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La vétusté immobilière en droit municipal. Une limite d'intérêt général à l'exercice du droit de propriété

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La vétusté immobilière en droit municipal. Une limite

d’intérêt général à l’exercice du droit de propriété

Mémoire

Charles Breton-Demeule

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

(2)

La vétusté immobilière en droit municipal

Une limite d’intérêt général à l’exercice du droit de

propriété

Mémoire

Charles Breton-Demeule

Sous la direction de :

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Résumé

En droit québécois, la propriété dispose d’une protection minimale qui permet au législateur et aux municipalités de limiter son exercice de manière importante. À cet égard, la vétusté immobilière constitue depuis l’époque de la Nouvelle-France un motif d’intérêt général offrant aux corps publics des pouvoirs pour forcer l’entretien et la démolition d’immeubles susceptibles de causer un préjudice à autrui ou de porter atteinte à la sécurité publique. Si ces pouvoirs existent depuis longtemps en droit québécois, les récentes modifications à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, en 2017, ont permis d’accroître leur portée en donnant la capacité aux municipalités d’intervenir plus largement en ce domaine. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ainsi que le Code civil du Québec contiennent de nombreuses dispositions qui permettent aux municipalités québécoises de limiter l’exercice du droit de propriété en assurant l’entretien ou la démolition d’immeubles vétustes sur leur territoire. Ce mémoire propose une lecture théorique, pratique et critique de ces pouvoirs à l’heure où les enjeux de protection du patrimoine culturel et de participation citoyenne animent le débat public.

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Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Remerciements ... vi

Introduction ... 1

1 La vétusté immobilière comme limite à l’exercice du droit de propriété ... 13

1.1 Les contours juridiques d’une notion ancienne aux dimensions actuelles... 13

1.1.1 La vétusté immobilière, une notion à définir en droit québécois ... 14

1.1.2 Une préoccupation historique à l’égard du contrôle de la vétusté immobilière .. 27

1.1.3 Conclusion : Une intervention soutenue depuis près de trois siècles ... 46

1.2 La propriété : un droit limité ... 48

1.2.1 L’absolutisme du droit de propriété : un mythe à déboulonner ... 48

1.2.2 L’existence de droits acquis : un contrepoids jurisprudentiel à l’encontre des dispositions relatives à l’entretien et la démolition d’immeubles ?... 61

1.2.3 Conclusion : Une protection plus théorique que pratique ... 71

2 Le contrôle municipal discrétionnaire de la vétusté immobilière ... 72

2.1 La complémentarité des pouvoirs réglementaires... 72

2.1.1 Un pouvoir large pour régir l’occupation et l’entretien des bâtiments vétustes: l’article 145.41 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ... 72

2.1.2 Le régime des articles 148.0.1 à 148.0.26 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et le contrôle discrétionnaire de la démolition ... 79

2.1.3 Les outils réglementaires de contrôle de la démolition dans les villes de Québec et Montréal ... 103

2.1.4 Conclusion : Des pouvoirs complémentaires pour prévenir et neutraliser la vétusté immobilière ... 106

2.2 Des recours encadrés par une protection jurisprudentielle minimale du droit de propriété ... 108

2.2.1 L’obligation d’entretenir son immeuble et de réparer les dommages qu’il peut causer à autrui : une règle reconnue aux articles 990 et 1467 du Code civil du Québec ... 109

2.2.2 Des moyens pour forcer la réfection ou la démolition d’un immeuble vétuste : le régime d’ordonnance des articles 227 et 231 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ... 118

2.2.3 Une solution pour remédier à la vétusté de manière définitive : le nouveau régime sur l’occupation et l’entretien des bâtiments des articles 145.41.1 à 145.41.5 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ... 134

(5)

Conclusion ... 142 Bibliographie ... 146

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À René Boileau (1777-1842), notaire et patriote dont la maison bicentenaire de Chambly fut démolie

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Remerciements

La rédaction de ce mémoire n’aurait pas été possible sans la collaboration et les encouragements de plusieurs personnes.

Mes remerciements s’adressent d’abord à ma directrice, la professeure Sophie Lavallée, qui m’a soutenu dans ce projet avec ouverture, rigueur et professionnalisme. Ses commentaires justes, son soutien constant et ses remarques pertinentes ont grandement enrichi mon projet. Je remercie aussi les professeurs Guillaume Rousseau et Antoine Pellerin qui ont participé, avec la professeure Sophie Lavallée, à la correction de ce mémoire.

Je tiens également à souligner l’aide du professeur Sylvio Normand, qui m’a prodigué de nombreux conseils. Ses recherches et ses réflexions sur l’histoire du droit québécois ont contribué à donner une profondeur historique à ce mémoire.

J’aimerais remercier mes parents, Mario Demeule et Danielle Breton. Sans leurs encouragements dès mes premiers jours sur les bancs d’école et sans leur confiance renouvelée face à mes projets, ce mémoire n’aurait jamais vu le jour. Je leur dois une fière chandelle! Merci de m’avoir donné le goût d’apprendre.

Je veux aussi souligner la collaboration de la Direction du service des affaires juridiques du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation et de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec pour leur aide dans la recherche. De même, je veux remercier Guy Perron, paléographe, pour le déchiffrement de certains documents d’archives ainsi que Me Julien Fournier, pour son aide et ses commentaires judicieux.

J’exprime enfin ma reconnaissance au Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC) ainsi qu’au Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) pour l’aide financière octroyée dans la réalisation de ce projet.

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Introduction

Comme il est des propriétés d’une telle nature que l’intérêt particulier peut se trouver facilement et fréquemment en opposition avec l’intérêt général dans la manière d’user de ces propriétés, on a fait des lois et des règlements pour en diriger l’usage. (…) Dans toutes ces occurrences, il faut soumettre toutes les affectations privées, toutes les volontés particulières, à la grande pensée du bien public1.

− Portalis Au moment de l’adoption du Code civil du Bas-Canada en 1866, le droit de propriété jouissait d’une portée juridique quasiment absolue2. Ancré dans le XIXe siècle, le Code était,

à bien des égards, une traduction du libéralisme économique de l’époque3. Dans ce contexte

favorisant la liberté individuelle, l’absolutisme du droit de propriété, hérité du Code Napoléon de 1804, trouvait toute sa justification. Cette conceptualisation des privilèges du propriétaire a dominé une longue période de l’histoire juridique québécoise et a marqué l’interprétation donnée par les tribunaux à l’étendue du droit de propriété4. De même, du

point de vue politique, la possibilité de limiter la portée de ce droit a été fortement freinée par l’importance que lui accordait le législateur québécois5.

À partir de la deuxième moitié du 20e siècle, des limitations importantes ont été apportées à

l’exercice du droit de propriété. En effet, dans la foulée de la Révolution tranquille, le législateur québécois a adopté diverses lois qui ont encadré l’exercice du droit de propriété

1 Propos de Portalis cités dans Paul-Antoine FONTENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code

civil, t. onzième, Paris, 1827, p. 124

2 Sylvio NORMAND,Introduction au droit des biens, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 85-86 ;

Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, p. 18 3 P.-C. LAFOND, préc., note 2, p. 18

4 Voir notamment Louis-AmableJETTÉ, « Cours Jetté. De la propriété », (1931) 4 R. du D. 373, 373-378

5 L’adoption d’une première loi relative à la protection du patrimoine culturel par le Parlement du Québec en

1922, avait d’ailleurs soulevé les craintes de l’opposition officielle à ce sujet (Alain GELLY, Louise BRUNELLE -LAVOIE et Corneliu KIRJAN, La passion du patrimoine. La Commission des biens culturels du Québec

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dans l’intérêt général6. On peut penser, à cet égard, à la Loi sur les biens culturels7, à la Loi

sur la protection du territoire agricole8 ou encore à la Loi sur l’aménagement et

l’urbanisme9, textes adoptés respectivement en 1972, 1978 et 1979. Plus récemment, la prise

de conscience environnementale a mené à l’adoption de plusieurs lois dont la portée a restreint l’exercice du droit de propriété dans l’objectif de protéger les cours d’eau ainsi que les milieux riverains10. Motivées par des changements sociaux et par une volonté d’encadrer

le développement territorial du Québec, ces lois façonnent l’exercice du droit de propriété à l’aune de l’intérêt général en se fondant sur le principe, reconnu par l’article 947 du Code

civil du Québec, voulant que le droit de propriété s’exerce « pourvu qu’on n’en fasse pas un

usage prohibé par les lois ou les règlements ».

De manière comtemporaine, les conséquences de l’appropriation privative de certains biens font l’objet de critiques importantes qui mobilisent une vision sociale de la propriété11. Au

Québec, les limites du droit de propriété ont été étudiées récemment dans cette perspective afin de redéfinir certains concepts traditionnels du droit des biens12. En droit municipal

cependant, peu d’analyses de ce type ont porté sur le droit de propriété, alors que les dispositions législatives qui encadrent son exercice y sont pourtant nombreuses13. Le droit

6 Marie-Louis BEAULIEU, « Notes sur la propriété foncière au Québec », (1963) 9 R. D. McGill 227, 233 et suiv.

7 Loi sur les biens culturels, L.Q. 1972, c. 19 aujourd’hui nommée Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ, c.

P-9.002

8 Loi sur la protection du territoire agricole, L.Q. 1978, c. 10 aujourd’hui nommée Loi sur la protection du

territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1

9 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, L.Q. 1979, c. 51

10 Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection, L.Q. 2009, c.

21 ; Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, L.Q. 2017, c. 14

11 En France, le droit de propriété fait l’objet de remises en question à la lumière de la théorie des biens

communs, mobilisée pour faire ressortir l’affectation collective de certains biens au-delà du type de propriété qui les régit. Voir à cet égard Marie CORNU, Fabienne ORSI et Judith ROCHFELD, (dir.), Dictionnaire des biens

communs, coll. « Quadrige », Paris, Presses universitaires de France, 2017

12 Gaële GIDROL-MISTRAL, « L’affectation à un but durable, vers une nouvelle forme d’appropriation des biens communs? : réflexions autour de l’article 1030 du Code civil du Québec », (2016) 46 R.G.D. 95 ; Gaële GIDROL -MISTRAL, « L’environnement à l’épreuve du droit des biens », (2017) 62 R.D. McGill 687

13 Si certaines analyses ont porté sur le droit de propriété en droit municipal, celles-ci ont été menées dans une

perspective plus descriptive que critique (Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, avec la collab. de Lise VÉZINA, Droit

municipal. Principes généraux et contentieux, Wolters Kluwers, 2019, no 8.177 (IntelliConnect)) oufavorable

à une protection accrue de ce droit (NathalyRAYNEAULT, L’expropriation municipale québécoise : mise en

œuvre et contrôle, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté de droit, Université Laval, 2008 ; Anne-Françoise

DEBRUCHE, « La protection de la propriété par la Charte québécoise: diable dans la bouteille ou simple peau de chagrin? » dans Alain-Robert NADEAU (dir.), La charte québécoise : origine, enjeux et perspectives, R. du B. (Numéro thématique hors-série), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 175).

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québécois offre en effet aux municipalités plusieurs pouvoirs qui peuvent viser la propriété d’un individu, notamment pour forcer un propriétaire à entretenir ou démolir un immeuble devenu vétuste.

Ces pouvoirs relatifs à l’entretien et à la démolition d’immeubles vétustes amènent à s’interroger sur la dimension sociale de la propriété et sur la limitation des prérogatives du propriétaire. Cette question met en opposition l’absolutisme du droit de propriété, qui permet théoriquement à un propriétaire de laisser son bien se détériorer s’il le souhaite, et l’intérêt général, qui, dans certains cas, commande qu’une intervention soit effectuée sur un immeuble pour assurer la sécurité du public ou pour assurer sa conservation au nom de divers intérêts à portée collective, comme la protection du patrimoine culturel ou le maintien des droits des locataires.

L’observation pratique de l’exercice des pouvoirs municipaux relatifs à l’entretien et à la démolition d’immeubles vétustes fonde notre intérêt pour cette question. En effet, les multiples cas récents de démolition ou de délabrement d’immeubles patrimoniaux ont démontré que les limites de ces pouvoirs méritent d’être définies et questionnées14, alors que

persiste une certaine confusion quant à la portée de la protection accordée à la propriété en

14 Voir notamment, pour la région de Québec, uniquement entre 2017 et 2019, les dossiers médiatisés de ces

immeubles démolis: Normand PROVENCHER, « Démolir la maison Rodolphe-Audette est la seule option selon le proprio », Le Soleil, 24 janvier 2017, en ligne : https://www.lesoleil.com/actualite/la-capitale/demolir-la-maison-rodolphe-audette-estla-seule-option-selon-le-proprio-c90cfad07acc08bb48491c6a153edec4 ; Monica LALANCETTE, « Démolition de l’une des “plus vieilles maisons” du boulevard de l’Ormière », L’Actuel, 8 mai 2017, en ligne : https://www.lactuel.com/actualites/2017/5/8/demolition-de-l_une-des---plus-vieilles-maisons---du-boulevard-d.html ; Monica LALANCETTE, « La maison abandonnée de la côte des Érables pourra être démolie », L’Actuel, 16 juin 2017, en ligne : https://www.lactuel.com/actualites/2017/6/16/la-maison-abandonnee-de-la-cote-des-erables-pourra-etre-demolie.html ; « La maison Déry démolie à Charlesbourg »,

Radio-Canada (Ici Québec), 18 juillet 2017, en ligne :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1045882/la-maison-dery-demolie-a-charlesbourg ; Catherine BOUCHARD, « Un immeuble litigieux incendié sur la rue Saint-Paul à Québec », Le Journal de Québec, 13 décembre 2017, en ligne : https://www.journaldequebec.com/2017/12/13/violent-incendie-sur-la-rue-saint-paul-a-quebec ; « Maison Rodolphe-Audette, “une démolition sauvage” », Radio-Canada (Ici Québec), 31 octobre 2018, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1133067/maison-rodolphe-audette-demolition-levis ; Louis GAGNÉ, «Feu vert à la démolition de l’église Saint-Cœur-de-Marie», Radio-Canada (Ici Québec), 5 juin 2019, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1173912/autorisation-permis-demolition-eglise-saint-coeur-de-marie-quebec-grande-allee-promoteur ; Judith DESMEULES, « Incendie majeur à la Villa Livernois : la Ville taxée de négligence », Le Soleil, 15 septembre 2019, en ligne : https://www.lesoleil.com/actualite/justice-et-faits-divers/incendie-majeur-a-la-villa-livernois-la-ville-taxee-de-negligence07a87d77927ffa1625aaa589105b2dce  ; Jean-François NADEAU, « Une maison de la Nouvelle-France détruite à Québec », Le Devoir, 27 septembre

2019, en ligne : https://www.ledevoir.com/culture/563469/une-maison-de-la-nouvelle-france-detruite-a-quebec

(11)

droit québécois15. De fait, il n’existe actuellement aucune étude complète sur le traitement de

la vétusté immobilière en droit municipal16. La rédaction d’un mémoire sur ce sujet est donc

pertinente et inédite, en ce qu’elle répond à un besoin qui est à la fois doctrinal et social.

Notre objectif: illustrer les limites importantes que peuvent apporter les pouvoirs municipaux à l’exercice du droit de propriété

La rédaction de notre mémoire se fonde sur un objectif assez simple, celui d’expliquer les limites que les pouvoirs municipaux d’entretien et de démolition d’immeubles vétustes peuvent apporter à l’exercice du droit de propriété. Pour atteindre cet objectif, nous souhaitons établir un portait historique et pratique de ces pouvoirs en nous demandant :

Quelles limites les pouvoirs municipaux d’entretien et de démolition d’immeubles vétustes peuvent-ils apporter à l’exercice du droit de propriété?

Pour répondre à ce questionnement, nous formulons l’hypothèse que les pouvoirs municipaux d’entretien et de démolition d’immeubles vétustes limitent de manière importante le droit de propriété et que l’importance de cette limitation s’explique par les facteurs suivants :

- Le large spectre de situations couvertes par la notion de vétusté et l’enracinement historique des pouvoirs qui y sont relatifs en droit québécois;

15 Lors de l’étude du projet de loi no 122 (Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont

des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, projet de loi no 122

(sanctionné – 16 juin 2017), 1re sess., 41e légis. (Qc)) conférant aux municipalités le pouvoir d’acquérir de gré

à gré ou par expropriation un immeuble vétuste qui est vacant ou qui présente un risque pour la santé ou la sécurité des personnes, certaines craintes relatives à une potentielle atteinte constitutionnelle au droit de propriété ont été soulevées par les membres de la Commission de l’aménagement du territoire (QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 41e

légis., Vol. 44, no 132, 31 mai 2017, « Étude détaillée du projet de loi no 122 - Loi visant principalement à

reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs », p. 26 et 27). Comme nous le verrons cependant, le droit de propriété ne jouit d’aucune

protection en vertu de la Constitution canadienne (1.2.1 L’absolutisme du droit de propriété : un mythe à déboulonner).

16 Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation a publié un court texte décrivant les pouvoirs à la

disposition des municipalités quant à la gestion des immeubles détériorés ou insalubres. (MINISTÈRE DES

AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, « Pouvoirs municipaux en matière de gestion des immeubles détériorés ou insalubres », Bulletin Muni-Express, no 2, 2 avril 2019, en ligne :

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- La protection relative accordée à la propriété en droit québécois, qui permet au législateur d’aménager l’exercice du droit de propriété en favorisant l’intérêt général; - La complémentarité des pouvoirs réglementaires d’entretien et de démolition, qui

permettent à la fois de prévenir et de neutraliser la vétusté immobilière;

- La protection minimale accordée par les tribunaux au droit de propriété en cas de vétusté d’un immeuble.

Si nous souhaitons mettre en exergue l’importance de ces limites, c’est pour avancer que les municipalités disposent de larges pouvoirs qui leur permettent de sanctionner des situations qui portent atteinte à l’intérêt général et qu’elles n’ont pas les mains liées face à un propriétaire qui refuse de remédier à l’état de vétusté de son bâtiment17. En ce sens, notre

mise en lumière des limites dont l’exercice du droit de propriété peut faire l’objet n’a pas pour objectif de démontrer que la protection juridique de ce droit serait insuffisante ou inadéquate18.

Approches et méthodologie : une étude herméneutique du droit positif en matière de vétusté immobilière

Notre méthodologie est en grande partie positiviste19. Nous nous intéressons aux pouvoirs

conférés par l’État aux entités décentralisées que sont les municipalités et à l’influence de ces pouvoirs sur un droit reconnu par l’État, le droit de propriété. Ainsi, le droit étatique et la jurisprudence occupent une place importante dans notre analyse20. De même, puisque notre

mémoire s’intéresse à l’action municipale, nous avons cité certains règlements municipaux pour illustrer comment en pratique les pouvoirs habilitants des municipalités sont traduits en

17 Certaines villes québécoises estiment pourtant qu’elles n’ont pas tous les pouvoirs nécessaires pour intervenir

dans de telles situations (« Maisons abandonnées dans le Vieux-Hull : à qui la faute? », Radio-Canada (Ici Ottawa-Gatineau), 10 novembre 2019, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1383138/maisons-

abandonnees-delabrees-vieux-hull-heafey-projet-reconstruction?fbclid=IwAR3zK63bhOG-4SqvOOmOQ31TKMZ9poVYskMnBsQztvxyAz9jR3YIH-Gmyb8 ; Nicolas LACHANCE, « Des bâtiments délabrés encore trop difficiles à démolir », Le Journal de Québec, 4 décembre 2017, en ligne : https://www.journaldequebec.com/2017/12/04/des-batiments-delabres-encore-trop-difficiles-a-demolir).

18 Voir notamment l’étude d’A.-F. DEBRUCHE, préc., note 13, qui porte sur la faiblesse de la protection accordée à la propriété en droit québécois.

19 Hans KELSEN, « Qu'est-ce que la théorie pure du droit? » (1992) 22 D & R 551

20 Nous analyserons principalement les dispositions de Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c.

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textes réglementaires21. Cette approche positiviste nous amène également à prendre acte du

fait que le législateur québécois a reconnu le Code civil comme le droit commun du Québec22.

Nous partons donc du principe que le Code civil peut, à ce titre, être utilisé comme source interprétative en droit municipal23. À cet égard, nous nous inscrivons dans le courant des

auteurs qui cherchent à faire ressortir les liens entre droit civil et droit administratif24. Cette

approche est inédite en ce qu’elle permet de définir la vétusté dans une perspective plus vaste, qui fait à la fois référence aux dispositions du droit privé et du droit public25.

Notre analyse du droit positif sera critique. En effet, une approche uniquement fondée sur le droit étatique ne permettrait pas de donner un portrait juridique complet de la situation et ne refléterait pas, de toute façon, la véritable méthodologie, davantage portée sur l’herméneutique, utilisée par les juristes québécois26. En ce sens, l’herméneutique nous

21 À titre de textes faisant partie du droit étatique, ils complètent notre analyse des dispositions habilitantes.

Même s’il existe une présomption de validité à l’égard de ces règlements, leur utilisation à titre d’exemples dans ce mémoire n’est pas une reconnaissance de leur validité.

22 Le second paragraphe de la disposition préliminaire du Code civil du Québec indique : « Le code est constitué

d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »

23 Pour la professeure Mélanie Samson, la notion de droit commun associée au Code civil du Québec dispose

de deux sens. Le premier assimile le Code à un « réservoir conceptuel » qui permet de guider l’interprétation de l’ensemble du droit québécois. Le second sens renvoie au droit commun comme source supplétive du droit, qui permet de combler les lacunes ou les silences de certaines lois. Dans le cadre de ce mémoire, nous référons au Code civil entendu comme le droit commun en empruntant à ces deux définitions qui, comme le souligne la professeure Samson, « ne sont pas mutuellement exclusives » (Mélanie SAMSON, « L’interprétation harmonieuse de la Charte québécoise et du Code civil du Québec : un sujet de discorde pour le tribunal des droits de la personne et les tribunaux de droit commun? », (2015) 8 R.D.H., par. 10-12, en ligne : https://journals.openedition.org/revdh/1481#quotation). Voir également Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85

24 Denis LEMIEUX, « Le rôle du Code civil du Québec en droit administratif », dans Actes de la XVIIe Conférence

des juristes de l’État, 2006, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 349 ; Patrice GARANT, « Code civil du

Québec, Code de procédure civile et société distincte », (1996) 37 C. de D. 1141; Alain-François BISSON,« La Disposition préliminaire du Code civil du Québec », (1999) 44 R.D. McGill 539

25 Certains auteurs, auxquels nous faisons référence dans ce mémoire, ont déjà défini les contours de la notion

de vétusté (Luc LACHANCE et Guillaume C. BRANCONNIER, « Le passage du temps sur la structure de l’immeuble : vétusté ou vice caché ? » (2015) 117 R. du N. 245 et Jeffrey EDWARDS, La grantie de qualité du

vendeur en droit québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008). Néanmoins, ces textes s’intéressent à

l’application de la notion de vétusté en droit de la vente et non en droit municipal.

26 Voir à cet égard Michelle CUMYN et Mélanie SAMSON, « La méthodologie juridique en quête d’identité »,

(2013) 71 R.I.E.J. 1,7. Une analyse critique du droit positif n’est pas nécessairement incompatible avec une approche positiviste. Comme le rappelle Kelsen lui-même, la théorie positiviste n’exclut pas la possibilité de se prononcer sur le droit dans une perspective critique, elle impose cependant de distinguer ce qui découle du droit positif de ce qui découle d’une critique de ce droit. Comme l’indique Kelsen, la théorie pure du droit « ne signifie naturellement pas qu'il faille refuser à l'interprète le soin de recommander à l'autorité une signification précise qui, par référence à une quelconque valeur, apparaît comme la meilleure. Mais il ne peut le faire — comme cela se passe trop souvent — au nom de la science, arguant de l'autorité́ de la science,

(14)

c’est-permet, pour citer les mots de Paul Amselek, de prendre conscience de toute la « charge27 »

d’une disposition et d’en tenir compte dans notre analyse. Ainsi, notre lecture de l’histoire du droit de propriété et des pouvoirs municipaux en matière de vétusté immobilière nous permettra de nourrir notre analyse du droit positif en faisant ressortir le contexte dans lequel les dispositions relatives à la vétusté ont été adoptées et interprétées. Notre méthode est donc influencée par le positivisme, car elle fait du droit positif l’objet premier de son étude, mais également par l’herméneutique, car sans être pluraliste, elle s’intéresse néanmoins au contexte historique, au sens donné aux dispositions législatives et à leur importance sociale au Québec28.Dans cette perspective, certains concepts éclaireront également notre lecture de

la loi et de la jurisprudence.

À ce titre, nous ferons place dans ce mémoire à l’intérêt général, notion qui fonde et oriente l’exercice des pouvoirs discrétionnaires à la disposition des municipalités en matière d’entretien et de démolition d’immeubles vétustes. À titre d’autorités administratives décentralisées, les municipalités jouissent d’une discrétion importante relativement au contrôle de la vétusté immobilière sur leur territoire29. Cette discrétion se manifeste à la fois

dans la faculté d’adopter un texte réglementaire, mais également dans l’exercice des pouvoirs qui découlent de ce texte, le cas échéant30. Les dispositions analysées dans le cadre de ce

mémoire reposent donc sur une double discrétion, qui conditionne à la fois l’adoption d’un texte et son application31. Notre analyse critique se fera en tenant compte de l’intérêt général

qui fonde cette discrétion et de la façon dont il peut être mobilisé en droit municipal. À cette fin, nous reprenons la définition des auteurs Issalys et Lemieux, qui définissent l’intérêt général comme le point d’équilibre entre les différents groupes d’intérêts spéciaux d’une collectivité32. Notre lecture du droit se fera donc à la lumière de certains de ces intérêts

à-dire de celle de la vérité. Car, par sa recommandation, le juriste-interprète tente d'influer sur la création du droit. Par là, il remplit une fonction de politique juridique et non de science juridique. » (H. KELSEN, préc., note 19, 559)

27 Paul AMSELEK, « La teneur indécise du droit », (1992) 26 R.J.T. 72

28 H. KELSEN, préc., note 19, 559

29 Jean-Pierre ST-AMOUR, Le droit municipal de l’urbanisme discrétionnaire au Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 22 et suiv.

30 Id., p. 66 31 Id., p. 66

32 Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale. Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 87. La détermination de cet intérêt général est une question

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spéciaux33 que sont la santé et la sécurité publique34, la protection du patrimoine culturel35 et la participation citoyenne36. Cette lecture nous permettra d’analyser dans une

perspective critique l’équilibrage qu’opère le droit municipal québécois dans la prise en compte de ces différents intérêts qui contribuent à façonner l’intérêt général. Alors que dans certains cas, l’intérêt général exige qu’un immeuble soit démoli pour des raisons de sécurité, dans d’autres, il milite en faveur de l’entretien et de la conservation d’un édifice patrimonial. De même, nous tiendrons compte dans notre analyse des recours qui permettent à un voisin, notamment en vertu des articles 990 et 1467 du Code civil du Québec, de demander l’intervention des tribunaux pour limiter les prérogatives du propirétaire d’un immeuble vétuste. Cette perspective nous amènera également à nous interroger sur la confrontation qui peut exister en droit québécois entre l’intérêt individuel d’un propriétaire et celui des citoyens qui souhaitent intervenir pour forcer l’entretien ou la démolition d’un immeuble vétuste. Ces questionnements s’inscrivent également dans le contexte où le rôle des municipalités en matière d’entretien d’immeubles vétustes s’est accru depuis 2017 par l’octroi de nouveaux pouvoirs et par leur reconnaissance à titre de « gouvernements de proximité37».

: « les municipalités exercent des fonctions qui requièrent la prise en considération d’intérêts multiples, parfois contradictoires. Pour favoriser pleinement la résolution démocratique des conflits politiques, les corps publics élus doivent disposer d’une marge de manœuvre considérable. Hors d’un contexte constitutionnel, il serait inconcevable que les tribunaux s’immiscent dans ce processus et s’imposent comme arbitres pour dicter la prise en considération d’un intérêt particulier. Ils ne peuvent intervenir que s’il y a preuve de mauvaise foi. » (Entreprises Sibeca inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, par. 24)

33 Ces intérêts spéciaux s’inspirent des principes contenus à l’article 6 de la Loi sur le développement durable.

Bien que ces principes ne s’appliquent pas de manière spécifique aux municipalités et aux tribunaux, ils doivent être pris en compte, notamment, par le gouvernement, le Conseil exécutif, le Conseil du trésor et les ministères dans le cadre de leurs différentes actions (Loi sur le développement durable, RLRQ, c. D-8.1.1, art. 3 et 6).

34 L’article 6 (a) de la Loi sur le développement durable prévoit que « les personnes, la protection de leur santé

et l’amélioration de leur qualité de vie sont au centre des préoccupations relatives au développement durable (…) » et l’article 6 (i) indique qu’« en présence d’un risque connu, des actions de prévention, d’atténuation et de correction doivent être mises en place, en priorité à la source ».

35 L’article 6 (k) de la Loi sur le développement durable définit le patrimoine culturel de la manière suivante :

« le patrimoine culturel, constitué de biens, de lieux, de paysages, de traditions et de savoirs, reflète l’identité d’une société. Il transmet les valeurs de celle-ci de génération en génération et sa conservation favorise le caractère durable du développement. Il importe d’assurer son identification, sa protection et sa mise en valeur, en tenant compte des composantes de rareté et de fragilité qui le caractérisent ».

36 L’article 6 (e) de la Loi sur le développement durable indique que « la participation et l’engagement des

citoyens et des groupes qui les représentent sont nécessaires pour définir une vision concertée du développement et assurer sa durabilité sur les plans environnemental, social et économique ».

37 Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à

augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, L.Q. 2017, c 13. Voir également la Loi sur le développement durable, préc., note 33 qui fait de la subsidiarité un principe que l’Administration doit prendre

(16)

Une analyse fouillée du droit et de la jurisprudence

Pour atteindre notre objectif de définir les limites que peuvent apporter les pouvoirs municipaux d’entretien et de démolition d’immeubles vétustes relativement à l’exercice du droit de propriété, nous avons d’abord inventorié l’ensemble des dispositions relatives à la vétusté immobilière en droit québécois. Cette recherche par mots clés nous a permis d’établir un premier corpus de dispositions relatives à notre sujet38. Nous avons par la suite consulté

les ouvrages de doctrine en droit municipal pour vérifier si d’autres dispositions traitant de l’entretien ou de la démolition d’immeubles vétustes pouvaient être analysées dans le cadre de notre étude39.

Nous avons également effectué une analyse exhaustive de la jurisprudence. Ainsi, pour chaque article pertinent que nous avons repéré, nous avons utilisé les moteurs de recherche juridiques et avons lu l’ensemble des décisions citant ces articles40. De ces décisions, nous

avons retenu celles qui traitaient directement de la vétusté immobilière ou qui permettaient d’éclairer les pouvoirs qui y sont relatifs41. De plus, nous avons mené une recherche

38 Nous avons utilisé les mots clés « vétusté », « entretien », « ruine » ou « délabrement » dans le moteur de

recherche du portail LégisQuébec du site web des Publications du Québec.

39 Voir notamment Lorne GIROUX et Isabelle CHOUINARD, « Les pouvoirs municipaux en matière d’urbanisme » dans Collection de droit 2019-2020, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit public et administratif, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019; J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, avec la collab. de L. VÉZINA, préc., note 13 ; Marc-André LECHASSEUR, Zonage et urbanisme en droit canadien, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2016 ; Jacques

L’HEUREUX, Droit municipal québécois, t. 2, Montréal, Wilson & Lafleur - Sorej, 1984 ; J.-P. ST-AMOUR, préc., note 29

40 Nous avons principalement utilisé le moteur de recherche SOQUIJ en utilisant l’option « législation citée ».

Pour raffiner nos résultats, nous avons cependant effectué une recherche par mots clés pour certains articles. En effet, dans le cas de l’article 145.41 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, nous avons cherché l’expression « entretien des bâtiments », car la recherche avec l’option « législation citée » produisait peu de résultats. De même, pour les articles 227 et 231 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, nous avons ajouté à notre recherche le mot clé « vétusté » afin de repérer plus facilement les décisions qui traitaient de cet aspect particulier. Nous avons également consulté la banque Westlaw lorsqu’il s’agissait de trouver des décisions plus anciennes non disponibles sur SOQUIJ.

41 Même si nous avons effectué une recherche jurisprudentielle pour l’ensemble des dispositions analysées dans

les chapitres 3 et 4, le chapitre 4 portant sur les recours contient davantage de références jurisprudentielles que le chapitre 3, qui porte sur les pouvoirs réglementaires des municipalités. Cette variation s’explique par la nature des pouvoirs analysés dans ces deux chapitres. En effet, les recours s’exercent majoritairement devant la Cour supérieure, ce qui rend l’exercice de ces pouvoirs conditionnel à la rédaction d’un jugement. Par contre, il demeure parfois difficile de trouver les traces juridiques de l’exercice des pouvoirs réglementaires, puisque ces derniers ne donnent pas toujours lieu à l’intervention des tribunaux. Ainsi, bien que le chapitre 3 du mémoire ne soit pas exempt de références à la jurisprudence, le chapitre 4 en contient davantage puisqu’il porte sur les recours à la disposition des municipalités, qui dans la majorité des cas, nécessitent l’intervention des tribunaux pour pouvoir être exercés.

(17)

doctrinale en consultant les ouvrages majeurs relativement au droit municipal québécois pour compléter notre analyse de la jurisprudence et des dispositions législatives pertinentes42.

Puisque notre recherche comporte une dimension historique, nous avons analysé les lois ayant mené à la création des institutions municipales au Québec depuis le Régime français. Cette recherche s’est effectuée à partir d’ouvrages en histoire du droit municipal43, mais

également à partir des sources primaires. Ainsi, nous avons consulté la version originale des textes juridiques anciens auxquelles nous faisons référence, dont certains remontent au 18e

siècle44. De plus, pour étayer nos propos, nous avons effectué une recherche exhaustive de

l’ensemble des documents notariés ou judiciaires numérisés faisant référence à l’intervention des autorités publiques en matière de vétusté immobilière disponibles à Bibliothèque et Archives nationales du Québec45. Cette méthode nous a permis de mettre au jour des

informations juridiques inédites qui éclairent l’origine de l’intervention étatique en ce domaine.

Un plan en deux parties

42 L. GIROUX et I. CHOUINARD, préc., note 39; J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, avec la collab. de L. VÉZINA, préc., note 13 ; M.-A. LECHASSEUR, préc., note 39 ; J. L’HEUREUX,préc., note 39 ; J.-P. ST-AMOUR, préc., note 29

43 Alain BACCIGALUPO, avec la collab. de LucRHÉAUME, Les administrations municipales québécoises. Des

origines à nos jours, t.1, Montréal, Éditions Agence d’Arc, 1984 ; Jean-Charles BONENFANT et Henri BRUN,

Histoire des institutions juridiques (notes du cours Histoire du droit public canadien et québécois), Québec,

Presses de l’Université Laval, 1971 ; Manon BUSSIÈRES, De la voie de passage au chemin public. Le réseau

routier et ses représentations dans la province de Québec : l’exemple du Centre-du-Québec, 1706-1841, thèse

de doctorat, Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2009 ; Roger BUSSIÈRES, Le régime

municipal de la province de Québec, Québec, Imprimeur officiel de la reine, 1964 ; Julien DRAPEAU, Histoire

du régime municipal au Québec, Québec, ministère des Affaires municipales, 1976 ; Lorne GIROUX, Aspects

juridiques du règlement de zonage au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 1979 ; Jacques

LÉVEILLÉE et Marie-Odile TRÉPANIER, « Évolution de la législation relative à l’espace urbain au Québec » dans

Droit et société urbaine au Québec, Montréal, Éditions Thémis, 1982, p. 17 ; Guillaume ROUSSEAU,

L’État-nation face aux régions. Une histoire comparée du Québec et de la France, coll. « Cahiers des Amériques »,

Québec, Septentrion, 2016 ; Jean-Pierre ST-AMOUR, La dimension territoriale de la compétence municipale.

Schéma de systématisation en droit québécois, thèse de doctorat, Montréal, Faculté des études supérieures,

Université de Montréal, 1999

44 Ces textes sont disponibles en ligne sur le portail LégisQuébec du site web des Publications du Québec, sur

le moteur de recherche Canadiana en ligne du Réseau canadien de documentation pour la recherche, sur le site de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec et sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Ces textes ont été initialement repérés à partir des ouvrages déjà cités à la note 43, mais également en cherchant l’expression « vétusté », « vétuste » ou « ruine » dans les moteurs de recherche de Bibliothèque et Archives nationales (BAnQ) et de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec.

45 Ces textes ont été initialement repérés en cherchant l’expression « vétusté », « vétuste » ou « ruine » dans le

(18)

L’analyse de l’origine des pouvoirs d’entretien et de démolition ainsi que celle de leur reconnaissance dans les lois municipales actuelles nous permettra de brosser un portrait complet de la portée et des limites de ces pouvoirs. Ainsi, nous définirons d’abord dans la première partie de ce mémoire ce qu’est la vétusté, une notion reprise dans le droit municipal, mais dont les origines conceptuelles remontent au Code civil du Bas-Canada. En plus de distinguer la vétusté du vice caché, nous analyserons également, dans une perspective historique, l’évolution des pouvoirs confiés aux municipalités relativement à la vétusté immobilière. Cette analyse nous permettra de revenir sur la définition du droit de propriété, de même que sur l’incidence de ce droit quant à l’exercice des pouvoirs municipaux. Les municipalités jouissent de pouvoirs discrétionnaires importants, notamment quant à la possibilité d’adopter certains règlements et d’entreprendre des démarches administratives et judiciaires afin de forcer l’entretien ou la démolition d’un immeuble vétuste. L’analyse de cette discrétion nous donnera l’occasion de nous pencher sur le concept de droits acquis en nous demandant comment cette notion été interprétée par les tribunaux et comment son application peut modifier les pouvoirs des municipalités en matière de vétusté immobilière. Ensuite, dans le but de connaître ces pouvoirs dans une perspective plus pratique, nous examinerons, dans le deuxième titre de notre mémoire, les pouvoirs réglementaires et les recours à la disposition des municipalités pour assurer l’entretien d’immeubles devenus vétustes. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et les chartes des villes de Montréal46,

Québec47 et Gatineau48 offrent aux municipalités québécoises une panoplie d’outils

réglementaires afin d’empêcher la dégradation d’immeubles et d’imposer la remise en état d’immeubles devenus vétustes. Nous analyserons ces pouvoirs ainsi que ceux qui permettent de régir la démolition d’immeubles sur le territoire municipal. De même, nous nous pencherons sur les dispositions du Code civil du Québec et de la Loi sur l’aménagement et

l’urbanisme qui permettent aux municipalités de s’adresser aux tribunaux pour ordonner la

réfection ou la démolition d’un immeuble vétuste. L’étude des nouveaux pouvoirs qui offrent aux municipalités la possibilité d’acquérir de gré à gré ou par expropriation un immeuble

46 Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, RLRQ, c. C-11.4 47 Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, RLRQ, c. C-11.5 48 Charte de la Ville de Gatineau, RLRQ, c. C-11.1

(19)

vétuste qui menace la santé ou la sécurité des personnes accompagnera également cette analyse jurisprudentielle et doctrinale des pouvoirs municipaux.

Certes, si notre mémoire aborde la question de la vétusté et de l’entretien des immeubles, nous n’inclurons pas dans notre analyse les pouvoirs liés au zonage et aux plans d’implantation et d’intégration architecturale (P.I.I.A)49. Bien que certains de ces pouvoirs

puissent, de manière accessoire, servir à prévenir la vétusté des immeubles, ils s’inscrivent le plus souvent dans un processus de planification à long terme qui diffère du contexte d’utilisation généralement ponctuel et individuel des pouvoirs de démolition et d’entretien. De même, nous laisserons de côté les questions qui concernent les nuisances ou la salubrité en raison de notre objectif de traiter des pouvoirs relatifs à l’intégrité physique et structurale des édifices, qui relève davantage des dispositions sur la vétusté, plutôt que de l’apparence extérieure des immeubles, principalement régie par les règlements portant sur le zonage50,

les nuisances51 et la salubrité52. Pour les mêmes raisons, nous ne traiterons pas des

dispositions de la Loi sur le patrimoine culturel, qui ont pour objectif premier d’accorder un statut juridique particulier à un immeuble en raison de sa valeur patrimoniale plutôt qu’en raison de sa vétusté53. Toutefois, certains principes ou décisions qui n’entrent pas directement

dans le cœur de notre sujet, notamment ceux relatifs à l’interprétation donnée à la discrétion judiciaire de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, feront néanmoins l’objet d’une attention particulière, dans la mesure où ils permettent d’éclairer les pouvoirs liés à la vétusté. Cette orientation se justifie également par la perspective historique donnée à notre mémoire, qui vise à mettre en lumière les pouvoirs relatifs à l’entretien et à la démolition d’immeubles vétustes plutôt que les pouvoirs relatifs au zonage, qui ont déjà fait l’objet d’analyses historiques sérieuses54.

49 Art. 113-114 et 145.15-145.20.1 L.a.u. 50 Id., art 118 al. 2 (5.1) et (16.1)

51 Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1, art. 59-61 52 Id., art. 55-58

53 Voir notamment Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 7, art. 1 et 127. Les cas d’immeubles vétustes

ayant une valeur patrimoniale feront néanmoins l’objet d’une attention particulière, surtout lorsque ces immeubles vétustes ayant une valeur patrimoniale sont soumis au régime de Loi sur l’aménagement et

l’urbanisme, mais qu’ils ne sont pas protégés par la Loi sur le patrimoine culturel.

54 L. GIROUX, préc., note 43 ; J. LÉVEILLÉE et M.-O. TRÉPANIER, préc., note 43 ; M.-A. LECHASSEUR, préc., note 39 ; Jean-Marc AUDET, « Le zonage comme attribut moderne du droit de propriété foncière », (1988) 91

(20)

1 La vétusté immobilière comme limite à l’exercice du

droit de propriété

L’analyse des pouvoirs municipaux relatifs à l’entretien et à la démolition d’immeubles vétustes nécessite la définition préalable de la notion de vétusté. En effet, cette notion de vétusté, prise dans son sens large, est à la base d’une bonne partie des pouvoirs municipaux relatifs à l’entretien ou à la démolition d’immeubles pour cause de délabrement en droit québécois. Dans le premier titre de ce mémoire, nous définirons d’abord les contours de la notion de vétusté immobilière, en tenant compte non seulement du sens qui lui est donné dans le Code civil du Québec, mais également en revenant sur la façon dont cette notion a été mobilisée du point de vue juridique depuis l’époque de la Nouvelle-France (1.1). Nous analyserons ensuite les raisons pour lesquelles la protection accordée au droit de propriété n’empêche pas, dans l’intérêt général, le législateur québécois d’aménager l’exercice de ce droit pour assurer la gestion des immeubles vétustes (1.2).

1.1 Les contours juridiques d’une notion ancienne aux dimensions actuelles

Bien qu’utilisée dans plusieurs dispositions du droit municipal, la vétusté ne fait cependant pas l’objet d’une définition expresse en droit québécois. L’exercice de définition mené dans les prochaines pages nous permettra donc de poser les bases de notre analyse en déterminant ce qu’est concrètement la vétusté immobilière, notion qui fonde l’exercice des pouvoirs analysés dans le cadre de ce mémoire. Une fois cette définition établie (1.1.1), nous reviendrons sur l’histoire des pouvoirs municipaux relatifs à l’entretien et à la démolition

d’immeubles vétustes (1.1.2). Cette mise en perspective nous permettra de conclure que même si la vétusté comporte une dimension actuelle parce qu’elle réfère à l’enjeu contemporain de la gestion des immeubles détériorés, sa présence en droit québécois n’en est pas moins nouvelle, puisqu’elle a fait l’objet d’une intervention législative soutenue et échelonnée sur près de trois siècles (1.1.3).

(21)

1.1.1 La vétusté immobilière, une notion à définir en droit québécois

Afin d’établir les contours juridiques de la vétusté, nous définirons d’abord cette notion dans son sens courant et grammatical (1.1.1.1), en prenant cependant soin de la distinguer de la notion de vice caché (1.1.1.2). Ensuite, nous examinerons la portée de la notion de vétusté en droit commun (1.1.1.3), pour terminer en énonçant la définition de vétusté retenue dans le cadre de ce mémoire (1.1.1.4).

1.1.1.1 La vétusté dans son sens grammatical

Malgré son emploi dans le Code civil du Québec55, dans la Loi sur l’aménagement et

l’urbanisme56, dans les chartes des villes de Québec57, Montréal58 et Gatineau59, ainsi que

dans la Loi sur les infrastructures publiques60 et dans la Loi sur les services de santé et les

services sociaux61, il n’existe aucune définition générale de la vétusté dans les lois

québécoises. L’analyse des contours de cette notion à l’aune de son sens grammatical et des différents textes qui y font référence demeure donc essentielle pour éclairer et mieux comprendre les pouvoirs municipaux dont elle permet l’exercice.

L’absence de définition expresse de la vétusté dans les lois québécoises indique que cette notion doit être utilisée dans son sens grammatical, c’est-à-dire son sens commun et ordinaire62. Du point de vue étymologique, le mot vétuste provient du latin vetustus, qui

signifie « du vieux temps, archaïque » alors que le mot vétusté dérive du latin vetustas qui

55 Art. 1160, 1308, 1864, 1890 et 2739 C.c.Q. 56Art. 145.41, 145.41.5 et 231 L.a.u.

57 Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C, art. 105.1 et 105.6 58 Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.1 et 50.6

59 Charte de la Ville de Gatineau préc., note 48, annexe B, art. 14 60 Loi sur les infrastructures publiques, RLRQ, c. I-8.3, art. 29 al. 1 (2)

61 Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, art. 263.1

62 Lors de l’adoption de l’article 145.41 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, des questions avaient été

soulevées par l’opposition officielle quant au sens général des termes « vétusté » et « délabrement » en droit québécois. Appelé par le ministre des Affaires municipales du Sport et du Loisir, un représentant du service des affaires juridiques du ministère a alors indiqué qu’il n’était « pas nécessaire de définir par la loi » les notions de vétusté et de délabrement et « que le sens du dictionnaire est amplement suffisant (…) pour qu'on se dispense de les définir dans la loi » (QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de

l’aménagement du territoire, 1re sess., 37e légis., vol. 38, no 38, 10 juin 2004, « Étude détaillée du projet de loi

no 54 - Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal », p. 15). Sur le sens

grammatical, voir Pierre-André CÔTÉ avec la collab. de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation

(22)

signifie « vieillesse » 63. De manière plus contemporaine toutefois, la notion de vétusté fait

référence à quelque chose « qui n’est plus en bon état ou qui n’est plus utilisable »64.

Du point de vue juridique, la vétusté est davantage associée au pourrissement et à la décrépitude plutôt que l’obsolescence et la désuétude65. Contrairement à l’obsolescence, la

vétusté n’advient pas lorsqu’un immeuble n’est plus au goût du jour ou qu’il ne correspond plus aux standards techniques actuels, mais plutôt lorsqu’il est l’objet d’une détérioration physique qui dépasse les considérations purement esthétiques66. En effet, la vétusté est

souvent la conséquence de l’absence d’entretien ou du délabrement d’un édifice67. Un

immeuble nécessite un entretien régulier de la part de son propriétaire, puisque les matériaux qui le composent possèdent une durée de vie utile68. À titre d’exemple, il a été reconnu par

les tribunaux qu’une toiture en bardeaux d’asphalte a une durée de vie qui varie entre 15 et 20 ans69. Ainsi, les parties constituantes d’un bâtiment doivent être maintenues en bon état

afin de remplir la fonction pour laquelle elles ont été conçues70. La vétusté advient lorsque

certaines de ces parties constituantes ont atteint leur fin de vie utile et qu’elles ne sont pas remplacées71.

Les auteurs Luc Lachance et Guillaume C. Branconnier définissent la vétusté comme «la détérioration d’un bien par l’effet du temps »72. Hubert Reid, dans son Dictionnaire de droit

québécois et canadien, indique que cette notion décrit l’« état d'un bien qui n'est plus en bon

63 Alain REY, (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, t. 3, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, « vétuste » et « vétusté », p. 4052

64 Id.

65 Greenfield Park (Ville de) c. Sanada Realties inc., [1991] R.J.Q. 177 (C.S.)

66 Référant au texte anglais de l’article 231, qui traduit « vétusté » par « decay », le juge Yves Mayrand indiquait

dans l’affaire Greenfield Park (Ville de) c. Sanada Realties inc., id. : « les dictionnaires usuels, soit Harrap's en particulier et également Password English Dictionary de Kernerman et d'autres que la Cour a consultés, traduisent le mot "decay" par pourriture, pourrissement, décrépitude et c'est le sens qu'on doit donner à ce mot "vétusté". C'est le pourrissement, la décrépitude et non pas le sens de "absolete", c'est-à-dire désuet, parce que non utilisé, non utilisable, passé de mode, passé de fonction économique. »

67 Mignault Perrault (Succession de) c. Hudson (Ville de), 2008 QCCS 5184, par. 25-26 conf. par Mignault

Perrault (Succession de) c. Hudson (Ville de), 2010 QCCA 2108

68 J. EDWARDS, préc., note 25, p. 154 (no 334) 69 Lousky c. Benaïm, [2004] no AZ- 50316832 (C.Q.)

70 À titre d’exemple, voir Règlement sur la salubrité des bâtiments et des constructions, Conseil de la Ville de

Québec, R.V.Q. 773, art. 12

71 L. LACHANCE et G. C.BRANCONNIER,préc., note 25, 247

(23)

état à cause de son âge ou de son usage prolongé»73. Le passage du temps est un élément

essentiel pour définir la vétusté, puisque c’est par l’effet du temps que les matériaux finissent par atteindre leur fin de vie utile. Cependant, cette dimension temporelle varie d’un cas à l’autre. Un édifice n’a pas nécessairement à être très ancien pour devenir vétuste74. Tel est le

cas d’une construction neuve qui ne serait pas terminée et qui, sans portes et fenêtres, serait laissée aux intempéries pendant quelques années. Un incendie, un dégât d’eau ou une inondation sont autant d’exemples de situations qui peuvent écourter la durée normale du processus de dégradation des matériaux et les rendre inutilisables. A contrario, un édifice centenaire n’est pas nécessairement vétuste s’il a bien été entretenu75. La vétusté immobilière

s’évalue donc d’abord en fonction de l’état physique des composantes d’un édifice plutôt que par leur âge76.

Une fois constatée par l’autorité habilitée à y remédier, la vétusté devient le mécanisme d’ouverture de différents pouvoirs d’intervention. Ces pouvoirs ne conduisent pas tous à la même solution juridique, car l’état d’un immeuble s’apprécie au regard des faits de chaque affaire. À cet égard, la vétusté est une notion susceptible de différents degrés d’application77.

Ainsi, pour être qualifié de vétuste, un édifice doit être dans un état plus grave ou marqué qu’un simple manque d’entretien78, mais il n’a pas nécessairement à être dangereux ou à être

endommagé au point d’être démoli79. Le droit québécois reconnaît d’ailleurs une grande

discrétion aux municipalités et aux tribunaux, qui disposent de plusieurs moyens pour remédier à un état de vétusté, allant de la simple exigence ou ordonnance de rénovation à celle, plus drastique, de démolition80.

73 Hubert REID, avec la collab. de Simon REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, éd. abrégée, Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, « vétusté », p. 419

74 L. LACHANCE et G. C.BRANCONNIER,préc., note 25, 254-255

75 Les tribunaux ont jugé que la vétusté ne constitue pas un vice puisqu’elle est raisonnablement prévisible dans

le cas d’un édifice centenaire (Gélinas c. Beaumier, [1990] R.D.I. 23(C.A.)). En matière de vices cachés, l’âge ancien d’un bâtiment devra amener l’acheteur à être plus prudent (Vermette c. Boisvert, 2017 QCCS 3159, par. 50 conf. par Vermette c. Boisvert, 2019 QCCA 829).

76 L. LACHANCE et G. C.BRANCONNIER,préc., note 25, 254 ; Roy c. Pleszkewycz, 2011 QCCS 2497, par. 70-75

77 Terrebonne (Ville de) c. Charbonneau, 2016 QCCM 30, par. 166

78 Id., par. 143 ; Greenfield Park (Ville de) c. Sanada Realties inc., préc., note 65

79 À cet égard, le second paragraphe de l’article 145.41.5 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme distingue

très bien le cas d’un immeuble vétuste du cas d’un immeuble dont l’état de vétusté est susceptible de porter atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes. Voir par analogie Montréal (Ville de) c. 9083-0902 Québec

inc., 2011 QCCM 19, par. 26

(24)

1.1.1.2 Une notion à distinguer du vice caché

La notion de vétusté est souvent mobilisée en droit de la vente parce qu’elle constitue un moyen d’exonération pour le vendeur poursuivi en vertu de la garantie de qualité des articles 1726 à 1731 du Code civil du Québec81. Alors que le vendeur demeure responsable des vices

cachés, il n’a pas à assumer les réparations qui résultent de la vétusté de l’édifice qu’il a vendu. En effet, la vétusté doit être distinguée du vice caché, car contrairement à celui-ci, l’état de vétusté d’un immeuble est apparent82. Il s’agit d’un état de fait qui peut être

facilement constaté sans qu’il soit nécessaire de recourir à un expert83. La vétusté n’est donc

pas un vice caché au sens de l’article 1726 C.c.Q.84.

1.1.1.3 La vétusté et sa définition en droit commun

La place importante qu’occupe le Code civil dans l’ordre juridique québécois et le rôle prépondérant qui lui a été accordé par rapport à la common law de droit public en vertu de l’article 300 en fait une source essentielle pour enrichir et interpréter le corpus municipal (1.1.1.3.1). La référence à la vétusté dans cinq dispositions différentes du Code civil du

Québec (art. 1160, 1308, 1864, 1890, 2739 C.c.Q.) permet d’éclairer le sens qu’a voulu

conférer le législateur québécois à la notion, qui n’est définie dans aucune loi municipale (1.1.1.3.2).

1.1.1.3.1 L’article 300 du Code civil du Québec et la primauté du droit civil sur la common law de droit public

À titre de « loi fondamentale générale du Québec »,85 le Code civil du Québec constitue un

outil essentiel pour interpréter l’ensemble des lois québécoises. Le second aliéna de la disposition préliminaire de ce texte indique d’ailleurs que : « Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet

81 L. LACHANCE et G. C.BRANCONNIER,préc., note 25, 275 ; Filion c. Fiducie familiale Observatoire, 2018 QCCQ 8886, par. 61

82 L. LACHANCE et G. C.BRANCONNIER,préc., note 25, 251

83 Id. Le deuxième alinéa de l’article 1726 du Code civil indique : « est apparent le vice qui peut être constaté

par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

84 Fecteau c. Pelosse, [2004] no AZ-50226557 (C.Q.) ; Brosseau c. Reid, 2007 QCCQ 4955

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de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »

Le Code civil permet donc d’interpréter et de compléter les lois relatives au domaine municipal86. À titre de personnes morales de droit public87, les municipalités sont également

soumises au Code en vertu de l’article 300:

Les personnes morales de droit public sont d’abord régies par les lois particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables; les personnes morales de droit privé sont d’abord régies par les lois applicables à leur espèce.

Les unes et les autres sont aussi régies par le présent code lorsqu’il y a lieu de compléter les dispositions de ces lois, notamment quant à leur statut de personne morale, leurs biens ou leurs rapports avec les autres personnes.

Même si les municipalités demeurent régies par les lois qui leur sont constitutives, elles sont également régies par le Code civil lorsqu’il y a lieu de compléter les dispositions de ces mêmes lois. La présence du terme « notamment » dans le second alinéa de cet article indique que la liste des situations où le Code civil peut être employé n’est pas limitative88. Ainsi, à

moins d’une définition expresse, claire et précise contenue dans une loi habilitante municipale, les dispositions du Code civil peuvent être utilisées pour compléter et interpréter les articles contenus dans les lois habilitantes des municipalités89.

Puisque les lois québécoises90 emploient le terme « vétusté » sans pour autant le définir, les

dispositions du Code civil relatives à la vétusté peuvent donc être utilisées pour éclairer le sens des dispositions qui font également référence à cette notion. Il en est de même pour certains règlements municipaux qui font référence à la vétusté91. La Cour supérieure a

86 Sur la portée du Code civil à titre de droit commun du Québec, voir M. SAMSON, préc., note 23

87 Loi sur l’organisation territoriale municipale, RLRQ, c. O-9, art. 13 et 210.5 88 Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 18

89 D. LEMIEUX, préc., note 24, à la p. 365. La Cour suprême souligne également dans Doré c. Verdun (Ville), préc., note 88, par. 18: « la vocation complémentaire du Code ne ferme pas la porte à la possibilité qu’une disposition de ce Code restreigne l’application de certaines dispositions de lois particulières s’appliquant aux municipalités si le législateur démontre une intention suffisamment claire et précise à ce sujet. »

90 Préc., notes 55 à 61

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d’ailleurs rappelé en 2016 dans l’affaire Teasdale c. Municipalité de Lac-Tremblant-Nord92

qu’un règlement municipal, à titre de législation déléguée, doit être conforme à la loi qui l’habilite ainsi qu’aux autres lois93. Les règlements municipaux ne peuvent donc pas être

contraires au Code civil du Québec, à moins, évidemment, d’une habilitation réglementaire expresse à cet effet94.

Malgré le rôle reconnu du Code civil en droit municipal, une certaine controverse doctrinale existe au sujet de l’application des règles de common law aux municipalités. En effet, le deuxième alinéa de l’article 300 soulève des questions au sujet de la primauté dont devrait jouir le Code civil par rapport à la common law95. La question qui se pose est la suivante : en

cas de silence des lois municipales sur un sujet, doit-on recourir en premier lieu aux règles de common law ou aux dispositions du Code civil?

Au Québec, depuis l’Acte de Québec de 1774, le droit public tire ses origines de la common law. Cependant, cette reconnaissance n’a pas eu pour effet d’introduire l’ensemble de la common law, mais uniquement celle qui découle du droit public96.

En adoptant le nouvel article 300 du Code civil du Québec en 1994, le législateur n’a pas évacué le possible recours aux règles de common law de droit public qui régissent les municipalités. Au contraire, il reconnaît que les municipalités sont des personnes morales de droit public97. Cependant, il a voulu donner préséance au Code civil du Québec plutôt qu’à

la common law de droit public lorsqu’il s’agit de compléter les dispositions particulières qui encadrent les institutions municipales98. Ainsi, les règles et principes généraux de common

law de droit public peuvent être utilisés en droit municipal dans la mesure où il n’existe pas

92 Teasdale c. Municipalité de Lac-Tremblant-Nord, 2016 QCCS 854 93 Id., par. 30

94 Id., par. 35. Certaines dispositions du Code civil peuvent aussi avoir préséance sur les lois municipales. C’est

le cas de l’article 2930, qui a été jugé d’ordre public par la Cour suprême et dont l’adoption était postérieure à l’article 530 de la Loi sur les cités et villes établissant la courte prescription en matière de préjudice corporel (Doré c. Verdun (Ville), préc., note 88).

95 Alors que le professeur Jacques L’Heureux soumet que la common law de droit public s’applique en premier

lieu pour compléter les dispositions des lois municipales (Jacques L’HEUREUX, « L’effet du Code civil du

Québec sur les municipalités : les règles générales et leur application », (1995) 36 C. de D. 843), les auteurs D.

LEMIEUX, préc., note 24 et P. GARANT préc., note 24 affirment que c’est le Code civil qui a priorité.

96 Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 23, par. 46

97 Loi sur l’organisation territoriale municipale, préc., note 87 art. 13 ; art. 300 al.1 C.c.Q. 98 P. GARANT, préc., note 24, 1146-1148 ; Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 23, par. 27-31

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