Images, textes e t so ciétés
C ham anism e
À
propos
de
Claude François Baudez (EP 2063 Archéologie des Amériques)
Peut-on parler d e cham anism e en Méso-Amérique précolom bienne ou m êm e dans la Méso- Amérique indigène d'aujourd'hui ? Le pro b lèm e se pose c a r la m o d e intellectuelle actuelle a te n d a n c e à interpréter représentations e t objets, c o m m e d e s manifestations d e cultes chamanistiques, e t d e considérer les personnes d e pouvoir (les rois m ayas, par exem ple) co m m e d es cham ans.
Quelques ex em p les d ’interprétations erronées
Dans un livre à succès. M a ya Cosmos. Three Thousand Years on the Shaman's Path (1993), le roi m a y a est devenu le g ran d c h a m a n g râ c e à une g ra n d e liberté d'interprétation d'épigraphistes e t d'iconographes, qui p erm et b e a u c o u p d e dév elo p p em en ts fantaisistes, n e w a g e aidant. Une tom be d e C o p ân (cité m a y a classique du Honduras) fa it le tour du m o n d e sous l'appellation « to m b e du cham an », p a rc e q u e le mobilier funéraire com portait des petites pierres e t d e s c a ra p a c e s d e tortue. L'exemple d e la divination chez les Chinois a dû ê tre à l'origine d e c e tte interprétation. En réalité, on peut montrer que les objets associés au squelette sont les vestiges d'un rituel d e création pour assurer la survie du défunt.
Dans un article récent, un archéologue — qui a é té sérieux toute sa vie — a co m p aré les graffitis d e Tikal aux dessins d 'a lié n és ou réalisés sous l'emprise d e drogues, e t a trouvé des affinités entre les deux séries. L'hypothèse p ro p o sé e est q u e ce s graffitis o nt é té exécutés sous l'influence d e substances hallucinogènes. Les dessins qui servent pour la com paraison sont évidem m ent les plus simples : spirales, lignes brisées, etc. On tend à interpréter les créatures hybrides, mi-homme mi-animal, com m e des manifestations d e nagualisme
(c a p a c ité d e se transformer en une autre créature). Or, la g ran d e majorité des créatures surnaturelles, en Méso-Amérique, est rep résen tée sous form e hybride : combinaison d e plusieurs animaux ou hybride hom m e-anim al a v e c tê te « grotesque » e t corps anthropom orphe. Il n'y a aucune raison d'interpréter, com m e on le fait d e plus en plus, c e tte hybridation com m e un processus dynamique, le p a ssa g e d'un é ta t à un autre. Presque tous les anthropom orphes olm èques ont une b o u c h e a rq u é e qui imite la gueule du félin qui montre les d ents : c e la ne veut p a s dire q u e tous les O lm èques sont en train d e se transformer en jaguar. La p ré se n c e d'anim aux auprès d e p e rso n n a g e s est interprétée arbitrairement com m e celle d'alter e g o ; quand il s'agit d e personnages puissants, on en déduit qu'ils tirent leur pouvoir justement d e c e t esprit- c o m p a g n o n . Les souverains anglais s'incarnaient-ils dans le lion e t la licorne ?
Les épigraphistes m ayanistes croient avoir découvert un glyphe w a y qui exprimerait une « c o -e s s e n c e », autrem ent dit un esprit gardien ; l'emploi d e c e glyphe d an s les textes qui a c c o m p a g n e n t les scènes peintes sur vases e t d a n s ceux d e la sculpture m onum entale est très différent. Les « co-essences » ne représentent p a s des anim aux, mais ici des danseurs costum és ou des créatures hybrides, là des serpents cosmiques dont le rôle principal est d e faire app araître un a n c être .
Hommes et pratiques
Chez les M ayas des périodes préclassique e t classique, on ne sait rien des prêtres e t des cham ans, si tant est qu'il y en eut, c ar ils ne sont pas représentés. Q uand un rituel est illustré, c 'e st le roi com m e grand prêtre qui l'exécute. Les premiers prêtres n 'a p p a ra isse n t dans l'iconographie que vers l'an 1000 à Chichen ttza a v e c les prem ières im ages d e divinités, sous l'influence du Mexique central. Ils sont porteurs d e costum es particuliers
Images, textes e t so ciété s
e t d'offrandes. Les textes du tem ps d e la c o n q u ê te décrivent des activités religieuses e x é c u té e s par in clerg é très hiérarchisé.
À c ô té d e s prêtres, on trouve les chilan, « interprètes » des dieux, sortes d e médiums qui doivent « d o nner au p eu p le les réponses d e s dieux». Sorciers e t m édecins soignent par sa ig n é e s; par des techniques d e divination (à l'aide notam m ent d e petites pierres), ils déterminent l'origine e t l'évolution des maux qui a ffe c te n t leurs patients. Doit-on considérer c e s chilan com m e des cham ans ?
Chez les Aztèques, deux th èm es peuvent être reliés au cham anism e : le thèm e du voyage d e l'â m e e t celui d e la transfiguration. L'âm e ( tonalki qui réside dans la tête) peut quitter le corps d'une personne, in d ép e n d a m m e n t d e sa volonté e t tem porairem ent dans le sommeil ou l'ébriété, ou p endant le coït. Mais I e st aussi des gens qui possèdent, g râ c e à l'intervention divine, le pouvoir d e faire voyager leur â m e d an s le m onde surnaturel ; d'autres, enfin, s'exerçaient à c e type d e communication par la pénitence, l'ingestion d e drogues e t quelques rites m agiques.
La transfiguration ou la transformation en une autre créature est un pouvoir qui était p a rta g é par les humains, mais aussi par les dieux, les morts, les animaux. C e pouvoir pouvait être un don des dieux ou résulter d e pratiques e t d 'e x e rc ice s.
Conclusion
Avant d'aller plus avant, il faudrait s'en ten d re sur une définition, étroite ou large, restrictive ou en g lo b an te, du cham anism e, e t déterminer les critères qui nous perm ettraient d e reconnaître, dans les fouilles co m m e sur les im ages, des manifestations attribuables à des pratiques chamanistiques.