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Chapitre 2 : Ecole et famille : quand il est question de coéducation

2.3. Co-éduquer : une pluralité des logiques d’action parentale

Si l’école transforme l’enfant en élève, elle transforme également leurs parents en parents

d’élève. Ce nouveau statut n’est pas sans répercussion : l’entrée de l’enfant à l’école, en

préscolaire ou en école élémentaire, constitue une étape dans l’évolution de la fonction

parentale, dans la mesure où l’adaptation de l’enfant à ce nouveau lieu social peut être envisagé

comme le témoignage de la capacité des parents à bien « élever » leur enfant. Ce nouveau lieu

d’accueil, à travers l’adaptabilité et la sociabilité de l’enfant, permet en effet aux parents de

vérifier leurs propres compétences parentales.

Par ailleurs, Garnier (2010) évoque l’ambiguïté de cette coéducation, de cette démarche qui

serait équivoque, car d’une part, les textes officiels prônent une « exigence forte de symétrie et

de réciprocité dans le cadre d’une communauté éducative », mais d’autre part, la réalité du

terrain est toute autre. C’est fondamentalement l’école qui cherche à transmettre ses bonnes

pratiques, ou qui détermine son ouverture aux familles selon ses propres valeurs et sa propre

culture. Partageant un point de vue similaire, Glasman (1995) parle ainsi « d’acculturation

forcée », dans le fait que cette invitation à s’impliquer à l’école ressemble plus en réalité à une

injonction. C’est une véritable violence symbolique, au sens employé par Bourdieu, qui peut

être perçue par les familles les plus éloignées du système scolaire. Ainsi, Glasman évoque l’idée

de « l’avatar de la théorie ancienne du handicap socioculturel », dans la mesure où les

enseignants peuvent, par un rapide raccourci, imputer la difficulté scolaire au milieu social

d’appartenance. L’ambiguïté de la coéducation pourrait donc se situer dans cet argumentaire à

charge où l’école aurait tendance à reporter la responsabilité des difficultés scolaires sur les

parents.

Aussi, la coéducation ne se vit pas qu’à travers un modèle unique d’engagement scolaire des

parents, mais au contraire, elle est porteuse d’une pluralité de significations et d’enjeux de leurs

points de vue, et entraîne chez eux des logiques d’action, des formes d’implication, et des modes

d’engagement très divers : franchir la porte d’une école maternelle peut se traduire de diverses

manières ou au travers de diverses activités (signer une autorisation de sortie, apporter des

gâteaux à l’école, participer à un atelier cuisine, témoigner auprès des élèves de sa passion ou

de ses loisirs, rencontrer l’enseignant de son enfant autour des dernières évaluations,

accompagner la classe lors d’une sortie, aller à la fête de l’école, participer à la réunion de

rentrée de la classe, être élu parent d’élève délégué…).

Selon Garnier, situant son analyse en s’inspirant du cadre théorique d’une sociologie

pragmatique, morale et politique (Boltanski et Thévenot, 1991), trois grands modèles se

dégagent pour décrire les rapports entre les différents acteurs de l’éducation de l’enfant, où,

selon les situations, parents et enseignants seront placés en concurrence ou en complémentarité.

Le premier modèle de logique d’action est celui de l’expertise, modèle dominant, où une

distinction est faite entre le professionnel de l’éducation, l’enseignant et le non-professionnel

par défaut, le parent. Il est ici question de professionnalité, avec d’une part, l’enseignant(e) de

maternelle, garant de la transmission des compétences pédagogiques et didactiques, face à,

d’autre part, la figure de la « mère » qui se professionnalise également. Ce modèle est avant

tout défini par une forte asymétrie, où l’enseignant expert « prescrit aux parents ce qui est bon

pour l’élève ». Garnier (p.123) parle à ce sujet de « pédagogisation des relations entre parents

et professionnels », avec une perspective « dure », où l’enseignant, comme cité ci-dessus,

conseille les bonnes pratiques éducatives aux familles, et une autre plus « souple », où une place

est laissée au point de vue des parents dans la mesure où « sa prise en compte contribue à

l’efficacité de l’action du professionnel ».

Comme dans ce modèle, le rapport entre parents et professionnels est asymétrique, la

concertation entre ces différents acteurs est souvent liée aux résultats effectifs de l’élève : si ce

dernier ne pose pas particulièrement de problème à l’enseignant, la communication peut paraître

superflue et les relations entre acteurs réduites. En revanche, la collaboration avec la famille est

largement plus soutenue si des difficultés d’apprentissages cognitifs ou de comportements sont

avérées. Aussi, il semble dans ce cas que seuls les problèmes de l’élève justifient des échanges

et une collaboration dans le but de les résoudre.

Pour illustrer ce modèle, on peut citer entre autre le contexte scolaire évoqué par Périer (2005)

dans ses travaux de recherche, où il définit le rapport compliqué entre école et familles

populaires plus éloignées de l’école, faites souvent de malentendus, de différends, et de relation

de dépendance.

Dans le second modèle, qualifié de domestique, tous les acteurs de l’éducation de l’enfant font

partie d’une même et grande famille, au milieu de laquelle il vit. L’école maternelle contribue

donc ici à la production de lien social, en « imbriquant, à travers sa fréquentation, vie familiale

et vie locale ». Elle est également un lieu de transition entre le noyau familial et la société. Dans

ce modèle, école et familles cherchent à favoriser un climat de confiance, à créer de l’entraide,

à éviter les conflits dans des contacts quotidiens informels. Le mot d’ordre est bien ici de « faire

ensemble », entre les différents acteurs d’une coéducation se trouvant dans une proximité

culturelle, une cohésion au cœur de laquelle se développe l’enfant. La préoccupation commune

d’une « ambiance agréable » et d’une « école ouverte » se vit, dans la typologie de Garnier (id,

p.125) au travers de « relations entre parents et enseignants, qui se parlent de personne à

personne ».

Le modèle domestique n’est pas spécialement le théâtre de concertations véritables entre

parents et enseignants, mais plutôt de rencontres et d’échanges, d’une sociabilité valorisée qui

facilitent des liens d’interdépendance entre les acteurs. Il est ici question de faire ensemble, là

où est l’enfant. En outre, ce modèle de logique d’action permet la mise en œuvre d’une

éducation axée avant tout sur les apprentissages informels, et régie à partir des interactions

quotidiennes de l’enfant et de son entourage direct.

Le dernier cas de figure évoqué par Garnier est le modèle civique, où tous les acteurs sont

soumis à des droits et des obligations : l’enseignant est avant tout fonctionnaire d’Etat investi

d’une mission de service public, à côté des Agents territoriaux spécialisés des écoles

maternelles (Atsem) qui sont des fonctionnaires territoriaux, alors que le parent est impliqué

dans l’institution scolaire en tant que parent d’élève. Tous sont soumis à un ensemble de droits

et de devoirs, précisés au travers de textes officiels émanant du ministère de l’Education

Nationale. Aussi, ce modèle civique fait de l’école, en général, et de l’école maternelle, en

particulier, un lieu d’apprentissage et d’exercice de la citoyenneté. Notamment, Garnier (p. 126)

explique que les choix éducatifs font « l’objet de décisions politiques, aussi bien au niveau

national qu’au niveau local, avec l’implication des municipalités dans les écoles maternelles

ou bien encore avec la participation de parents d’élèves élus au conseil d’école, pour

contribuer à la déclinaison locale d’un cadrage national ». La coéducation est envisagée ici

dans le cadre d’un état-éducateur, où l’éducation est une affaire d’Etat. On peut voir en effet

une traduction de cette responsabilité éducative de l’Etat par rapport à l’enfant au travers de

dispositifs comme celui de l’opération « Ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration »,

où l’accent est mis sur la parentalité comme rôle à apprendre.

Par ailleurs, Garnier (2010, p.9) évoque également un quatrième modèle, qualifié de modèle

marchand, qui met « en relation des offres et des demandes de services, transformant les

parents en consommateurs ou en employeurs cherchant à maximiser le rapport entre la qualité

du service rendu et son coût ». Mais elle le considère à part, estimant en effet que ce marché

des produits parascolaires et des activités culturelles et sportives se déroule aux portes de l’école

maternelle, et se situe donc de facto en marge de notre sujet.

En écho à ce « découpage » ou cette typologie des différentes logiques d’action parentales à

l’école maternelle proposée par Garnier, nous pouvons, à ce stade, évoquer les quatre modèles

des rapports entre parents et école, proposés par Erikson (2004). Ces différents modèles

relationnels évoluent également selon un spectre de variabilité du degré d’implication des

parents dans l’école. Erikson liste en premier le modèle de séparation, qui met en évidence la

différence entre école et maison au niveau des attentes et des valeurs, impliquant des conflits

incontournables mais potentiellement productifs. Le second cas de figure est qualifié de modèle

de partenariat, qui est basé avant tout sur les notions d’égalité des chances et de mérite, mais

qui porte en lui aussi les concepts « d’apprentissage » et « d’efficacité ». Ce modèle s’adapterait

mieux à une société plus individualiste. Erikson évoque ensuite le modèle de l’usager

participant, dans le cadre duquel les parents sont des citoyens actifs au sein d’une démocratie

participative. Enfin, le quatrième pan de cette typologie est qualifié de modèle du choix : dans

le contexte plus général de mobilité sociale, et de restructuration des systèmes éducatifs dans

les années 80, l’école doit s’insérer dans un marché quasi-concurrentiel dont le consommateur

final, le parent, choisit ce qu’il considère être le mieux pour son enfant.

Il est en conclusion bon de noter que la scolarisation de l’école maternelle, l’importance et le

poids mis sur les résultats scolaires, font du modèle d’expertise de Garnier, parmi les quatre

logiques d’action parentale qu’elle présente, le modèle assurément le plus dominant, mettant

avant tout en exergue son rôle propédeutique avant son rôle d’accueil et d’éducation des jeunes

enfants. Cependant, dans une société diversifiée, il faut, à l’évidence, envisager une pluralité de

logiques d’acteurs engagés dans des démarches de coéducation qui varient selon les situations.

A ce sujet, les travaux de recherche de Mackiewicz (2010) montrent que les enseignants de

l’école maternelle proposent généralement aux familles des dispositifs « composites » qui

permettent de ce fait aux parents de s’engager selon la démarche qui leur convient le mieux :

« moments de convivialité, familiarisation avec l’univers scolaire, exercice d’une démocratie

représentative... », cette diversité permettant au passage une appropriation plurielle des

dispositifs.

Aussi, pour les parents, l’arrivée à l’école maternelle en tant qu’accompagnateurs de leur enfant

fait l’objet d’un réel apprentissage, où sont en jeu des normes sociales, des valeurs culturelles

qui, selon les situations du rapport entre école et familles, se complètent, sont imbriquées ou,

au contraire, s’observent et s’opposent. Quant à l’école maternelle, en pensant l’organisation

du temps scolaire, en proposant des activités diverses ouvertes aux parents, en cherchant à

partager un langage commun avec toutes les familles, en faisant vivre aux acteurs les premières

expériences d’une petite « démocratie participative », elle doit permettre aux parents une

appropriation plurielle des dispositifs.