• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 5 : ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.1 Les résultats des entretiens

5.1.2 Les réponses des entretiens

Les parties prenantes du projet ont répondu à nos questions visant à estimer les discriminations qui pèsent sur les femmes burkinabè et la place que détient l’éducation sexuelle dans la lutte contre ces discriminations.

Pour commencer, le responsable en SSR du projet, qui agit sous les consignes de la chargée du projet, explique que les femmes burkinabè occupent une place marginale dans la société. Pour illustrer son propos, il met en évidence l’intersectionnalité des problèmes sociaux vécus par les femmes, parmi lesquels la SSR occupe une place essentielle. Effectivement, la SRR représente une difficulté majeure et un frein pour le développement des femmes et jeunes filles. Malheureusement, le manque de connaissances sur la SSR et les saines habitudes de vie exposent les jeunes filles à un nombre important de problèmes sanitaires tels que les maladies et infections sexuellement transmissibles, les grossesses précoces pouvant conduire à la stérilité. De plus, ce manque de connaissance favorise la non-scolarisation des jeunes filles, souvent contraintes de rester à la maison pour s’occuper des tâches ménagères. Les jeunes filles sont exposées à des absences scolaires à répétition pendant les périodes de menstrues, lorsqu’elles ne disposent pas de serviettes hygiéniques.

D’ailleurs, selon l’expérience du chargé en SSR et des animatrices les familles moins instruites n’accordent pas une place importante à la SSR. Ce manque de connaissance et d’ouverture les enferment dans une pensée patriarcale qui positionnent les femmes à un rang inférieur. Selon l’une des animatrices : « [D]ès le bas âge, les femmes occupent les tâches ménagères, pendant que les garçons s’adonnent à d’autres activités. Les femmes sont les premières à se lever et les dernières à se coucher ». L’une des répondantes illustre cela à travers son histoire :

C’était le cas quand j’étais petite. Pendant que mes frères jouaient au ballon, je devais aller acheter les condiments, je faisais la vaisselle et la lessive les soirs et les week-ends. Je n’avais vraiment pas le temps pour moi-même. C’est le peu de temps que j’avais, que j’utilisais pour réviser mes leçons. C’est comme ça. Voilà pourquoi il y a un problème de scolarisation des jeunes filles. On ne voyait pas l’utilité d’amener une fille à l’école. On apprend à la jeune fille que l’école c’est apprendre à lire et à écrire. La jeune fille doit s’occuper de la maison.

Ces habitudes de vie dues aux pesanteurs socioculturelles se transmettent de mères en filles. Ainsi, la jeune fille ayant vécu dans une famille qui discrimine la femme aura tendance à ancrer cette attitude dans sa vie et à la présenter à sa fille comme un phénomène « normal ». Toutes les répondantes sont en accord sur le fait que leurs mères prônaient les valeurs de « la femme forte qui doit supporter les maux de la société ». Elles aussi à leur tour, dès le bas âge, s’accoutumaient aux tâches qu’elles devraient assurer non seulement au sein de leur famille, mais aussi lorsqu’elles seraient dans leur propre foyer. Elles y étaient contraintes au nom de la tradition, car la finalité de la vie de la femme, c’est d’avoir un mari et des enfants. L’une des participantes avoue que selon la société burkinabè :

Une femme qui veut se réaliser doit avoir un mari. On leur dit que si tu n’en as pas, tu n’as pas de considération. Dans nos sociétés, même si tu as tout l’or du monde et tu n’es pas mariée, tu n’es pas de valeur. C’est comme ça, c’est la triste réalité, même dans le milieu intellectuel. Cela fait que beaucoup de femmes célibataires se sentent incomplètes.

Pour continuer, nous constatons que les inégalités émergent d’abord au niveau familial, pour ensuite se répandre à d’autres échelles. Nous apprenons que ces inégalités au sein de la famille encouragent ces personnes à faire de même en dehors du cadre familial. Sur le plan professionnel, les femmes se voient même

n’ayant jamais été mariée, fait face à ces critiques au quotidien, en commençant par les membres de sa famille. Ces pesanteurs socio culturelles poussent les femmes à accepter le mariage lorsqu’on leur propose, pour ne pas faire face aux reproches de leur famille. Les pesanteurs socioculturelles représentent de réelles violences faites aux femmes burkinabè.

Au sujet de ces violences, les répondant-e-s nous ont permis de mettre en lumière les différents types de violences auxquelles sont confrontées les femmes burkinabè. En effet, en plus des violences physiques que nous avons répertoriées dans la littérature, il existe le harcèlement sexuel, les mariages forcés et mariages précoces. L’une des animatrices que nous avons rencontrées a été victime de mariage précoce à l’âge de 17 ans. Cet évènement marquant l’a suivi toute sa vie et les répercussions sont encore visibles sur elle aujourd’hui.

Pour approfondir les données sur la condition de la femme burkinabè, nous avons demandé aux animatrices d’expliquer une trajectoire générale de vie d’une femme burkinabè, de la naissance à l’âge adulte. Le constat a été unanime, les femmes burkinabè sont réduites aux tâches ménagères et à la soumission à leur mari. L’une explique :

Même s’il y’a de l’amélioration par rapport aux précédentes années, on ne voit pas l’importance de l’école pour une fille. Elle doit s’occuper de la maison. Lorsqu’elle grandit, elle va rejoindre son mari dans le cas du mariage précoce très fréquent. De plus, parlant de charge domestique, tout revient à la femme. Quand vous rentrez dans les villages, dans le milieu rural, dans les campagnes, vous verrez qu’elles sont des « bêtes de somme ». Elles travaillent du matin au soir et sont les premières à se lever et les dernières à se coucher. La femme s’occupe de tout. Elle n’a pas droit au foncier dans le milieu rural, donc elle travaille dans le champ familial, elle n’a pas le droit de gérer les récoltes, pourtant elle est la principale productrice. Elle travaille au champ jusqu’aux environs de 16h. Elle doit

ensuite travailler dans son propre potager, puisqu’il lui faut des légumes pour faire la cuisine, étant donné que l’homme ne lui donne pas l’argent de les dépenses de la cuisine. Les récoltes de son potager, en plus de contribuer à l’alimentation de la famille, lui permettent d’assurer les dépenses pour l’école des enfants. Elle apprend la même chose à sa fille parce qu’elle va le reproduire lorsqu’elle va se marier. C’est comme l’âne et son enfant. L’âne met son enfant au monde pour pouvoir un jour se reposer. La femme burkinabè est surchargée de travail. Du fait de la division sexuelle du travail, en plus de toutes les tâches domestiques qui lui incombent, elle doit travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Elle travaille souvent sans répit, et même parfois malgré des grossesses.

Une autre animatrice ajoute :

Les travaux ménagers sont réservés aux filles dès le bas âge, alors que les garçons vont à l’école. Arriver à l’école à l’heure est rare pour les filles, car elles doivent s’occuper des tâches à la maison. Cela incite les filles à faire l’école buissonnière pour aller chez leur partenaire pour éviter les travaux domestiques.

Enfin, la dernière animatrice conclut :

La femme dès qu’elle naît, son statut est déjà établi : Être à la maison et s’occuper des tâches ménagères pendant que le garçon s’amuse et va à l’école. Il y a des taches qu’on n’attribue rien qu’aux femmes. Les garçons et les filles ne reçoivent pas les mêmes éducations.

En plus, les femmes sont affectées à des tâches domestiques non rémunérées et non reconnues comme travail dans la société, ce qui rejoint le concept de care. Les femmes occupent des tâches qui leurs prennent tout leur temps, mais ne

burkinabè sont reconnues comme des grandes entrepreneures, mais malheureusement elles se retrouvent souvent dans le travail informel. Effectivement, la violence économique se base aussi sur la mise à l’écart des femmes de l’économie centrale, ce qui les tourne vers l’économie informelle dans laquelle elles constituent la majeure partie de la population. Cette discrimination économique pousse plusieurs jeunes filles à embrasser des relations amoureuses intergénérationnelles, le plus souvent, en échange d’argent. Selon l’une des répondantes : « Même les vieux ne donnent pas un bon exemple à la jeune fille. Les adultes approchent les jeunes filles pour avoir des relations sexuelles avec elles. Dans les familles pauvres, ça pousse les filles vers la prostitution ». Cela engendre la prostitution déguisée et conduit à de nombreux pronblèmes sexuels.

Ces inégalités motivent les animatrices à s’engager au sein de leur société. Même si les motivations sont diverses, en fonction du vécu de chacune, la motivation principale est l’envie d’aider les autres filles à évoluer dans la société, à avoir de meilleures conditions de vie. Les animatrices se sentent utiles et voient les retombées de leur accompagnement sur la vie des jeunes filles. Elles souhaitent leur donner une voix, leur montrer le bon chemin, et leur permettre de faire les bons choix de vie. L’une affirme :

Quand je vois les associations qui se battent pour les filles, je vois que si j’avais eu cette formation, je n’allais pas me marier vite, mais j’allais me battre pour attendre. Je veux véhiculer ce message à mes sœurs. La meilleure solution pour moi est d’apprendre un métier, ne pas se prostituer.

Pour lutter contre ces inégalités, le projet étudié met un accent particulier sur la SSR, comme levier de lutte contre la discrimination et les inégalités. Malgré que ce sujet reste tabou dans la plupart des sociétés africaines, nous avons cherché à comprendre la situation du Burkina Faso en termes de SSR et les apports de l’éducation sexuelle sur la vie des jeunes au Burkina Faso. À l’unanimité, les

répondant-e-s qualifient l’éducation à la sexualité de sujet tabou au Burkina Faso; par conséquent, elle n’est pas assez répandue. Les parents se sentent souvent mal à l’aise en ce qui concerne les questions de sexualité. Pourtant selon elles, il est important d’impliquer les parents dans les centres d’écoute pour réduire la gêne et créer un espace de dialogue intergénérationnel dans le milieu. Les animatrices remarquent que les jeunes filles ont du mal à discuter avec leurs parents, et ont peur de poser des questions lors des animations. La plupart du temps, elles préfèrent le contact discret avec les animatrices en les accostant à la fin des animations :

C’est une bonne chose, un gros avantage pour la jeune fille pour une sexualité saine et responsable. Si elle a accès à l’éducation sexuelle, elle peut éviter plein de problèmes, apprendre l’hygiène intime et menstruelle, éviter les comportements à risque, mieux connaître les méthodes contraceptives et l’avortement clandestin.

L’éducation sexuelle que les animatrices proposent permet aux jeunes filles et jeunes femmes d’éviter les maladies, les grossesses précoces, les grossesses multiples et les mutilations génitales. Elles favorisent la communication avec les parents en apportant les astuces pour discuter avec ceux-ci en cas de désaccord. La communication intergénérationnelle facilite énormément de choses. L’une des répondantes donne un exemple :

Je donne l’expérience d’une fille avec sa mère adoptive qui ne voulait pas qu’elle parle à un garçon alors qu’elle a 28 ans et elle est vierge. Nous sommes là dans un cas de conflit intergénérationnel et du regard des autres, c’est-à-dire l’image de l’enfant. Dans ce type de cas, j’encourage les filles à aller parler avec la mère pour régler les conflits.

Lorsque les jeunes filles connaissent leur corps, elles peuvent mieux planifier leur vie. Une autre animatrice explique :

On ne parle pas de sexualité en famille, on n’explique pas en profondeur les avantages et inconvénients. On ne prend pas le temps de bien expliquer aux jeunes filles ce qu’est la sexualité, le plaisir. On est éduqué à la maison avec la famille. Moi-même personnellement, la première fois que j’ai eu mes règles, j’étais une employée domestique et je n’avais personne à qui parler.

Les animatrices du projet prennent un réel plaisir à aider les jeunes filles qu’elles considèrent comme leurs petites sœurs. L’une témoigne de sa motivation à s’engager :

Puisque je travaille avec le projet, j’aide les filles dans les causeries éducatives, pour éviter certains problèmes liés aux genre, pour mieux forger leur personnalité, les aider à avoir de bons comportements et être de bonnes femmes de demain. […] Et aussi avec le projet, nous avons eu à travailler avec des jeunes filles aides-ménagères pour qu’elles puissent connaître leurs droits, se défendre face à certains problèmes, renforcer les compétences de vie courante, sauver les jeunes filles, se protéger de certains risques.

Cette femme se sent fière parce qu’elle a pu apporter des résultats concrets et accompagner des jeunes filles en situation de difficulté :

Je suis une personne-ressource pour aider à surmonter leurs difficultés. Il y en a même qui ont été victimes de mariage forcé, qu’on a pu sauver de justesse, car elles ont su à qui s’adresser. Avec l’ADEP, nous avons aidé une fille de 15 ans, que le père avait promis en mariage. Avec le projet CSI, l’ADEP l’a récupérée et l’a replacée dans une autre famille pour ne pas que

son père vienne la chercher dans le lieu où elle travaillait comme aide- ménagère, pour la ramener au village pour la marier à un vieux. Nous l’avons envoyée dans un centre qui recueille les personnes bannies. Nous l’avons mieux formée.

Ainsi, les entretiens avec les animatrices et le chargé du projet en SSR a permis de mettre en lumière l’intersection entre les différentes problématiques des femmes burkinabè, ainsi que les différentes inégalités qu’elles vivent (figure 2.4).

Figure 2.4: Intersection des inégalités vécues par les femmes burkinabè