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Chapitre 1. Analyse des entretiens et vérification des hypothèses

2.1. La coéducation : une position difficile à atteindre

2.1.1. Une relation entre coéducateurs spontanément évoquée dans le cadre de la difficulté

scolaire.

Quand les parents sont sondés sur leur relation à l’enseignante de la classe, la plupart d’entre

eux soulignent le fait que ce contact n’est envisagé la plupart du temps que dans le contexte de

la difficulté scolaire. C’est le cas de la maman de Clara qui explique : « Après, vous voyez bien,

j’ai pas voulu prendre un rendez-vous, je le prends si vraiment ça se passe mal mais j’ai pas

pris de rendez-vous… » C’est le même type de réflexion qui animela maman de Nadège quand

elle dit : « Non, parce que je me suis dit, ben je sais pas, peut-être comme tout parent, je me

suis dit que si vraiment il y avait quelque chose qui n’allait pas, je pense que F (prénom de

l’enseignante) me l’aurait dit le plus tôt possible, donc honnêtement, non…Tant qu’on ne se

plaint pas de ma fille et que je vois qu’elle est…qu’elle suit…»

La coéducation dans ce cas de figure n’est pas pensée en terme de démarche conjointe entre

céoducateurs, quel que soit le contexte scolaire ou le niveau scolaire de l’élève concerné.

Rappelons qu’elle renvoie alors au modèle d’expertise, cité par Garnier (2016), où parents et

enseignant sont dans une relation asymétrique et leur relation justifiée avant tout par les résultats

effectifs de l’élève que la communauté éducative cherchera à faire évoluer.

En conséquence, il est bon de noter que le concept de coéducation, s’il s’adresse en théorie à

tout type de parents, n’est pas, dans les faits, une démarche naturelle pour des parents qui ont

un enfant sans difficulté scolaire particulière. C’est probablement une première limite que l’on

peut apporter au champ des possibles de cette démarche.

2.1.2. La coéducation : un espace / temps à inventer

Certaines remarques, relevées sur le terrain de l’enquête, nous laissent penser que le concept de

coéducation manque de façon évidente de temps privilégiés ou de lieux désignés pour pouvoir

véritablement s’exprimer. Nous en avons pour preuve ces réflexions de deux parents qui

soulèvent ainsi une autre limite de la coéducation. En effet, le papa de Sarah exprime, en début

d’entretien, un sentiment d’opacité dans la composition de classes de doubles niveaux par

l’école maternelle de A. Manifestement, il a entendu le point de vue de l’enseignante à ce sujet,

mais considère à titre personnel que cette organisation est par ailleurs critiquable. En tout état

de cause, il reste persuadé de cette idée d’opacité dans l’organisation des classes mais sans

s’être autorisé ou trouvé le moment pour en parler à l’équipe enseignante : « Oui, j’ai le

sentiment que c’est opaque, c’est opaque cette histoire de mélange de MS avec GS. La

proportionnalité aussi : là, ils sont…ils doivent être 1/3 de grands pour 2/3 de moyens. Là,

Mme G, c’est un système qui lui convient bien, elle est pour ce système, elle nous a expliqué

pourquoi, elle a ses raisons. Mais on a rencontré d’autres professeurs qui…c’était plus mitigé,

au niveau organisation, donc voilà… »

Au contraire, la maman de Laure qui a eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec l’enseignante

lors d’un entretien en présentiel a entendu les arguments de cette dernière et de par le fait, a

changé de point de vue sur la question.

En fait, j’avais eu des échos avec des amis qui s’inquiétaient de leur enfant, avant que moi,

je sois confrontée. Voilà : quand il est avec des plus petits, ça va le pousser vers le bas, il

sera en régression ! Avec des plus grands, peut-être il va se sentir petit, ça va pas être bien

pour lui…Au moins, là, un peu, ça a dissipé toutes mes craintes, en me disant : ben, voilà,

on est aussi sur un échange un peu mutuel. Les grands vont découvrir une activité et après,

ils vont la faire découvrir et accompagner un petit à la faire…Je trouve que c’est super sur

ce principe de partage. Je trouve que c’est ça aussi qu’on peut attendre de l’école, ne pas

être juste sur un truc très individuel d’apprentissage. Mais là, s’il y a une mutualisation,

c’est plutôt intéressant quoi !

Oui, tout à fait. Oui, et puis, au final, ils ont aussi des phases d’autonomie où ils vont être

les MS et puis après les GS. Ils sont pas toujours à demander la maîtresse, ils savent aussi

qu’il y a des temps pour chacun. Je trouve que c’est bien aussi pour l’enfant ouais…Après,

il y a certainement d’autre avantages mais…Peut-être que pour une maîtresse, c’est

j’imagine, plus compliqué, après en tout cas, F. semblait être convaincue aussi, donc je

trouve ça bien !

Aussi, si des temps sont trouvés pour que les familles fassent état de leurs interrogations auprès

de l’enseignante, c’est bien la coéducation qui est avantagée, en levant des doutes, des

interrogations et en permettant aux coéducateurs « d’accorder leurs violons ».

Par ailleurs, un échange informel que nous avons eu avec l’enseignante de la classe laisse

apparaitre cette même entrave à la coéducation, entrevue, mais pas solutionnée : quel temps

prévoit l’institution pour faire vivre et rendre visible concrètement la coéducation ? En d’autres

termes, qu’est-ce que propose l’école pour que chaque parent trouve un lieu, un moment pour

faire entendre sa parole, pour partager son point de vue avec les enseignants ou avec d’autres

autres parents ? Mme G. considère en effet qu’à ce jour, l’école maternelle de A. ne laisse pas

vraiment d’espace ou de temps pour que vive une coéducation pleine et entière. Ce constat

suppose donc qu’une démarche particulière est à envisager en équipe pédagogique pour plus

institutionnaliser à l’avenir cette coéducation.

C’est d’ailleurs le même constat auquel nous sommes arrivés à l’issue de cette étude : ayant eu

la chance, de part cette posture de recherche, de pouvoir écouter et recevoir la parole parentale

dans toute son authenticité, l’enseignante que je suis par ailleurs réalise à quel point les parents

d’élèves ont aussi des opinions à communiquer à l’institution scolaire si toutefois l’école leur

en laisse l’opportunité !

2.1.3. Coéducation : un concept fragile, à faire évoluer et progresser au rythme de chacun

Quand la question est posée lors de l’entretien de la façon dont les parents perçoivent et

appréhendent le concept de la coéducation, un panel de réactions se fait jour : du parent distant

et non engagé, au parent qui commence à prendre conscience de cette relation différente à

l’école, à celui qui est déjà convaincu et engagé dans la démarche avec cette école maternelle.

C’est ainsi que le papa de Sarah, considérant l’espace de parole dédié aux parents en fin de

carnet de progrès comme une démarche « un peu révolutionnaire », précise que l’idée de la

coéducation, si elle est séduisante dans le sens où chaque coéducateur « met sa pierre à

l’édifice », car « tout le monde a son rôle à faire », demande aux parents une certaine maturité

pour entrer dans cette dynamique nouvelle : « Ouais ouais mais ça serait bien, mais le temps,

voilà…C’est un truc qui n’est pas mature, mais il faut tendre vers ça, voilà. Moi, je suis pour,

mais je ne me sens pas prêt à le faire ! » Ce papa s’interroge ainsi sur le « temps de gestation »

nécessaire au changement d’attitude pour adhérer à la coéducation : est-ce que des parents plus

âgés, plus expérimentés, entreraient plus facilement dans cette démarche ?

Le respect du rythme des coéducateurs est également évoqué par le papa de Stanislas quand il

explique que cette relation de co-construction doit amener chacun à penser par soi-même. C’est

par le dialogue, le partage libre, la négociation volontaire et non pas par l’injonction, que parents

et enseignants parviennent en effet, selon l’expression de Cifali (2005), à « construire leur

propre intelligence de la situation » : « Je pense que c’est en échangeant qu’on avancera, c’est

pas en imposant quelque chose. »

Ce point de vue est d’autant plus marquant chez ce papa qui témoigne, lors de l’entretien, d’un

parcours scolaire chaotique en tant qu’élève, d’un manque de reconnaissance de l’institution en

tant que parent d’élève pour ses deux enfants aînés dans un autre établisssement et qui se dit

ressentir « toujours cette haine contre l’école ». Pour autant, le carnet de progrès, en l’invitant

à reprendre une place différente de parent, et en lui donnant le temps nécessaire à son

appropriation de l’outil, lui fait progressivement retrouver une vraie place de partenaire

éducatif. Ainsi, ce papa, qui porte en lui les stigmates de l’ancien élève frustré et fâché contre

l’école, tient au sujet du carnet de progrès les propos suivants : « C’est un outil qui moi, m’a

réconcilié un petit peu avec l’école. Ben j’suis toujours un petit peu fâché avec le monde

scolaire, parce que pour moi, l’école, c’est pas la vraie vie. Voilà, quoi ! Moi, j’ai fait partie

de ces élèves, de cette génération où…tu avances c’est bien, tu as des lacunes, tu te

débrouilles ! »

Cette coéducation est envisagée d’une tout autre façon par le papa de Titouan qui, s’il la juge

être une bonne idée, la pense comme une délégation de l’école vers la famille, où les enseignants

listeraient des activités à réaliser avec l’enfant dans le contexte familial, pour le faire progresser

sur telle ou telle compétence ou pour le sensibiliser à telle autre. Les compétences à acquérir

par l’enfant seraient ainsi portées conjointement, à la fois dans l’environnement scolaire et dans

le cadre familial : « Pour moi, la coéducation, c’est que les enseignants nous donnent des

activités à faire avec les enfants pour développer telle ou telle compétence, ou les sensibiliser

sur quelque chose. Actuellement, là, je ne nous sens pas du tout impliqués avec l’enseignante

par rapport à ça, mais dans l’idée, c’est une bonne chose, je pense…De faire participer l’enfant

dans l’éducation, enfin de fixer des objectifs aux parents sur les activités à faire aussi avec

eux. » Ce serait donc aux enseignants, pour alimenter la coéducation et permettre un plus grand

investissement parental, de fournir aux parents une liste d’activités, de pistes et des priorités

éducatives à programmer avec leur enfant, tel que l’apprentissage du vélo sans roulettes,

l’apprentissage de la nage…

Enfin, la coéducation, si elle est d’ores et déjà proposée aux parents d’élèves de l’école

maternelle de A. par une équipe enseignante qui cherche à lui donner de l’espace, elle n’en reste

pas moins un concept fragile. C’est ainsi que la maman de Laure évoque, en toute fin

d’entretien, au moment de la réflexion personnelle à soumettre en guise de conclusion de

l’échange, un point de divergence qui met à mal cette relation entre école et famille. Elle expose

en effet une opinion personnelle concernant la notion de genre en classe maternelle. Lors du

temps de l’accueil du matin, derrière le choix de l’activité proposée à l’enfant ou choisie par

lui, la notion de genre est selon elle sous-jacente, implicite : une petite fille est orientée plus

facilement vers la table à dessins et les jeux de construction plutôt attribués ou choisis par les

garçons de la classe. Or, cette maman se donne parmi ces « combats éducatifs » celui de lutter

contre ces stéréotypes et a le sentiment de ne pas être relayée par l’école dans sa démarche.

Même si l’éducation familiale met en valeur des activités mixtes non genrées, l’arrivée à l’école

transforme, selon cette maman, la petite fille en princesse qui porte de jolies robes pour

prétendre à un compliment de la maîtresse : « On essaie un peu de casser ça, de pas… Alors

voilà, après, l’école, ça a aussi anéanti… [rires], enfin anéanti…notre éducation jusqu’à

présent pour essayer de faire des activités mixtes, etc. Et puis arrivée à l’école, on devient la

princesse ! Ca, c’est pour les filles, les filles, elles font ça et les garçons, ils font ça…Du coup,

c’est un peu compliqué, mais bon, c’est le rapport aux autres, quoi ! »