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Chapitre 1. Analyse des entretiens et vérification des hypothèses

1.3. Le carnet de progrès : un élément qui interroge, qui limite ou qu

1.3.3. Le carnet de progrès : paramètre qui empêche la coéducation

coéducation

précisément possible un élève dans ses acquis et par rapport aux autres, pour le préparer à la

réalité de la comparaison future entre prétendants à un même emploi : « Oui, parce que bon, je

le projette un peu loin mais quand il cherchera du boulot, il sera comparé à d’autres. Donc

c’est bien qu’il soit tout le temps habitué à être plus ou moins comparé et savoir où il est, par

rapport à ça et qu’est-ce qu’il doit faire pour…pour être à la meilleure place possible. »

D’ailleurs, sa critique du message du carnet de progrès, qui pour lui n’est pas assez une mesure

de classement, se cristallise dans l’expression qu’il utilise pour qualifier la scolarité en

maternelle : « Pas vivre dans le monde des bisounours au début et après, arriver dans la vraie

vie : Ah, c’est comme ça que ça marche ? ben zut ! » Il semble évident ici que l’évaluation

essentiellement formative du carnet de progrès ne convient pas du tout à ce papa qui recherche

uniquement une évaluation sommative : les perspectives éducatives s’affrontant dans le face-à-

face entre cette famille et l’école, le dispositif du carnet de progrès semble au final favoriser un

désengagement du papa de Titouan de la coéducation.

La question des compétences parentales, ainsi qu’en témoigne la maman de Clara, émerge à ce

stade de notre réflexion. En effet, l’espace de parole dédié aux parents, s’il est facteur

d’implication et de partenariat pour nombre des parents rencontrés, peut également être ressenti

comme une vérification institutionnelle de la capacité des parents à bien élever leur enfant.

Dans ce cas-là, la proposition d’une coéducation est entendue comme une proposition délicate

dans la mesure où chaque famille met en oeuvre les valeurs éducatives qui lui importent :

« coéducation ça veut dire, voilà, qu’ils veulent…qu’on marche ensemble sur l’éducation de

l’enfant mais, après, c’est difficile ça, parce que chacun éduque l’enfant comme il veut ».

Certains parents, dans cette sollicitation à la mutualisation et au partage, ressentent la crainte

de perdre de leur singularité, de leur indépendance et de leur liberté de pensée.

coéducation style parental éducatif carnet de progrès style pédagogique de l'enseignante

1.3.4. Le carnet de progrès : un outil perfectible du point

de vue parental

Si, pour 11 des 13 parents reçus en entretien, le carnet de progrès est un vecteur d’informations

évaluatives qu’ils tiennent pour digne d’intérêt, il n’en reste pas moins que la plupart d’entre

eux ont profité de cet échange pour être force de propositions d’améliorations à apporter à ce

document et exprimer concrètement comment cet outil peut évoluer à l’avenir, pour permettre

une meilleure appropriation parentale et une véritable genèse instrumentale de ce document.

Ce dispositif d’évaluation, jugé par ailleurs de qualité par le papa d’Etienne, est organisé selon

un code-couleurs par domaine disciplinaire. Il regrette d’en début de carnet, il n’y ait pas une

page explicative de la symbolique de chaque couleur, visant à faciliter la lecture des parents

pour que, comme les élèves, ils accèdent au sens des domaines disciplinaires concernés par

chacune des couleurs : « Ce qui est peut être bien, justement, c’est de le mettre ce code-

couleurs, en page de garde, pour les parents. » Dans le même ordre d’idée, le papa de Sarah,

ne s’étant pas rendu compte des nuances de couleurs de pages à l’intérieur du carnet de progrès,

interroge la signification de ce nuancier et fait remarquer que, pour une meilleure lisibilité des

grands domaines composant ce référentiel, il serait préférable que ce bandeau actuellement

horizontal passe à une mise en page verticale : « Ouais, c’est pas mal, mais faudrait peut-être

le mettre en bandeau, en haut, plus lisible, parce que, moi, je l’avais même pas vu ça ! »

Par ailleurs, deux mamans, celle de Clara et celle de Nadège, relèvent une autre caractéristique

manquante pour rendre cet outil plus perfectible : il faudrait, de leur point de vue, préciser le

contexte d’évaluation, pour savoir si l’élève a validé seul(e) ou pas la compétence en question.

Il serait donc utile d’ajouter une indication, une appréciation enseignante sur les conditions de

la réussite : « Peut-être y’aurait une petite appréciation, satisfaisant…ou je sais pas…Parce

qu’en fait, là, c’est juste acquis, voilà, c’est acquis, on a la date mais on sait pas si elle a eu

besoin d’aide, on sait pas si…Je sais pas comment ils l’entendent : si c’est acquis, ça veut dire

qu’elle l’a fait toute seule ou… »

« Et c’est vrai que si, la plupart du temps elle a besoin d’aide, ou si elle le comprend tout de

suite et…Je sais pas comment vous expliquer ça en fait…Parce que je sais que Nadège, quand

elle a acquis quelque chose, je sais qu’elle me dit : « Maman, je vais aider les autres ! » Mais

je sais pas si elle, à son tour, quand elle a un p’tit souci, est-ce que quelqu’un vient l’aider ?»

Par ailleurs, une autre maman, celle de Laure, fait état d’un manque concernant les premières

pages du carnet de progrès qui portent sur le domaine du « vivre ensemble ». Elle souhaite en

effet que cette partie soit plus étayée, en comportant davantage de compétences qui valident

l’aspect socialisant de la scolarisation en maternelle. Cet étoffement pourrait permettre une

observation plus fine du comportement de sa fille au milieu du groupe-classe, et une meilleure

perception de son niveau d’intégration : «Au sein d’une classe, ça pourrait peut-être être

intéressant, parce que, c’est ça aussi, on est quand même dans l’apprentissage de la vie de

groupe, une sorte de mini-société où chacun a aussi sa place… « Est-ce que je sais respecter

la parole des autres ? », je pense que ça doit en faire partie… »

Enfin, différents points de vue de parents portant la perception de l’espace de parole dédié au

parents en fin de carnet de progrès nous font dire que cette invitation au témoignage familial a

probablement besoin de plus de guidage et d’accompagnement de la part de l’équipe

enseignante, et ce, d’autant plus pour les familles peu ou pas engagées en amont dans la

démarche de coéducation. C’est le cas notamment de la maman de Laure qui, présentant

habituellement un faible investissement dans les sollicitations écrites de l’école, s’interroge sur

l’utilité de tels témoignages, du poids d’un écrit qui reste, de la plus-value de ce même écrit par

rapport à un échange oral : « je pourrai le faire mais je sais pas ce que je peux dire…ce que je

peux écrire, mais…Moi, j’ai eu la rencontre avec F. déjà, j’ai pu aussi parler un peu de ce qui

me souciait. Après, bon, là, je sais pas à qui c’est destiné. […] Après, moi, je sais pas ce que je

peux apporter sur ce cahier. »

C’est un discours de même nature que nous avons entendu de la part du papa de Titouan qui,

évoquant l’espace de parole parentale, estime manquer de guidage pour savoir comment

répondre correctement à la sollicitation de l’enseignante. La question pour lui n’est pas de

savoir si la réponse à cette invitation est utile, mais de comprendre la nature de la réponse

attendue : Fallait-il faire un commentaire global sur l’outil ? Fallait-il commenter chaque

compétence acquise ? « J’ai pas su quoi écrire dedans. Parce qu’il y a eu la parole de l’enfant,

le commentaire de l’enseignant. Après, c’est plus par rapport au parcours scolaire que j’ai eu :

quand on reçoit son bulletin de notes, y’a jamais la place pour que les parents répondent !

Donc c’est plutôt ça, je savais pas quel type de réponse faire».

Aussi, loin de considérer que le carnet de progrès fait l’unanimité auprès des parents d’élèves

de la classe de Mme G., il nous faut bien prendre en compte également un autre regard posé par

quelques familles sur ce dispositif : le carnet de progrès est aussi perçu par certains comme

vecteur d’interrogations parentales, critiqué pour sa lecture peu aisée et son manque de

synthèse. Parmi les raisons invoquées pour soutenir la thèse d’un outil qui limite la coéducation,

citons notamment le manque de communication pour en expliquer son utilisation en classe, le

rapport asymétrique entre enseignant et parents qu’il peut engendrer, et les fortes réserves qu’il

encourage au sujet des compétences non validées par l’élève. Certains y voient enfin un élément

empêcheur de coéducation, dans la mesure où cet outil cristallise les divergences de point de

vue entre enseignante et parents sur le rôle attribué à l’évaluation scolaire. Cependant, pour être

tout à fait précis avec les résultats de cette recherche et de cette analyse, il nous faut préciser

que si le carnet de progrès est entrevu comme un élément défavorable à la coéducation, ce point

de vue est néanmoins minoritaire dans le panel de parents rencontrés.

Chapitre 2 : Des difficultés à coéduquer à des perspectives pour parfaire la

coéducation