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Femmes, engagement social et communautaire dans le mieux-être : le cas du Burkina Faso

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Academic year: 2021

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Femmes, engagement social et communautaire dans le

mieux-être : le cas du Burkina Faso

Mémoire

Aïcha Dalila Yaro

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire

Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

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RÉSUMÉ

La discrimination et l’exclusion sociale à l’égard des femmes persistent à travers le monde, en dépit de progrès prometteurs réalisés dans certains domaines. Des réalisations ont vu le jour en matière de droits des femmes dans un certain nombre de pays. Dans d’autres, les femmes se retrouvent toutefois exclues d’une pleine participation à la vie sociale et économique. C’est le cas au Burkina Faso, un pays enclavé d’Afrique de l’Ouest où les droits des femmes prennent du temps à s’imposer. En plus des pesanteurs socioculturelles, les principaux facteurs limitant l’ascension des femmes dans la société burkinabè sont : le manque d’éducation, notamment l’éducation sexuelle et le manque de confiance en soi.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) présente la Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) comme un moyen pour les jeunes de contrôler leur propre corps et de construire leur avenir. Dans ce sens, l’organisme encourage l’éducation à la sexualité afin d’apporter aux jeunes des connaissances pour leur épanouissement, leur bien-être et leur dignité. Suivant cette approche, cette recherche s'intéresse à l'analyse du rôle de la SSR et de l’engagement communautaire des femmes dans la lutte contre l’exclusion sociale. Elle se concentre sur le cas du Burkina Faso grâce à une collaboration avec le Centre de Solidarité Internationale du Saguenay Lac-Saint-Jean (CSI) et l’Association d’Appui et d’Éveil Pugsada (ADEP) qui mènent à Ouagadougou un projet sur le bien-être et la SSR.

Cette recherche, et notre participation à ce projet, ont permis d'approfondir les connaissances sur l'impact de l’éducation sexuelle et la reconnaissance du travail non rémunéré sur le développement et la confiance en soi des jeunes femmes. Les conclusions montrent que l’éducation sexuelle et l’engagement social et communautaire des femmes favorisent leur pleine participation dans la société.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... ii

LISTE DES FIGURES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... vi

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS ... vii

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : OBJET D’ÉTUDE ... 5

1.1 Problématique de la recherche ... 5

1.2 Objectifs et hypothèses de recherche ... 8

1.3 Pertinence de la question de recherche ... 9

1.4 Organisation de l’étude ... 10

CHAPITRE 2 : CADRE D’ANALYSE CONTEXTUEL ... 12

2.1 La discrimination faite aux femmes au Burkina Faso ... 12

2.1.1 Évolution de la condition féminine au Burkina Faso ... 13

2.1.2 Inégalités socioculturelles et économiques ... 22

2.1.3 Engagement social des femmes burkinabè ... 32

2.2 Le contexte géographique, démographique et institutionnel de l’étude ... 35

2.2.1 Présentation du Burkina Faso ... 36

2.2.2 Présentation de l’étude de cas ... 39

CHAPITRE 3 : CADRE D’ANALYSE CONCEPTUEL ... 46

3.1 Le concept de genre ... 46

3.2 L’exclusion sociale ... 49

3.5 L’éthique du care ou de la sollicitude ... 54

CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE ... 63 4.1 La stratégie de recherche ... 63 4.1.1 Géographie qualitative ... 64 4.1.2 La recherche-action participative ... 64 4.1.3 L’éthique de la recherche ... 65 4.2 La collecte de données ... 66 4.2.1 La constitution de l’échantillon ... 66

4.2.2 Les instruments de collecte de données ... 69

4.3 Analyse et critères de validité des données recueillies ... 72

CHAPITRE 5 : ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS ... 73

5.1 Les résultats des entretiens ... 73

5.1.1 Histoires de vie des animatrices ... 73

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5.2 Les résultats des observations directes ... 88

5.3 Interprétation des résultats ... 100

CONCLUSION ... 108

BIBLIOGRAPHIE ... 112

Annexe 1 : Grille d’observation des milieux ... 118

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LISTE DES FIGURES

Figure 1.1 : Le Burkina Faso en Afrique ... 35

Figure 1.2 : Ouagadougou dans le Burkina Faso ... 36

Figure 1.3: Les principaux groupes ethniques au Burkina Faso ... 37

Figure 1.4 : Les principales religions au Burkina Faso ... 38

Figure 1.5 : L’apport des différents secteurs dans le PIB du Burkina Faso ... 39

Figure 2.1: Les principales caractéristiques de l’histoire de vie de l’animatrice 1 ... 75

Figure 2.2: Les principales caractéristiques de l’histoire de vie de l’animatrice 2 ... 77

Figure 2.3: Les principales caractéristiques de l’histoire de vie de l’animatrice 3 ... 79

Figure 2.4: Intersection des inégalités vécues par les femmes burkinabè ... 88

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1.1 : Grandes périodes de l’évolution de la condition féminine au

Burkina Faso ... 19 Tableau 1.2: Différentes approches de développement du genre au Burkina Faso ... 21 Tableau 1.3: Raisons de la discrimination des femmes dans le secteur de

l’éducation au Burkina Faso ... 29 Tableau 2.1: Profil des répondantes ... 80 Tableau 2.2: Récapitulatif des animations en milieu scolaire ... 98

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LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

ADEP : Association d’Appui et d’Éveil Pugsada

AFD : Approche Femmes et Développement

BAD : Banque Africaine de Développement

CNSEF : Commission nationale de suivi de la mise en œuvre des engagements du Burkina Faso en faveur de la femme CSI : Centre de Solidarité Internationale du

Saguenay-Lac-Saint-Jean

DGPEF : Direction Générale de la Promotion de l’Entreprenariat Féminin

ÉHF : FAO :

Égalité Hommes Femmes

Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture

IFD :

INSD : Intégration des femmes dans le Développement Institut International de la Statistique et de la Démographie

MFSNF :

OCDE

Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille

Organisation de Coopération et de Développement Économiques

OMS : Organisation Mondiale de la Santé ONU : Organisation des Nations Unies ONU Femmes

PAS :

Organisation des Nations Unies pour les Femmes Programme d’Ajustement Structurel

PNDES : Plan National de Développement Économique et Social PNG : Politique Nationale du Genre

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement SP/CONAP-genre : Secrétariat permanent du conseil national pour la

promotion du genre

SSR : Santé Sexuelle et Reproductive

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

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REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire a été possible grâce à plusieurs personnes à qui j’aimerais témoigner toute ma gratitude et ma reconnaissance.

Je ne pourrai commencer sans adresser toute ma reconnaissance à la directrice de ce mémoire, Madame Caroline DESBIENS, pour sa patience, sa disponibilité, son enseignement et surtout ses judicieux conseils qui ont fortement contribué à alimenter ma réflexion, orienter mon travail et améliorer mes écrits.

Je remercie également la co-directrice de ce mémoire, Madame Carole LÉVESQUE pour sa disponibilité et ses précieux conseils, sans oublier Madame Danièle BÉLANGER pour son regard critique.

Je tiens également à remercier mes professeurs à l’Université Laval, grâce à qui j’ai acquis les outils nécessaires à la réussite de mes études universitaires.

Je ne pourrai oublier les membres du Centre de Solidarité Internationale du Saguenay Lac-Saint-Jean et l’Association d’Appui et d’Éveil Pugsada, les partenaires terrain avec qui j’ai eu l’immense plaisir de travailler et d’apprendre. Je tiens à remercier spécialement ma mère qui m’a apporté son soutien moral, intellectuel et des outils complémentaires à la réalisation du présent document. Je remercie également mon grand frère et mon père qui n’ont pas manqué de me motiver à avancer dans mes travaux, sans oublier le reste de ma famille.

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Je ne pourrai terminer sans dédier ce mémoire à mon grand-père Adama Abdoulaye TOURÉ, celui qui m’a inculpé la discipline, la rigueur et le travail bien fait.

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INTRODUCTION

Selon un communiqué de presse de l’Organisation des Nations Unies Femmes (ONU Femmes) publié en juillet 2012, la discrimination contre les femmes persiste à travers le monde, entravant leur développement. Cette institution reconnaît que des progrès ont été accomplis en matière de droits des femmes dans un certain nombre de pays. Par contre, dans d’autres, même si on constate des améliorations, les femmes se retrouvent toutefois exclues d’une pleine participation à la vie sociale et économique. Pourtant, le Programme de développement durable à l'horizon 2030 le dit explicitement : « il ne peut y avoir de développement durable sans égalité des sexes » (ONU Femmes, 2018 : 1).

Sur le plan historique, les femmes africaines, autrefois invisibles sur le plan sociétal, ont su s’imposer au fil des années aussi bien au niveau social, qu’économique, sans oublier la sphère politique, grâce à différentes approches de développement appuyées par les Nations Unies et les organisations internationales engagées dans la lutte contre la pauvreté et le développement de la gent féminine (Ky et Charmes, 2018). Auparavant, les femmes occupaient exclusivement le rôle de care, c’est-à-dire de soin au sein de la communauté. En effet, ces dernières étaient considérées comme les seules responsables du travail domestique et du soin de la famille. Elles y consacraient la majeure partie de leur temps, alors que ce travail n’était pas reconnu dans la société. Pourtant, même si ce travail se retrouve à l’ombre de l’économie marchande, il est d’une grande utilité pour les ménages, car les femmes sont à l’origine d’une production importante de biens et de services pour l’évolution des ménages (Ky et Charmes, 2018).

Grâce aux différents combats des femmes au sein des associations et groupements féminins, soutenues par les organisations internationales, les femmes accèdent de plus en plus à des rôles décisionnels et deviennent actrices

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du développement dès les années 1980 avec l’arrivée de l’approche « Genre et Développement » qui encourage la pleine participation des femmes en tant qu’actrices de la lutte contre la pauvreté.

L’entrepreneuriat se présente souvent dans les pays en développement, comme une alternative au travail non rémunéré cité plus haut. Cependant, les femmes entrepreneurs dans ces pays se retrouvent la plupart du temps dans le domaine informel. Même si ce travail n’est pas reconnu au niveau de l’État, les femmes participent activement à la vie économique dans leurs familles (PNUD, 1995). Malgré ce rôle économique central, nous constatons jusqu’à nos jours, une discrimination majeure sur le plan économique, mais aussi sur le plan social qui limite leur développement. En effet, en plus de contribuer au développement économique de la famille, les femmes africaines jouent un rôle central dans la gestion de la communauté. Elles interviennent très souvent en s’engageant dans le domaine de la santé, même de l’éducation, de l’alphabétisation, etc. (Ky et Charmes, 2018).

Particulièrement sur le plan social, quand bien même la présence des femmes est non négligeable dans ce qui a trait au mieux-être de la communauté, elles sont les plus discriminées. Plusieurs systèmes d’oppression s’entrecroisent pour rendre la vie difficile aux femmes. Les discriminations persistent jusqu’à présent malgré les politiques internationales et étatiques mises en place jusqu’à ce jour, allant de l’intégration des femmes au développement à l’approche Genre et Développement (GED), jusqu’aux politiques mises en place par l’État pour lutter contre la pauvreté (Ky et Charmes, 2018). Depuis les années 1990, le Burkina Faso s’engage dans cette lutte en mettant en place des stratégies visant à améliorer les conditions des femmes. L’intégration des femmes au développement donne des résultats en matière de lutte contre la pauvreté multidimensionnelle, incluant en plus de la pauvreté économique, le caractère social, éthique et politique de la pauvreté. Pourtant, d’après le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), « l’exploitation et la violence sexuelle, la répartition inégale du travail

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domestique et des tâches non rémunérées, ainsi que la discrimination dans la prise de décisions publiques, constituent encore des obstacles de taille » (2009). L’une des discriminations centrales entravant le développement des femmes est la violence sexuelle, soutenue par le manque d’éducation sexuelle au Burkina Faso et le manque de condamnation face à ces violences. D’après le Fond des Nations Unies pour la Population (UNFPA) dans un communiqué en novembre 2014, la Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) représente un moyen de progression vers l’égalité des sexes et l’autonomisation des jeunes. De ce fait, il encourage le développement de programmes afin de soutenir les jeunes marginalisés dans les pays en développement. Dans la plupart de ces pays, le comportement sexuel découle de la culture, des croyances et de l’environnement des populations. Au Burkina Faso, en plus des croyances traditionnelles, la marginalisation féminine joue aussi un rôle important dans le développement des comportements sexuels des adolescent-e-s.

Partant de ces différents constats, nous avons voulu comprendre l’impact de l’engagement social et communautaire des femmes dans le mieux-être des jeunes femmes. Il était question, notamment, d’analyser les conséquences du manque d’éducation sexuelle sur la vie des jeunes femmes, et les moyens de remédier à ce manque. Il s’agissait pour nous de mettre en lumière les motivations des femmes à s’engager, le déploiement de leur engagement sur le terrain, et l’impact qu’elles ont sur les jeunes femmes. Nous cherchions aussi à connaître l’impact sur le terrain des programmes dans le domaine de l’éducation sexuelle et du mieux-être. De ce fait, nous avons cherché à comprendre le rôle de l’implication des femmes dans l’éducation sexuelle sur le mieux-être des jeunes femmes et dans la lutte contre l’exclusion sociale et économique. Pour ce faire, nous avons commencé par chercher à analyser les raisons de la persistance de la discrimination envers les femmes à travers le monde, en examinant l’évolution de la condition des femmes en Afrique et au Burkina Faso, puis l’impact de leur engagement social dans l’éducation sexuelle. Finalement nous avons choisi, dans

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cette analyse, de prendre en compte non seulement les facteurs historiques, mais aussi culturels qui interviennent dans la lutte contre la discrimination sociale et économique des femmes.

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CHAPITRE 1 : OBJET D’ÉTUDE

1.1 Problématique de la recherche

Les Objectifs du Développement Durable (ODD) adoptés en 2016 par les États membres de l’ONU placent le genre et le renforcement de l’égalité entre les sexes au centre de ses préoccupations pour le développement. L’atteinte de cette égalité passe par la résolution de plusieurs problèmes simultanés, notamment la lutte contre la pauvreté, l’exclusion sociale et l’éducation pour tous (ONU, 2015). En ce qui a trait à l’atteinte de ces objectifs, l’Organisation des Nations Unies pour les Femmes (ONU Femmes) stipule que personne ne doit être laissé pour compte, particulièrement les femmes et les filles qui détiennent des idées et du leadership. La garantie des droits de ces dernières est primordiale pour la lutte contre la pauvreté, le développement économique, et aussi la préservation de l’environnement (ONU Femmes, 2012). Afin de favoriser cette connaissance des droits des femmes, la SSR représente un jalon important. En effet, dans son rapport sur le lien entre les ODD et la Santé et les Droits Sexuels et de la Reproduction, l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) met l’accent sur l’omniprésence de la SSR dans l’atteinte des ODD, notamment dans l’objectif 3, « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge », et l’objectif 5 « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » (OMS, 2017).

De manière générale, travailler sur les questions de SSR, c’est toucher à l’éducation sexuelle des jeunes, lutter contre les maladies sexuellement transmissibles, contribuer aux connaissances des jeunes filles sur leurs droits, aborder des questions de violences faites à l’encontre des femmes et bien d’autres thématiques reliées aux femmes (OMS, s.d). La lutte contre la pauvreté et l’insertion économique des femmes passe avant tout par la connaissance de leurs droits sexuels, leur bien-être et la réduction de l’exclusion sociale. Rappelons que

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de manière générale, l’exclusion sociale d’une communauté est le résultat du manque d’accès d’un groupe donné à un certain nombre de services qui leur permettraient de satisfaire leurs besoins essentiels (nourriture, éducation, santé, etc.). Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), « l’exclusion sociale est le résultat de défauts et d’échecs dans les systèmes et les structures familiales, communautaires et sociétales » (UNESCO, 2017). Ce phénomène se traduit, dans la plupart des cas, par des inégalités sociales et économiques aux conséquences multiples sur la vie des populations. Depuis les périodes coloniales des 18e et 19e siècles, les anciennes

colonies françaises d’Afrique de l’Ouest ont subi des situations d’exclusion sociale au sein de leur propre territoire. Du fait que les populations des colonies étaient considérées comme des « sauvages » (Le Cour Grandmaison, 2005), les gouvernements coloniaux mettent en place des systèmes qui les réduisent en esclavage et instaurent l’appropriation de leurs territoires et ressources naturelles, ce qui empêche les peuples locaux de tirer profit de leurs richesses naturelles (Pourtier, 2006). De plus, malgré leur accès à l’indépendance depuis les années 1960, les anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest ressentent toujours les conséquences de la colonisation. Effectivement, le capitalisme, installé depuis l’arrivée des colons demeure toujours sur ces territoires et contribue à l’expansion de l’exclusion sociale (Pourtier, 2006). D’après Ky et Charmes (2018), la pensée économique est dominée par les théories de la croissance, basées sur l’idée que la croissance économique serait un vecteur de réduction de la pauvreté. Pourtant, après 1960, la croissance économique n’engendre pas une fin de la pauvreté et des inégalités entre les classes. Toujours selon Ky et Charmes (2018), dès les années 1990, les Nations Unies renforcent leurs actions dans la lutte contre la pauvreté, qui n’est pas seulement orientée autour de la pauvreté monétaire, mais la pauvreté multidimensionnelle. Ky et Charmes (2018 : 55) affirment que « la pauvreté n’est plus uniquement le manque de moyens, mais elle intègre aussi une dimension éthique, politique et sociale ». De là ressort la question de l’exclusion sociale dans la lutte contre la pauvreté.

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L’exclusion sociale touche particulièrement les femmes, par le biais de la non-reconnaissance de leurs droits et de leur capacité à agir au sein de leur groupe social. Pour combattre ces disparités, des mouvements d’opposition se sont développés dans le monde depuis les années 1900, dans l’optique de contester le modèle capitaliste, en faveur d’un modèle alternatif prenant en compte le développement communautaire. En Afrique de l’Ouest, ces mouvements d’opposition apparaissent surtout dans les années 1980 (Ouoba et al., 2003). Plusieurs études sur le genre illustrent et décrivent ces évolutions dans le temps et l’espace à travers l’engagement social des femmes. Au Burkina Faso, l’engagement social et communautaire des femmes représente un vecteur majeur de lutte contre les discriminations. Pourtant, les études sur ces thématiques ne mettent pas l’accent sur l’implication de la SSR et du travail non rémunéré des femmes (représenté autour de l’éthique du care) dans l’empowerment et la transversalisation du genre. Dans le cadre de ce projet, la transversalisation du genre est considérée comme une stratégie sexo spécifique qui vise à identifier les causes de la discrimination et l’exclusion de groupes spécifiques et à favoriser l’implication de toutes les parties prenantes dans le processus de développement (Walby, 2005). Très peu d’études se consacrent à l’interaction entre la SSR, le travail non rémunéré des femmes et la lutte contre les discriminations sociales et économiques.

Par conséquent, cette lacune au cœur de la littérature actuelle nous guide vers la question centrale qui anime notre projet : Quel est l’impact de l’engagement social et communautaire des femmes sur le mieux-être des jeunes filles, et sur l’insertion de ces dernières dans la société et l’économie ?

Notre étude se concentre particulièrement sur le projet « Investir dans le bien-être des adolescentes et jeunes femmes par approche holistique axée sur la santé sexuelle et reproductive au Sénégal et au Burkina Faso » (ci-après « Investir dans le bien-être »), établi en 2018 au Burkina Faso grâce au travail conjoint entre le

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Centre de Solidarité Internationale du Saguenay-Lac-Saint-Jean (CSI) et l’Association d’Appui et d’Éveil Pugsada (ADEP). Le premier est un organisme canadien qui s’engage pour l’Égalité Homme Femme (ÉHF) et l’essor des femmes dans les pays en développement, en proposant l’approche holistique (développée au sein des communautés autochtones du Québec) comme modèle de développement du bien-être pour les jeunes femmes. L’ADEP est, quant à elle, une association pour le développement de la jeune fille au Burkina Faso. Grâce à la collaboration avec ces deux organismes, les données primaires de la présente recherche ont été récoltées au Burkina Faso. Des sources de données secondaires sur l’implication des femmes au niveau communautaire et au niveau de la famille ont permis de compléter les données primaires issues du terrain.

1.2 Objectifs et hypothèses de recherche Objectifs de recherche

L’objectif principal de la recherche est d’identifier le rôle de l’engagement social et communautaire des femmes pour le mieux-être des jeunes filles, dans la lutte contre l’exclusion et la marginalisation sociale et économique au Burkina Faso. Premièrement, après avoir identifié les dynamiques de marginalisation et d’inégalité des femmes et jeunes filles burkinabè, il sera question de déterminer la place de l’engagement social et communautaire des femmes dans la lutte contre l’exclusion sociale.

Deuxièmement, il s’agira d’analyser l’importance de l’éducation sexuelle sur l’empowerment, la transversalisation du genre et la lutte contre la pauvreté.

Troisièmement, nous proposerons une analyse sur le développement des programmes d’empowerment des femmes, basé sur la SSR et leur impact sur le développement social et économique à long terme de ces dernières.

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Hypothèses de recherche

Pour répondre à la problématique et atteindre les objectifs de la recherche, deux hypothèses ont été considérées :

• L’engagement communautaire des femmes dans le mieux-être représente un moyen de lutte contre les discriminations basées sur le genre;

• L’éducation sexuelle joue un rôle important dans le mieux-être des femmes et des jeunes filles et favorise leur empowerment.

1.3 Pertinence de la question de recherche

Les résultats de cette recherche permettront de comprendre les motivations des femmes à s’engager dans le monde social et communautaire, et de discuter des retombées de cet engagement sur la lutte contre la marginalisation des femmes dans la société africaine. Ils permettront également d’identifier un lien entre la connaissance et la sensibilisation sur la SSR, ainsi que l’importance de l’éducation sexuelle dans la lutte à l’exclusion sociale des jeunes femmes. Ces résultats donneront entre autres de la place à la critique sur l’impact de l’implantation de projets de développements communautaires axés sur la SSR. Enfin, ils serviront à apporter des éclairages neufs sur le travail non rémunéré des femmes et le rôle de soin qu’elles assument dans la société. Cette recherche servira ainsi de base de données et d’informations pour l’avancée des travaux et projets de développement communautaires axés sur le mieux-être, l’empowerment et la participation des femmes à la vie sociale et économique en Afrique.

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Nous avons décidé de centrer notre recherche sur une étude de cas au Burkina Faso, plus précisément dans la capitale Ouagadougou. Nous recherchions un projet de développement communautaire au Burkina Faso qui traite d’une problématique liée aux femmes et qui fasse appel à l’engagement et l’implication de celles-ci mais qui, surtout, privilégie une approche participative. La pertinence de ce choix s’explique entre autres par la familiarité de la chercheure avec l’environnement dans lequel se déploie le projet « Investir dans le bien-être » porté conjointement par le CSI et l’ADEP au Burkina Faso.

En résumé nous proposons, par le biais de ce mémoire, d’enrichir les connaissances sur les politiques sociales existantes et l’implication des gouvernements dans ces dernières, en plus d’évaluer l’apport social, économique et culturel de l’engagement des participantes.

1.4 Organisation de l’étude

Le présent mémoire se subdivise en cinq chapitres en plus de l’introduction et de la conclusion. Le chapitre 2 constitue le cadre d’analyse contextuel basé sur la revue de littérature. Cette revue présente l’évolution de la condition féminine au Burkina Faso, commençant par les principales périodes relatives à l’évolution des plans de développement du genre et de la SSR. Ensuite, cette partie présente le contexte de la présente étude ainsi que les organismes partenaires. Nous y présenterons plus en détail le projet « Investir dans le bien-être » auquel nous avons participé.

Le cadre théorique fera l’objet du troisième chapitre. Nous mettons de l’avant le concept d’intersectionnalité pour analyser la multitude des facteurs qui participent à l’exclusion sociale dont sont victimes les femmes. Il s’agit ensuite d’aborder la SSR, un concept large regroupant plusieurs thématiques, qu’il sera important de définir pour analyser son déploiement au Burkina Faso. Par la suite, pour mieux

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comprendre la situation économique des femmes, nous aborderons la question du travail non rémunéré à travers le concept d’éthique du care ou de la sollicitude.

Le quatrième chapitre se concentrera sur la méthodologie élaborée pour la réalisation de cette étude. Nous avons utilisé une approche qualitative en géographie humaine ainsi qu’une approche de recherche-action participative, toutes deux ancrées dans la littérature récente en éthique de recherche. Cette dernière s’appuie, entre autres, sur le respect des personnes participantes à la recherche et sur la confidentialité des données recueillies. Cette éthique s’appuie également sur la protection des droits et de l’intégrité physique et psychologique des participantes. Dans cette partie méthodologique, nous exposons la forme de notre recherche en faisant ressortir les instruments de collecte de données choisis. Le chapitre cinq est consacré à la présentation des résultats obtenus sur le terrain. Ceux-ci permettent de comprendre les motivations des femmes à s’engager dans la société, mais aussi de connaître l’importance de l’éducation sexuelle pour l’autonomisation des femmes. Les résultats font entre autres ressortir le lien entre le care et la lutte contre la pauvreté et les discriminations sociales. Cette partie fait également la lumière sur les limites et freins de la présente étude, avant de proposer une discussion pour l’amélioration des programmes de développement au Burkina Faso.

Enfin, pour clore notre étude, nous ferons ressortir un regroupement des apports théoriques et pratiques de l’étude avant de proposer une conclusion et de nouvelles pistes de recherches.

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CHAPITRE 2 : CADRE D’ANALYSE CONTEXTUEL

2.1 La discrimination faite aux femmes au Burkina Faso

Comme dans beaucoup d’autres sociétés patriarcales, les femmes africaines ont pendant longtemps été placées au second plan. En effet, en raison des normes patriarcales, les femmes sont victimes de discrimination économique, juridique, politique et sociale dans la société (Union Africaine, 2018). Ces femmes et filles victimes de discrimination sont les plus marginalisées (ONU Femmes, 2018). Même si la plupart des pays africains l’interdisent au niveau de la constitution, la discrimination axée sur le sexe persiste en Afrique (Union Africaine, 2018). Cette inégalité a un impact considérable sur le développement durable. Selon l’ONU Femmes :

La discrimination basée sur le genre – profondément ancrée et présente dans tous les pays – menace de compromettre le potentiel de transformation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 de manière concrète et durable […] L'examen des objectifs montre que les inégalités entre les sexes – profondément ancrées et répandues dans tous les pays – sont omniprésentes dans chacun des aspects du développement durable, sans exception. (ONU Femmes, 2018 : 1-2)

Étroitement reliées à l’éthique du care (qui sera développée dans le prochain chapitre), les femmes occupent la charge de soin au sein de la famille. Victimes d’une panoplie d’accusations et considérées comme le sexe faible dans les cultures traditionnelles, les problèmes liés à l’égalité femme-homme représentent un frein majeur pour la pleine participation des femmes à la vie sociale, économique et politique du pays. Particulièrement au Burkina Faso, pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, les femmes sont victimes de discrimination (Ilboudo, 2007 ;

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Ouoba et al., 2003 ; Ismayilova et al., 2018). Cela se traduit par plusieurs facteurs que nous tenterons d’exposer dans les prochaines lignes.

2.1.1 Évolution de la condition féminine au Burkina Faso

Les femmes du Burkina Faso ont pris conscience de leur place dans la société depuis des siècles comme le témoignent certains mythes et récits, mais ce n’est qu’après la grande révolution politique de 1983 qui fait accéder le Capitaine Thomas Sankara au pouvoir, que les analyses sur l’évolution de la condition féminine au Burkina Faso apparaissent. Ce grand révolutionnaire proposera une place nouvelle à la femme burkinabè. En effet, pendant cette période, malgré que le système soit devenu autoritaire, la femme burkinabè commence à prendre sa place dans la société et à participer activement dans le développement du pays (Ouoba et al., 2003).

Pourtant, avant cette période, plusieurs femmes se sont lancées dans la lutte pour le développement du pays et représentent aujourd’hui des héroïnes nationales. Parmi elles se trouve la princesse Yennenga, fille du roi Nédéga dans le royaume de Gambaga, l’actuel Ghana. Héroïne considérée comme l’image de la rébellion féminine au Burkina Faso, elle est la mère de Ouédraogo, le fondateur du royaume des Mosse (groupe ethnique majoritaire du Burkina Faso), considéré comme le plus grand royaume du Burkina Faso (Ilboudo, 2007). Selon la légende :

Princess Yennenga, is known for her might as a military leader of the cavalry of her father, Moogho Naaba. Legend has it that she alone, with the help of her great stallion, was able to conquer and bring to the negotiation table the powerful people of magic, the Nion-Nionses. In fact, according to the story, she was such a brilliant warrior that when she attained the age for marriage, her father would not choose a husband for her because he wanted her to continue as commander of the cavalry. Finally, when all her efforts to

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convince him of her desire to marry and have children had failed, she mounted her horse and ran away. The horse, however being like many a wise animal of legend, took her into the forest where she met a great hunter. The son of the union of Yennenga and this hunter is known in Mossi history as the great Naaba ; he established the dynasty that reigns today in Burkina Faso. (Scott, 1997 : 86)

Cette histoire de la princesse Yennenga reflète la force de caractère de la femme burkinabè non soumise et capable de contrôler elle-même son destin. Cependant, Yennenga reste un mythe inaccessible pour les autres femmes Mossee, invitées à plus de docilité. Selon la légende, « il n’y a qu’une Yennenga, guerrière, rebelle, qui enfante par amour et hors mariage tout en restant respectable » (Ilboudo, 2007 : 164). L’histoire orale a retenu très peu de noms de femmes ayant bravé la loi patriarcale. En effet, il existe dans la littérature peu d’exemples de femmes qui se sont brillamment illustrées et qui ont surtout refusé l’ordre patriarcal (Ilboudo, 2007). La plupart des récits existants sont transmis par voie orale de génération en génération (Ilboudo, 2007), donc difficiles d’accès.

Avant de poursuivre, il est primordial de rappeler que 1960 représente l’année où le Burkina Faso accède à l’indépendance. Avant cette date et depuis 1895, la France entame une conquête du pays et modifie l’organisation de la vie sociale, politique et économique de la société. L’État français, dans le but de renforcer l’autosuffisance alimentaire de sa colonie, met en place un système administratif dit « moderne », non seulement pour contrôler le pays, mais aussi s’emparer de ses différentes ressources (Koussoubé et al., 2017 :5). Après l’indépendance, le pays embrasse le nom « Burkina Faso », qui était auparavant « Haute Volta » (vient de Volta, le fleuve dont la partie supérieure coule dans la région). Le nom Burkina Faso signifie quant à lui « Pays des Hommes Intègres », à travers un mélange de langues nationales : « Burkina » qui signifie « intègre » en langue mooré ; « Faso » qui signifie « Terre des pères » ou « Mère Patrie » en langue

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C’est au cours des indépendances que le gouvernement prend conscience des inégalités entre les hommes et les femmes. Cette période se caractérise par « une quête d’émancipation des femmes et par l’apparition de projets spécifiques dans le domaine de l’éducation, la santé et également par la réalisation d’études descriptives sur les femmes » (Ouoba et al., 2003 : 86). L’indépendance sera suivie de toute une série d’événements marquants pour l’évolution de la condition féminine au Burkina Faso.

En effet, de 1960 à 1983 on assiste à la période dite « de la Révolution. » Pendant cette dernière, des plans de développement des conditions féminines voient le jour, notamment l’Approche Intégration des femmes dans le Développement (IFD) en 1975. Cette dernière, en reconnaissant la nécessité de remédier à la marginalisation des femmes (Ky et Charmes, 2018), ambitionne l’amélioration des conditions économiques des femmes et la réduction de leurs tâches. Cependant, elle ne permet pas une meilleure participation des femmes dans la prise de décision, ce qui débouche sur une marginalisation de la lutte pour la promotion des femmes (Ouoba et al., 2003). Selon Ky et Charmes (2018 : 63), « les femmes étaient considérées comme des bénéficiaires passives des systèmes de protection et d’assistance sociale et non comme des actrices du développement ».

Arrive en second lieu la période révolutionnaire (1983-1987), qui se définit comme un éveil des consciences et un décollage. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’avènement de la révolution démocratique et populaire du 4 août 1983 mène le Capitaine Thomas Sankara au pouvoir. Malgré qu’il mette en place un régime autoritaire et d’exception celui-ci, paradoxalement, place les femmes au centre des postes de responsabilité et développe de nouvelles initiatives dans le but de lever les barrières auxquelles elles font face. Depuis lors, les femmes bénéficient effectivement de plus en plus d’un accès à de hauts postes de responsabilité (Taarab, 1989). Lors de l’arrivée au pouvoir du Capitaine, on assiste à une réelle

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émancipation des femmes burkinabè. Il décide de les impliquer à tous les niveaux, que ce soit celui de la conception, de la décision et de l’exécution pour l’organisation de la vie de la nation. Cette nouvelle politique permet de révolutionner les secteurs dans lesquels les femmes se trouvaient, à savoir : « les travaux ruraux, le commerce, l’artisanat, les emplois de secrétaire dactylo, de comptables, de sages-femmes, etc. » (Taraab, 1989 :72). Il instaure aussi à cette période, un quota d’intégration des femmes dans l’armée et la politique. Tout au long de son mandat, le Président Sankara met un accent particulier sur le rôle de la femme dans le processus révolutionnaire. Il affirme :

La révolution se fait pour tous et par conséquent aussi pour les femmes […] Il ne s’agit pas […] de charité ou d’humanisme, mais de considérer les femmes comme partie intégrante du pays et à ce titre de les tenir pour les égales des hommes puisqu’on leur demande la même chose qu’aux hommes. (Cité dans Taraab, 1989 : 67)

L’Approche femmes et développement apparaît ensuite en 1985, dans le but d’encourager l’intégration des femmes dans le développement (Ouoba et al., 2003). Les États considèrent désormais les femmes comme des actrices du développement et mettent en place des stratégies innovantes afin d’améliorer leur productivité (Ky et Charmes, 2018). L’initiation d’activités génératrices de revenus, l’octroi de microcrédit et les investissements dans le domaine de l’éducation se développent, afin d’insérer pleinement les femmes dans la vie économique. À l’issue de ces initiatives, l’ONU déclare l’année 1975 comme « année internationale de la femme » (Ky et Charmes, 2018 : 65).

Subséquemment, de 1987 à 1995, on assiste à une période de participation-observation, notamment avec l’arrivée de la notion de « Genre et Développement » créée par la Coopération canadienne (Ouoba et al., 2003). Cette dernière, contrairement aux précédentes approches, « ne s’intéresse pas aux femmes

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dire à la répartition du travail, aux rôles, aux fonctions et responsabilités qui échoient aux individus selon leur sexe » (Ky et Charmes, 2018 : 67). Au lendemain de la période révolutionnaire en 1987 avec l’arrivée au pouvoir du président Blaise Compaoré, Rouamba (2010) rappelle que le pays amorce un virage vers le libéralisme économique et embrasse le Programme d’Ajustement Structurel, dans « une perspective de rétablissement des équilibres macro-économiques et financiers et d'enrayement de la pauvreté » (Rouamba, 2010 :15-16). Pendant cette phase de changement apparaît la période de revendication, encourageant la participation féminine dans la société. L’État crée en 1997, le ministère de la Promotion de la Femme, dans le but de conduire les initiatives de réduction des inégalités entre les sexes et de développement humain au Burkina Faso. La période de revendication prend son véritable envol à partir de 2006-2007 à travers l’avènement de mouvements sociaux pour l’égalité du genre et l’émancipation de la femme. En 2009 naît la Politique Nationale du Genre (PNG) qui se traduit comme suit :

Au-delà de la volonté affichée des plus hautes autorités du pays, la PNG est avant tout une expression et un engagement du peuple burkinabè. Elle est bâtie sur des repères au plan international, africain et national qui justifient son importance, sa pertinence et son armature. Ces repères sont les différents engagements pris aux niveaux international et régional pour lever les obstacles au développement liés aux inégalités et disparités entre les genres, ainsi que les dispositions prises au niveau national en faveur de l’égalité et de l’équité de genre d’où la PNG tire ses fondements. (Ministère de la Promotion de la Femme, 2009 : 22)

Ensuite s’amorce une autre grande période révolutionnaire au cours de laquelle la participation des femmes fut déterminante. Il s’agit de la Révolution de 2015, qui a entraîné la chute du président Blaise Compaoré. Hagberg et al. (2015) décrivent la marche des femmes pendant cette révolution, plus précisément le 27 octobre 2015 dans la capitale nationale Ouagadougou, organisée par le Collectif des

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Femmes pour la Défense de la Constitution. Cette marche s’organise dans l’optique de s’opposer à la modification de l’Article 37 de la Constitution, qui permettrait au président Compaoré de se présenter encore une fois aux élections, après vingt-sept (27) ans de règne. Les femmes s’accaparent des rues de la ville avec des spatules pour manifester. Au Burkina Faso, la symbolique des marches des femmes avec des spatules présente un cri de cœur des femmes et mères de la nation. Au cœur de l’analyse sur la situation, Hagberg et al. (2015) évoque le rôle des femmes dans la révolution de la manière suivante :

Cette manifestation est chargée de symbolique et de nombreux Burkinabè nous ont confié que « quand les femmes sortent, là, c’est fini pour Blaise ». Selon les représentations populaires, les femmes sont craintes, car perçues comme des « êtres redoutables » et les malédictions qu’elles portent à un individu seraient suivis d’effets. La marche des femmes à Ouagadougou, ce jour, se présente comme une introduction dans cette plage de contestation politique. (Hagberg et al., 2015 : 205)

Le tableau ci-dessous présente un résumé des grandes périodes de l’évolution de la condition féminine au Burkina Faso.

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Tableau 1.1 : Grandes périodes de l’évolution de la condition féminine au Burkina Faso

Année Période Réalisations majeures

1960-1983

Accès à

l’indépendance

Plans de développement des conditions féminines

1983-1987

Période

révolutionnaire

Accès des femmes à des professions traditionnellement réservées aux hommes Renforcement des associations à bases communautaires

Parole donnée aux femmes sur la scène du débat politique

Prise en compte des questions liées aux femmes sur le plan macro-économique

Mobilisation sociale autour de la question des femmes

1987 à 1995

Participation-observation

Arrivée de la notion de « genre et développement » Meilleure participation féminine dans la société 2006 Revendication Création de mouvements sociaux pour l’égalité du

genre et l’émancipation de la femme

Politique Nationale du Genre (PNG) en 2009 2015 Grande

période

révolutionnaire

Marche déterminante des femmes pour la chute du président Blaise Compaoré

Référence : Ouba et al., 2003

Ces différentes périodes d’évolution de la condition féminine s’accompagnent de plans de développement de genre. La première approche est le « Concept égalité d’accès de la femme et de la jeune fille à l’école » en 1967 (projet UNESCO/Haute Volta), qui s’accompagne du développement de l’engagement féminin (Ouoba et al., 2003). Ensuite on assiste à l’intégration des femmes dans le développement en 1975 qui, malgré qu’il favorise l’insertion économique et politique des femmes, entraîne la marginalisation et ridiculisation de la lutte pour leur promotion en ne les prenant pas en compte comme des citoyennes pouvant prendre des décisions dans le pays (idem). L’approche « Femmes et Développement » intervient après

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l’arrivée de Thomas Sankara et permet une réelle amélioration des conditions féminines. L’engagement pour l’égalité est institutionnalisé à partir des années 1990 avec la politique de genre et développement. Enfin, le dernier grand plan de développement de genre au Burkina Faso est la Politique Nationale Genre (PNG) mise en place en 2009.

L’année 2015 constitue une année de renouveau pour le Burkina Faso. Après une révolution engagée par la société civile et en partie dirigée par des femmes, le nouveau gouvernement en place doit relever plusieurs défis pour le développement du pays. C’est ainsi qu’il instaure le Plan National de Développement Économique et Social (PNDES) en 2015. Celui-ci s’étale sur la période de 2016 à 2020 et « vise une croissance cumulative du revenu par habitant à même de réduire la pauvreté, de renforcer les capacités humaines et de satisfaire les besoins fondamentaux, dans un cadre social équitable et durable » (PNDES, 2016 : iv). La lutte contre les inégalités du genre y constitue un axe majeur et la femme représente un acteur dynamique du développement. Le PNDES prévoit d’insérer un minimum de 75% des personnes marginalisées et encourager l’entrepreneuriat féminin en augmentant le nombre de femmes propriétaires d’entreprises de 21% en 2015 à 50% en 2020 (PNDES, 2016). Le gouvernement actuel, par le biais du Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille (MFSNF), promet une amélioration de la condition féminine. Il assure la poursuite de l’autonomisation des femmes et la réduction des violences faites aux femmes et aux filles (MFSNF, s.d ; PNDES, 2016), aspect que nous aborderons dans la section suivante. Ce ministère se charge de la promotion de l’égalité entre les sexes, à travers la poursuite de la PNG. Il abrite aujourd’hui « une Commission nationale de suivi de la mise en œuvre des engagements du Burkina Faso en faveur de la femme (CNSEF), une Direction Générale de la Promotion de l’Entreprenariat Féminin (DGPEF), ainsi qu’un Secrétariat permanent du conseil national pour la promotion du genre (SP/CONAP-genre) (BAD, 2019 :8).

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Tableau 1.2: Différentes approches de développement du genre au Burkina Faso

Année Approches de

développement du genre

Réalisations majeures 1967 Concept égalité d’accès

de la femme et de la jeune fille à l’école

(Projet UNESCO/Haute Volta)

Naissance des associations féminines Développement de la coopération avec les agences internationales

1975 Intégration des femmes dans le développement (IFD)

Amélioration du niveau économique Développement des activités

génératrices de revenus à travers des projets spécifiques de développement de revenus et d’alphabétisation

Accroissement de la volonté politique de prise en compte des femmes

Meilleure représentativité des femmes au niveau de la magistrature, dans la

fonction publique et dans le commerce moderne ou informel

Années 1985

Approche Femmes et Développement (AFD)

Femmes perçues comme agentes et bénéficiaires du développement Assurer une plus grande visibilité des femmes dans le processus de

développement

Éliminer des entraves à la forte

représentation des femmes dans la vie économique, politique et sociale 1990 La politique de genre et

développement

Création du réseau « Genre et Développement »

Création du Ministère de la Promotion de la Femme en 1997

2009 Politique Nationale de genre (PNG)

Réduction des disparités au

développement liées aux inégalités et disparités entre les genres

2016 Plan National de Développement Économique et Social (PNDES)

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Ainsi, grâce aux lignes précédentes, nous constatons l’évolution de la condition de la femme au Burkina Faso. De l’ombre à la lumière en 1983, les femmes burkinabè ont su prendre leur place au fil des années. Marquées par de grands changements politiques au pays, les dernières années s’accompagnent de l’implication des femmes qui, désormais, s’engagent à plusieurs niveaux. Cependant, malgré toutes ces évolutions, les femmes occuperont toujours une place marginale tant que les inégalités socioculturelles et économiques ne seront pas solutionnées. Dans la prochaine section, nous dresserons un portrait général des inégalités auxquelles les femmes burkinabè doivent faire face.

2.1.2 Inégalités socioculturelles et économiques

Malgré les évolutions positives de la condition des femmes burkinabè, il faut reconnaître qu’il existe encore des pratiques culturelles et traditionnelles qui contribuent à maintenir diverses formes d’inégalités dans la société (BAD, 2019 ; Ilboudo, 2006 ; Tarrab et Coene, 1989 ; Rouamba, 2010). Dans son profil genre du Burkina Faso, la Banque Africaine de Développement (BAD) énumère les pratiques culturelles et traditionnelles qui contraignent la vie des jeunes filles : « le mariage précoce et/ou forcé de la jeune fille ; le faible accès de la femme à la terre comme propriétaire foncière, l’exclusion de la femme à l’héritage familial, le lévirat1, la négligence quant à la déclaration devant l’état civil de la naissance des

filles, etc. » (BAD, 2019 : 5). Les inégalités commencent d’abord au niveau de la famille, avant de se répandre sur d’autres sphères de la société. Le plus souvent, « c’est dans la vie quotidienne au sein de la famille que débute l’état d’infériorité des femmes et c’est là d’abord qu’elles doivent améliorer leur condition (Tarrab et Coene, 1989 : 111).

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Les violences faites aux femmes représentent une réelle barrière pour l’émancipation de ces dernières (Ilboudo, 2006). Elles persistent encore aujourd’hui, car la population a un faible taux d’instruction sur la SSR. Par définition, les violences sexuelles :

sont l’expression d’un rapport de domination d’un individu sur un autre à travers un acte à caractère sexuel, commis sans consentement. Elles représentent une atteinte aux droits fondamentaux, à la dignité, à la sécurité, à l’intégrité physique ainsi qu’à l’intégrité psychologique, et entraînent des répercussions sérieuses chez les individus qui la subissent. Les violences sexuelles, employées au pluriel, englobent un éventail d’actes dont le harcèlement verbal, l’exploitation sexuelle, les agressions sexuelles et les abus sexuels. (CQFD, 2019 : 2)

Pourtant, l’éducation sexuelle joue un rôle primordial pour la lutte contre la marginalisation des femmes. Revenons sur ces marginalisations physiques que les femmes du pays des « Hommes Intègres » subissent depuis des décennies. Ilboudo (2007) les présente comme des violences qui « se parent pudiquement du manteau de la culture, de la tradition ou de la religion pour résister au changement » (Ilboudo, 2007 : 174). Il s’agit de mutilations génitales féminines, mariages précoces ou forcés, violences conjugales, harcèlement sexuel, ou exclusion sociale pour cause de « sorcellerie ». En ce qui concerne la sorcellerie, les femmes, le plus souvent les femmes agées, les veuves ou les femmes ne répondant pas aux normes de la société en sont accusées. Ces accusations sont caractérisées comme suit : « Les sorcières sont des femmes qui, pour une raison ou une autre, ont une vie qui dérange ou des biens que l’on convoite […] Ce sont les vieilles femmes ne disposant plus de soutien familial et/ou considéré comme une charge qui font l’objet d’accusations » (Ilboudo, 2006 : 62).

Les auteurs tels que Ilboudo (2006) et Tarrab et Coene (1989) rendent compte d’autres phénomènes traditionnels et coutumiers historiques considérés comme

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des atteintes à la dignité des femmes. Ils parlent particulièrement de l’excision, une mutilation génitale dont le but véritable est d’ôter « les organes érogènes externes de la fille pour éviter qu’elle ne découvre trop tôt le plaisir sexuel (notamment par la masturbation), assurer ainsi sa virginité jusqu’au mariage, et prévenir ensuite son infidélité » (Ilboudo, 2006 : 34-35). Les auteurs discutent de la situation des femmes burkinabè face à ce phénomène. Alors que Tarrab et Coene (1989) se basent sur des faits antérieurs aux années 2000, Ilboudo (2006) propose un portrait au début des années 2000, toujours en accord avec la pensée de Tarrab et Coene (1989). La BAD (2019) expose ensuite une version plus récente des faits.

Ilboudo (2006) présente l’excision comme une pratique qui « faisait traditionnellement partie d’un processus initiatique marquant le passage de l’enfance à l’âge adulte » (Ilboudo, 2006 : 28). Tarrab et Coene (1989) quant à eux considèrent qu’il s’agit d’une pratique encouragée par des « résistances enfouies dans des profondeurs abyssales » (Tarrab et Coene, 1989 :11) et encouragée par les mères et les grand-mères qui sont convaincues que « une fille non excisée risque toujours les foudres du diable » (Tarrab et Coene, 1989 :12). Présentée comme un passage obligatoire pour la jeune fille, l’excision émane d’une mentalité difficile à changer (Ilboudo, 2006). À l’issue de leur étude sur les motivations de la société à poursuivre cette pratique, Tarrab et Coene (1989) affirment :

Comme me l’ont dit toutes les femmes que j’ai interrogées, cette tradition millénaire n’est pas facile à changer. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut transformer des mentalités ancrées aux tréfonds de l’âme africaine. Les rites villageois sont encore très opérants, et nulle politique d’État ne saurait en venir à bout au terme de quelques années […] Car ce ne sont pas seulement les « marabouts » – les grands prêtres du village, souvent plus puissants que les représentants de l’autorité gouvernementale – qui font obstacle au changement souhaité, mais les mères et grands-mères elles-mêmes ! (Tarrab et Coene, 1989 :11-12)

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Pour sa part, Ilboudo (2006 : 34) présente cette pratique comme « un crime contre la féminité », et un grave problème pour la santé des femmes qui les touche à proportion de près de 66,35% en 1996. Elle souligne le fait qu’il n’existait pas, malgré tout, d’impunité dans le cas de l’excision avant les années 1990. Aucune sanction ne punissait les personnes qui pratiquent l’excision, ce qui représente une réelle discrimination du genre. Ce n’est qu’en 1996 que les mutilations génitales féminines ont été criminalisées et interdites, et ont fait l’objet de trois articles dans le chapitre III, section 2 du Code pénal burkinabè (République du Burkina Faso, 1996). Ces articles se lisent comme suit :

Art. 380. Est puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 150.000 à 900.000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque porte ou tente de porter atteinte à l'intégrité de l'organe génital de la femme par ablation totale, par excision, par infibulation, par insensibilisation ou par tout autre moyen. Si la mort en est résultée, la peine est un emprisonnement de cinq à dix ans.

Art. 381. Les peines sont portées au maximum si le coupable est du corps médical ou paramédical. La juridiction saisie peut en outre prononcer contre lui l'interdiction d'exercer sa profession pour une durée qui ne peut excéder cinq ans.

Art. 382. Est puni d'une amende de 50.000 à 100.000 francs, toute personne qui ayant connaissance des faits prévus à l'article 377 n'en avertit pas les autorités compétentes.

(Code Pénal, 1996 : 59)

Même si elle a diminué en nombre, l’excision existe toujours. Selon la BAD (2019) : « [E]n 2016, deux femmes sur cinq ont été excisées avant l’âge de 10 ans. Au Burkina Faso, la pratique de l’excision est l’œuvre des exciseuses. Plus de quatre

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femmes sur cinq ont été excisées par ces dernières et seulement 1,8% des femmes excisées l’ont été par des accoucheuses ».

En plus de l’excision et d’accusations de sorcellerie, les femmes sont victimes d’inégalités au sein de la famille, engendrant souvent de la violence conjugale. Les auteurs s’alignent tous autour du fait que la violence conjugale et les inégalités dans la famille représentent un frein pour le développement des femmes (Tarrab et Coene, 1989 ; Ilboudo, 2006 ; Ismyilova et al., 2018 ; BAD, 2019). Salon la BAD (2019), « en 2016, argumenter avec son conjoint/partenaire ou sortir sans prévenir constitue toujours des problèmes majeurs devant aboutir à une agression physique à l’égard de la femme » (BAD, 2019 : 24).

Pour faire suite aux problèmes de violences au sein de la famille, le rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) en 2018 met un accent particulier sur l’illégalité du mariage forcé. Il souligne l’existence des mêmes droits pour les enfants conçus hors mariage et les autres enfants. Malgré cela, l’âge légal de mariage reste discriminatoire avec un âge matrimonial fixé à 20 ans pour le garçon, mais à 18 ans ou 17 ans dans certains cas pour la fille. Le mariage forcé touche aussi une grande partie de la population, surtout en milieu rural. L’OCDE (2018) rapporte que « cette négation du droit à choisir librement son conjoint est plus répandue en milieu rural (40%) qu’en ville (23%), notamment dans les régions Sahel (52%) et Nord (58%) » (OCDE, 2018 : 47). Le mariage précoce n’épargne pas non plus les femmes, et : « [I]l est d’autant plus commun que les femmes sont pauvres et peu éduquées. Il concerne jusqu’à 47% des femmes sans aucune éducation, contre 12% de celles ayant suivi une éducation secondaire et semble inexistant chez les femmes ayant suivi une éducation tertiaire » (OCDE, 2018 : 46). Entre 2007 et 2015, seulement 20,3% de femmes âgées de 15 à 49 ans (mariées ou en couple) prennent leurs propres décisions éclairées concernant leurs relations sexuelles, leur contraception et santé (ONU Femmes, 2018).

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De surcroît, la violence conjugale est un phénomène d’autant plus fréquent au Burkina Faso. On compte aujourd’hui, trois femmes sur dix qui ont déjà été violentées par leur mari/conjoint/partenaire dans les régions du Sud-Ouest et les Cascades (BAD, 2019). Mêmement, les femmes sont victimes de discrimination dans le cadre de la polygamie existante dans les communautés musulmanes. En effet, une autre loi discriminatoire au sein de la famille burkinabè est la polygamie, qui permet au mari, en cas de signature et d’approbation de sa femme (siganture parfois forcée ou même obtenue sous menaces de violence), d’avoir un nombre illimité de femmes. La polygamie touche un nombre non négligeable de femmes au Burkina Faso : “Aproximately 40% of married women in Burkina Faso are in polygamous marriages’’ (cité dans Ismayilova et al., 2018 : 450) et, dans une grande partie des cas, l’approbation de la première femme n’est pas demandée. Pour poursuivre, le versement d’une dot se présente comme une pratique illégale et réprimée par le Code pénal du Burkina Faso, mais qui reste largement répandue. Bref, l’ensemble de ces pratiques placent la femme dans un rang de mineure, qui n’a pas droit à la parole et pour qui les parents, puis plus tard le mari prennent les décisions. Ce rôle se reflète aussi dans la répartition des tâches au sein du ménage, étroitement lié au concept de care, qui sera développé dans le cadre théorique.

Ces discriminations sociales entraînent l’écart économique entre les hommes et les femmes dans la société. Le constat est fait qu’économiquement parlant, le rôle de l’homme « se centre sur le travail rémunéré, permettant de subvenir aux besoins de sa famille. Celui de la femme est relégué aux tâches domestiques et au travail de soutien (travail non rémunéré sur les parcelles agricoles ou dans les entreprises familiales) » (OCDE, 2018 : 49). Les femmes assurent pourtant de bonnes conditions de vie et contribuent à l’entretien de la famille, mais ce travail n’est pas valorisé (OCDE, 2018 ; Rouamba, 2010). Cette répartition dépend du niveau d’éducation de la femme. On inventorie près de 41% des femmes ayant suivi un cursus secondaire ou supérieur qui ont été mariées après 18 ans, et qui

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demeurent inclues dans le processus de décision relatif à l’éducation et/ou à la santé de leurs enfants (OCDE, 2018 : 45).

Pareillement, les femmes ne jouissent pas d’un accès aux services sociaux de base (santé, eau et assainissement et éducation) et aux ressources (terre, crédit). Quand bien même elles occupent une place considérable dans différents secteurs, notamment le secteur agricole et informel, elles s’y retrouvent discriminées (Ouoba et al., 2003 ; Rouamba, 2010). En effet, les femmes constituent 52% des actifs agricoles, mais seulement 20% ont accès à un encadrement agricole en 2002 (Ouoba et al., 2003).

De même, les femmes sont discriminées dans le secteur de l’éducation et de l’emploi. Alors qu’au niveau primaire et post primaire, la différence des taux bruts de scolarisation varie entre 0,5 et 1,2% en faveur des hommes, la situation se détériore au niveau secondaire. En 2017, le taux brut de scolarisation au secondaire est de 11,8% pour les femmes contre 18,2% pour les hommes (BAD, 2019). Il en est de même au niveau des études supérieures et études spécialisées. En 2015, 44,2% des hommes de plus de 15 ans sont alphabétisés, alors que ce taux est de 26,8% chez les femmes (BAD, 2019).

Ces inégalités s’expliquent selon Ouattara (2015), par cinq raisons principales illustrées dans le tableau ci-dessous :

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Tableau 1.3: Raisons de la discrimination des femmes dans le secteur de l’éducation au Burkina Faso

Types de raison Description Raisons

historiques

Non-accès à l’éducation par tous à l’école coloniale.

L’école était un prestige auquel avaient seulement accès les colonisateurs et les fils des chefs, notables, fonctionnaires de l’administration coloniale, anciens combattants.

La situation d’inégalités entre filles et garçons était déjà créée, installée depuis la colonisation et s’est perpétuée après les indépendances politiques de 1960.

Raisons politiques et structurelles

Manques de ressources de l’État.

Tâches domestiques réservées aux femmes selon la division sexuelle du travail, ne laissant pas de temps aux filles pour se consacrer aux études.

Raisons économiques

Les jeunes filles représentant des aidantes familiales précieuses pour les tâches domestiques dans les familles pauvres, ceci motive les parents à inscrire les garçons.

Pesanteurs socioculturelles

Les filles seront appelées à se marier et leur mari s’occupera d’elles.

Causes liées au système scolaire

Des stéréotypes sont véhiculés par les parties prenantes du système scolaire, par le manque d’infrastructures.

Référence : Ouattara, 2015

Ces inégalités en termes d’accès à l’éducation nous dirigent vers la notion de scolarisation sélective abordée par Ilboudo (2007), qui explique l’inégalité de chances dans le monde du travail, l’ignorance des droits, l’inégalité d’accès aux postes de responsabilités politiques et administratives. Le travail des femmes n’est pas reconnu, alors que contrairement à d’autres pays africains, « les femmes entretenues sont une espèce rare au Burkina Faso » (Ilboudo, 2007 : 172). En effet, malgré les promesses du gouvernement à améliorer les conditions de vie des femmes, les écarts entre les hommes et les femmes demeurent toujours présents, notamment en ce qui a trait à l’accès à l’éducation et la scolarisation des filles ; à la différence de revenu et l’inaccessibilité à certains actifs de production ; à l’inégal accès aux postes de décision (PNUD, 2010 ; BAD, 2019).

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Le pays enregistre un Indice d’inégalité de genre de 0,63 et un Indice de développement du genre 0,88 (PNUD, 2016). Ces inégalités engendrent d’énormes retombées sur le développement économique et humain des femmes, à savoir : la fragilité du pouvoir décisionnel et du statut des femmes au sein de la famille réduit leur capacité à faire face aux problèmes sanitaires ; le fardeau des responsabilités domestiques ne permet pas aux femmes d’avoir accès aux opportunités économiques ; les discriminations au sein de la famille provoquent la réduction de l’accès des filles à l’éducation (OCDE, 2018). Alors que le niveau de discrimination est relativement bas dans la capitale, Ouagadougou, il s’accroît dans les provinces et zones reculées au fur et à mesure que le niveau d’éducation diminue. En plus de l’éducation scolaire, l’éducation sexuelle joue un rôle remarquable dans le développement des jeunes femmes.

Pourtant, sur le plan sanitaire, l’état de santé des femmes du Burkina Faso est alarmant. Le pays présente un indice synthétique de fécondité de 5,6 enfants/ femme en 2014, avec l’un des taux de croissance les plus élevés au monde, soit 3% (BAD, 2019). Même s’il est en baisse, le taux de mortalité maternelle reste toujours élevé avec 371 décès pour 100 000 naissances en 2017. De plus, le taux de prévalence du VIH est de 1,3% chez les femmes enceintes de 15 à 49 ans, alors qu’il est de 0,8% chez les hommes du même âge en 2015. Ces circonstances sont dues au manque d’éducation sexuelle qui représente une entrave majeure pour le développement de la condition féminine burkinabè. Pour une meilleure éducation sexuelle, des politiques nationales telles que le Plan National d’Accélération de la Planification Familiale du Burkina Faso 2017-2020 prévoient des mesures de sensibilisation. Ces mesures devraient s’accompagner d’insertion des femmes dans le cadre politique.

Cependant, l’écosystème politique au Burkina Faso, bien qu’il mette l’accent sur l’application du quota genre de 2009, reste toujours limité pour les femmes. Le quota a été recommandé par la Conférence de Beijing et impose l’application de

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30% de participation des femmes dans la vie politique. Ce n’est pourtant pas ce qui est observé sur le terrain. Au niveau des postes électifs, seulement 3% des femmes sont représentées dans des mairies en 2016 ; 17% au poste de député en 2019 (BAD, 2019). Il en est de même pour les postes de nomination. Alors que le président actuel Roch March Christian Kaboré avait promis, lors de son élection, de mettre au moins 30% de femmes dans son gouvernement, les statistiques actuelles n’enregistrent que 18% (BAD, 2019).

Particulièrement sur le plan économique, en dépit des efforts mis en place par le gouvernement et les organismes internationaux comme le PNG et le Projet National Karité (projet visant à appuyer des initiatives de valorisation du beurre de karité), les femmes restent limitées dans le domaine de l’emploi. Le taux de chômage en milieu urbain est beaucoup plus élevé, avec 8,4% chez les hommes, contre 15,0% chez les femmes. En termes d’activité, le taux est de 85,9% chez les hommes contre 78,8% chez les femmes en milieu urbain. Quand bien même le taux de pauvreté reste plus faible chez les femmes que chez les hommes (BAD, 2019), il existe une discrimination en termes d’emploi. Cette différence s’explique par le travail informel et les petits commerces qu’exercent les femmes. En effet, ces dernières sont plus nombreuses au niveau informel avec un taux de 76,9% contre 72,0% chez les hommes (BAD, 2019). Même si les femmes développent des petites entreprises surtout dans le secteur informel, elles sont parfois limitées au nom de la coutume et certains travaux ne répondent pas à leur condition féminine ou leur caste (Taarab, 1989 ; BAD, 2019). C’est ainsi que, face à ces discriminations, des mouvements de femmes émergent et permettent à ces dernières de s’unir pour un développement durable et équitable.

Figure

Tableau 1.1 : Grandes périodes de l’évolution de la condition féminine au  Burkina Faso
Tableau 1.2: Différentes approches de développement du genre au Burkina  Faso
Tableau 1.3: Raisons de la discrimination des femmes dans le secteur de  l’éducation au Burkina Faso
Figure 1.3: Les principaux groupes ethniques au Burkina Faso
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