2.2 Des recours encadrés par une protection jurisprudentielle minimale du droit de
2.2.3 Une solution pour remédier à la vétusté de manière définitive : le nouveau
sur l’aménagement et l’urbanisme
Depuis 2017, les municipalités disposent, en vertu des articles 145.41.1 à 145.41.5 de la Loi
sur l’aménagement et l’urbanisme, de nouveaux pouvoirs pour forcer l’entretien d’un
immeuble750. Cette série de nouveaux articles est complémentaire à l’article 145.41 qui existe
depuis 2004 et qui permet aux municipalités d’adopter un règlement sur l’entretien des immeubles751. En effet, dans le cas où le propriétaire d’un immeuble n’effectue pas les
travaux nécessaires pour se conformer à ce règlement, une municipalité peut enclencher un processus administratif qui lui permet d’inscrire au registre foncier un avis obligeant le propriétaire de l’immeuble à effectuer les travaux requis (2.2.3.1). Ces articles nouveaux permettent aux collectivités locales d’agir de manière préventive pour assurer l’entretien adéquat d’un immeuble, notamment d’un immeuble patrimonial752. Ils offrent également aux
municipalités la possibilité d’avoir recours à l’expropriation ou à l’acquisition de gré à gré
749 Ste-Agathe-des-Monts (Ville de) c. Amzallag, préc., note 396, par. 179 et 211
750 La Ville de Québec et la Ville de Montréal disposent également de tels pouvoirs en vertu des articles 105.1
à 105.6 de l’annexe C de la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec et des articles 50.1 à 50.6 de l’annexe C de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec.
751 Au sujet de ce pouvoir réglementaire, voir la section 2.1.1 Un pouvoir large pour régir l’occupation et
l’entretien des bâtiments vétustes: l’article 145.41 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme
752 Au moment d’écrire ces lignes, aucune décision relative à ces articles n’avait encore été rendue par les
tribunaux. Ce sont donc uniquement les dispositions et les débats parlementaires qui permettent d’éclairer la portée de ces pouvoirs récents.
(2.2.3.2) pour remédier définitivement à l’état de vétusté d’un immeuble devenu vacant ou dangereux sans avoir besoin de s’adresser préalablement à la Cour supérieure.
2.2.3.1 Une sanction préliminaire : l’inscription d’un avis de détérioration par le conseil municipal
Lorsqu’un propriétaire ne respecte pas à l’avis prévu au deuxième alinéa de l’article 145.41 lui indiquant de se conformer au règlement sur l’entretien des immeubles, le conseil peut requérir l’inscription sur le registre foncier d’un avis de détérioration753. L’inscription d’un
avis de détérioration permet d’éviter qu’un propriétaire manque à son devoir d’effectuer les travaux sur son immeuble en le vendant à une autre personne. L’avis de détérioration est donc un moyen de contrôle à la disposition des municipalités pour s’assurer que les travaux soient effectués, peu importe qui est le propriétaire de l’immeuble754.
L’article 145.41.1 indique que la réquisition d’avis d’inscription doit être faite par le conseil municipal. Ainsi, une résolution est nécessaire pour inscrire cet avis au registre foncier755.
De plus, il doit être notifié dans les 20 jours au propriétaire ainsi qu’à tout titulaire d’un droit réel sur l’immeuble inscrit au registre foncier756.
753 Un tel avis de détérioration ne peut cependant pas être inscrit à l’égard d’un immeuble qui est la propriété
d’un organisme public au sens de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection
des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1 (art. 145.41.1 al. 2 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C, art. 105.2 al. 2 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.2 al. 2). Comme le prévoit l’article 3 de cette loi : « sont
des organismes publics: le gouvernement, le Conseil exécutif, le Conseil du trésor, les ministères, les organismes gouvernementaux, les organismes municipaux, les organismes scolaires et les établissements de santé ou de services sociaux ». De même, « sont assimilés à des organismes publics, aux fins de la présente loi: le lieutenant-gouverneur, l’Assemblée nationale, un organisme dont celle-ci nomme les membres et une personne qu’elle désigne pour exercer une fonction en relevant, avec le personnel qu’elle dirige (…) les organismes publics ne comprennent pas les tribunaux au sens de la Loi sur les tribunaux judiciaires ».
754 MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, préc., note 16
755 Les chartes des villes Montréal et Québec indiquent que ce pouvoir appartient au comité exécutif (Charte de
la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C, art. 105.2 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.2). Dans le cas de la Ville de Québec, ce
pouvoir a été délégué au directeur de la Division de la gestion du cadre bâti, au directeur de la Division de la gestion territoriale et au directeur de la Division du contrôle du milieu (Règlement intérieur du comité exécutif
sur la délégation de pouvoirs, préc., note 391, art. 50, al. 2). Dans le cas de la Ville Montréal, ce pouvoir a été
délégué au fonctionnaire de niveau A du Service de l’habitation (Règlement intérieur du comité exécutif sur la
délégation de pouvoirs aux fonctionnaires et employés, préc., note 391, art. 41.15 (2)).
756 Art. 145.41.3 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C,
L’avis de détérioration doit contenir les informations suivantes :
- La désignation de l’immeuble concerné ainsi que le nom et l’adresse de son propriétaire;
- Le nom de la municipalité et l’adresse de son bureau ainsi que le titre, le numéro et la date de la résolution par laquelle le conseil requiert l’inscription;
- Le titre et le numéro du règlement pris en vertu du premier alinéa de l’article 145.41;
- Une description des travaux à effectuer757.
Contrairement à l’avis de l’article 145.41, qui nécessite qu’un délai soit établi pour effectuer les travaux, l’article 145.41.1 ne prévoit pas la nécessité d’indiquer un délai dans l’avis de détérioration inscrit au registre foncier. Cependant, une municipalité ne peut procéder à l’acquisition de l’immeuble n’ayant pas fait l’objet de travaux correctifs qu’après un délai de 60 jours suivant l’inscription de l’avis de détérioration au registre foncier758. Au minimum,
le propriétaire contrevenant dispose donc d’un délai de 60 jours après l’inscription de l’avis de détérioration pour effectuer les travaux et ainsi éviter l’acquisition forcée de son immeuble par la municipalité759.
Lorsque la municipalité constate que les travaux exigés dans l’avis de détérioration ont été effectués, le conseil doit, par résolution, dans les 60 jours760 de la constatation, requérir
l’inscription sur le registre foncier d’un avis de régularisation761. Cet avis doit contenir, outre
757 Art. 145.41.1 al. 1 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe
C, art. 105.2 al. 1 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.2 al. 1
758 Art. 145.1.5 al. 1 L.a.u.
759 Le verbe « effectuer » renvoie nécessairement à la complétude des travaux et non à leur simple
commencement. Voir art. 145.41. 2 L.a.u.
760 Dans le cas de la Ville de Montréal, ce délai est de 20 jours (Charte de la Ville de Montréal, métropole du
Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.3).
761Art. 145.41.2 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C,
art. 105.3 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.3. Dans le cas de la Ville de Québec, ce pouvoir a été délégué au directeur de la Division de la gestion du cadre bâti, au directeur de la Division de la gestion territoriale et au directeur de la Division du contrôle du milieu (Règlement
intérieur du comité exécutif sur la délégation de pouvoirs, préc., note 391, art. 50, al. 3). Dans le cas de
Montréal, ce pouvoir a été délégué au fonctionnaire de niveau A du Service de l’habitation (Règlement intérieur
les renseignements que l’on retrouve dans l’avis de détérioration de l’article 145.41.1, le numéro d’inscription sur le registre foncier de cet avis de détérioration ainsi qu’une mention selon laquelle les travaux qui y sont décrits ont été effectués. Cet avis doit être notifié dans les 20 jours au propriétaire ainsi qu’à tout titulaire d’un droit réel sur l’immeuble inscrit au registre foncier762.
Le législateur a choisi de rendre accessibles au grand public les avis de détérioration sur le territoire de chaque municipalité. En effet, en plus de se retrouver au registre foncier, ces avis doivent être contenus dans une liste publique que doit tenir une municipalité pour les immeubles à l’égard desquels un avis de détérioration est inscrit sur le registre foncier763.
Cette liste contient, pour chaque immeuble, l’ensemble des renseignements requis dans l’avis de détérioration764. Elle est publiée sur le site internet de la municipalité ou, si elle n’en
possède pas, sur celui de la MRC dont le territoire comprend le sien765. Lorsqu’un avis de
régularisation est inscrit sur le registre foncier, la municipalité doit retirer de cette liste toute mention qui concerne l’avis de détérioration lié à cet avis de régularisation766.
2.2.3.2 Une solution ultime : l’acquisition de l’immeuble vétuste de gré à gré ou par expropriation
Lorsque les travaux exigés dans l’avis de détérioration n’ont pas été effectués, une municipalité peut procéder à l’acquisition de l’immeuble visé de gré à gré ou par expropriation. Le pouvoir prévu à cet article ne nécessite donc pas une autorisation préalable de la Cour supérieure pour être exercé, comme c’est le cas pour les recours prévus aux articles 145.41.1, 227 ou 231 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Ce pouvoir d’acquisition
762 Art. 145.41.3 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C,
art. 105.4 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.4
763 Art. 145.41.4 al. 1 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe
C, art. 105.5 al. 1 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.5 al.1
764 Art. 145.41.4 al. 2 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe
C, art. 105.5 al. 2 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.5 al. 2
765 Art. 145.41.4 al. 1 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe
C, art. 105.5 al. 1 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.5 al. 1
766 Art. 145.41.4 al. 3 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe
C, art. 105.5 al. 3 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.5 al. 3
est cependant subordonné à l’existence de deux conditions, prévues à l’article 145.41.5 de la
Loi sur l’aménagement et l’urbanisme767.
La première condition est relative au délai. À cet égard, la loi indique qu’une municipalité ne peut procéder à l’acquisition d’un immeuble sans que l’avis de détérioration qui le concerne ait été inscrit au registre foncier depuis au moins 60 jours768. La seconde condition concerne
l’état dans lequel l’immeuble doit se trouver lorsqu’une municipalité souhaite débuter le processus d’acquisition. L’immeuble visé doit posséder l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes relatives à son occupation ou son entretien :
- Il doit être vacant, au moment de la signification de l’avis d’expropriation769
depuis la période que le conseil fixe par règlement, laquelle ne peut être inférieure à un an770.
OU
- Son état de vétusté ou de délabrement doit présenter un risque pour la santé ou la sécurité des personnes.
La version initiale de l’article 145.41.5 ne prévoyait aucune condition à l’exercice du pouvoir d’acquisition, si ce n’est que le respect du délai de 60 jours. Une municipalité pouvait donc procéder à l’acquisition de l’immeuble même s’il n’était pas vacant ou que son état de vétusté ne représentait pas un risque pour la santé ou la sécurité des personnes. Toutefois, lors du travail en commission parlementaire précédant l’adoption de cet article, le ministre des Affaires municipales a déposé un amendement pour modifier la version initiale de l’article 145.41.5 afin de « faire preuve d'une certaine prudence pour éviter l'exagération dans l'utilisation de ces pouvoirs »771. Cet amendement avait pour objectif de restreindre
767 Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47, annexe C, art. 105.6 ; Charte
de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.6
768 Art. 145.41.5 al. 1 L.a.u. ; Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec, préc., note 47,
annexe C, art. 105.6 al. 1 ; Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, préc., note 46, annexe C, art. 50.6 al. 1
769 L’article 145.41.5 L.a.u. réfère à cet égard à l’article 40 de la Loi sur l’expropriation, RLRQ c. E-24. La
procédure d’expropriation se fait suivant les articles 35 à 57 de la Loi sur l’expropriation.
770 Le conseil doit donc prévoir dans son règlement sur l’entretien des bâtiments une durée minimale
d’inoccupation pour permettre l’application de l’article 145.41.5 L.a.u.
l’utilisation de l’article 145.41 aux immeubles « dont l’occupation présente un risque pour la santé et la sécurité des personnes »772. Craignant que cet amendement ne diminue la capacité
d’intervention des municipalités, l’opposition officielle avait alors exigé que l’on élimine le critère de l’occupation de l’immeuble773. L’article fut finalement modifié dans cette
perspective par l’ajout de l’expression « dont l'état de délabrement présente un risque pour la santé ou la sécurité des personnes »774. Le risque pour la santé ou la sécurité des personnes
de l’article 145.41.5 (2) s’évalue donc en fonction des circonstances de chaque espèce, que l’immeuble soit occupé ou non. À cet égard, la possibilité qu’un intrus se blesse en pénétrant à l’intérieur de l’édifice ou qu’un incendie s’y déclare sont des exemples de situations qui peuvent être visées par cet article775. De plus, il n’est pas nécessaire que l’immeuble ait
effectivement porté atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes : il suffit qu’il présente un risque à cet égard.
L’article 145.41.5 fut également modifié de manière postérieure776, afin de permettre aux
municipalités d’acquérir un immeuble vacant. Dans ce cas de figure prévu au premier paragraphe de l’article 145.41.5, l’édifice n’a pas besoin de présenter un risque pour la sécurité des personnes, il doit seulement être inoccupé depuis au moins un an. Ce critère s’évalue non pas en fonction de l’état physique de la construction, mais en fonction d’une question de fait, relative à la période pendant laquelle l’immeuble n’a pas été occupé.
Après avoir procédé à l’acquisition d’un immeuble vétuste par expropriation ou de gré à gré, une municipalité peut ensuite l’aliéner, à titre onéreux, à toute personne ou, à titre gratuit, à une personne visée à l’article 29 ou 29.4 de la Loi sur les cités et villes777. Il est donc possible
772 Id., p. 25 773 Id., p. 27 774 Id., p. 28
775 Id., p. 27 ; À titre d’analogie, le risque que des briques de la façade d’un bâtiment chutent sur la voie publique
peut être pris en compte pour évaluer la dangerosité d’une construction au sens de l’article 231 L.a.u. (voir section 2.2.2.1.2.3 Le critère de la dangerosité de l’immeuble).
776 L’article a été modifié avant l’adoption de la loi et en dehors des travaux parlementaires pour ajouter le
critère de la vacance prévu à l’article 145.41.5 al.1 (1).
777 Comme le prévoient ces deux articles, ces personnes peuvent être un établissement public au sens de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 61 ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris, RLRQ, c. S-5 une commission scolaire, un collège
d’enseignement général et professionnel ou un établissement visé par la Loi sur l’Université du Québec, RLRQ, c. U-1, la Société québécoise des infrastructures, un centre de la petite enfance ou une garderie au sens de la
par ce moyen d’aliéner l’immeuble à une personne qui pourra le restaurer ou le rénover et ainsi mettre un terme définitif à son état de vétusté.