelle, notamment
selon les trois entrées de recherche citées ci-dessus : Quel impact sur la pratique professionnelle
de l’enseignant(e) ? Quelles répercussions sur les élèves ? Quelle perception de l’évaluation et
de la coéducation chez les parents d’élèves ?
Aussi, ne prétendant pas envisager ces trois problématiques, nous nous limiterons ici à
interroger la perception des familles sur ce référentiel d’évaluation et à mesurer l’impact, positif
ou négatif, qu’il peut générer sur le concept de coéducation.
Pour cela, dans une première partie, nous nous efforcerons de clarifier, dans notre cadre
théorique, les termes et les notions contenus dans cette question de recherche et qui tournent
autour de deux dimensions principales convoquées par cette problématique : l’évaluation d’une
part et la coéducation d’autre part.
Aussi, l’approche retenue pour cette étude veillera tout d’abord à mettre en lumière le processus
évaluatif. Polysémique s’il en est, ce mot « évaluation » recouvre de multiples pratiques et
processus qu’il nous faudra précisément décrire. Cette étude portant sur la première étape de la
« carrière scolaire », il nous faudra également évoquer la spécificité de l’école maternelle, et
questionner plus nettement la genèse de la mise en application de l’évaluation à l’école
maternelle.
Par la suite, dans un second chapitre, c’est la relation école/famille qui sera interrogée.
Envisagée institutionnellement dans le contexte particulier d’une coéducation, c’est
effectivement cette vision commune de l’enfant que nous chercherons à définir. L’émergence
de cette question s’est par ailleurs inscrite dans un processus historique dynamique que cette
étude présentera ensuite. Enfin, dans ce chapitre, nous proposons de contribuer à la réflexion
sur le thème d’une coéducation traduite selon une pluralité de logiques d’action parentale : le
parent qui, scolarisant son enfant, endosse le « nouveau costume » de parent d’élève, s’y prête
avec des formes d’implication et des modes d’engagement divers.
Cette première partie se conclura par la définition des axes de recherche, avec la présentation
de notre modélisation d’analyse retenue au regard de notre questionnement et les hypothèses
qui en découlent et qui mettent en relation le carnet de progrès de l’école maternelle de A. et le
concept de coéducation dans cet établissement scolaire.
Pour la seconde partie de notre réflexion, après avoir fait état de la recherche actuelle sur les
points théoriques qui intéressent notre étude, nous procéderons à une description du cadre
contextuel, en affichant une photographie de la classe observée, en commentant les interactions
entre ce dispositif et ces utilisateurs, enseignante ou élèves. Nous ferons également état du type
de relations perçu par l’enseignante avec ses parents d’élèves.
Enfin, le second chapitre s’attachera à mettre en valeur le cadre méthodologique et le recueil de
données, en présentant l’échantillon, souhaité le plus hétérogène possible, des parents d’élèves
entretenus, en décrivant les conditions matérielles dans lesquelles s’est opéré le recueil des
données, et en présentant les différents axes de notre guide d’entretien, support à l’analyse
qualitative qui a découlé de ces entrevues.
La présentation des résultats et leur analyse fera l’objet de la troisième partie et cherchera à
dresser un tableau précis des différents styles parentaux croisés au cours de ces entretiens.
Seront ensuite donnés quelques éléments de réponse sur les effets induits par la mise en
application du carnet de progrès sur le concept de coéducation à l’école maternelle de A., tantôt
considéré comme élément facilitateur de coéducation, mais aussi perçu par certains parents
comme élément qui interroge, limite ou empêche la coéducation. Par la suite, c’est ce même
concept, analysé à l’école maternelle de A., dont les contours seront esquissés, afin de montrer
en quoi ce principe fragile cherche encore les moyens de son existence. Nous tenterons enfin,
tout en étant conscient du caractère limité d’une telle entreprise, d’apporter un éclairage
nouveau à cette collaboration école/familles et de tracer quelques pistes de réflexion et de
perspectives pour offrir à cette idée de la coéducation la scène la plus favorable à son
développement.
Partie 1 : Approches théoriques sur l’évaluation et sur la
coéducation à l’école maternelle
Chapitre 1. Cadre théorique et évaluation
1.1.
Evaluation à l’école : de quoi parle-t-on ?
Pléthore d’ouvrages, d’articles, de formations portent sur le thème de l’évaluation, montrant en
quoi ce processus est porteur d’abord d’enjeux pédagogiques, mais est aussi caractérisé par une
dimension sociale, ou plus largement, sociétale. En effet, l’évaluation est inévitablement liée à
toute activité : chacun se doit de justifier, argumenter pour que toute démarche soit évaluée et
validée. Ainsi, dans le domaine scolaire, une bonne évaluation serait une porte ouverte vers un
statut de bon élève, en découlerait l’obtention d’un bon métier et une bonne intégration dans la
société. Evaluer, cela pourrait être une façon de créer, selon Perrenoud (1998), des hiérarchies
d’excellence. Mais d’autres conceptions de l’évaluation à l’école sont également mises en
œuvre, plus formatives, et au service de la régulation des apprentissages.
Pour bien cerner tout ce qu’embrasse ce concept d’évaluation, il nous faut tout d’abord tenter
d’éclairer la signification de ce terme aux nombreuses acceptions, à la lumière des théories et
de son histoire. C’est ce à quoi se sont employés Rey et Feyfant (2014) pour inscrire la pratique
de l’évaluation dans un parcours historique jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, jusqu’à la fin du Moyen Age, l’éducation étant essentiellement proposée à une élite sous
la forme de préceptorat, ainsi le contrôle et la mesure des acquis n’étaient absolument pas une
nécessité.
Le même constat peut être établi au XVIème siècle quand les Jésuites ouvrent l’instruction
au-delà de la noblesse, en ayant comme objectif principal à cette éducation la formation de bonnes
âmes catholiques, l’aspect évaluatif de l’instruction n’étant toujours pas d’actualité.
Au XVIIème siècle, apparaît l’organisation de l’instruction dans un espace privilégié : la classe.
La discipline pour une meilleure domestication du corps est alors recherchée. C’est le début à
proprement parler de l’évaluation.
A la fin du XVIIIème siècle, est créée l’école des Ponts et Chaussées, des principes de
classement et de notes apparaissent alors pour hiérarchiser une élite qui dirigera le pays.
L’évaluation, par la notation, est à ce stade une mesure de l’excellence.
Au XIXème siècle, une « échelle numérique » est appliquée pour positionner tous les élèves (et
les classer à terme entre élites, techniciens, ouvriers…), et en parallèle, sont créés le
baccalauréat en 1808 et le certificat d’études en 1882. Pourtant, à cette même époque, Meyer
(2007) nous rappelle que jusqu’à Napoléon 1er, la question de l’évaluation ne se posait pas,
puisque charges et fonctions étaient transmises de façon héréditaires.
Quant à Belhoste (2002), il apporte un éclairage particulier sur l’évaluation, en focalisant sur
celle pratiquée dans le cadre d’un examen : il précise ainsi que le développement des formes de
scolarisation, en Europe au cours des deux derniers siècles, aurait été « accompagné par un
déplacement général des procédures d’examens d’un type à fonction sociale (comme système
de recrutement sélectif qui fonctionne selon la logique de la distinction) vers un type à fonction
scolaire (où l’examen a un rôle de régulation, et devient un outil en interne de la scolarisation
pour gérer des flux d’élèves) ».Cette évolution de la fonction de l’examen a eu pour
conséquence un allongement des dispositifs scolaires et une multiplication d’examens
extrascolaires, avec pour répercussion une scolarisation grandissante du mérite.
On observe donc bien que l’histoire de l’évaluation jusqu’à la moitié du XXème siècle plaide
avant tout en faveur d’un processus qui alimente des décisions de sélection et d’orientation,
selon De Ketele (1986), dans un contexte d’inégalités de réussite.
Depuis, l’école change lentement, et ses procédés d’évaluation avec. En effet, les procédures
d’évaluation sont généralisées et harmonisées au plan national à partir de 1982, avec la mise en
place d’évaluations nationales systématiques et traitées par le Ministère. La loi d’orientation de
1989 conforte, selon Talbot (2009), cette préoccupation pour l’évaluation (par exemple au
travers de la politique des trois cycles de l’école primaire) et dès 1995, la mise en place des
livrets scolaires à l’école primaire confirment la priorité de cet axe.
En outre, le terme évaluation, au-delà de son histoire, recouvre, dans différentes théories, de
nombreuses acceptions. Il peut être envisagé, selon ce que nous rappellent Rey et Feyfant,
comme une forme de contrôle surveillé émanant de l’enseignant, mais aussi comme un examen
national tel que le baccalauréat, ou bien encore dans le sens d’un dispositif visant à mesurer la
qualité d’un établissement scolaire.
Pour ce qui concerne notre étude, qui se situe sur le terrain du premier cycle de l’école primaire,
il n’est pas question d’embrasser l’ensemble des champs couverts par ce terme, mais nous
limiterons notre éclairage au sens de l’évaluation pratiquée au sein d’une classe maternelle.
Aussi, il est de tradition de distinguer l’évaluation qui s’intéresse aux savoir-faire, comme part
intégrale du processus d’enseignement et d’apprentissage, du faire-savoir où l’évaluation sert
à la communication d’informations à l’adresse des partenaires de l’école, c’est-à-dire les parents
d’élèves et l’institution.
En ce qui concerne le premier axe de l’évaluation, celui du savoir-faire, la plupart des
recherches convergent vers l’idée que l’évaluation peut remplir différentes fonctions dans et
pour l’apprentissage. Il nous faut donc en faire à ce stade une description précise, et mettre en
évidence les différents aspects que peut recouvrir cette évaluation en classe.
Aussi, Scallon (2000) nous explique que cette classification des interventions d’évaluation peut
s’organiser autour d’une typologie mise en évidence par des théoriciens, tels que Bloom,
Madaus et Hastings (1971), qui voient dans l’évaluation trois fonctions essentielles :
Fonction des préventions des difficultés d’apprentissage ou évaluation diagnostique
Fonction de régulation des apprentissages ou évaluation formative
Fonction d’attestation ou de reconnaissance sociale des acquis ou évaluation sommative
Dans cette typologie, trois types d’évaluation apparaissent que nous allons décrire, caractériser
et expliquer maintenant.
1.1.1. L’évaluation diagnostique
Il s’agit de la forme d’évaluation qui est programmée en amont de l’apprentissage ou pendant
le déroulement de celui-ci.
Quand l’évaluation diagnostique opère en début d’étude, l’enjeu ici est préventif : il s’agit en
effet d’évaluer chez l’élève les connaissances et les habiletés préalables à un apprentissage, et
selon le concept de ZPD (Zone Proximale de Développement) de Vygotski (1997), de s’assurer
que l’apprentissage en cours permet à l’élève, en stimulant l’analyse de ses réussites antérieures,
un développement proche avec des réponses pédagogiques adaptées. Cette évaluation des
connaissances et des habiletés peut permettre de proposer à l’élève, avant le nouvel
apprentissage, des activités de révision, de remise à niveau, telles que du soutien scolaire, de la
remédiation ou une adaptation de l’enseignement.
l’enseignant un autre intérêt, celui de cibler les symptômes de difficultés persistantes et de
sonder, pour comprendre ce qui est en jeu, les aspects extérieurs à la situation d’enseignement
comme l’état de santé, le milieu familial, la motivation de cet élève...
D’autres pédagogues et chercheurs présentent des travaux qui se fondent peu ou prou sur ceux
de Bloom et al, mais en apportant des nuances de fonction à cette première évaluation, dite
diagnostique. C’est le cas par exemple de Cardinet (1988) qui attribue à ce premier type
d’évaluation le qualificatif de « prédictive », en donnant des « informations permettant de
prédire l’effort nécessaire selon la voie choisie ». En effet, cette évaluation prédictive, en en
fixant les points de référence, et en déterminant les caractéristiques personnelles de chaque
élève, est centrée essentiellement sur ses aptitudes stabilisées. Cela doit pouvoir conduire à une
proposition de décision, à l’émission d’un pronostic à moyen ou à long terme sur l'apprentissage
ultérieur d’autres savoir-faire, et éventuellement une orientation future ce cet élève.
Par la suite, De Ketele (1983), Allal (1979) ou Hadji (1997) retiennent d’autres critères pour
préciser cette évaluation diagnostique en la qualifiant de « pronostique ». Il s’agit là de penser
cette évaluation comme guide à la décision de promotion, ou d’admission dans une nouvelle
filière, avec un examen d’entrée pour tester des critères associés à une réussite éventuelle
ultérieure, ou bien encore d’orientation à l’intérieur du système scolaire.
1.1.2. L’évaluation formative
L’évaluation formative, quant à elle, est plus liée au processus de formation. Elle a pour
fonction la régulation des apprentissages pendant le déroulement même d’un programme
d’études. Ce type d’évaluation est en effet intimement connecté, non pas aux résultats de
l’apprentissage mais à un autre postulat, que Bloom, dans les années 60, expose ainsi : « Tout
le monde peut apprendre, à condition d’organiser l’enseignement de sorte à individualiser le
contenu, le rythme et les modalités d’apprentissage en fonction d’objectifs clairement définis ».
Aussi, cette évaluation, qui est le sujet central de moult travaux et la cible de nombreuses
recherches, n’a plus pour but de fabriquer des hiérarchies, mais prétend cerner les acquis et les
modes de raisonnement de chaque élève.
Il est bon de préciser que l’utilisation de ce qualificatif pour désigner une nouvelle conception
de l’évaluation est attribuée à Scriven (1967) : c’est lui qui, pour la première fois, dans un article
traitant des méthodes d’évaluation, emploie le terme « formative », qu’il entend au sens de
« jugements portés en cours de route ». Plus tard, cette classification de Scriven sera transposée
par Bloom, Madaus et Hastings dans le domaine des apprentissages scolaires.
Pour bien comprendre le sens de cette évaluation, Perrenoud (1998) utilise une métaphore qui
illustre parfaitement en substance la fonction de cette autre forme d’évaluation. Il évoque ainsi
le médecin qui ne classe pas ses patients, du moins malade au plus atteint. En outre, il
n’envisage surtout pas une administration collective de traitement unique. En revanche, il veille
à préciser, pour chacun de ses patients, un diagnostic individualisé, suivie d’une action
thérapeutique sur mesure. Aussi, le rôle dévolu à l’évaluation formative devrait être similaire,
dans une pédagogie différenciée.
Pour entrer plus en détails dans le processus de cette appellation, Scallon (2000, p.16) précise
que « l’action de régulation, partie prenante de l’évaluation formative, signifie que toute
difficulté est immédiatement traitée, soit en modifiant la situation, le contexte pédagogique, soit
en offrant à chaque individu l’aide dont il a besoin pour progresser ». C’est en jouant sur ces
deux objets (la pédagogie proprement dite et/ou l’élève lui-même, dans sa progression) que
l’enseignant peut communiquer et décrire à l’élève les progrès dont il a fait preuve, et envisager
avec lui les stratégies futures à adopter : la démarche évaluative formative envisage donc bien
l’évaluation en tant qu’apprentissage, c’est un instrument au service de l’élève, car elle vise une
prise de conscience de sa métacognition.