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Tradition classique et architecture actuelle : la position de Robert Venturi et de Ricardo Bofill

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Academic year: 2021

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FACULTÉ DES LETTRES

U L

TRADITION CLASSIQUE ET ARCHITECTURE ACTUELLE: LA POSITION DE ROBERT VENTURI ET DE RICARDO BOFILL

GERMAIN MERCIER

Mémoire présenté pour l'obtention

du grade de Maître ès Arts (M. A.)

FACULTÉ DES ÉTUDES SUPÉRIEURES UNIVERSITÉ LAVAL

DÉCEMBRE 1993

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RÉSUMÉ

La présence d'éléments de la tradition classique chez Robert Venturi et Ricardo Bofill origine dans la volonté de doter l'architecture actuelle d'un langage qui lui redonne un pouvoir d'évocation et une richesse sémanti­ que jugés déficients dans la production moderniste. Le langage classi­ que est l'objet chez les deux architectes d'un projet de remise à jour par une transformation physique et sémantique dont le modèle opérationnel est basé sur la sémiotique d'origine linguistico-saussurienne. L'entrepri­ se de Venturi et Bofill est marquée d'insuffisances qui peuvent originer dans la spécificité du langage architectural ou dans les faiblesses du modèle opérationnel d'une sémiotique architecturale encore imparfaite. Ces problèmes n'entachent cependant pas la valeur du but poursuivi, qui s'inscrit dans une longue tradition humaniste concevant l'architecture comme un art au service de l'homme.

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J'aimerais remercier mon directeur de recherche, M. Claude H. Bergeron, pour l'aide précieuse qu'il a su me prodiguer avec une patience inaltéra­ ble, un dévouement constant et une compréhension dont je lui suis infini­ ment redevable.

Je tiens également à remercier Mme Marie Carani, dont les commentaires positifs de pré-lecture ont porté et guidé la revision et la vérification de ce travail.

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iii

TABLE DES MATIERES

Avant-propos ... p. i

Liste des illustrations ... p. v Crédits photographiques ... p. vii

INTRODUCTION ... p. 1

CHAPITRE 1: ROBERT VENTURI ... p. 12 1.1 La vision architecturale de Venturi ... p. 13

1.1.1 Le passé au service de la communication

1.1.2 La tradition classique comme composante du rôle du passé: modalités de présence

1.2 Traduction du concept dans des oeuvres ... p. 31 1.2.1 Le point de vue de Venturi

1.2.2 Le point de vue de l'observation externe

CHAPITRE 2: RICARDO BOFILL... p. 44 2.1 Conception de l'architecture ... p. 45 2.2 La transformation sémantique ... p. 55

2.3 Développement du langage classique .... p. 59 2.3.1 Influence urbanistique

2.3.2 Monumentalité et changement d'échelle 2.3.3 Changements de fonction

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CHAPITRE 3: LANGAGE CLASSIQUE ET COMMUNICATION ... p. 70 3.1 La tradition classique comme instrument de communication:

parallèle entre les deux architectes ... p. 70 3.1.1 L'objectif de communication

3.1.2 Vocabulaire classique: l'influence convergente du modèle sémiotique et du Modernisme

3.1.3 La transformation du langage classique

3.2 Les problèmes intrinsèques liés à la démarche communication­ nelle ... p. 79

3.3 Perception d'observateurs de l'architecture ... p. 84 3.3.1 Le langage classique en tant que moyen

3.3.2 Les oeuvres

3.3.2.1 Robert Venturi 3.3.2.2 Ricardo Bofill

3.4 Examen critique du modèle communicationnel utilisé ... p. 102 3.4.1 Base théorique

3.4.2 Type d'information véhiculée

CONCLUSION ... p. 116

BIBLIOGRAPHIE ... p. 124

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V must. 1 must. 2 must. 3 must. 4 must. 5 must. 6 must. 7 must, s must. 9 must. 1 must. 1 must. 1

LISTE DES ILLUSTRATIONS

"Guild House" (1961), Philadelphie. Façade principale. Architecte: Robert Venturi, en collaboration avec Cope and Lippincott, Architects.

: Maison Vanna Venturi (1961), Chestnut Hill. Façade principale. Architectes: Venturi and Short, Architects. : Maison Vanna Venturi (1961), Chestnut Hill.. Mur semi-

circulaire au pied de l'escalier intérieur.

Colonne "ionique" de l'agrandissement fait au "Allen Art Mu­ seum" du "Oberlin College" (1973), Oberlin, Ohio. Architecte: Robert Venturi, en collaboration avec John Rauch.

: Pilastres, à la "National Gallery" (Londres). A gauche, la nouvelle section, l'aile Sainsbury (1991); à droite, l'édifice préexistant. Architectes: Venturi, Scott Brown & Associates. : "County Federal Savings and Loan Association" (projet, 1977),

Etude de façades. Architectes: Robert Venturi, en collabora­ tion avec John Rauch, Stanford Hughes et Frederic Schwartz. : "House in Northern Delaware" (1978). Vue ouest. Architecte:

Robert Venturi.

: "House in Vail" (1975), Vail Village, Colorado. Vue générale. Architectes: Robert Venturi et John Rauch, en collaboration avec William J. Ruoff.

"North Penn Visiting Nurses' Association Headquarters" (1961) North Pennsylvania. Entrée principale. Architectes: Venturi and Short.

0: "California City Sales Office" (projet, 1970). Elévation.

Architecte: Robert Venturi, en collaboration avec W. G. Clark. Dessin de W. G. Clark.

1: "Gordon Wu Hall" (1980), Princeton University. Vue, direction est. Architecte: Robert Venturi, en collaboration avec John Rauch.

2: "National Football Hall of Fame Competition" (projet, 1967). Maquette. Architecte: Robert Venturi.

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must. must. must. must. must. must. must. must. must. must. must. must. must.

13: "House in Tuckers Town" (1975), Bermudes. Vue ouest. Architecte: Robert Venturi, en collaboration avec Onions, Bouchard, and McCulloch, Architects.

14: Les Temples du Lac (1981), Saint-Quentin-en-Yvelines.

Schémas initiaux, perspective générale. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

15: Antigone (1979-1985), Montpellier. Perspective cavalière et plan général. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de

Arquitectura.

16: Antigone (1979-1985), Montpellier. La Place du Nombre d'or. Plan général. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de

Arquitectura.

17: L'Amphithéâtre vert (1981-1985), Cergy-Pontoise. Vue axiale. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

18: Les Echelles du Baroque (1 979-1985), 14e arrondissement, Paris. Façade. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

19: Les Espaces d'Abraxas (1978-1983), Marne-la-Vallée. De gauche à droite: le Théâtre, le Palais et l'Arc. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

20: Les Espaces d'Abraxas (1978-1983), Marne-la-Vallée. Le Palais. Vue générale. Architecte: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

21: Le Sanctuaire de Meritxell (1 974-1978), Andorre, Espagne. Vue générale. Architectes: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

22: "Los Jardines Classicos del Ensanche" (projet, 1981). Pers­ pective générale. Architecte: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

23: "Stockholm Housing Competition" (projet, 1984). Maquette, vue cavalière. Architecte: Ricardo Bofill / Taller de

Arquitectura.

24: "Jefferson Tower" (projet, 1985). Elévation. Architecte: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

25: "Port Imperial" (projet, 1985). Deuxième schéma, perspective cavalière. Architecte: Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura.

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VII

CREDITS PHOTOGRAPHIQUES

lllust. 1: "Guild House" (1961), Philadelphie. Rollin R. Lafrance, publiée dans Progressive Architecture, Mai 1967, p.134.

lllust. 2: Maison Vanna Venturi (1961), Chestnut Hill. Rollin R. Lafran­ ce, publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown / Buildings and

Projects, de Stanislaus von Moos, New York, Rizzoli, I987,

p.245.

lllust. 3: Maison Vanna Venturi (1961), Chestnut Hill. Rollin R. Lafrance, publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown /

Buildings and Projects, de Stanislaus von Moos, New York,

Rizzoli, I987, p.246.

lllust. 4: Colonne "ionique" de l'agrandissement fait au "Allen Art Mu­ seum" du "Oberlin College" (1973), Oberlin, Ohio. Stones Re­ prographies, publiée dans The Harvard Architecture Review, The M.I.T. Press, Vol. 1, Printemps 1980, p. 198.

lllust. 5: Pilastres, "National Gallery" (Londres). Venturi, Scott Brown & Associates, publiée dans Architectural Design / Profile no 91 /

Post-Modern Triumphs in London, 1991, p. 48.

lllust. 6: "County Federal Savings and Loan Association" (projet, 1977). VRSB Office (Philadelphie), publiée dans Venturi, Rauch &

Scott Brown / Buildings and Projects, de Stanislaus von Moos,

New York, Rizzoli, I987, 226.

lllust. 7: "House in Northern Delaware" (1978). VRSB Office (Philadel­ phie), publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown / Buildings

and Projects, de Stanislaus von Moos, New York, Rizzoli, I987,

p. 276.

lllust. 8: "House in Vail" (1975), Vail Village, Colorado. VRSB Office (Philadelphie), publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown /

Buildings and Projects, de Stanislaus von Moos, New York,

Rizzoli, I987, [p. 273].

lllust. 9: "North Penn Visiting Nurses' Association Headquarters"

(1961), North Pennsylvania. Rollon R. Lafrance (Philadelphie), publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown / Buildings and

Projects, de Stanislaus von Moos, New York, Rizzoli, I987, p.

149.

lllust. 10: "California City Sales Office" (projet, 1970). VRSB Office, publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown / Buildings and

Projects, de Stanislaus von Moos, New York, Rizzoli, 1987,

(9)

lllust. 12: “National Football Hall of Fame Competition" (projet, 1967). VRSB Office, publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown /

Buildings and Projects, de Stanislaus von Moos, New York,

Rizzoli, I987, p. 160.

lllust. 13: “House in Tuckers Town" (1975), Bermudes. Tom Bernard, publiée dans Venturi, Rauch & Scott Brown / Buildings and

Projects, de Stanislaus von Moos, New York, Rizzoli, I987,

p. 271.

lllust. 14: Les Temples du Lac (1981), Saint-Quentin-en-Yvelines. Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli, 1985, p. 92. lllust. 15: Antigone (1979-1985), Montpellier. Taller de Arquitectura

Archive, Barcelone, publiée dans Ricardo Bofill, Taller de

Arquitectura: Buildings and Projects / 1960 - 1985, éd. par

Warren A. James, New York, Rizzoli, 1988, p. 102.

lllust. 16: Antigone (1979-1985), Montpellier: La Place du Nombre d'or. Taller de Arquitectura Archive, Barcelone, publiée dans Ricardo

Bofill, Taller de Arquitectura: Buildings and Projects / 1960 - 1985, éd. par Warren A. James, New York, Rizzoli, 1988,

p. 103.

lllust. 17: L'Amphithéâtre vert (1981-1985), Cergy-Pontoise. Taller de Arquitectura Archive, Barcelone, publiée dans Ricardo Bofill,

Taller de Arquitectura: Buildings and Projects / 1960 - 1985,

éd. par Warren A. James, New York, Rizzoli, 1988, p. 114. lllust. 18: Les Echelles du Baroque (1979-1985), 14e arrondissement,

Paris. Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de

Arquitectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli,

1985, p. 145.

lllust. 19: Les Espaces d'Abraxas (1978-1983), Marne-Ia-Vallée. Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli, 1985, p. 124. lllust. 20: Les Espaces d'Abraxas (1978-1983), Marne-la-Vallée. Le

Palais. Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de

Arquitectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli,

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lllust. 21: Le Sanctuaire de Meritxell (1974-1978), Andorre, Espagne. Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de Arqui-

tectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli,

1985, p. [102].

lllust. 22: "Los Jardines Classicos del Ensanche" (projet, 1981). Yukio Futagawa, publiée dans Ricardo Bofill / Taller de Arquitectura, dont il est également l'éditeur, New York, Rizzoli, 1985, p. 171. lllust. 23: "Stockholm Housing Competition" (projet, 1984). Taller de

Arquitectura Archive, Barcelone, publiée dans Ricardo Bofill,

Taller de Arquitectura: Buildings and Projects / 1960 - 1985,

éd. par Warren A. James, New York, Rizzoli, 1988, p. 159. lllust. 24: "Jefferson Tower" (projet, 1985). The Museum of Modem Art,

publiée dans Ricardo Bofill, Taller de Arquitectura: Buildings

and Projects / 1960 - 1985, éd. par Warren A. James, New

York, Rizzoli, 1988, p. 173.

lllust. 25: "Port Imperial" (projet, 1985). Taller de Arquitectura Archive, Barcelone, publiée dans Ricardo Bofill, Taller de Arquitectura:

Buildings and Projects / 1960 - 1985, éd. par Warren A. James,

New York, Rizzoli, 1988, p. 179.

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Dans le milieu architectural, l'habitude s'est prise de rassembler sous l'appellation de Post-Modernisme un ensemble de tendances extrême­ ment variées, généralement liées cependant par un souci de contextua- lisme culturel assez large pour englober aussi bien le vernaculaire que diverses traditions d'origine exogène ayant à un moment ou à un autre participé à l'évolution culturelle des sociétés. Ces diverses tendances sont donc guidées, dans leur expression, par un ensemble de facteurs externes qui regroupent, idéalement, les réalisations, témoignages physi­ ques de l'activité humaine, mémoire concrète du temps, et la pensée qui leur a donné naissance et en oriente la compréhension.

C'est dans cette situation, où les témoins du passé, physiques et cultu­ rels, sont perçus par la nouvelle conscience contextualiste comme consti­ tuants légitimes d'un environnement élargi, que la tradition classique a fait sa réapparition dans le paysage architectural contemporain, renouant de ce fait le fil momentanément interrompu de son histoire. C'est dans le cadre d'une migration réussie, après avoir pris racine avec succès dans les milieux socio-culturels où il était importé, puis y avoir produit des dé­ veloppements originaux, que le classicisme s'est intégré à la tradition culturelle de l'Occident. C'est avec le sentiment qu'il faisait partie de leur héritage propre que des architectes de culture occidentale s'en sont réclamés. C'est en tant que partie constituante de la culture occidentale que des cultures étrangères, la japonaise par exemple, s'en inspirent é- galement, plutôt que pour des qualités mythiques d'universalité.

La résurgence de l'héritage classique en création architecturale a été é- tendue et multiforme, donnant lieu à des utilisations variant largement entre la copie stricte et l'allusion à peine décelable. Deux de ses repré­ sentants seulement ont été retenus pour la présente étude, Robert Ven­ turi et Ricardo Bofill, pour des raisons qui relèvent moins de ressemblan­ ces dans le traitement formel des éléments stylistiques empruntés que de

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la communauté de philosophie qui en supporte chez eux l'utilisation et du niveau élevé de détail avec lequel ils ont expliqué les raisons de ce recours.

Définitions

Le contenu du mot "architecture" et celui du mot “classicisme" ont subi, particulièrement au cours du présent siècle, un processus d'émiettement en sens multiples. Bien que ce phénomène touche la plupart des mots assez fréquemment employés lorsqu'ils sont d'une certaine ancienneté, il semble dans le présent cas avoir été accentué par les multiples tentati­ ves d'appropriation idéologique dont ces deux termes ont été les objets, — un phénomène dont le mot "art" constitue peut-être à cet égard l'illus­ tration ultime, presque archétypale. La définition du champ d'étude et des concepts particuliers utilisés pour son exploration devient particuliè­ rement essentielle devant l'état de fragmentation sémantique complexe dans lequel se trouvent ces deux termes. C'est à cette tâche qu'on s'em­ ploiera d'abord dans ce chapitre.

Des définitions très larges des notions d‘"architecture" et de "classicis­ me", couvrant un grand nombre de concepts basés sur des visions plus spécialisées, ont été retenues pour les besoins du présent travail. Outre qu'elles assurent la largeur de vue nécessaire à une observation globale, elles permettent une certaine distanciation par rapport aux diverses con­ ceptions, souvent très restreintes, dont elles ont fait l'objet. La notion d'"architecture" retenue tend à l'abstraction et à la généralité, et compte parmi les éléments considérés comme inhérents à la discipline la

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dimension sémiotique1, considérée sous l'aspect général du lien entre un élément physique et un signifié, et incluant donc, sous ce rapport, la di­ mension symbolique. Ce choix constitue moins, au départ, une position idéologique qu'un geste reconnaissant la présence de cette dimension au coeur même de la conception que se font de cet art les architectes choi­ sis pour la présente étude. Les notions de "symbole" et de "signe" rete­ nues ici se situent, en ce qui touche le déterminisme de l'établissement de la relation entre le signifiant et le signifié2, davantage dans le courant de pensée qui voit dans les phénomènes d'attribution de contenu séman­ tique à certains signifiants un processus culturel plutôt que naturel, et n'accorde pas, sous cet aspect, de caractère spécial à la notion de "sym­ bole". Cette volonté de distanciation tire son origine de la constatation du caractère très variable, très "culturel", de beaucoup de composantes formelles des “archétypes" architecturaux, mises à part, peut-être, cer­ taines dispositions spatio-directionnelles très générales. Elle résulte également de l'argumentation très plausible que font en faveur du carac­ tère culturel de beaucoup de liens signifiant-signifié considérés comme "naturels", Umberto Eco, par exemple, ou George Baird, qui affirme, en se basant entre autres sur la pensée de Claude Lévi-Strauss, le

1 L'emploi préférentiel du terme "sémiotique" dans le présent travail reflète une percep­ tion de ce mot qui le voit mieux relié à une théorie générale des signes que le terme "sémiologie". Ce dernier est considéré comme connotant davantage un usage spécia­ lisé en linguistique, du fait d'un tel emploi, originellement, dans la théorie du langage de de Saussure. Cependant, cette décision est largement arbitraire si l'on considère l'usage fréquemment indifférencié qui en est fait (môme si Charles Jencks croit remar­ quer un usage plus fréquent du mot "sémiologie" en Europe et du mot "sémiotique* en Amérique). Lorsque besoin sera, les cas où il sera spécifiquement question de la thé­ orie de Charles Sanders Peirce, qu'il a lui-même appelée sémiotique ("semiotics"), ou de la théorie de Ferdinand de Saussure, qu'il a baptisée du nom de sémiologie, seront précisés. Voir Geoffrey Broadbent, Richard Bunt, et Charles Jencks, Signs, Symbols,

and Architecture, Chichester / New York / Brisbane / Toronto, John Wiley & Sons Ltd,

1980, p. 2-3.

2 Le "signifiant" consistant en une forme, un arrangement matériel; le "signifié" étant le concept auquel le signifiant réfère.

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caractère non "inné" des contenus évoqués par les signes du code archi­ tectural.3

Le champ sémantique relié à la notion d'architecture tendra ici à couvrir le plus grand nombre possible de manifestations qui ont porté ce nom. Elle est donc "inclusiviste", par opposition à une notion "puriste" qui vi­ serait à en dégager la nature la plus essentielle ou la plus souhaitable. Ce choix répond moins, à ce stade de l'étude, à une valorisation de la pluralité — dont on montrera cependant les avantages du point de vue des typologies fonctionnelles et de la richesse évocative —, qu'à éviter le piège d'une étroitesse du champ d'observation qui nuirait à la validité des constatations. La définition à l'intérieur de laquelle s'effectuera cette é- tude retient les notions traditionnelles de forme, de fonction et de techni­ que, mais y inclut la dimension symbolique. Ce choix assure la présence dans le domaine d'analyse d'une dimension dont l'importance historique a été très grande et qui s'est révélée capitale pour la compréhension des phénomènes observés ici.

3 Un concept “archétypal* tire alors sa présence généralisée moins de ses racines dans l'inconscient collectif que d'une expérience commune à la vie des hommes qui lui don­ ne une signification universelle (et dont les traits caractéristiques peuvent être renfor­ cés par la culture). L'idée d'un certain déterminisme du lien signifiant-signifié est pré­ sente chaque fois que l'on retrouve la notion de "langage naturel"; elle se rencontre aussi dans la notion d"icon" dans la sémiotique de Peirce et dans celle de "symbole" chez R. Barthes. Par exemple, le symbole est doté chez ce dernier, sur le plan du lien entre le signifiant et le signifié, d'une "... équivalence [qui] se lit en profondeur, chaque forme n'étant que la matérialisation plus ou moins analogique d'un contenu spécifique (par exemple, un archétype inconscient)", tandis que le signe, "... contrai­ rement au symbole, [...] est [...] défini, non par son contenu analogique et en quelque sorte naturel à un contenu, mais essentiellement par sa place au sein d'un système de différences ..." (Voir Raymond Barthes, L'aventure sémiologique, Paris, Editions du Seuil, 1985, p. 239). Pour les besoins du présent travail, on retiendra des définitions de Barthes, comme élément utile de différenciation entre les concepts de "signe" et de "symbole", la présence d'une plus grande permanence, d'un caractère moins arbitraire et moins variable du lien entre le signifiant et le signifié chez le symbole que chez le signe (Voir aussi Umberto Eco, La Structure absente, Paris, Mercure de France, 1984 [1972], Writings of Charles S. Peirce, édités par Max H. Fisch, Bloomington, Indiana University Press, 1981, Volume I, et George Baird, "La dimension amoureuse en ar­ chitecture", Arena, Juin 1967, p. 25-30).

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Le concept de "classicisme" est tiré du contexte du développement his­ torique du phénomène, de ce qu'on appelle la "tradition classique". La notion d'"architecture classique" se heurte à une imprécision de contenu associée, paradoxalement, à l'idée d'une certaine rigidité normative. Cette double perception origine au moins en partie de l'effet, sur la con­ notation du concept, des nombreuses tentatives de définition qui ont visé à en établir l'orthodoxie canonique. Les tentatives répétées de formula­ tion théorique ont eu pour effet d'accoler à l'expression l'idée de stricte codification. En même temps, ce sentiment est renforcé par le caractère habituellement fixe, fini, des modèles servant de base à la théorie, qu'il s'agisse d'écrits ou d'édifices, que la disparition de leurs auteurs — ou la vénérabilité acquise par le passage du temps — ont fermé à toute mo­ dification. Dans ce dernier cas, l'idée d'inflexibilité est fortifiée par le processus d'élaboration utilisé, qui consiste en une exégèse de principes incarnés dans un état jugé idéal, et dès lors difficilement tangible.

En même temps qu'elle est associée à l'idée d'architecture classique, la notion de rigidité trouve difficilement un concept précis de cette archi­ tecture auquel s'accrocher. Cela reflète en partie l'effet sur la précision de l'expression de la multiplicité des définitions dont il a fait l'objet, con­ séquence de la diversité des conceptions de cette architecture et des tentatives d'appropriation que sont les définitions faites pour appuyer une vue particulière. Cette imprécision est également le fait d'une réalité changeante, d'une succession d'états différents dans le cours d'une lon­ gue histoire.

L'évolution de l'architecture classique n'échappe pas en effet aux consé­ quences des attitudes culturelles envers le passé. Les époques ou les sociétés où, pour diverses raisons, le passé n'est pas réactualisé et af­ firmé comme valeur du présent sont souvent soumises à une tendance évolutive rapide issue de l'absence de conservatisme et de l'apport de facteurs nouveaux, matériels, techniques et culturels, qui les éloignent des conventions formelles à mesure que leur pertinence ou l'attrait de leur nouveauté s'estompent. C'est cette tendance qui a été illustrée, par

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6

exemple, dans l'évolution de l'architecture classique du Bas-empire ro­ main en roman, puis en gothique. A cette tendance transformatrice s'est opposée une autre tendance qui, affirmant et réactualisant la présence du passé, a, avec des accès de traditionalisme strict, repris des éléments formels, architectoniques et ornementaux, d'une manière qui référait clai­ rement aux modèles originaux tout en leur juxtaposant des éléments nou­ veaux. Ceux-ci, intégrés à leur tour à l'acquis, sont devenus partie de l'héritage transmis par la tradition. Alors que l'accent dans la première tendance était sur la transformation, il est dans la deuxième mis sur l'ac- crétion ou la juxtaposition. C'est ce second type de développement, qui, à l'état concret, correspond en grande partie à la définition "restreinte" d'une oeuvre classique par John Summerson4, qui sert de référence dans ce travail lorsqu'il est question de "classicisme", de "tradition classique" ou d"'héritage classique". Cette définition s'écarte donc d'une concep­ tion étroite comme celle de Henry Hope Reed identifiant le classicisme en architecture avec la présence du seul ornement classique originel, à l'exclusion de tout autre.5

4 Cette définition est la suivante: ‘A classical building is one whose decorative ele­ ments derive directly or indirectly from the architectural vocabulary of the ancient world — the classical' world as it is often called: these elements are easily recog­ nizable, as for example columns of five standard varieties, applied in standard ways; standard ways of treating door and window openings and gable ends and standard runs of mouldings applicable to all these things. Notwithstanding that all these 'standards' are continually departed from they do remain still recognizable as standards through­ out all buildings that may be called classical in this sense." The Classical Language

of Architecture, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1963, p.7. L'autre définition joint

aux éléments mentionnés ici l'harmonie basée sur un système de proportions.

5 "In architecture, the classical is identified not by proportions, nor by the plan, nor by materials, however important, but by ornament [...][:] the human figure [...][,] animal (lion mask and dolphin) and vegetable (acanthus and laurel) forms and (...) this orna­ ment is not Art Nouveau, nor Arabic, nor Egyptian, nor Gothic but Classical." Tiré de

Speaking a New Classicism: American Architecture Now, Northampton (Mass.), Smith

College Museum of Art, 1981, p. 9, et cité dans Charles Jencks, "Free Style Classi­ cism / The Wider Tradition", Architectural Design, 1-2 /1982 ("AD Profile on Free Style Classicism — The Wider Tradition"), p. 5-21.

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Cette étude considérera donc comme appartenant au vocabulaire classi­ que les éléments que Robert Venturi et Ricardo Bofill ont tirés des ordres de la période gréco-romaine de l'architecture classique, mais également ceux tirés des développements ultérieurs de cette architecture, en parti­ culier les périodes renaissante, maniériste et baroque dans le cas de Robert Venturi, et la période classique française, pour Ricardo Bofill.

Problématique

La singularité du geste du retour vers l'héritage classique occidental, dans les années 60 et 70, n'apparaît dans sa plénitude que si l'on consi­ dère l'état d'usure symbolique profonde, l'inadaptation matérielle, tech­ nique et fonctionnelle évidentes où cette architecture en était arrivée a- près la Deuxième Guerre mondiale, et la force encore considérable d'un Mouvement moderne critiqué, mais encore largement dominant.

D'une remarquable adaptabilité jusqu'au Siècle des Lumières, c'est en grande partie à cause du prestige dont bénéficia sa période grecque à partir d'à peu près le milieu de ce siècle que le classicisme subit un durcissement normatif qui le rendit de plus en plus inadapté aux change­ ments techniques et culturels de la Révolution industrielle. La remise en cause de l'universalité des préceptes classiques amorcée par Perreault au XVIIe siècle aurait pu amener des développements renouvelant et en­ richissant la tradition, répétant ainsi le phénomène qui lui était coutu­ mier depuis ses origines. Cette remise en cause prit toutefois, au XVIIIe siècle, la forme de la recherche d'une architecture plus pure, plus primi­ tive, plus naturelle, développant donc sa propre variante de la philoso­ phie rousseauiste, qui amena à idéaliser la période grecque de la tradi­ tion classique et à rejeter ses développements ultérieurs, romain, renais­ sant, etc. En plus de couper la tradition classique de la richesse formel­ le et iconographique accumulée au cours des siècles, ce retour en arriè­ re et ce rétrécissement des possibilités adaptatives admises se combinè­ rent à la perte de prestige consécutive au questionnement relativiste pour la mettre en position de faiblesse au moment même où d'autres

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développements menaçaient, non plus sa position, mais les moyens mê­ mes de sa perpétuation. La Révolution industrielle, par les transforma­ tions qu'elle apporta dans les modes de production, par les matériaux — fer, acier, béton, verre —, qu'elle allait rendre facilement disponibles pour la construction, par les méthodes de travail qu'elle développa et la standardisation des produits que celles-ci favorisaient, rendait obsolètes des méthodes de construction ayant évolué très lentement au cours des siècles. D'une part, le mode de production artisanal sur lequel elles é- taient basées allait subir l'assaut des nouvelles méthodes de travail que leur succès en usine allait inciter à étendre à d'autres types de produc­ tion; d'autre part, le mode de production industriel se prêtait mal à l'as­ pect sculptural, au type de détail et de rendu propres à l'architecture classique et que le mode de production traditionnel, artisanal, permet­ tait.

A cette mésadaption des caractéristiques formelles, des modes de pré­ paration et d'assemblage de la tradition, s'ajoutait l'inaptitude des systè­ mes de proportion et de support élaborés jusque là à intégrer l'ampleur des portées nécessaires à des constructions telles que les gares, les hangars d'avion, les ponts de grande envergure. Plus encore, le système de dimensionnement de la tradition classique et le niveau de détail qui lui étaient particuliers étaient dorénavant totalement dépassés, malgré les travaux d'innovateurs tels que Boullée et Ledoux, devant une échelle qui pouvait désormais atteindre le gigantesque. Face aux défis posés à sa survie, la tradition ne sut pas faire preuve d'une adaptabilité aux innova­ tions matérielles et techniques qui aurait pu assurer sa durée en lui per­ mettant d'évoluer. Le phénomène est d'autant plus surprenant qu'au plan stylistique, un certaine liberté, voire un certain laxisme, associait cette tradition à nombre de styles ayant souvent peu à voir avec la spécificité culturelle du milieu, styles qui cependant comportaient le type de détail et d'ornementation qui correspondaient à un mode de production pré­ industriel. La versalité montrée sur le plan stylistique sembla soudain paralysée devant les innovations matérielles et techniques issues de la révolution industrielle.

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Les faiblesses adaptatives propres à la tradition classique ne constitu­ aient que le premier volet des deux types de facteurs nuisibles à sa sur­ vie; l'autre, de nature idéologique, était constitué par la dialectique anti­ classique et la force d'un mouvement moderne largement dominant. Sur le modèle des changements radicaux intervenus dans les mondes scienti­ fique, technique, économique, social et politique depuis les débuts de la Révolution industrielle et de la Révolution française, des esprits nova­ teurs proposèrent une architecture reflétant les changements intervenus, basée sur les réalités et les besoins de ce monde nouveau. Du point de vue formel, les tenants du Modernisme rejetaient dans le Classicisme les jeux décadents de la récupération éclectique ou l'arbitraire d'un dogma­ tisme autoritaire et réactionnaire. Du point de vue de la représentation, ils rejetaient un symbolisme lié à leurs yeux à la personnification du pou­ voir politique. En fait, souvent réduite au rang de décoration par la va­ gue des néo-styles et l'éclectisme du XIXe siècle, inadaptée aux modes de production et de construction de l'ère nouvelle et réduite à des com­ bats d'arrière-garde contre un Mouvement moderne sûr de lui, adapté aux modes de construction et aux techniques contemporains, en plus de bé­ néficier de l'appui de l'élite de la profession architecturale, c'est par son association aux régimes dictatoriaux allemand et italien que la tradition classique reçut ce qui apparut, un temps, son coup de grâce. En deve­ nant, sous la forme de la Nouvelle tradition, l'architecture officielle des régimes politiques fascistes et nazi, elle perdit le dernier lambeau de son prestige. Ce lien fâcheux avec des régimes politiques discrédités s'ajou­ tait aux besoins de reconstruction au meilleur coût d'une Europe dévas­ tée et à la présence active des hérauts du Modernisme dans le camp des vainqueurs, qui y suscitèrent par leur prestige et leur activité une géné­ ration d'architectes acquise à leurs idées. Le résultat de cette conjonc­ tion fut de faire disparaître de l'avant-scène une tradition exsangue, lais­ sant la place, jusque dans les années 60, à un Mouvement moderne tri­ omphant sans partage.

C'est dans ce contexte défavorable, si peu propice au retour de la tradi­ tion classique, que se situe la décision de certains architectes, non

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seulement d'utiliser, de faire apparaître dans leurs oeuvres des éléments clairement identifiables de cette tradition, mais de s'en servir ouverte­ ment comme inspiration et comme outil. Le retour de l'héritage classi­ que dans la pensée et l'oeuvre d'architectes actuels allait plus loin que de constituer un défi aux idées les plus solidement implantées par et chez les tenants du Mouvement moderne: ce geste remettait en question l'habitude que la mystique du progrès avait instaurée depuis deux siècles de voir dans le seul futur, dans l'innovation, la source du progrès. Il n'est donc pas étonnant de voir Bruno Zevi parler de "régression" pour qualifier ce phénomène. Le recours à l'héritage classique, dans le con­ texte d'un sentiment massivement hostile à une telle démarche chez l'in­ telligentsia de l'art architectural, exigeait un certain courage, élément nécessaire à toute affirmation publique d'idées allant à contre-courant de l'orthodoxie dominante; elle demandait aussi une certaine insensibilité à la pression de l'opinion. Ceux qui osèrent ce geste ont sans doute bé- néficé du désenchantement croissant face aux déficiences, dénoncées ouvertement, de l'architecte moderniste, comme aussi du préjugé favo­ rable que le phénomènes des avant-gardes avait donné l'habitude d'ac­ corder aux rebelles aux idéologies dominantes. Pour ces deux cas ce­ pendant, les solutions proposées tendaient à être nouvelles et ne remet­ taient pas en cause une mystique du progrès bien implantée dans la psy­ ché occidentale. Par la valeur placée sur la création, cette idéologie, si elle n'interdisait pas nécessairement le recours au passé, en favorisait une réinterprétation qui écartait effectivement la reproduction mimétique d'ensemble ou de détail.

Le retour vers l'héritage classique constituait ainsi une démarche qui al­ lait plus loin qu'une originalité de surface remettant superficiellement en cause des principes par ailleurs solidement enracinés et foncièrement partagés avec les opposants: elle constituait un geste proprement révo­ lutionnaire.

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Méthodologie

En voulant approfondir les motifs ayant amené l'utilisation d'éléments de la tradition classique dans des oeuvres, la conception architecturale par­ ticulière dont ce geste procédait et la forme qu'en a prise l'application dans les projets concrets, il a été retenu pour le présent travail deux ar­ chitectes qui ont assez largement utilisé ce genre d'éléments et qui l'ont fait d'une façon qui les rend clairement identifiables. Robert Venturi et Ricardo Bofill ont également produit un corpus d'écrits et de déclarations relativement abondant où ils expliquent les raisons de ce choix. Ce fait devient particulièrement important en regard d'un travail où la recherche des motivations et des fondements conceptuels du parti choisi occupe une place essentielle: cette présence amoindrit en effet considérable­ ment les possibilités d'errement liées à une interprétation faite principa­ lement à partir des réalisations.

A l'intérieur de ces paramètres, même si la limitation à deux architectes présente l'avantage supplémentaire de permettre d'approfondir l'analyse de chacun, le choix de ces deux hommes a été ultimement déterminé par la présence chez eux d'une conception de l'architecture, de buts moti­ vant le recours à la tradition classique et de moyens de les atteindre qui sont, en dépit de différences prévisibles liées aux personnalités et à la culture, d'une grande similarité.

On procédera, pour chaque architecte, à l'examen des principes géné­ raux introduisant le recours à l'héritage classique, puis à l'étude de la conception en déterminant les modalités d'utilisation, avant d'en exami­ ner l'application dans les oeuvres. Le recours à la tradition classique se situant dans une démarche axée principalement sur la relation communi­ cative, une réflexion sur le modèle communicationnel théorique proposé suivra enfin, initiée et nourrie par des commentaires d'observateurs a- vertis du domaine architectural.

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CHAPITRE 1

Robert Venturi

Robert Venturi occupe une position prééminente parmi les architectes qui, au cours des années 60 et 70, se sont détournés de l'architecture is­ sue du Mouvement moderne pour chercher inspiration et enseignement dans les époques antérieures. Il fut d'abord un des premiers dont l'insa­ tisfaction s'est exprimée en une réflexion aussi élaborée. Sa remise en cause du Mouvement moderne a ensuite eu un impact majeur sur la ré­ flexion et la vision architecturales contemporaines.

L'importance qu'il accorde à l'architecture historique occidentale le fait classer par Charles Jencks dans le courant "historiciste" de l'éventail des catégories selon lesquelles ce dernier voit s'exprimer le post-modernis­ me.6 Venturi se montre plus précis et va plus loin dans la définition qu'il donne de sa propre situation. En I982, dans un article publié dans Archi­

tectural Record, intitulé "Diversity, relevance and representation in histo-

ricism, or plus ça change...", il déclare: "Although I am critical of much of the Classicism I see in Post-modern architecture, [...] I would like to make it plain that I consider myself an architect who adheres to the Clas­ sical tradition of Western architecture. I claim that my approach and the substance of my work are Classical, and have been from the beginning of my career.1'7

Le caractère des emprunts qu'il fait à cette tradition, la liberté qui prési­ de à leur usage, comme aussi l'éclectisme des sources d'inspiration re­ présentées dans son oeuvre, viennent nuancer la fermeté et l'apparente netteté de cette déclaration d'appartenance. Ils témoignent d'une

6 Charles F. Jencks, Current Architecture, Londres, Academy Edition, 1982, p. 110. 7 Robert Venturi, Architectural Record, Juin 1982, p. 118.

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conception de ce lien qui ne se traduit pas par un conformisme étroit aux canons stylistiques du classicisme, ni en une copie fidèle des modèles admirés.

1.1 La vision architecturale de Robert Venturi

1.1.1 Le passé au service de la communication

Le paradoxe présent chez Venturi, tel qu'il vient d'être évoqué et tel qu'il s'impose avec encore plus de force à la lecture de ses écrits, provient du contraste entre, d'une part, la grande place qu'occupent dans sa pensée les oeuvres et les enseignements du passé8 et, d'autre part, une archi­ tecture où cette présence apparaît considérablement atténuée, retenue, quelquefois à peine discernable. Cette dualité est la conséquence d'une conception architecturale et de traits de personnalité qui intègrent le legs de la tradition comme élément constituant important de l'architecture, tout en en exigeant la transformation.

Dans l'interaction dynamique qui lie chez lui l'intégration du passé et son altération, deux facteurs président à l'un et l'autre processus: d'abord une conception de l'architecture qui en fait la réponse inclusive et adap­ tée à des besoins, trait qui détermine ultimement la proportion et le nom­ bre des emprunts en fonction de leur pertinence au but visé; ensuite un pragmatisme conséquent à lui-même dans son indifférence aux idéolo­ gies.

La démarche architecturale est, chez Venturi, mise au service d'une vo­ lonté d'englober dans les réponses aux problématiques posées la totalité des besoins soulevés. Ceux-ci incluent non seulement les exigences

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spécifiques détaillées par les programmes; ils comprennent aussi celles qui relèvent d'une conception de l'architecture qui la veut riche de signi­ fication. L'incapacité de l'architecture issue du Mouvement moderne à atteindre ces buts en amène chez lui le rejet, créant de ce fait un vide qui appelle d'autres modèles.

Ce rejet provient d'abord du constat de l'inaptitude d'une idéologie prô­ nant l'unité et la simplicité, telle qu'exprimée par exemple par l'exaltation des formes pures de Le Corbusier et le "Less is More" de Mies van der Rohe, à répondre adéquatement aux besoins. Venturi écrit: "Cette doc­ trine permet en effet aux architectes de procéder à une sélection rigou­ reuse des problèmes qu'ils choisissent de résoudre!...]. [L'architecte ] ne peut refuser de prendre en considération certains aspects importants qu'en courant le risque de séparer l'architecture de la vie et des besoins de la Société."9 Cette approche ne produit pas de solutions qui appa­ raissent satisfaisantes parce qu'elle choisit de régler les problèmes en les ignorant. Pour Venturi, "[qjuand la simplicité ne convient pas au programme, elle devient simplisme."10

L'attrait de la pureté et de la simplicité amène également l'architecte mo­ derniste à sélectionner les caractères architecturaux devant être expri­ més, et à préférer ceux qui sont plus proprement architecturaux, la struc­ ture, les formes, les matériaux, l'espace, en rejetant le symbolisme tradi­ tionnel et l'ornement en tant que tel. Pour Venturi, "... le symbolisme et l'association explicite sont essentiels en architecture, dans sa création et dans la perception qu'on en a."11 Chez les architectes du modernisme ...

9 Robert Venturi, De l'ambiguïté en architecture, Paris, Dunod, 1971, p. 25. 10 Ibid.

11 John W. Cook et Heinrich Klotz, Questions aux architectes, Liège, P. Mardaga, Architecture + Recherches, 1974, p. 434.

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"... la signification ne devait pas être commu­ niquée à travers des allusions à des formes déjà connues, mais par des caractéristiques physionomiques inhérentes à la forme. La cré­ ation de la forme architecturale devait être un processus logique, dégagé de toutes les images déjà expérimentées, déterminé uniquement par le programme et la structure, avec le concours occasionnel, comme le suggérait Alan Col- quhoun, de l'intuition."12

Pour Venturi, il s'agit là d'un choix menant à un appauvrissement du sens porté, appauvrissement qui va directement à l'encontre de son goût des significations riches et complexes. "Une architecture est valable, écrit-il, si elle suscite plusieurs niveaux de signification et plusieurs interpréta­ tions combinées, si on peut lire et utiliser son espace et ses éléments de plusieurs manières à la fois."13 Les ambiguïtés et les tensions créées par l'inclusion dans le bâtiment d'exigences contradictoires, découlant de la diversité des besoins qui lui sont adressés, vont dans ce sens. “Une expression volontairement ambiguë se fonde sur le caractère confus de l'expérience telle qu'elle se reflète dans le programme du bâtiment. Elle favorise la richesse de signification aux dépens de la clarté de la signifi­ cation."14

Les carences d'une conception incapable de répondre à deux principes essentiels de sa vision architecturale personnelle amènent ainsi Venturi à considérer d'autres options.

12 Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, L'enseignement de Las Vegas /

ou le symbolisme oublié de la forme architecturale, Bruxelles et Liège, Pierre Marda-

ga, éd. [1978] p. 21-22. Le passage d'Alan Colquhoun auquel il est fait allusion est tiré de "Typology and Design Method", Arena, Journal of the Architectural Association, Juin 1967, p. 11-14.

13 Robert Venturi, De l'ambiguïté ..., p. 23. 14 Ibid., p. 30.

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Une certaine indifférence aux arguments de l'idéologie moderniste, qui le laisse exempt de préjugés négatifs vis-à-vis de la tradition, un certain sens de la continuité historique et un puissant pragmatisme, sensible aux économies de temps et d'efforts réalisées par le recours aux choses existantes, le font se tourner vers un passé dont des études en histoire de l'art à Princeton et un séjour comme boursier à l'Académie américaine de Rome lui avaient permis une certaine fréquentation.

Il est aidé en cela par un sens de l'histoire qui lui fait considérer le pas­ sé dans sa continuité avec le présent. Il déclare: "... ce sens de l'histoi­ re...'', décrit comme "... le sentiment de l'éternité en même temps que ce­ lui de la temporalité ...“15, "... implique que l'on perçoive le passé non seulement comme passé, mais comme présent."16 Il s'agit donc d'une vi­ sion du temps qui le rend immanent, présent à la conscience simultané­ ment avec le présent. Ce sens historique lui fait regretter l'engouement des architectes pour ce qui est nouveau à notre époque, et qui oublient "... ce qui est essentiellement permanent."17

Venturi apparaît d'abord insensible à la foi et aux arguments de la rhéto­ rique des pionniers du Mouvement moderne, qui, fidèle en cela au modè­ le révolutionnaire, rejette en bloc le passé pour mieux imposer l'ordre nouveau. L'absence de prévention vis-à-vis de l'héritage de la tradition lui permet d'y jeter un regard neuf, d'y découvrir des mérites, de voir dans le précédent historique un stimulant.18

La présence du passé se trouve continuellement réactivée par un

15 Robert Venturi, De l'ambiguïté ..., p. 19. 16 Ibid.

17 Ibid. Venturi cite ici un extrait d'article d'AIdo van Eyck, dans Architectural Design, 12, vol. XXXII, Décembre 1962, p. 560 (Titre non mentionné).

18 "Robert Venturi and Denise Scott Brown", The Harvard Architecture Review, Volume I, Printemps 1980, p. 230.

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pragmatisme qui y discerne non seulement des enseignements toujours pertinents, mais des solutions génératrices d'économies de temps et d'efforts pour l'architecte. "En tant qu'architecte, écrit-il, j'essaie de me laisser guider non par l'habitude mais par une prise de conscience du passé dont j'examine avec attention les précédents qu'il propose."19 Cette attitude fait partie d'un esprit pratique qui considère valables les solutions existantes lorsqu'elles sont adaptables aux besoins actuels. Il déclare à ce sujet:

"Un architecte devrait accepter les méthodes et les éléments qui sont déjà à sa disposition [...] Les innovations techniques exigent des inves­ tissements de temps, d'ingéniosité et d'argent qui sont hors de la portée de l'architecte [...] [S]on rôle d'inventeur est d'abord de savoir quoi construire; son expérience doit servir plus à l'organisation de l'ensemble qu'à des techni­ ques de détail. L'architecte choisit tout autant qu'il crée."20

L'utilisation d'éléments conventionnels, qui évoquent des images et des expériences passées, engendre également une architecture dont la signi­ fication est plus large et plus riche que l'architecture de l'expression, "... sinon moins dramatique..."21 que chez cette dernière.

Les conséquences, sur le plan de la communication, d'une architecture de signification, qui ne peut être telle que dans sa capacité à être com­ prise, amènent Venturi à prôner l'usage de l'ornement — idée odieuse aux tenants du Mouvement moderne. Venturi donne cependant au mot "ornement" un sens qui va plus loin que celui qui est lié au concept de décoration, avec les connotations de gratuité, d'inutilité, de viciation des

19 Robert Venturi, De l'ambiguïté..., p. 18-19. 20 Ibid., p. 49

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moyens, de détournement des buts, voire d'atteinte à l'intégrité de la fonction architecturale, que l'avènement d'idéologies à tendances puris­ tes y a associées dans la mentalité contemporaine. Bien que l'usage de l'ornement qu'il préconise puisse prendre la forme du "over-all pattern", abstrait ou figuratif — dans lequel l'aspect purement décoratif n'est pas absent—, dans son lien avec l'architecture historique, l'ornement prôné par Venturi est "représentationnel", c'est-à-dire qu'il réfère aux symboles historiques et à la façon dont Venturi pense qu'ils devraient être utilisés aujourd'hui.22 Le sens qu'assigne Venturi au mot "ornement" est donc lié, dans cet usage, à l'idée de symbolisme, qui voit justifier sa présence en architecture par le rôle nécessaire et central qu'il occupe dans la communication. Venturi voit dans le rejet de l'ornement "dénotatif" et de la riche iconographie de l'architecture historique un appauvrissement pour l'architecture Moderniste, qui a favorisé l'expression des éléments architecturaux eux-mêmes, de la structure et de la fonction.23 "When it cast out eclecticism, Modern architecture submerged symbolism. [...] By limiting itself to strident articulations of the pure architectural elements of space, structure and program, Modern architecture's expression has become a dry expressionism, empty and boring."24 L'ornement enrichit non seulement l'oeuvre des images qu'il donne à voir mais aussi de cel­ les qu'il évoque. C'est à cause de la fonction de représentation qu'il joue au sein de la communication que Venturi fait de l'ornement un élément essentiel du type d'architecture qu'il prône, le "hangar décoré", avec, pour l'ornement historique, une présence dont l'importance découle direc­ tement de la richesse du sens porté, des significations accumulées au fil des âges.

22 ’Entre imagination sociale et architecture’, L'architecture d'aujourd'hui, 273 (Fév. 1991), p. 94. (Entretien de Philippe Barrière et Sylvia Lavine avec Robert Venturi et Denise Scott Brown).

23 Robert Venturi et Denise Scott Brown, "Ugly and Ordinary Architecture or the Decorated Shed’, Forum, Novembre 1971, p. 67.

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1.1.2 La tradition classique comme composante du rôle du passé: modalités de présence

Si l'importance de la présence du passé dans le processus réflexif chez Robert Venturi peut être en partie attribuable à des facteurs reliés à la culture, à l'éducation et au tempérament, c'est par sa fonction de cataly­ seur, par son pouvoir de déclencher dans la mémoire des rappels cogni­ tifs et affectifs associés à l'expérience architecturale, que ce passé prend une importance majeure dans l'oeuvre, qu'il légitimise une présen­ ce traduite en signes concrets et discernables. La place de la tradition classique comme élément essentiel de la pensée et de l'expression ar­ chitecturale chez Venturi se présente ainsi comme le résultat logique de la décision de favoriser une architecture de communication et de riches­ se évocative. Dans un passé considéré globalement, cette tradition res­ sort comme un instrument communicationnel de choix par la capacité dont elle lui apparaît douée d'établir dans la mémoire la correspondance entre des éléments physiques et certains contenus psychiques et par la richesse de représentations qu'une longue histoire y a associés et qu'el­ le rend accessibles. C'est donc en tant que composantes d'un langage basé sur un système de signes conventionnels que des éléments con­ crets issus de cette tradition, pourvus d'un degré de conformité avec les originaux qui les rende reconnaissables, apparaissent dans les oeuvres. Toutefois, certains facteurs préviendront une reproduction intégrale de ces éléments, de même qu'ils conduiront à n'en pas limiter le choix qu'à la seule tradition classique: en contrepartie des facteurs établissant solidement la présence et l'influence de cette tradition dans la pensée et l'oeuvre, d'autres viendront s'opposer à une reproduction mimétique des modèles qu'il s'y est élaboré.

Parmi ces derniers figure d'abord un engagement ferme à solutionner des problèmes qui sont ceux du présent. Ensuite vient la logique d'un esprit pratique qui amène Venturi à rechercher dans les réalisations du passé des outils plutôt que des normes. En même temps, le caractère propre à certains matériaux modernes, découlant de leur mode de production, et

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le caractère difficilement contournable des méthodes de travail contem­ poraines interdisent à ce pragmatisme la copie de modèles adaptés à une situation différente de l'actuelle. Enfin, la richesse de signification qu'il désire obtenir favorise un mélange d'éléments d'origines diverses, une juxtaposition et une superposition qui s'ajoutent à d'autres influences culturelles pour faire concurrence à la tradition classique.

Le désir de trouver une solution aux problèmes du présent amène Venturi à rejeter l'approche sélective de ces problèmes qu'il perçoit chez le Mou­ vement moderne. Dans la recherche d'une solution globale, Venturi s'au­ torise à se tourner vers le passé pour y trouver inspiration, considérant que les modèles que ce dernier recèle se révèlent des réponses adaptées à certains aspects des problèmes posés, ou bien qu'ils sont susceptibles d'être modifiés pour atteindre un niveau de résolution jugé adéquat.

A cause des changements intervenus dans le cours du temps, l'espoir de trouver dans le passé des solutions directement adaptées aux problèmes actuels décroît de façon proportionnelle à la complexité, et dans certains cas à la nouveauté, des problèmes que l'on a à résoudre. Le passé ne peut dès lors être que source d'inspiration, et non pas de modèles à imi­ ter intégralement. Venturi écrit à ce sujet: "Si nous réexaminons, ou si nous découvrons aujourd'hui tel ou tel aspect des oeuvres de ceux qui nous ont précédés, ce n'est pas avec l'intention d'en répéter les formes, mais dans l'espoir de nous enrichir sous l'influence de créations autre­ ment plus neuves par la sensibilité que ne l'est l'ensemble de la produc­ tion architecturale contemporaine."25 Citant Henry-Russell Hitchcock, il déclare: "... il fut un temps où, naturellement, presque toute recherche sur l'architecture du passé était destinée à faciliter sa reconstitution à l'identique — était le moyen d'une nouvelle renaissance. Ce n'est plus

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vrai et il n'y a pas de raison de croire que cela puisse le redevenir à notre époque."26

Les solutions considérées, en cherchant à être réelles et totales, auront tendance, en ce qui touche l'origine des modèles, à être inclusives plutôt qu'exclusives ou "pures". Il faut d'ailleurs remarquer que la préférence que Venturi accorde aux architectures à significations riches et com­ plexes favorise un usage des éléments empruntés dans des contextes au moins partiellement différents de ceux dont ils sont tirés. Observant le caractère fondamentalement limité, parce que rigide, des modèles d'or­ donnancement créés par l'homme, il écrit: "Quand les circonstances dé­ fient l'ordre, celui-ci doit plier ou rompre [...] c'est le contraste qui est le support de la signification. Une discordance réalisée avec art donne sa vitalité à l'architecture."27

Il faut aussi noter que l'élaboration de significations nouvelles amène une altération des éléments utilisés à cette fin. Non seulement le contexte contribue-t-il à modifier la perception et le sens d'objets familiers28, mais les besoins de la création peuvent en amener l'altération volontaire. Mettant en parallèle ce processus et celui de la création poétique, il é- crit, citant T. S. Eliot: " ... les poètes emploient cette perpétuelle et lé­ gère altération du langage, des mots perpétuellement juxtaposés en as­ sociations nouvelles et inattendues."29

26 Robert Venturi, De l'ambiguïté .... p. 20. 27 Ibid., p. 47.

28 Ibid., p. 49. Il utilise comme support à son argumentation les découvertes de la Gestaltpsychologie.

29 Ibid., p. 50-51. Tiré de T. S. Eliot, Selected Essays, 1917-1932, Londres, Faber and Faber, 1961, p. 185.

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La juxtaposition de sens nouveaux et anciens va enfin contribuer à doter l'oeuvre architecturale des significations riches et complexes désirées. Venturi dit à ce sujet:

"Les éléments conventionnels en architecture représentent une étape dans l'évolution, et le changement d'utilisation et d'expression fait qu'ils possèdent autant l'ancienne signification que la nouvelle. [...] C'est le résultat de l'as­ sociation plus ou moins ambiguë entre l'ancien­ ne signification, auquelle (sic) elle est associée par le souvenir, et une nouvelle signification is­ sue d'une nouvelle fonction ou d'une fonction modifiée, faisant partie de la structure ou du programme, et d'un nouveau contexte. L'élé­ ment archaïque n'encourage pas la clarté de la signification; au contraire, il accentue la riches­ se des significations."30

En plus des avantages relatifs à la densification des significations évo­ quées, le glissement progressif vers de nouveaux sens facilite aussi l'a­ daptation aux situations nouvelles, assurant à l'élément conventionnel un rôle utile de lien constant entre le connu et l'inconnu. Dans cette pers­ pective, il peut y avoir altération du sens ou du signe sans rupture cogni­ tive du lien qui les unit aussi longtemps que cette métamorphose est as­ surée.

La transformation à laquelle sont soumis les éléments conventionnels sur le plan sémantique trouve son parallèle sur le plan formel dans une sché­ matisation, une stylisation qui tend à ne conserver de ces éléments que ce qui est nécessaire pour assurer leur rôle de signe, d'élément évoca­ teur. Ceci va se traduire par une simplification et une tendance à la bi- dimensionnalité qui rappellent, par rapport à la réalité de la chose repré­ sentée, le caractère du pictogramme ou de l'hiéroglyphe, évocations d'u­ ne écriture dont la recherche reflète chez Venturi une préoccupation

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de communication dont le modèle et les moyens sont fortement marqués par la théorie élaborée par la linguistique pour le langage verbal (et sa transcription écrite) et reprise en grande partie par la sémiotique.

La concrétisation des besoins physiques et fonctionnels, alliée à une ver­ sion modifiée de l'élément conventionnel à fonction symbolique, produi­ sent le "hangar décoré".

Par opposition au "canard" qui est un symbole, le type de bâtiment que propose Venturi, le "hangar décoré", "... est un abri conventionnel sur lequel des symboles sont appliqués [...]. Nous soutenons que ces deux sortes d'architecture sont valables [...] mais nous pensons que le canard est rarement relevant aujourd'hui ,..“31 32 Le hangar décoré " ... est un bâti­ ment particulier qui est un symbole ...',32. Dans sa forme la plus pure, il serait "... en quelque sorte, un hangar d'un système de construction con­ ventionnel qui correspondrait étroitement à l'espace, à la structure et aux exigences programmatiques de l'architecture et sur lesquels serait po­ sée une décoration contrastante — et, selon les circonstances, contradic­ toire."33 Ce type d'ornement, tendant à la schématisation, à la bi-dimen- sionnalité, marqué par l'absence de correspondance entre l'élément ap­ pliqué et la structure sous-jacente et inspiré de l'architecture

31 Robert Venturi et al, L'enseignement de Las Vegas .... p. 100. 32 Ibid.

33 Ibid., p. 103. Un article publié antérieurement à la parution de Learning from Las Ve­

gas contient des définitions des termes "canard* et "hangar décoré" dont la formula­

tion différente apporte des nuances intéressantes: "Where the architectural systems of space, structure, and program are submerged and distorted by an overall symbolic form: This kind of building-becoming-sculpture we call the duck [...]. Where systems of space and structure are directly at the service of program, and ornament is applied independently of them: This we call the decorated shed. The duck is the special building that is a symbol, the decorated shed is the conventional shelter that applies symbols." Robert Venturi et Denise Scott Brown, "Ugly and Ordinary Architecture or the Decorated Shed", p. 64.

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commerciale américaine des "billboards" est à vocation communication­ nelle. En 1982, Venturi écrit à ce sujet:

"I have advocated the use of applique (sic) as sign, whose function is not basically spatial or structural, but communicative, via symbolism and ornament.

[...] In the progression of our ideas about ap­ plique, first as spatial layerings, then sign­ board, and then ornament, we came to applique as representation in architecture. Representa­ tion in this context involves the depiction as opposed to the construction of symbol and or­ nament. Manifestations of this approach to symbolism in architecture are essentially two- dimensional and pictorial. Examples of repre­ sentation in historicist architecture could be Classical columns or hammerbeam trusses, cut out as silhouettes which depict but don't re­ construct the originals, or Classical quoins which are incised on a facade and which brook no ambiguity as to their symbolic and decora­ tive function."34

Venturi justifie ainsi son approche: "Modern technical forms and histo­ rical symbolic forms rarely harmonize now. Historical symbolism and ornamental pattern must almost inevitably become applique."35

Cette conception des éléments de la représentation symbolique apparaît fortement influencée par le modèle sémiologique général saussurien ou linguistico-sémiologique. Non seulement en reprend-t-elle les concepts de "signe" et de "signifié", mais elle fait également appel à ceux de "dénotation" et de "connotation". Venturi écrit justement:

34 Robert Venturi, ‘Diversity, Relevance and Representation in Historicism, or plus ça change in Architectural Record, Juin 1982, p. 1.

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"The symbols depending on association, by their very nature, promote elements and voca­ bularies that are familiar, ordinary, or conven­ tional rather than original, outlandish, or avant-

garde.

[...] Symbolism expands the scope of archi­ tecture to include meaning as well as expres­ sion, and promote explicit communication, de­ notative as well as connotative.36

"Nous avons emprunté, dit-il, les distinctions littéraires simples de signi­ fications 'dénotatives' et 'connotatives' et les avons appliquées aux élé­ ments imagés et physionomiques dans l'architecture."37 "La dénotation désigne une signification spécifique; la connotation suggère plusieurs significations.[...] En général, plus un élément est dénotatif dans sa si­ gnification, plus il dépend de ses caractéristiques imagées; plus un élé­ ment est connotatif, plus il dépend de ses qualités physionomiques."38

La façon dont s'établit le lien signe-signifié est également calquée sur la modélisation linguistico-sémiotique saussurienne et est vue comme cultu­ relle, en ce que ce lien fait l’objet d'un apprentissage. Citant E.H. Gom- brich, Venturi rejette la thèse selon laquelle " des formes ont un contenu physionomique ou expressif qui se communique à nous directement"39, et il cite A. Colquhoun qui a écrit: "... les formes physionomiques sont am­ biguës quoique non entièrement dépourvues de valeur expressive et [...]

36 Robert Venturi, "Diversity, Relevance and Representation in Historicism, or plus ça change ...", in Architectural Record, Juin 1982, p. 115.

37 Robert Venturi et al, L'enseignement de Las Vegas .... p. 110.

38 Ibid. Dans le texte original, on a * ... connotation suggests general meanings."

Learning from Las Vegas, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1977, p. 101.

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elles ne peuvent être interprétées que dans une ambiance culturelle particulière."40

Le type d'architecture prôné par Venturi s'oppose d'ailleurs, en ce qui touche le public auquel il s'adresse, à l'utilisation d'un seul langage, fût- il du niveau de complexité et de sophistication atteint par le langage classique. Dans une architecture prônant "... richness and ambiguity over unity and clarity ,.."41, le modèle communicationnel de Venturi vise à rejoindre un vaste éventail de clientèles aux goûts et aux cultures variés: la pluralité de vocabulaire devient dès lors nécessaire pour s'adresser à des publics séparés par la géographie, le temps et la culture. Il écrit à ce propos: "Such an architecture accomodates the intimations of local context over the dogma of universality. It provides pragmatic solutions to real problems rather than easy obedience to ideal [,..]."42 "Architecture can be many things, but it should be appropriate. [...] [I]t should have cultural relevance."43 "An essential reason for using symbolism today is that it can provide a diversity of architectural vocabularies appropriate for a plurality of tastes and sensitive to qualities of heritage and place. This use suits the need to respond in our time to both mass culture and pluralist expression."44

A la multiplicité des clientèles auxquelles il veut s'adresser et au désir d'adaptation contextuelle aux divers milieux culturels, s'ajoute ainsi,

40 Ibid., p. 141. Tiré de Typology and Design Method, d'Alan Colquhoun, p. 11-14, mais reprenant E.H. Gombrich, Meditations on a Hobby Horse and Other Essays on Art, London, Phaidon Press, et Greenwich, Conn., New York Graphic Society, I963, p. 45- 69. Cité dans L'enseignement de Las Vegas, p. 141. Venturi ne commente pas la différence d'opinion sur l'expressivité des formes entre Colquhoun et Gombrich. 41 Robert Venturi, “Diversity ...“, p. 114.

42 Ibid.

43 Ibid., p. 115.

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parmi les facteurs s'opposant au recours exclusif à la tradition classique, une certaine aversion pour l'adhésion étroite à des principes dogmati­ ques rigides, davantage marqués par la vigilance aux impératifs du mo­ dèle idéologique qu'à celle de l'observation de la réalité, aversion qui était déjà sensible dans le rejet du Modernisme: "What we [...] see happening [...] is a growing danger of a return to evangelism in architec­ ture, to a dogmatic prescription about what the right road should be. I think it's dangerous. It parallels the kind of puritanical approach of Mo­ dern architecture.45 "I tend to disagree with those who are now being Classicists. [...] [Tjhey tend to be too literal. You shouldn't rely on too limited a formula and be fanatical about it.46

"[T]he Post-modernists in supplanting the Mo­ dernists have substituted for the largely irre­ levant universal vocabulary of heroic industria­ lism, another largely irrelevant universal voca­ bulary — that of parvenue Classicism, with, in its American manifestation, a dash of Deco and a whiff of Ledoux. In substituting historical symbolism for Modern symbolism, they have promoted a kind of Neo-classicism, striving for a universalism which was appropriate at the turn of the 18th century to the aristocratic and republican patrons of Neo-classicism and to the essentially homogeneous preindustrial societies in which they lived, but which is inappropriate for post-industrial societies like ours which are complex and pluralist. [...] The transition from the pure and simple Cubist forms of the Inter­ national Style to the pure and simple Classical forms of Neo-classicism manifests architects' continuing formalist predilection for simplifica­ tion."47

45 ‘Robert Venturi and Denise Scott Brown’, The Harvard Architecture Review (éd.), Volume I, Printemps 1980, p. 228.

46 Ibid., p. 231.

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