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L’absolutisme du droit de propriété : un mythe à déboulonner

1.2 La propriété : un droit limité

1.2.1 L’absolutisme du droit de propriété : un mythe à déboulonner

Le droit de propriété est en quelque sorte le corollaire des pouvoirs d’intervention des municipalités en matière de vétusté, puisque c’est sur la base d’une limitation à ce droit qu’elles peuvent exiger soit l’entretien, soit la démolition d’un édifice. La faculté d’un propriétaire de disposer de son immeuble par dépérissement, de même que les pouvoirs municipaux pour empêcher cette dégradation ont donc tous deux pour socle le régime du droit de propriété, dans son étendue et ses limitations. Afin de circonscrire les assises des pouvoirs municipaux en la matière, nous définirons dans la prochaine section le droit de

254 La référence au caractère mythique de l’absolutisme du droit de propriété est présente dans la doctrine

québécoise depuis le milieu du 20e siècle. Voir Michel POURCELET, « L’évolution du droit de propriété depuis

1866 », dans Jacques BOUCHER et André MOREL, (dir.), Le droit dans la vie économico-sociale. Livre du

centenaire du code civil (II), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1970, p. 3, à la p. 5 ; Réjane

CHARLES, « L’urbanisme créateur d’un nouveau droit foncier », dans Jacques BOUCHER et André MOREL, (dir.),

Le droit dans la vie économico-sociale. Livre du centenaire du code civil (II), Montréal, Presses de l’Université

de Montréal, 1970, p. 51, à la p. 52. Voir également, Jean-Guy CARDINAL, « Le droit de propriété selon le Code civil de la province de Québec », dans Edward MCWHINNEY, (dir.), Canadian jurisprudence. The Civil law and

propriété (1.2.1.1), pour ensuite examiner comment ce droit, qui n’est absolu qu’en principe (1.2.1.2), permet aux tribunaux de reconnaître la primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel lorsqu’un texte législatif limite l’erxercice de ce droit (1.2.1.3).

1.2.1.1 Définition et attributs du droit de propriété

La propriété se définit comme la maîtrise juridique d’un bien255. Pour le propriétaire, cette

maîtrise se fait à l’exclusion de toute autre personne256. En principe, il s’agit d’un droit qui

comporte quatre attributs : l’usus, le fructus et l’abusus et l’accessio257.

Les aspects liés à l’entretien et à la démolition des immeubles vétustes ne touchent pas à l’ensemble de ces quatre attributs. En effet, le fructus et l’accessio sont rarement affectés par des dispositions qui visent à circonscrire l’exercice du droit de propriété pour forcer l’entretien ou la démolition d’immeubles vétustes : le fructus offre au propriétaire le droit de jouir des fruits et revenus générés par le bien258, alors que l’accessio donne au propriétaire le

droit aux produits de ce bien et à ce qui s’y unit de façon naturelle ou artificielle, dès l’union.259

Les dispositions portant sur l’entretien et la démolition d’immeubles vétustes limitent donc surtout l’usus et l’abusus. Certes, les références expresses à l’abusus ou à l’usus sont très rares dans les règlements municipaux ou les dispositions habilitantes municipales, mais l’analyse de ces concepts est nécessaire afin de bien cerner les facultés du propriétaire et de voir dans quelle mesure celles-ci sont limitées.

255 S. NORMAND, préc., note 2, p. 87 ; Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 8e éd., Montréal,

Éditions Yvon Blais, 2018, p. 170

256 Yaëll EMERICH, Droit commun des biens: perspective transsystémique, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 154

257 S. NORMAND, préc., note 2, p. 88

258 Art. 910 C.c.Q. 259 Art. 948 C.c.Q.

L’usus ou l’usage concerne l’utilisation et la jouissance du bien260. Il s’agit, pour le

propriétaire, de la faculté d’utiliser son bien comme il l’entend261. En matière de vétusté

immobilière, la notion d’usus intervient surtout en termes d’entretien, car si l’usus permet d’entretenir un édifice, cet attribut offre également au propriétaire la faculté de le laisser se dégrader262. Les dispositions qui forcent l’entretien d’un immeuble limitent donc l’usus263.

L’abusus, quant à lui, est l’attribut qui offre au propriétaire la faculté de disposer de son bien, tant physiquement que juridiquement264. La vente ou le legs sont les façons les plus

communes de disposer de son bien d’un point de vue juridique. Toutefois, sur le plan physique, l’abusus confère également au propriétaire la faculté d’abandonner son bien265.

C’est aussi l’abusus qui permet à un propriétaire de démolir son bien s’il le souhaite. Les dispositions qui restreignent la libre disposition d’un bien limitent l’abusus266.

En somme, on constate qu’en matière de vétusté, l’usus concerne surtout l’entretien d’un immeuble alors que l’abusus concerne davantage sa démolition. Cependant, cette frontière peut paraître mince dans certains cas, notamment lorsque le manque d’entretien d’un immeuble peut conduire à sa démolition. Comme nous le verrons, la validité des dispositions limitant l’usus et l’abusus a été reconnue par les tribunaux lorsque ces derniers ont eu à les interpréter au regard du droit de propriété.

260 P.-C. LAFOND, préc., note 2, p. 263

261 En matière de zonage, l’usage renvoie au type d’activités permises sur un immeuble dans une portion du

territoire délimitée par les autorités municipales. Ainsi en sera-t-il d’un usage commercial ou résidentiel. Cet usage détermine la destination de l’immeuble (J.-M. AUDET, préc., note 54, p. 148).

262 Voir notamment Sorel-Tracy (Ville de) c. St-Sauveur, 2007 QCCS 3295, par. 12

263 L’article 48 de la Loi sur le patrimoine culturel, qui rend conditionnelle à une autorisation ministérielle

préalable toute procédure d’altération, de restauration, de réparation ou de modification d’un immeuble patrimonial classé est une disposition qui limite l’exercice de l’usus afin de protéger le patrimoine culturel.

264Anglo Pacific Group PLC c. Ernst & Young inc., 2013 QCCA 1323, par. 43 265 S. NORMAND, préc., note 2, p. 90 et 91

266 L’interdiction de vendre un immeuble patrimonial classé sans avoir donné un avis préalable au ministre au

sens de l’article 54 de la Loi sur le patrimoine culturel est une illustration d’une limite apportée au droit de disposer de son bien juridiquement, alors que l’interdiction de démolir sous réserve d’une autorisation ministérielle est un exemple de disposition limitant la disposition physique d’un immeuble.

1.2.1.2 Une reconnaissance historique de la primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt particulier

L’histoire du droit de propriété au Québec doit être lue à la lumière d’un facteur important, soit la présence du régime seigneurial pendant près de deux cents ans. En effet, avant 1854, ce régime divisait la propriété en deux, réservant au censitaire le domaine utile et au seigneur, le domaine éminent267. Après l’abolition du régime seigneurial, le droit de propriété est

réunifié. Cette réunification est d’ailleurs consacrée au moment de rédiger le Code civil du

Bas-Canada. Lors de son adoption, en 1866, le Code définissait ainsi, à son article 406, le

droit de propriété comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ».

Même si cet article reconnaît que le droit de propriété s’exerce « de la manière la plus absolue », il n’en demeure pas moins qu’il contient également une limitation importante : l’« usage prohibé par les lois ou les règlements ». Ce cran d’arrêt à l’absolutisme était également prévu à l’article 544 du Code Napoléon de 1804, que les commissaires choisirent de reprendre intégralement lors du processus de codification268. Il faut rappeler que le droit privé

québécois est demeuré d’origine française depuis l’Acte de Québec de 1774. En conséquence, l'Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières

civiles et à la procédure prévoyait que les commissaires avaient l’obligation d’inclure dans

le Code les normes d’origine française en matière civile, à moins qu’elles n’aient été expressément écartées par le droit colonial d’alors269. C’est entre autres pour cette raison que

le Code Napoléon est à l’origine de plusieurs dispositions du Code civil du Bas-Canada, notamment celles portant sur la propriété270. Les propos de Portalis dans les travaux

267 S. NORMAND, préc., note 2, p. 84-85

268 Id., p. 85-86 ; P.-C. LAFOND, préc., note 2, p. 18; L’article 544 du Code Napoléon indique : La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Voir également Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, par. 107

269 Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières civiles et à

la procédure, 1857, 20 Vict., c. 43), préambule et art. 6

270 Id., art. 7. Cet article indique d’ailleurs que le Code civil et Code de procédure civile « seront rédigés sur le

même plan général et contiendront, autant que cela pourra se faire convenablement, la même somme de détails sur chaque sujet, que les codes français connus sous le nom de code civil, code de commerce et code de

préparatoires du Code civil permettent à cet égard d’éclairer les origines de la protection accordée à la propriété en droit bas-canadien :

Comme il est des propriétés d’une telle nature que l’intérêt particulier peut se trouver facilement et fréquemment en opposition avec l’intérêt général dans la manière d’user de ces propriétés, on a fait des lois et des règlements pour en diriger l’usage. (…) Dans nos grandes cités, il importe de veiller sur la régularité et même sur la beauté des édifices qui les décorent. Un propriétaire ne saurait avoir la liberté de contrarier par ses constructions particulières les plans généraux de l’administration publique. (…) Dans toutes ces occurrences, il faut soumettre toutes les affectations privées, toutes les volontés particulières, à la grande pensée du bien public271.

On comprend, à la lumière de cette définition, que l’intention du législateur français était effectivement d’accorder une importance au droit de propriété272, mais également d’ouvrir la

porte à des interventions législatives ultérieures fondées sur l’intérêt général, notamment en matière d’urbanisme273. À cet égard, la logique « d’absolutisme limité » prévue au Code

Napoléon a été reprise dans le Code civil du Bas-Canada. Les commissaires chargés de la codification des lois du Bas-Canada en matière civile affirment d’ailleurs dans leur rapport que « la propriété est le droit de jouir et de disposer de la chose qui y est sujette, et cela sans autres restrictions que celles imposées par les lois dans l’intérêt général »274. Ainsi, par sa

définition même, le droit de propriété est sujet à des limitations importantes qui réduisent, tant dans l’intérêt général que dans l’intérêt privé, la portée de son caractère absolu275.

271 P-A FONTENET, préc., note 1; Raymond DERINE, Le droit de propriété en France et en Belgique au XIXe

siècle : droit absolu et quasi illimité? Contribution à l’histoire du droit privé moderne, Léopoldville, Éditions

de l’Université, 1959, p. 40

272 Le droit de propriété est quand même contenu dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de

1789 (art. 17)

273 R. DERINE, préc., note 271, p. 41 ; Christian ATIAS, Un droit inviolable et sacré : la propriété, Paris, ADEF, 1991, p. 18

274 CANADA (ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE), Code civil du Bas-Canada. Premier, Second et Troisième Rapports., Québec, George E. Desbarats, 1865, p. 368

275 Y. EMERICH, préc., note 256, p. 231 ; P.-C. LAFOND, préc., note 2, p. 403 ; Serge PICHETTE, « La relativité du droit de propriété », (1990) 24 R.J.T. 529, 533. Déjà, en 1901, les tribunaux reconnaissaient les limites de cet absolutisme : « le droit de propriété, tout absolu qu'il soit, est sujet à une foule de limitations dans l'intérêt public: l'alignement, la hauteur des bâtisses, la mitoyenneté, l'épaisseur des murs, ainsi que leur démolition au cas où ils menacent ruine, et lorsqu'il s'agit de l'intérêt privé, le droit de jouir d'une propriété comporte l'obligation de laisser le voisin jouir également de la sienne. » (Montreal Street Railway Co. c. Gareau, 1901 10 B.R. 417).

Lors de l’adoption du Code civil du Québec en 1991, le législateur québécois a repris sensiblement la même définition que celle prévue dans le Code civil du Bas-Canada, confirmant ainsi « l’attachement du droit québécois à la conception relative du droit de propriété »276. Le ministre de la Justice de l’époque, Gil Rémillard, a d’ailleurs fait état de

cette approche dans les Commentaires du ministre accompagnant le Code civil du Québec en affirmant que : « lors de la codification en 1866, on a considéré le droit de propriété comme le droit le plus absolu, mais, depuis, l’on reconnaît que ce droit a subi plusieurs atteintes, afin d’aménager notamment les droits respectifs de multiples propriétaires et de protéger l’intérêt général; les nombreuses restrictions établies par les règlements d’urbanisme ou de zonage en témoignent »277. Le ministre ajoute également que l’article 947 « nuance un peu plus la

définition apportée au droit de propriété, tenant compte en cela des restrictions qui y ont été apportées depuis 1866, tant dans l’intérêt général que dans l’intérêt privé, et des changements intervenus, depuis lors, dans l’exercice de ce droit » 278. Le législateur québécois reconnaît

donc depuis 1866 et de manière encore plus affirmée depuis 1991, que l’exercice du droit de propriété est suceptible de limitations pour favoriser l’intérêt général.

Qui plus est, la possibilité d’aménager l’exercice du droit de propriété n’est pas limitée du point de vue constitutionnel, puisque le droit de propriété ne jouit pas d’une protection en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Malgré plusieurs initiatives visant la constitutionnalisation du droit de propriété, dont celle de Pierre Elliott Trudeau lors de la présentation initiale d’un projet de charte en 1968, son enchâssement dans un texte supra- législatif a fait l’objet de réserves279. Les craintes exprimées par plusieurs provinces quant à

l’invalidation possible de certaines lois sur la protection du territoire et de l’environnement ainsi que par des nations autochtones au sujet de leurs revendications territoriales ont freiné la volonté du gouvernement fédéral280. Bien que le droit de propriété soit reconnu à différents

degrés par les conventions internationales auxquelles est partie le Canada, dont la

276 Gérald GOLDSTEIN, « La relativité du droit de propriété : enjeux et valeurs d’un Code civil moderne », (1990) 24 R.J.T. 505, 528

277 QUÉBEC (MINISTÈRE DE LA JUSTICE), Commentaires ministre de la Justice. Le Code civil du Québec, t.1, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 554 et 555

278 Id., p. 556

279 A.-F. DEBRUCHE, préc., note 13, à la p. 209

280 David JOHANSEN, Le droit de propriété et la Constitution, Ottawa, Bibliothèque du Parlement (Service de recherche), octobre 1991, no BP-268F, p. 13 et 14.

Déclaration universelle des droits de l’homme281, son statut n’est pas officiellement

constitutionnalisé282.

En 1975, la protection quasi constitutionnelle de la propriété a cependant été consacrée à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne. Le Code civil régissant « en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens »283, l’analyse

historique de l’article 6 demeure fondamentale pour mesurer l’étendue de la protection juridique accordée à la propriété en droit québécois. Lors de la présentation du projet de loi initial, en 1974, la disposition protégeant le droit de propriété ne contenait aucune limitation et se lisait de la manière suivante : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens284 ».

Cependant, lors des travaux de la Commission permanente de la justice, le ministre Jérôme Choquette a présenté une version modifiée du projet de loi et a finalement choisi de ne pas inclure le droit de propriété parmi les droits fondamentaux protégés par la Charte285. Prenant

l’exemple de la Loi sur les biens culturels286 ou des dispositions de protection des locataires

contenues dans le Code civil,287 le ministre justifiait ainsi cette décision :

Devant la constatation que beaucoup de lois gouvernementales, aujourd'hui, ont un caractère social et que le droit de propriété a cessé d'avoir un caractère sacré, comme il pouvait en avoir un au 19e siècle, devant ces impératifs, nous nous

281 L’article 17 de cette déclaration énonce : « 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la

propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. »

282 La Déclaration canadienne des droits ne protège pas non plus le droit de propriété. Voir Authorson c.

Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, par. 51 et 52

283 Préambule, C.c.Q.

284 Loi sur les droits et libertés de la personne, projet de loi no 50 (première lecture –1974), 2e sess., 30e légis.,

art. 5

285 Charte des droits et libertés de la personne, projet de loi no 50 (réimpression-première lecture-1975), 3e

sess., 30e légis.

286 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commissions parlementaires, Commission permanente de la justice, 3e sess., 30e légis., 23 janvier 1975, « Étude détaillée du projet de loi no 50 - Loi

concernant les droits et libertés de la personne (3) », p. B-460

287 QUÉBEC,ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commissions parlementaires, Commission permanente de la justice, 3e sess., 30e légis., 25 juin 1975, « Étude détaillée du projet de loi no 50 - Loi

sommes dit qu'il ne fallait pas inclure dans la charte le droit de propriété comme un droit fondamental288.

Le ministre croyait également qu’il n’était pas nécessaire de protéger un tel droit puisque ce dernier était tellement susceptible de limitations, que son insertion dans la Charte aurait pu paraître uniquement principielle, voire sans effet289. De son côté, le chef de l’opposition et

professeur Jacques-Yvan Morin souhaitait que la propriété soit protégée. Il proposait à cet effet d’inclure dans la Charte la définition de ce droit élaborée par l’Office de révision du Code civil290. À son avis, l’inclusion d’une telle disposition dans la Charte n’aurait pas pour

effet de limiter la faculté du législateur d’y porter atteinte, puisqu’il fallait distinguer la protection accordée à la « jouissance paisible » et «la libre disposition » de celle accordée au droit de propriété en lui-même :

L’article n'empêche en aucune façon un État qui se veut "moderne" (…) de prendre, dans l'intérêt public, à l'encontre de la propriété privée, les mesures qui s'imposent. (…) Cet article ne consacre pas le droit absolu à la propriété; ce n'est pas ça qu'il fait (…) il dit que, dans les limites prévues par la loi, si un droit de propriété est reconnu à un individu, il a le droit d'en avoir la jouissance paisible. On n'a pas le droit d'aller le déranger dans la jouissance de son bien si la loi lui reconnaît la propriété de ce bien. Vous voyez, c'est tout à fait différent du droit de propriété qui comporte, le ministre le sait, l'usus, l'abusus, l'usus fructus. Là, il s'agit seulement de la jouissance paisible d'un bien dont la propriété est par ailleurs reconnue par la loi291.

À la suite de ces discussions, il fut finalement convenu de privilégier un compromis, à mi- chemin entre l’absence totale de protection et une protection très large. Cette position mitoyenne a conduit à l’adoption de l’article 6 tel que nous le connaissons aujourd’hui : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi ».

Justifiant sa décision, le ministre de la Justice affirmait que cet article était en mesure de « satisfaire les deux thèses, parce qu’(il) (…) permet quand même des exceptions prévues (…)

288 Id., p. B-5000 289 Id., p. B-5002

290 Id., p. 5008. Cette définition était la suivante : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre

disposition de ses biens, sauf dans les cas expressément prévus par la loi ».

par d'autres lois. Cet article n'assure pas un caractère absolu au droit de propriété. Par contre, il consacre quand même le droit, pour chacun, à la libre jouissance de ses biens292. » Il est

par ailleurs intéressant de noter que le ministre a choisi d’ajouter à l’article la formule « dans la mesure prévue par la loi » alors que l’opposition lui aurait préféré « sauf dans les cas

expressément prévus par la loi ». Les commentaires du ministre laissent deviner que l’objectif

derrière ce choix était de permettre des atteintes législatives à la propriété sans qu’une mention expresse à cet effet soit nécessaire293.

Les débats entourant l’article 6 permettent de conclure que le Parlement n’a pas voulu limiter sa souveraineté en empêchant l’adoption de lois ou de règlements attentatoires au droit de propriété. Au contraire, l’histoire démontre que le législateur québécois a favorisé, lors de