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99 Ricardo Bofill, Buildings , p 189.

3.3 Perception d'observateurs de l'architecture

3.3.2 Les oeuvres

3.3.2.1 Robert Ventur

Si Venturi recueille un grand nombre d'hommages pour son oeuvre de pionnier, l'appréciation de son concept de communication est beaucoup plus mitigée. La critique porte à la fois sur les conséquences, sur le contenu du signe, du type de signifiant utilisé, sur la compréhension qu'a Venturi des phénomènes en jeu et sur le modèle sémiotique qui en ré­ sulte.

Charles Jencks remet en question tout le concept de "hangar décoré" en soulevant la question des conséquences, sur le plan de l'évocation, de la tendance de Venturi à la schématisation et à la réduction des éléments architecturaux à la bi-dimensionnalité; il y voit un geste évocateur de cli­ chés et donc susceptible d'appauvrir et de banaliser les contenus portés:

"[...] Venturi's flat ornament is both original and

enjoyable for its flatness, while stereotyped at

the same time. For instance, his Gordon Wu Dining Hall uses Early Renaissance stereotypes on a Princeton campus where such revivalist ar­ chitecture was produced in a straight way — and Venturi does it in a crooked way. The flat forms are cut off, slit at the top, or guillotined

at the base. All this would be more acceptable if the irony were signalled more explicitly: peo­ ple, or many of the taste-cultures for whom Venturi so thoughtfully designs, tend to read architecture straightforwardly, not in quotation marks. Thus they tend to see his work as pas­ tiche, not as acceptable 'pastiche'.[...] It is no use justifiyng a fast-food architecture as inevi­ table and then producing quick clichés: that only worsens a deplorable situation.156

Charles Jencks met également en question la compétence de sémioticien de Venturi en constatant une certaine incompréhension des notions de dénotation et de connotation. ”[T]he fundamental semiotic point that the difference between denotation and connotation is a matter of coding is not made. Instead the normal view is expressed: 'Denotation indicates specific meaning; connotation suggests general meanings'."157

Robert Maxwell se montre de l'avis de Jencks, tout en appuyant la façon suivant laquelle Venturi utilise l'imagerie concrète:

"No semiologist, Venturi has seized the impor­ tance of symbolisation in concrete imaging, without getting involved in the theories of sig­ nification which are currently torturing architec­ tural semiologists [...]he does appear to misun­ derstand the way in which commonplace func­ tioning elements, like doors and windows, de­

note themselves. The sign 'Guild House' names a building in Philadelphia, but does not denote the building as such. All that can denote is the concept 'Guild House', a verbal concept within the English language. Nor can we accept with Venturi that 'white-glazed bricks denote deco­ ration as a unique and rich appliqué on the nor­ mal red brick'. The same glazed bricks would presumably denote 'sanitation' in the context of

156 Charles Jencks, The Language of Post-Modern Architecture, p. 154-155.

157 Charles Jencks, ’Venturi et al are Almost all Right", Architectural Design, 7-8/ 77, p. 469.

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an all-glazed public lavatory, and it is not too clear that they denote anything as samples in the materials gallery. While any window may be taken as an illustration of the verbal concept 'window' that does not mean that it denotes itself."158

S'il peut souffrir d'une incompréhension du mécanisme par lequel le sens se lie au signe, le langage utilisé par Venturi est également marqué, se­ lon Robert Stern et Charles Jencks, d'un trop grand ésotérisme. R. Stern écrit: "Too often, this architecture continues to speak in the private lan­ guage which has plagued us in the time of the Modern Movement and which, it seems, to me at least, an architecture that is truly dumb and or­ dinary must eschew."159

Ces arguments rejoignent ceux de Charles Jencks qui dénonce dans la "Guild House" l'étroitesse de la clientèle à laquelle le code utilisé est accessible: "I would guess that there are the basic schizophrenic inter­ pretations of this building, as with most modern architecture: it is de­ signed in and for one esoteric code and experienced to a certain extent in another traditional and popular one."160

Jencks présente aussi de la perception du langage architectural chez Venturi et son équipe un portrait où se côtoient la naïveté et la manque de rigueur. La première les conduit à prendre pour acquise la connais­ sance générale du code utilisé et la deuxième à accepter de façon indis- criminée des éléments dont l'hétérogénéité nuit à la précision d'un outil aux concepts déjà trop vagues et schématiques. Parlant du concept de

158 Robert Maxwell, op. oit., p. 24.

159 Robert Stern, ‘Learning to love them1, in Venturi and Rauch / The Public Buildings, London, Academy Editions, éd., p. 13.

signification mis de l'avant dans L'enseignement de Las Vegas, il écrit:

"The problem with all this reading of meanings is that it assumes a naive straightforwardness, as if meanings were just 'out there' for anyone to grasp. But, inevitably, one class of person will read the sign one way, another ethnic group another way, and the well-trained elite, the Venturi Team, in a third way, etc. That is the 'inclusivist' truth of the matter. The basic se­ miotic question — to whom is the sign ad­ dressed? — is not put in a general way."161

L'indétermination quant au type de public auquel le message est destiné a entraîné que l'utilisation du vocabulaire d'autres groupes culturels que ceux de l'élite professionnelle ou avant-gardiste a été perçue comme "... mostly ironie: as kitsch, schlock, gigantic billboards, 'ducks' [...] or cli­ ché."162 Pour Jencks, la question est d'autant plus importante qu'il consi­ dère que tout code "... is bound to be partly class-based, and expe­ rienced as somewhat ambiguous since it is always in the process of for­ mation and dissolution."163

Jencks n'estime donc pas que Venturi ait atteint ce qu'il considère com­ me l'objectif majeur des architectes post-modernistes, c'est-à-dire d'es­ sayer de rejoindre à la fois l'élite et le public164; il laisse même ici planer des doutes sur le réalisme d'un tel but. Pour Jencks, en effet,

161 Ibid., p. 468-469.

162 Charles Jencks, Current Architecture, p. 115.

163 Charles Jencks, ‘Venturi et al p. 469, note 1. L’ambiguïté chère à Venturi se trouve dès lors grandement favorisée puisqu'elle devient, au moins partiellement, le résultat indirect de la décision de transformer le signe, soit dans son apparence, soit dans son contenu.

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l'imprécision quant au public auquel s'adresse Venturi n'est qu'un reflet de l'imprécision qui marque toute sa théorie de la communication:

"There are certain problems of focus [...]: no developed theory of symbolism was put for­ ward; so the examples multiplied every-which way; no standard for selecting and judging schlock were presented and the argument was conducted on the level of personal taste — not semiotic theory — so that the Venturi 'bill-ding- boards' triumphed somewhat arbitrarily over their 'ducks' [. In fact the Venturi Team's wholesale commitment to argument by taste of the previous generations was exclusivist and modernist at its core." 165

Venturi a peut-être senti cette lacune et essayé d'y remédier. Robert Maxwell écrit: "He has issued, with each building, a kit of instructions, in case we should get it wrong. These notes provide a brief explanation with each building, not just of its functional programme and context, but of his design intentions and the concepts embodied in the work."166

Un tel geste constitue également en soi une tentative de rendre clair dès l'abord le signifié attaché au signe et d'éviter ainsi les errements asso­ ciés aux interprétations libres. Venturi suit en cela l'idée selon laquelle le lien signe-signifié établi par une entente implicite peut être remplacé ou appuyé par une définition explicite. Il s'agit d'abord d'un moyen de raccourcir le processus de conventionnalisation du lien signifiant-signi- fié, le créateur déterminant seul les deux aspects du signe, matériel et sémantique. Cette façon de s'assurer de l'interprétation des gestes ar­ chitecturaux montre peut-être aussi une certaine méfiance, inconsciente ou non, vis-à-vis ses propres capacités à utiliser le code communicatif architectural de façon judicieuse, ou peut-être encore indique-t-elle le

166 Charles Jencks, The Language of Post-Modern Architecture, p. 87. 166 Robert Maxwell., op. cit., p. 22.

sentiment d'une certaine limite de l'outil architectural en tant qu'instru- ment de communication, du moins dans des situations marquant une cer­ taine évolution par rapport aux situations fixées par les conventions exis­ tantes. Dans ce cas, Venturi se place dans une position de prudence vis-à-vis de la capacité représentative du signe iconique, attitude qui a été abondamment illustrée par la tendance contemporaine à accompagner les oeuvres de textes explicatifs écrits. Il se range ainsi à l'idée expri­ mée par Umberto Eco qui, citant Barthes, considère que le signe iconi­ que demande à être ancré par un texte verbal dans les communications qui visent une précision de nature référentielle,."167

Un certain schématisme du modèle communicationnel de Venturi et ses lacunes possibles par rapport au véritable mode opératoire d'une sémio­ tique architecturale soulèvent peut-être des problèmes théoriques moins importants, au plan de l'efficacité de la communication, que le conflit en­ tre deux buts communicationnels déclarés, le symbolisme explicite et la richesse d'évocation générée par les oeuvres. Dans les subdivisions des fonctions du langage proposées par Jakobson et reprises par la sémioti­ que, la fonction référentielle s'oppose en quelque sorte, sur le plan de la précision d'évocation et de l'adaptation aux systèmes d'attente, à la fonc­ tion esthétique, la première tendant vers un maximum de précision et par conséquent un minimum de "bruit" sémantique, et la deuxième, vers un maximum de choix interprétatifs et donc à une grande richesse évocati- ve.168 En visant une telle richesse d'évocation, Venturi renonce dans la mesure même de cette abondance au contrôle du type d'image ou de sentiment qu'il veut susciter. L'ambiguïté qui ouvre la porte à la multipli­ cité des choix interprétatifs sape en même temps la précision du contenu qui fait l'objet de la volonté de communication. Un maximum d'ambiguïté entraînant un maximum d'incertitude référentielle, la multiplication des choix conduit à un minimum de précision: le contenu communicationnel

167 Umberto Eco, La Structure absente, p. 184. 168 Voir à ce sujet La Structure absente, p. 124-125.

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tendra donc à devenir très général. Il s'ensuit que le type de langage auquel Venturi peut aboutir dans sa volonté d'allier la richesse évocative et le langage classique tendra à être un outil à la précision assez som­ maire et au pouvoir évocateur relativement puissant: un mauvais outil de

transmission mais un bon outil de création poétique. D'une part, il perd

ainsi le bénéfice d'une certaine sophistication dans la précision référen­ tielle acquise par la tradition classique au cours du temps, mais l'ambi­ guïté des contenus évoqués, par rapport aux systèmes d'attente, facilite d'autre part la création de nouveaux sens et appuie le but qu'il se donne de transformer le langage classique sur les plans de l'expression et des contenus. Il s'agit là d'un problème auquel doit également faire face Ricardo Bofill, et pour les mêmes raisons.