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9. Légende de l'illustration no 6 (Arcades du Lac).

3.4 Examen critique du modèle communicationnel utilisé

3.4.2 Type d'information véhiculée

Les incertitudes sur les contenus informationnels pouvant être communi­ qués par le médium architectural, d'une importance cruciale puisqu'elles touchent ce qui constitue la raison d'être du message, dérivent en grande partie des problèmes liés à la science de la sémiotique elle-même, ses hypothèses, ses champs, processus et règles, et ne touchent pas exclu­ sivement le code choisi, issu de la transformation du langage classique. En termes d'une sémiotique de l'architecture, si le code architectural

apparaît capable de véhiculer les éléments propres d'un langage187, la question se pose de savoir dans quelle mesure il est davantage qu'un code auto-référentiel, pouvant, de façon autonome, parler d'autre chose que de lui-même, sans passer par l'intermédiaire de conventions large­ ment établies et maintenues par le biais d'autres codes, comme le code linguistique, par exemple. La question se pose ensuite de connaître la nature des éléments qui peuvent être transmis.

Les codes architecturaux joignent aux problèmes de précision de repré­ sentation du signe iconique la spécificité qui est la leur de s'appuyer sur des codes autres que ceux de l'architecture. Umberto Eco remarque au sujet du signe iconique que "[ la constatation qu'il n'est pas toujours clai­ rement représentatif ]" est confirméje] par le fait que la plupart du temps

il est accompagné d'un texte écrit; que même s'il est reconnaissable, il

apparaît toujours chargé d'une certaine ambiguïté, dénote plus facilement l'universel que le particulier]...]; et c'est pour cela qu'il demande, dans les communications qui visent la précision référentielle, à être ancré par un texte verbal .“188 Du code architectural, il remarque:

"Les éléments de l'architecture se constituent [...] en système mais, afin de donner vie à un code, ils doivent être appariés à des systèmes qui ne sont pas dans l'architecture. L'architec­ ture traditionnelle n'est qu'une technique syn­ taxique qui concerne seulement ses propres si­ gnifiants. Un 'code de l'architecture' éventuel ne peut pas être institué par l'architecture."189

[L]'architecture part peut-être de systèmes ar­

chitecturaux existants mais s'appuie en réalité

187 Umberto Eco reprend à ce sujet les fonctions du langage proposées par Jakobson et donné des exemples propres au langage architectural. Voir à ce sujet La Structure

absente, p. 124 et 271.

188 Umberto Eco, La Structure absente, p. 184. 189 Ibid., p. 303.

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sur des codes autres que ceux de l'architectu­ re, et c'est en se référant à ces derniers que

les usagers de l'architecture perçoivent les signifiés du message architectural." 190

Si l'on adopte cette perspective, la communication architecturale fait fa­ ce non seulement à la précision problématique du signe, mais elle sup­ pose, chez l'architecte, la connaissance — et la maîtrise — des codes extra-architecturaux, codes culturels et sociaux, du groupe humain au­ quel il s'adresse. Le problème dépasse donc largement celui de la pos­ session des outils proprement architecturaux et rejoint celui d'une vaste spécialisation qui tend à assumer chez l'architecte un savoir à tendance encyclopédique. La question, pour Venturi et Bofill, devient moins de connaître le langage classique tel qu'il a existé que de savoir quels élé­ ments de ce langage sont encore porteurs d'un sens relativement précis dans le groupe culturel auquel ils s'adressent et quelles sont les modifi­ cations dénotatives et connotatives qu'ils ont subies entre temps, de ma­ nière à pouvoir ajuster les moyens utilisés en fonction des contenus qui font l'objet d'une volonté de communication. L'architecte considéré bon communicateur devient celui qui, à défaut d'un tel savoir, doit s'en remet­ tre à son intuition, avec les possibilités d'erreur que cela comporte.

Si l'on en juge empiriquement par les commentaires, la reconnaissance des références directes ou allusives à des édifices ou types d'édifices, chez Venturi et Bofill, le repérage et l'identification des figures de la rhé­ torique sont faits assez facilement. Cependant, la question du sens por­ té par ces images et ces figures apparaît assez confuse, qu'il s'agisse d’idées ou de sentiments. La précision de l'outil sémiotique n'apparaît pas à la mesure de celle du langage. Outre l'imprécision reliée au ca­ ractère iconique des signes architecturaux, le contexte d'utilisation ne favorise pas les juxtapositions qui amènent la délimitation des sens, leur définition. En effet, dans le modèle linguistique saussurien qui a

inspiré le modèle sémiotique général, le mot, parlé ou écrit, voit son sens continuellement défini par une utilisation dans des contextes qui l'oppo­ sent, ou à tout le moins le juxtaposent, à d'autres mots, qui représentent autant de champs sémantiques, d'entités de sens différents. La matéria­ lité des signes architecturaux et la dispersion des édifices rendent cette comparaison dépendante, ou bien de déplacements qui interdisent l'ins­ tantanéité de la comparaison, ou bien d'images qui ne sont pas toute l'expérience architecturale.

En fait, on peut se demander dans quelle mesure les objectifs communi­ cationnels visés par Venturi et Bofill peuvent être atteints par le moyen du medium architectural en utilisant des moyens s'inspirant du modèle linguistico-sémiotique traditionnel,où ils se situent et à l'intérieur duquel la discussion s'est maintenue jusqu'à présent. On en est ainsi amené à remettre en question cette approche elle-même.

Conclusion

Les difficultés du langage architectural à transmettre, sinon à faire sur­ gir, des idées, des sentiments et des sensations, a été constatée pour l'ensemble de l'architecture. Richard John fait remarquer: ‘[l]t is highly probable that architectural ornament does not signify in the same way that words do, and thus interpreting a building involves more than merely picking up a dictionary or reading a text."191. L"incapacité du modèle sémiotique traditionnel à éclairer de façon satisfaisante le phénomène de la signification architecturale, comme aussi une certaine spécificité de l'architecture, liée à sa matérialité, ont fait considérer la possibilité que ce modèle soit inapplicable aux phénomènes de communication architec­ turale. C'est alors l'ensemble de l'approche et des moyens mis au

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service de l'effort communicationnel, raison majeure du recours au lan­ gage classique par Venturi et Bofill, qui serait alors remis en cause.

Citant les travaux de J. Muntanola-Thornberg sur le mode d'apprentis­ sage de la représentation des lieux, inspirés par les théories de Piaget, Madeleine Arnold opte pour la non-exclusivité de l'approche sémiotique dans l'analyse du phénomène de signification. Elle écrit:

“Des distorsions observées [ dans l'étude des phénomènes de communication ] sont-elles dues à une maîtrise insuffisante de l'outil sé­ miotique ou bien à une spécificité de l'objet d'étude? A mon avis, elles proviennent d'une spécificité de l'architecture, cette spécificité résidant d'une part dans la matérialité de l'es­ pace physique, et d'autre part dans la matéria­ lité du corps humain. [...] Les propos de J. Muntanola-Thornberg montre (sic) bien l'enra­ cinement de la signification, la formation du signifié de l'architecture, dans le corps, autre­ ment dit dans la matérialité."192

Bernard Schneider remet lui aussi en question l'impérialisme du modèle linguistico-sémiotique en architecture: “Je crois, écrit-il, que malgré tou­ tes les analyses, et malgré tous les modèles sophistiqués que l'on a bâtis d'après la linguistique, la métaphore du langage de l'architecture n'est qu'une métaphore; [...] Il ne s'agit, à mon avis, au fond, que du problème de l'égarement par le système du langage."193 Il propose une approche pragmatique, qui implique une redécouverte de la fonction en architectu­ re, par opposition aux aspects sémantiques et syntagmatiques que l'on a, selon lui, favorisés jusqu'ici.194 Cette proposition implique donc une

192 Madeleine Arnold, op. cit., p.41.

193 Bernard Schneider, "La cité comme un texte", in Espace: construction et significa­

tion, p. 106.

reprise presque complète de la recherche, ou en tout cas une réorienta­ tion radicale dans ce secteur.

Même si on ne va pas jusqu'à une remise en question totale de l'appro­ che linguistico-sémiotique, la démarche d'une architecture de communi­ cation apparaît ainsi entravée, à de multiples niveaux, par des incertitu­ des et des obstacles qui interdisent une confiance trop grande dans ce domaine. Les imperfections, constatées ou seulement soupçonnées, du modèle proposé par Venturi ou Bofill ne peuvent en aucune façon être imputables au seul choix du langage hérité de la tradition classique ou aux adaptations qu'ils en proposent: ces lacunes réelles ou potentielles apparaissent être le lot de tout système de communication architecturale, dans l'état embryonnaire où en sont encore les connaissances sur le sujet.

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