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L'appel de l'environnement

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Academic year: 2021

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L’appel de l’environnement

Sociologie des pratiques écologiques

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« Sociologie des imaginaires »

Directeur de collection Jean-Bruno R Comité scientifique

Philippe J, Jean-Marc R, Jean-Bruno R, Patrick T, Martine X

La collection « Sociologie des imaginaires » a pour objectif de publier des ouvrages permettant de comprendre comment les univers symboliques déterminent des pratiques sociales.

Cette investigation sur les imaginaires sociaux combine deux grands axes. Le premier concerne la phénoménologie de l’action collective et s’intéresse par exemple à la dynamique du mythe ou des idéologies politiques. Le deuxième axe est une étude herméneutique sociographique des images, des symboles et des allégories qui ont pour fonction d’asseoir les représentations du social dans diverses modalités (associations, partis ou communautés d’intérêt).

À partir de ce point de vue, les ouvrages de la collection visent à éclairer et à mieux comprendre les mutations sociales.

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Collection « Sociologie des imaginaires »

L’appel de l’environnement

Sociologie des pratiques écologiques

Hélène H



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Illustration de couverture :

Sustainability of Earth (Soutenabilité de la Terre) Copyright © vectomart.

Mots-clés : écologie, imaginaire, nature, risque, santé, territoire.

Tous droits réservés, PULM, .

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Avant-propos

Nous parlons d’écologie depuis une bonne trentaine d’années, mais la dis-cipline reste nouvelle. Mon premier souci a été de poser les bases pour une sociologie de l’environnement afin de mieux situer les pratiques écologiques immergées dans les sociétés occidentales, et plus particulièrement dans la société française. En France Edgar Morin et Serge Moscovici sont parmi les premiers sociologues à avoir eu l’intuition que la tendance écologique allait faire partie du social et qu’elle allait trouver sa place dans la société civile. C’est chose faite diront certains, cela en est même agaçant pour d’autres : trier, manger bio, ne pas polluer, penser nature, sont objets de lassitude, voire de mépris. D’où mon second souci : parvenir à montrer le chemin par-couru et les enjeux actuels d’une sociologie de l’environnement. L’écologie fait partie de ces pratiques qu’il faut continuellement souligner car elles représentent le ciment de la vie sociale, ce ciment si souvent rappelé, pensé, interprété, montré, revivifié par la conscience collective mais aussi la commu-nauté des chercheurs. Encore faut-il le montrer, c’est ce à quoi je me suis atta-chée. L’écologie est à un carrefour et si nous n’y prenons garde elle pourrait connaître le sort que les communautés ont connu au  siècle : le retranche-ment, l’oubli, la fuite, le mépris pour la chose commune. La perspective que nous sommes en crise depuis  a pour résultat ou volonté d’éclipser les mouvements sociaux qui dérangent l’ordre économique et social. La chose n’est pas nouvelle mais le principe de domination a trouvé un allié en la crise qui veut nous faire croire qu’en des temps de décroissance, l’ambiance n’est plus au vert, mais à des choses plus sérieuses comme le chômage, la bourse, l’essence, le bâtiment. Or, justement, les mouvements écologiques se posi-tionnent aujourd’hui de manière assez tranchée face à ces questions. Notre approche sociologique est celle d’une réflexion d’« animation », au sens d’ani-mer les âmes autour de l’écologique. Elle illustre des pratiques structurantes fondées sur les enjeux théoriques et empiriques de la discipline.

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Introduction

La question écologique

Notre société est préoccupée par son environnement et inquiète à propos du sort des êtres vivants. Scientifiques, économistes et écologistes en on fait un cheval de bataille. Cela a donné naissance à des stratégies et des politiques environnementales autour du développement économique et social des ter-ritoires ¹. Au fondement de cette évolution nous trouvons une réflexion sur nos sociétés productivistes et notre civilisation moderne qui a engendré des phénomènes d’incertitudes. La thématique du risque reste une idée large-ment répandue au  siècle à tel point que la plupart des sociologues tra-vaillant sur le sujet en ont fait la caractéristique dominante de nos sociétés (Beck, Duclos, Peretti-Watel). La notion de risque est devenue un maître mot pour expliquer la vie sociale : traditions, rites, défis mais aussi structuration de l’ordre social (Giddens). Progressivement, la notion a été étendue à des champs de plus en plus larges de l’activité sociale, mais toujours pour en sou-ligner sa part de danger. Pour moi, il s’agit là d’un fil rouge que nous pouvons situer à travers les dimensions toxiques et donc nocives que la société civile prête aux comportements, mais aussi aux psychotropes, aux matières pre-mières, aux produits alimentaires, aux cultures agricoles, à l’eau, à l’air. Cer-tains enjeux en ressortent dont celui de la santé environnementale, dans le cadre traditionnel porté par la sociologie de la santé dont nous présentons quelques aspects dans cet ouvrage. Il existe un enchaînement habile et avisé entre le social et la santé : tout ce qui n’est pas normal ressort du domaine de la santé (Canguilhem) qui s’en empare et le traite dans le cadre d’une médi-calisation des problèmes, ici environnementaux. Cette perspective ne peut pas être ignorée, lorsque le social est pris d’assaut au nom du vital.

. Gilles F (dir.), Tourisme et Territoires, Fernelmont, Éditions Modulaires Euro-péennes et Intercommunications, .

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 L’appel de l’environnement

Il se dessine également des volontés pour remettre en avant, ou du moins replacer dans les débats, les idées démocratiques qui ont contribué à faire émerger le social (Tocqueville, Paugam). Les inégalités sociales sont aussi environnementales, nos choix de consommation et de production sont débattus au sein des politiques territoriales. Ce sont aussi des armes pour le développement. Nous aborderons ce point de débat.

Si la nature se présente comme le refuge idéal et la Mère protectrice (dont le grand inspirateur reste Rousseau), la technologie et l’économie restent elles, l’horizon des réflexions actuelles sur la crise. De fait l’écologie échoue souvent en matière d’actions concrètes, notamment juridiques. Nous abor-derons les questions relatives à l’économie et aux politiques sociales à travers le thème du développement durable et de la « social-écologie ».

Même si le mouvement écologique peine à se faire entendre sur le plan politique ¹ et industriel ; tout est fait commercialement autour de nous pour nous rappeler l’urgence environnementale à sauver la planète et la néces-sité par conséquent pour le citoyen d’agir. En se penchant sur les principes défendus et les engagements pris lors des sommets sur l’environnement, cela laisse perplexe dans la mesure où les décisions politiques n’en découlent pas. Le juridique reste faible. Peu de textes donnent lieu à des lois et des réglementations.

C’est que dans le cas des biens environnementaux, il n’existe pas de marché, donc pas de système de prix qui signale la rareté relative des biens. Pour autant l’absence de prix visible ne signifie pas que ces biens n’ont pas de valeurs ².

Nous verrons pourtant que l’économie s’est assez facilement adaptée à ce problème par l’introduction d’une valeur environnementale contingente sur le marché des biens et services (le capitalisme vert, véritable enjeu éco-nomique et financier). C’est davantage du côté des mouvements sociaux et du militantisme que nous retrouvons la dimension politique. Une sociolo-gie politique, imprégnée des mouvements sociaux serait à cet égard perti-nente, nous n’en verrons qu’un bref aperçu à travers la formation des partis politiques écologistes français.

Sans défendre la cause écologique (bien que le chercheur puisse être animé de convictions déterminantes pour l’orientation de sa recherche, ainsi que le . La candidate « d’Europe Écologie-Les Verts », Eva Joly, n’a recueilli que ,  des votes lors des dernières élections présidentielles françaises de .

. Sylvie G et Stéphane L (dir.), Méthodes d’évaluation économiques des

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Introduction. La question écologique 

suggère Max Weber) je propose d’apprécier dans le cadre d’une sociologie de la reliance l’ambiance sociale qui résulte des manifestations et des pra-tiques, structurant la position environnementale. La méthode que je pré-sente s’emploie à envisager la ou les cultures immanentes derrière les mani-festes écologiques. Les communautés semblent plus proches, d’un point de vue phénoménologique, de la question écologique. Le social est traversé par des forces d’attraction ¹ dont j’ai voulu rendre compte pour cette sociologie de l’environnement. Les difficultés à vivre au sein d’espaces géographiques parfois désertés, présagent d’une articulation autour des pôles risque et santé, qui deviennent porteurs de symboles liés à la nature et au bien vivre associé. En s’inspirant de l’école de l’imaginaire fondée par Gilbert Durand des identités et des identifications se dessinent, que nous retrou-vons non seulement au niveau, par exemple, des territoires, mais aussi au cœur des pratiques quotidiennes. L’imaginaire est structurant car il est doté de représentations et de symboles qui permettent de faire tenir ensemble les communautés.

L’approche sociologique de l’environnement au sens large (naturel, urbain, social) permet l’analyse sociale des questions propres à une société et sa culture à un moment donné. Elle génère des questions relatives à l’environ-nement : comment ce dernier est-il perçu, défini, étudié et géré pour obtenir un impact sur la société et sa culture ? Ce sont les liens existant entre les com-portements écologiques et la société qui m’interpellent plus spécifiquement dans ce travail.

Si la crise économique déstabilise les systèmes d’action ² et la logique du marché alors la confusion peut s’installer et avec elle nous pouvons assis-ter à un renouveau de la pensée sociale. Si cela signifie dans l’optique éco-nomique la fin des alliances commerciales, alors le conflit annoncé auquel participe largement l’écologie constitue une entrée sociologique. Ce dernier point correspond à une certaine tradition (Simmel, Nisbet).

Je défendrai ainsi l’idée qu’il existe, bel et bien, une ligne d’entente entre les écologistes et les sociologues, qui ne concerne pas bien sûr la défense de l’environnement, mais une réflexion sociale, portant sur une critique de la Modernité qui par extension se retrouve au fondement de pratiques col-lectives au quotidien, formant une dynamique permettant de fonder une

. Patrick T, L’Attraction sociale, Paris, Méridiens-Klincksieck, .

. Cf. Olivier G, Claude H, Patrick L, Erwann M-K, Traité

des nouveaux risques, Paris, Gallimard, , p. . Patrick Lagadec propose trois

manifesta-tions annonçant une crise : le déferlement (dimension quantitative et donc catastrophique) ; le dérèglement (les systèmes sont menacés dans leur fonctionnement) ; la divergence (l’ébran-lement des références).

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 L’appel de l’environnement

sociologie de l’environnement du quotidien. L’environnement, comme son nom l’indique, est partout : autour de nous, en nous, il mêle le naturel au culturel, le physique au social. En cela il peut paraître délicat de pro-poser cette sociologie trop générale, mais c’est pourtant ce qui en fait son humanisme (Morin) et son actualité. Nous pouvons identifier des axes fon-damentaux en fonction de tendances sociologiques plutôt centrées sur les dimensions urbaines, écologiques, inégalitaires de l’environnement. Elles s’inspirent des approches interactionnistes américaines, canadiennes, euro-péennes, voire même orientales, pour proposer un débat autour des enjeux de l’environnement. Il est d’abord possible de distinguer l’environnement naturel du milieu (Berque). Nous pouvons aussi lier les espaces aux indi-vidus selon les voies inaugurées par la sociologie urbaine sujette aujour-d’hui à renouvellement. Puis nous pouvons discuter autour des thèmes por-tés par l’interaction environnement et culture compris en tant que milieu : santé, inégalité, identité en font partie. Enfin, insister sur ce que les indivi-dus vivent au quotidien : dans quelle mesure l’environnement transporte-t-il leur âme ? Comment les pratiques écologiques transforment-elles la conscience collective de telle sorte que l’ont peut lire un impact sur la société et renouveler sa culture ? Nous traiterons de ces questions autour des théo-ries existantes (chapitres  et  principalement) et des pratiques constatées (chapitre ).

Enfin un point s’impose à propos de notre ancrage épistémologique, en relation avec la sociologie de l’environnement ici présentée. Les théories proposées se situent dans le cadre d’une épistémologie compréhensive ¹ de type phénoménologique. Que ce soit les enjeux concernant une cri-tique de la Modernité et de sa rationalité (Weber), son entreprise aliénante (Baudrillard) et réductrice (Foucault) qui sépare et enclos notre environne-ment (Morin), qui laisse place au règne de l’incertitude face à la montée de la perception des risques (Beck), qui s’épuise à travers le mythe d’un dévelop-pement durable (Sachs) ou des enjeux portés par des pratiques sociales for-mantes (Simmel) et structurantes (Maffesoli) ; notre point de vue est celui d’une herméneutique qui s’attache à interpréter l’environnement de l’inté-rieur au sens phénoménologique du terme, tout en y intégrant les actions réciproques des individus qui participent à la compréhension et à la cri-tique de leur société. Les acteurs, qu’ils soient écologistes, policri-tiques, indus-triels, jardiniers, touristes ou promeneurs participent d’une vision qui font de notre monde un univers à la fois singulier et pluriel, mais surtout contra-dictoire dans ses mentalités. Ces dernières traversent l’univers des

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Introduction. La question écologique 

tations pour fonder et animer l’esprit de la société et de ses communautés. L’écologie habite le monde dans ses institutions et ses échanges et s’exprime par le biais des intentions et des actions portées par les individus en faveur des mots de l’environnement (santé, égalité, démocratie, liberté, autono-mie, responsabilité, commerce). Dans ce cadre la sociologie de l’imaginaire est éclairante. Elle situe l’imagination comme productrice de sens et créa-trice d’émotions partagées auxquels nous pouvons facilement y attribuer des actes. À cet égard l’épistémè s’attache aux formes sensibles de la connais-sance. Les paysages, la nourriture, les terroirs, les énergies et les déchets constituent des figures emblématiques et controversées favorables à une sociologie de l’environnement.

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Chapitre

1

Sociologie de l’environnement

Cette première partie inaugure les voies inspirant une sociologie de l’envi-ronnement. Celle-ci met en avant les enjeux sociaux et culturels portés par les problématiques environnementales et qui rejoignent des points d’attrac-tion pour la sociologie : la santé, la justice, l’éducad’attrac-tion, la démocratie. La dis-cipline « environnement » n’existe pourtant pas. Le terme est bien trop poly-sémique. Nous pouvons songer aux sciences de l’environnement dont les objets sont en relation directe avec la nature : les sols, l’air, l’eau et par exten-sion les matières premières, les espèces. La naissance de l’écologie a promu ces objets qui sont devenus des lieux et des moyens de réflexion autour des relations qu’ils entretiennent avec les hommes et les éco-systèmes, sous forme d’expertises sur la santé et les ressources, les pollutions, les espèces menacées, les politiques à mener. C’est dans cette optique que nous parlons d’environnement : tout ce qui nous rappelle la présence d’éléments naturels aux côtés des hommes. Dans ce sens, nous évoquerons davantage l’écologie. Nous retenons que les rapports entretenus avec la société et la nature ont pratiquement toujours été conflictuels et par conséquent riches d’enjeux. C’est dans l’exploration de ces rapports conflictuels que nous allons décou-vrir pourquoi l’écologie tient une place aussi importante dans nos sociétés et comment elle se manifeste socialement. Nous commençons donc par ce que nous serions tentés de qualifier d’ancestral, le conflit nature-culture ou encore l’opposition entre les états naturels et ceux inspirés par la société.

 Société et Nature

Toute pensée sociale commence par s’interroger sur les liens nature et société. À commencer bien sûr par la philosophie qui réfléchit sur la consti-tution des sociétés, en les opposant à l’état de nature. Cet état est histo-riquement pensé comme cruel et avilissant. L’homme s’en est écarté pour

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 L’appel de l’environnement

trouver dans la société un compromis (le contrat social de Rousseau). Mais il découvre alors que l’homme est aussi doté d’une constitution hostile (Machiavel), et d’une volonté de puissance (Nietzsche). Nous renvoyons là aux philosophies politiques du  siècle et  siècle qui se sont atta-chées pour partie à montrer que l’égalité naturelle ne pouvait s’exercer sans le concours d’une autorité sociale. Le dualisme homme-nature permet de comprendre les comportements envers la nature qui animent les hommes. Les philosophes d’abord, puis les géographes et les historiens s’intéresse-ront aux cosmologies humaines. Du côté des sociologues, ce sont les ethno-logues et les anthropoethno-logues (Clastres, Lévi-Strauss, Mauss) qui nous livrent les rapports que les hommes entretiennent avec leur univers. L’optique n’est pas systématiquement duale, l’altérité se développe sur fond de naturalisme, d’animisme et de totémisme, ou encore d’analogismes pour former une écologie des relations ¹.

Cependant, la nature, à l’instar des romantiques ou des anthropologues, n’est pas que romantique. L’homme s’accommode mal des labeurs qui l’accompagnent et découvre avec la raison scientifique et la philosophie des Lumières qu’il peut non seulement mettre à distance une Nature agressive mais aussi l’employer, accomplissant de la sorte le retournement propre à la Modernité : l’homme ne dépend plus de la Nature, mais c’est elle qui doit à l’homme sa survie. Les terres sont cultivées au lieu d’être abandonnées aux ronces, les forêts restaurées ou exploitées, les cours d’eau canalisés pour les besoins hydrauliques ou de navigation, les matières et ressources pres-surées pour améliorer les conditions de vie, de transport des hommes, leur confort, leur santé. Ce sera le grand triomphe de l’industrie et de la technique qui vont propulser les sociétés dans les domaines économiques et financiers qui aujourd’hui encore règnent en maîtres. L’économie a trouvé à travers la conquête des éléments naturels, via des processus technologiques et scienti-fiques, la possibilité de triompher de la Nature tout en améliorant les condi-tions de vie de l’homme. La technique représente dans l’imaginaire social un paradis retrouvé, renouant avec le jardin d’Eden. Une nouvelle civilisation émerge, domestiquée (Moscovici) et curialisée (Elias).

Pourtant l’Homme du  siècle semble apparaître comme un pertur-bateur : il rompt l’équilibre naturel des écosystèmes. Sa consommation excessive, ses besoins insatiables ont conduit à la disparition de certaines richesses. Les sciences et leurs techniques n’ont pas résolu les maux attachés à la condition humaine (famine, pauvreté, maladies). L’homme s’interroge

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

sur sa relation ancestrale, il est tenté de se rapprocher de ce dont il s’était éloigné, en particulier pour notre problématique, le naturel. Or celui-ci tend à disparaître. La nature naturelle ou sauvage n’existerait pratiquement plus. L’alimentation est devenue fade. Les transports cancérigènes. La nature elle-même tente de reprendre ses droits en s’attaquant à l’homme sous forme de cataclysmes. L’explosion du volcan islandais en avril  a bloqué la flotte aéronautique mondiale durant plusieurs jours, démontrant la vulnérabilité des hommes face à de simples nuages. L’équilibre société-nature est toujours aussi fragile, nous en avons pris conscience depuis Tchernobyl. Il est donc légitime de s’interroger à nouveau sur ce lien fondateur : les hommes doivent vivre avec la nature car il en va de leur conservation réciproque. Une nou-velle époque pointe : Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en , parle d’une nouvelle ère géologique, l’anthropocène, terme évoquant un changement de la biosphère. Michel Serres nous dit qu’avec l’an  s’est achevé le néoli-thique avec l’inversion de la ruralité : la population est désormais urbaine aux trois quarts alors qu’elle était auparavant rurale. Une des conséquences en est la modification des écosystèmes qui deviennent une source légitime de préoccupation notamment avec l’avènement d’une nouvelle science, l’éco-logie, instruisant les liens entre le milieu (biotope) et les unités le consti-tuant (biocénose) pour former l’écosystème. Les chercheurs se nomment éco-logistes en Europe ou environnementalistes en Amérique du Nord. Mais il faudrait parler d’écologues ¹ pour insister sur la dimension scientifique des analyses qui revendiquent, en recourant aux procédures d’expertises, une forme de positivisme : objectivité des données, dimension non militante des propos. Dans cette optique le retour à la technique redevient une alliée.

Observons ce que nous disent les écologistes. Les écosystèmes sont des vecteurs d’énergies, de flux et de matières, en ce sens ils sont porteurs d’une dynamique qui nous rappelle la métaphore du vivre ensemble : com-mensalisme, coopération, symbiose, conflit, prédation. Certains évoquent l’homme, en tant qu’agent économique, tel un véritable prédateur pour son environnement. Seules sciences et techniques pourraient sauver le monde. D’autres nous disent que justement trop de technologies ont maltraité notre environnement naturel, il est temps de renouer avec la matière, c’est-à-dire avec nous-mêmes. Nous proposons dans ce qui suit de réfléchir aux arguments écologiques dans ce qu’ils ont de commun avec la perspective sociologique, tout en réservant la critique de la modernité pour le chapitre .

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 L’appel de l’environnement

. Polymorphisme de nature

C’est à la mise en image de la nature que nous nous référons en premier. Les romantiques, incarnés par la figure de Rousseau dans les Rêveries du

pro-meneur solitaire, mais aussi Ronsard, Eluard et tant d’autres qui traversent

les générations pour ancrer dans les mémoires l’hymne à la nature. Ce sont des éléments fondateurs qui permettent de situer le cadre social entourant les représentations liées à l’environnement.

Imaginaires de la nature

L’imaginaire de la nature tient une place essentielle au sein du bassin sémantique de l’Arcadie gréco-latine ¹. Plus proche de notre époque, la nature refuge ressurgit avec force dans les années soixante en opposant les caté-gories du rural à l’urbain. Le rural, délaissé par l’industrie, est l’objet d’une nouvelle utopie, le retour à la nature et les pratiques paysannes associées. La société rurale devient un refuge pour des communautés d’un nouveau genre que sont les hippies ². Pour fuir la « ville insoutenable ³ », les individus se réfugient dans l’imaginaire pastoral et les représentations du labeur dont ils instituent la campagne. Face au béton, au minéral, se pose l’image du végé-tal. Lozère, Ardèche, Cévennes sont parmi les régions encore aujourd’hui peu peuplées, mais inspiratrices pour expérimenter une nouvelle socialité. Une dizaine d’années plus tard, « l’utopie rustique ⁴ » est signalée par Henri Mendras en , comme la recherche de valeurs stables dans une société bouleversée par un nouveau modèle de consommation, d’ailleurs fortement critiqué par l’école de Francfort, ou quelques lanceurs d’alerte a-typiques tel Guy Debord. Le naturel est opposé à l’industriel qui nous a dépossédés des valeurs de la vie. Alors que le monde paysan disparaît, les campagnes sont requalifiées. Cela passe principalement par la restauration du patrimoine bâti et la remise au goût du folklore. La notion de patrimoine est emprun-tée à la sphère juridique qui doit réfléchir désormais à cette appropriation collective des choses qui n’appartiennent à personne mais dont l’intérêt est commun. Le paysage constitue un nouvel enjeu. La campagne est réinven-tée, elle devient le support du loisir ⁵ avec notamment la réglementation sur

. Gilbert D, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, PUF, . . Frédéric M et Martine X, Le Monde hippie. De l’Imaginaire

psychédé-lique à la révolution informatique, Paris, Imago, .

. Augustin B, Philippe B, Cynthia G-G (dir.), La Ville

insoute-nable, Paris, Belin, .

. Henri M, La fin des paysans, suivi d’une réflexion sur la fin des paysans vingt ans

après, Arles, Actes Sud, collection « Babel »,  ().

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

les parcs naturels (lieux de détente, d’éducation, de repos, de tourisme, de loisir), image qui ne nous a pas quittés et continue d’habiter les représenta-tions pour faire de la nature une construction sociale et culturelle.

L’espace rural n’est plus agricole, il devient un lieu d’appropriation symbo-lique où peuvent s’exprimer de nouvelles normes et pratiques. Ce n’est plus un lieu populaire signe de vulgarité et bestialité, mais celui où s’affichent les nouvelles valeurs de la culture. L’intérêt affiché pour le péri-urbain, plus que la nature en elle-même et encore moins sa protection, est producteur d’un classement ¹. La nature est élevée au rang d’œuvre d’art avec laquelle on communie à la manière des poètes, dont on goûte les valeurs, puis plus tard les produits. En cela la nature est une catégorie existentielle qui possède déjà une valeur esthétique, celle de l’expérience des sens. L’environnement devient phénoménologique : il faut en apprécier ses composantes sensibles, ses couleurs, ses odeurs, ses paysages et ses animaux. Le sauvage ne dérange plus car il est signe de naturel. Les animaux sauvages ne sont plus nuisibles mais participent à cet ensauvagement. Ils sont réintroduits artificiellement, non sans heurts d’ailleurs ².

À l’instar de la « catastrophe », abordée plus bas, c’est ici la dimension du « merveilleux » évoquée par Jean-Bruno Renard qui attire notre atten-tion : « L’étude des significaatten-tions symboliques du merveilleux est une voie d’accès à la compréhension des mentalités et des imaginaires collectifs qui s’expriment à travers lui ³. » Car il s’agirait ici d’une mentalité éco-logique de nature utopiste ⁴ signalée par Patrick Tacussel. La promesse d’une vie réglée par l’appartenance au règne naturel, gage de bonheur. La culture est reliée par un code de la nature qui a partie liée avec le romantisme et la critique de la modernité sur laquelle nous revenons au chapitre suivant. Une part de rêve, une passion pour le goût et les plaisirs qui nous rappellent l’entre-prise de Charles Fourier qui laisse une large part au règne animal et végétal pour mieux modeler nos talents, nos goûts et notre tempérament. Ce point de vue situe l’écologie dans le cadre d’une relation épistémologique entre l’homme et la nature. Cette dernière est magnifiée, les êtres vivants dont elle est peuplée nous renvoient à des valeurs et des idéaux en mesure d’orchestrer les sociétés, d’articuler l’environnement naturel au social en usant de nos inclinations envers le cosmos. Retour à une terre qui nous fascine.

. Jean-Claude C (dir.), Protection de la nature, Paris, L’Harmattan, . . Isabelle M, Gens, Cornes et crocs, Versailles, INRA Éditions, .

. Jean-Bruno R, Le Merveilleux, Paris, C.N.R.S., , p. .

. Patrick T, L’Imaginaire radical. Le Monde des possibles et l’esprit utopique selon

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 L’appel de l’environnement

La nature fait partie de cet imaginaire à l’œuvre qui exprime bel et bien le retour d’une mentalité, l’on pourrait même ajouter d’une pensée sociale axée sur le naturel et le « pouvoir évocateur » des symboles. Dans la tradi-tion mythanalythique de Gilbert Durand et d’Edgar Morin, on peut y voir l’expression de la réalité sociale. « La société n’est ni aveugle ni muette, elle parle de ses propres questionnements, dans un langage symbolique ¹ » qui renvoie à un « vécu social » autour des symboles de la nature. Il faut s’inspi-rer de la mythologie pour comprendre l’impulsion suggérée par la nature : le mythe du « bon sauvage à la Robinson Crusoé », les « aliments empoisonnés », « le déluge » inspiré par l’Arche de Noé. Parmi les multiples mythes associés à

la nature et à l’environnement, nous retrouvons une orientation dialogique telle qu’Edgar Morin l’entend : la Nature est simultanément forte et fragile, de fait il est nécessaire d’avoir un œil sur elle. L’inspiration mythologique de l’écologie se perçoit aussi à travers les symboles originels ². Le milieu naturel est constitué de ressources : l’eau (pollution des nappes, assèchement des rivières, montée des eaux salées, fonte des glaciers), l’air (la pollution), le feu (le réchauffement climatique) enfin la terre (faune, la végétation). Nous retrouvons ici la dimension dialectique des images ³.

Arrivés à ce stade nous sommes en mesure d’évoquer l’idée selon laquelle l’environnement fonctionnerait telle une nouvelle religion, ayant ses dieux, ses mythes et ses prophètes. C’est plus exactement autour de l’écologie, en tant qu’intermédiaire entre l’action des hommes et la protection de la nature, que nous retrouvons cette réflexion. Il y a dans la relation homme-nature un caractère sacré (Girard) soutenu par une mythologie forte. L’écologie pos-sède son Dieu, la Nature, et ses divinités : la forêt (le poumon des hommes), les animaux et les végétaux (nos ressources), l’air, l’eau, qui ne sont pas sim-plement autour de nous, mais en nous et dans nous ⁴. Ces éléments nous incorporent littéralement à travers l’air que nous respirons, les matières que nous ingérons. Nous les subissons lorsqu’ils sont en colère (tempêtes, inon-dations, intoxications). Ce sont de véritables dieux armés d’une puissante force vitale. L’écologie possède aussi ses mythes : ceux de la création, ceux présentant une nature bienveillante telle qu’elle apparaît chez Rousseau, ou encore ceux relatifs à un réenchantement de la nature. Nous trouvons égale-ment au sein de l’écologie des rites et des impératifs : trier, économiser

l’éner-. Jean-Bruno R, Le Merveilleux, op. cit., p. .

. Gaston B, La Poétique de la rêverie, Paris, PUF, .

. Jean-Jacques W (dir.), Bachelard et l’épistémologie française, Paris, PUF, .

. Cf. la typologie proposée par Juan Salvador à propos de l’urbain. Juan S,

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

gie. L’écologie s’est bâtie au fil des années autour de grandes figures : José Bové, Nicolas Hulot qui mènent des combats : contre les O.G.M., le nucléaire. Nous pouvons aussi envisager l’idéologie qui se cache derrière l’écologie dont le développement durable rend bien compte.

Il y a ainsi dans la présentation de l’écologie une dimension mythologique qui cohabite avec l’idéologique : le système écologique utilise les émotions autant que les symboles pour communiquer. Il est alors possible de percevoir une culture de l’alliance : avec les autres pour le bien commun. De ce point de vue l’écologie s’apparente à une religion. Mais les écologistes n’entendent pas se retrancher derrière les mythes de la nature, ils ont pour vocation d’impul-ser le changement social en transformant l’économie et en promulguant des pratiques. Leur maladresse, leur mauvaise prestation à la plupart des élec-tions, leur acharnement à vouloir se démarquer du politique, nous éloignent de la question religieuse. Il ne suffit pas de croire en l’écologie pour obtenir des fonds, des adeptes et des lois. C’est plutôt au cœur des pratiques, dans les interstices du social que se glisse la fibre écologique, preuve que les valeurs portées par l’écologie sont bien présentes. Ainsi, il n’est pas besoin d’adhérer au mouvement pour être écologiste, pas plus que de voter écologiste. Techni-quement l’écologie a une puissance modeste mais son influence est grande. Pour Serge Moscovici cela ne faisait pas de doute en  : les sensibilités, l’idéal, la culture écologique ont pour vocation de se réaliser ¹. C’est l’objet de la discussion proposée au chapitre  de ce livre. Il existe bien une conscience écologique qui s’exprime, peut-être dans ce que Michel Maffesoli appelle les « utopies interstitielles ² », petites formes d’utopie non conscientes mais qui

s’affichent au quotidien et dont il nous faudra discuter.

Ce qui est certain c’est que notre regard sur la nature a changé. La défini-tion du mot nature évolue : de nombreux systèmes sont modifiés pour qu’ils apparaissent (ou conservent) leur aspect naturel. Dans les années quatre-vint-dix, la notion de patrimoine constitue une symbolique forte : des res-sources naturelles, des territoires, des savoirs faire, une culture. Le débat intègre aussi des questions relatives aux frontières entre territoires, enjeu d’usages et par conséquent de pouvoir ³. Depuis , l’Unesco a introduit la notion de « patrimoine culturel immatériel ⁴ » afin d’intégrer les traditions,

. Serge M, Réenchanter la nature, Paris, Éditions de l’Aube, , p. . . Michel M, Au creux des apparences. Pour une éthique de l’esthétique, Paris, Poche, .

. Ali A A (dir.), Le Territoire : entre l’Europe et l’État-Nation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, .

. Anne-Marie M, « Le patrimoine culturel immatériel des tsiganes : quelle reconnaissance par l’Unesco ? », dans Gilles F, Tourisme et territoires, op. cit., p. .

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 L’appel de l’environnement

les expressions orales, les manifestations artistiques qui s’expriment à tra-vers les danses, les rituels, la musique. Les identités régionales sont ainsi pré-servées et renforcées. Cela conduit notamment à la restauration des espaces naturels sous la forme d’une gestion des milieux. Par exemple la Camargue est irriguée, endiguée pour être ressentie comme un espace naturel. Des espaces malmenés par l’homme sont restaurés afin de conserver l’image d’un naturel sauvage, ainsi la Savane et ses prédateurs (les lionnes y sont systé-matiquement montrées attaquant et dévorant gazelles ou zèbres). Certains milieux prestataires de services comme la sylviculture sont réhabilités dans un contexte commercial, il s’agit de « remédiation » plus que de « restaura-tion » dans ce cas. Ainsi les étangs de au et de Leucate, en Méditerranée, sont l’objet d’une attention portée par IFREMER (l’Institut français de la recherche et de la mer) afin de permettre aux conchyliculteurs de poursuivre leurs activités tout en préservant le site. La nature participe des besoins de l’homme et ce sont les images, celles d’une nature sauvage par essence, dont on a oublié l’hostilité pour ne retenir que la dimension mythique et romantique, propre à la pensée sauvage et aux croyances qui l’expriment. Les Neiges du Kilimandjaro sont dites éternelles. Aujourd’hui elles disparaissent sous les assauts du réchauffement climatique. Nous avons là une preuve, s’il en est besoin, que l’imaginaire est aux côtés des hommes plus qu’ils ne le voudraient. Ces neiges sont un indicateur du réchauffement planétaire mais aussi le signe de la finitude des hommes. Si ce que l’on croyait éternel ne l’est plus, alors il en va aussi de la place de l’homme qui pourrait céder le pas lui aussi sur une nature désenchantée et révoltée, largement médiatisée sous l’angle de la catastrophe ¹.

Imaginaires de la catastrophe

D’inondations en incendies, de canicules en blizzards, de fuites de pétroles en crises de matières premières, l’année  constitue le sinistre prologue de ce nouveau monde de l’angoisse écologique. Si le discours social ne vient pas domestiquer cette omniprésente menace, la cause écologiste sera réduite à un « parti de la catastrophe », anxiogène et finalement insupportable ². Dans les années  le monde est préoccupé par l’explosion démogra-phique du Tiers monde. La défense de l’environnement passe par des idées forces dont la peur du « manque ». À cette époque, le Rapport Meadows . Isabelle S, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, .

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

annonce qu’à ce rythme la population mondiale atteindra plus de  mil-liards d’hommes en . Mais en réalité ces pays amorcent leur transition démographique : assurés de voir survivre leurs enfants, les familles en font moins. La population devrait se stabiliser aux environs des  milliards. Le problème n’est plus désormais l’augmentation des hommes mais leur vieillis-sement et la quantité excessive de produits polluants consubstantiels aux activités de transformation énergétique (le carbone et les gaz à effet de serre).

Il est difficile, voire parfois impossible, d’interpréter la catastrophe ¹ sans l’inscrire dans ce qui fait sens. Ce sens passe par l’émotion collective. Les images des catastrophes permettent de fabriquer de l’émotion. L’écologie se développe sur fond de catastrophes environnementales ayant des répercus-sions sur l’homme. Quelques exemples succincts : la couche d’ozone laisse passer de mauvais rayons qui entraînent notamment des cancers de la peau. La pollution de l’air, de l’eau, de la terre sont à l’origine des maladies envi-ronnementales tels que eczéma, allergies, asthmes, cancers. Le réchauffe-ment de la planète, en attaquant la biosphère, détruit la biodiversité. Image emblématique qui a fait le tour du monde de cet ours blanc condamné sur la banquise. Bientôt l’homme sera lui aussi menacé. Les hommes meurent d’ailleurs déjà d’inondations, de sécheresses, d’ouragans qui ne devraient pas faire partie de leur destinée, puisque ces événements ne sont pas le reflet de processus entièrement naturels mais de l’action des hommes sur la planète qui a pour effet de modifier la biosphère et la noosphère (détournement des cours d’eau, pollution atmosphérique, déforestation, etc.). Les discours des écologistes sur l’environnement restent alarmants. Ils prennent la forme de visions apocalyptiques de sols argileux desséchés qui se rétractent, de voi-tures englouties par les eaux, de forêts décimées par les feux, assortis de paroles désolantes sur l’extinction d’espèces animales et végétales, la mon-tée du niveau de la mer, l’épuisement de ressources primaires comme l’eau. Les interviews d’experts attestent la catastrophe ², qui est souvent filmée et constatée en chiffres.

L’image médiatique interpelle le spectateur pour insister sur l’urgence de sauver la planète. Par exemple les Français ont peur des aliments modifiés car ils possèdent la mémoire collective des scandales : ils pensent au sang contaminé, à la vache folle, à l’affaire Monsanto. Ainsi José Bovet a-t-il pris le parti de se faire entendre en usant de méthodes quelque peu « terroristes » : détruire des champs de maïs, s’insurger en espérant par la violence être

. Jean B, L’Esprit du terrorisme, Paris, Galilée, . . www.syti.net/EtatPlanete.html en date du  décembre .

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 L’appel de l’environnement

entendu. C’est une manière de conquérir l’opinion publique et d’ancrer émo-tionnellement l’homme dans son environnement. Si l’on ajoute aux catas-trophes écologiques, le retour des grandes peurs, tels le sida, le chômage, la pauvreté, l’audience de l’écologiste s’en trouve élargie.

L’existence revêt une dimension toxique ¹. Une sociologie de l’environne-ment s’attache à décrire les relations de l’homme à la nature et découvre des liens privilégiés biologiques et symboliques. Mais si l’on préserve l’environne-ment c’est aussi pour sauver l’homme et tenter de satisfaire ses besoins. D’où le retour à la nature sensible précédemment évoquée et le souci de soi. Dans ce contexte l’environnement est à reconsidérer dans sa dimension salvatrice. À ce moment là, l’homme prend conscience des retournements qui s’opèrent. Il aspire à l’apaisement, revenir à des temps où ses actions avaient moins d’impacts. Ainsi le retour à la proximité, à la contemplation de la nature, à l’exaltation pour le sauvage. L’écologie peut prendre son envol.

. L’écologie : naissance d’un mouvement

Bien avant que ne soit établi le processus de civilisation (Elias, Marcuse), la pensée utopique du  siècle souligne les dégâts causés par la révolu-tion industrielle sur la nature, ce qui sera également repris par Marx pour en dénoncer son exploitation. Par son approche sociale, Charles Fourier peut être considéré comme « un pionnier du combat écologiste et le premier penseur d’une éco-sociologie et d’un sociabilisme écologique ² ».

Un autre pionnier, Ernst Haeckel ³, crée le terme « d’oecologie » en  et le définit comme la science des relations entre les organismes vivants et leur environnement. Il s’intéresse en particulier aux nouvelles espèces et aux arbres, son moteur de recherche est dicté par la théorie évolution-niste de Darwin dont il était disciple. Haeckel mêlait art et philosophie, notamment par le biais d’iconographies aujourd’hui rassemblées dans sa maison, devenue musée ⁴. Son approche reste biologique et trop générale, entachée par les théories évolutionnistes en qui il voyait une explication des relations entre les organismes vivants. L’écologie est d’abord associée au biologique, mais les chercheurs l’étendent aujourd’hui à de nombreux

. Hélène H, Le Défi toxique, Paris, L’Harmattan, .

. Patrick T, Charles Fourier, le jeu des passions. Actualité d’une pensée utopique, Paris, Desclée de Brouwer, , p. .

. Ernst H, médecin d’anatomie mais aussi philosophe, est plus connu pour ses écrits concernant la diffusion de la théorie de l’évolution de Darwin en Allemagne et sa ré-appropriation par les théories nazies.

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

domaines, tels les paysages, les populations, l’industrie, l’agriculture, le com-merce, l’urbanisation. Nous allons examiner les contreforts de cette disci-pline. Nous commencerons par l’immiscer dans la problématique moderne des risques.

La gestion des risques

Dans les années soixante-dix, un mouvement se fait sentir qui porte sur des revendications environnementales et notamment les répercussions des conditions de travail sur la santé des ouvriers ¹. Les dégradations dont l’envi-ronnement fait l’objet ne constituent pourtant pas un point de tension. Par exemple les fumées industrielles que respirent les travailleurs sont mises en cause sur un plan sanitaire mais l’on n’envisage pas encore la pollution atmo-sphérique. Le mouvement environnemental va néanmoins s’appuyer sur les retombées négatives de la production industrielle pour promouvoir ses idées. La surveillance de l’environnement devient un moyen d’intervenir dans le social. L’écologie acquiert un sens nouveau, qui lui permettra progressive-ment de se placer au rang de science. En ces temps apocalyptiques, l’écologie peut agir dans nos consciences comme une révélation : la Nature est d’une part sacrée et il faut la sauvegarder, d’autre part il faut protéger le vivant sous peine qu’il nous anéantisse.

Le paradigme du risque est proposé par Ulrich Beck pour penser les rapports entre les sociétés, les sciences et les techniques ². Si les individus ne veulent pas subir les risques naturels, il faut qu’ils les anticipent. Dans ce cadre, l’écologie se pose comme une discipline contribuant à éclaircir des points de tension. Les enjeux environnementaux sont requalifiés dans la perspective de risques pour l’humanité et pas seulement pour les tra-vailleurs, ou encore pour les populations locales. Le changement climatique en est un ³, qui fonde notre relation à l’incertitude : quelles sont au juste les répercussions de la hausse de la température ? Nos facultés et ingénieries pour y faire face restent indéfinies. Le débat s’oriente vers des consensus sociaux sur l’exposition au risque et les choix technologiques qui s’imposent. Ainsi le fameux « trou » dans la couche d’ozone a été l’objet d’un système d’alerte mondiale sur l’usage des gaz à effet de serre. Le protocole de Kyoto a . Chantal A et Mary J, Environnement et société. Une analyse sociologique de la

question environnementale, Paris, Maison des sciences de l’Homme, .

. Ulrich B, Risk Society : towards a new modernity, translate by Mark Ritter, London, Sage Publications,  ().

. Lionel S ’A, « Proposition d’un modèle d’analyse socio-épistémique des controverses scientifiques. Quelques résultats à travers l’exemple de la controverse clima-tique », in Société Environnement, réflexions croisées sur les crises, LPED, Marseille, .

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 L’appel de l’environnement

permis de proposer quelques règles au niveau de la production industrielle. Par exemple les voitures à essence ont été dotées de moteur et d’échap-pement plus favorables.

La question n’est alors pas tant de résoudre les problèmes environnemen-taux que de définir les capacités d’adaptation et d’anticipation des individus et des sociétés. L’incertitude découlant de la problématique des risques est appliquée à l’environnement, dans le sens où définir des perspectives écolo-giques ne peut et ne doit se faire qu’après avoir été expertisées. Finalement les problèmes environnementaux ont besoin d’être interprétés scientifique-ment pour avoir une « existence sociale » : cela laisse place à une formalisa-tion de l’invisible grâce aux outils techniques, ou encore une « mise en visibi-lité des incertitudes ¹ ». Par exemple la pollution est inaccessible au profane qui a besoin que des experts en parlent sous forme de diagnostics, de prévi-sions, afin d’établir des normes et des seuils d’acceptation ². L’écologie scien-tifique est née en apportant son savoir et ses compétences en matière de vivant et d’écosystèmes pour favoriser les liens entre nature et société. Dif-férentes mouvances et branches de l’écologie vont se développer sur fond d’un débat contradictoire.

Envers et contre la nature

Le premier mouvement environnemental est composé de scientifiques, de propriétaires fonciers, voire de chasseurs qui souhaitent protéger les espaces afin d’exercer leurs loisirs ou leurs spécialités. Il s’agit de permettre à des acti-vités gênées par l’industrialisation ou la consommation de se perpétuer. La question n’est pas de transformer les relations de la société envers la nature, mais de protéger des milieux et des espèces car il n’y a pas que l’homme qui détruise la nature. Tout organisme agit pour vivre en harmonie avec son environnement. Certains végétaux colonisent des espaces, envahissent des zones entières pour se développer au détriment des autres. Il faut alors intervenir.

Au début du  un forestier, Gifford Pinchot, développe une philosophie utilitaire de la nature : celle-ci est soit nuisible, soit utile et dans ce der-nier cas il faut faire un usage de ses ressources naturelles au mieux et le plus longtemps possible. Plus proche de notre époque, la géographe Sylvie Brunel ³ nous rappelle que là où l’homme n’intervient pas, le paradis peut

. Chantal A et Marie J, op. cit.

. Sur ce point nous pourrions objecter que la pollution est accessible au profane : l’odeur des décharges, la moiteur de l’atmosphère, les fumées et brouillards s’échappant des véhicules ou des usines sont perceptibles par les sens.

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

rapidement se transformer en enfer. Il existe très peu de lieux modifiés par l’homme, ce sont essentiellement les pôles et les déserts. Les espaces dits « naturels » comme les grands parcs américains ou la forêt de Fontainebleau n’existent que parce que l’homme les a préservés ¹. Pour se maintenir un espace a besoin que l’on intervienne, car laissé à l’abandon il est envahi, colo-nisé par des broussailles, des ronces, des genêts. Les défenseurs des aliments génétiquement modifiés nous rappellent que le « naturel n’existe pas ² ». Les agriculteurs n’ont jamais cessé de sélectionner et de croiser les varié-tés des graines afin qu’elles résistent mieux à la sécheresse, aux moisissures, aux insectes.

En poursuivant l’idée que la nature naturelle n’est pas toujours un bon parti, les hommes n’ont pas toujours eu ce rapport harmonieux à la terre, surtout lorsqu’il s’agit de la cultiver : aridité, sécheresse, froid sont sources de famines et de maladies. La vie du paysan était misérable et très inconfor-table jusqu’à ce que soient accomplis les premiers progrès agraires. Le monde rural par opposition à la ville et ses lumières renferme un mode de vie âpre et grossier où se manifestent tout ce qui est de l’ordre du sale, du mal vêtu, de l’ignorance ³. Il faudra attendre l’émergence de la classe de loisir (Veblen) pour retrouver au sein des éléments naturels une source d’inspiration et d’investissements dont on aura pris soin de sortir les paysans et leurs repré-sentations laborieuses. Il a fallu que l’homme développe des techniques pour s’approprier son environnement. Par exemple, beaucoup de végétaux natu-rels lorsqu’ils ne sont pas toxiques restent pauvres en énergie. Si nous vou-lons les consommer ou les rendre profitables, il est parfois nécessaire de cas-ser les facteurs anti-nutritionnels : cuisson, caillage, broyage, usage de sol-vants. Beaucoup de végétaux naturels sont toxiques. Certains aliments, tels le chou, le manioc ou le soja empêchent la digestion des protéines en inter-férant dans l’assimilation des minéraux, principalement l’iode ⁴. A contrario, la domestication de l’agriculture est responsable de certaines épidémies en raison de la proximité homme/animal. Ainsi les épidémies de peste ovine et équine, la tuberculose, la grippe aviaire. En cause l’élevage intensif qui oblige l’agriculteur à utiliser de grandes quantités d’antibiotiques sur ses animaux alors que sa famille s’en abstient. Une résistance aux antibiotiques se fait sentir, développant des virus transmissibles à l’homme ⁵.

. Nous pourrions citer le contre-exemple de la forêt amazonienne, fortement endomma-gée depuis que l’homme l’exploite.

. Jean-Claude J, Sauvez les O.G.M., Paris, Hachette, .

. Augustin B, La Pensée paysagère, Paris, Sautereau Éditeur/Archibooks, . . Jean-Claude J, op. cit.

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 L’appel de l’environnement

Même l’agriculture biologique n’est pas toujours vertueuse, notamment en ce qui concerne l’élevage, qui dégage déchets et CO₂ en plus grande quantité du fait de l’allongement de la durée d’alimentation ¹.

L’écologie va devenir la discipline prenant en charge, à coups d’expertises, les positions environnementales envisageables dans les liens qui unissent l’homme à la nature. Les sociétés doivent trouver un chemin capable d’objec-tiver ces relations. Dès lors l’écologie en tant que discipline scientifique va prendre son envol. Aujourd’hui certains lui prêtent même une hégémonie politique, sorte de bio-pouvoir gouvernant la vie naturelle comme la vie sociale et politique.

Notre hypothèse de montée en puissance d’un éco-pouvoir s’insère dans cet espace ouvert, dans cette brèche de la démocratie, et suggère, non la confis-cation, mais plutôt la reprise en main par les experts scientifiques et tech-niques des décisions essentielles en matière de gestion des milieux, d’admi-nistration des risques et de construction sociale des problèmes d’environ-nement ².

L’écologie scientifique

L’attention ne doit pas se porter seulement sur la pollution de l’air ou de l’eau, la destruction des sols, des forêts, ou des espèces, ou l’effet de serre, mais aussi sur les cycles climatiques et hydrologiques dans leur dépendance envers les interventions humaines, sur la capacité d’assimilation des déchets et de recyclage des nutriments, sur la pollinisation des cultures, sur le main-tien de la diversité génétique, sur toutes les transformations qui retentissent sur les mécanismes internes de commande des écosystèmes et sur la diver-sité fonctionnelle, toute réduction de celle-ci se traduisant par une moindre capacité de régénération ³.

Voilà un beau programme pour l’écologie dont on comprend l’essor et le développement qu’elle connaît. L’écologie s’intéresse aux conditions de durabilité des systèmes vivants : croissance de la population, régulation des espèces et coexistence, résilience (capacité à survivre, à se régénérer), adaptation, biosphère.

Quatre angles d’attaque sont ainsi privilégiés : . Cependant le recul n’est pas assez suffisant.

. Pierre L, L’Éco-pouvoir. Environnements et politiques, Paris, La Découverte, , p. .

. Henri B, Repenser le développement. En finir avec la pauvreté, Paris, Économica et Unesco, , p. .

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

— la biologie de la conservation ;

— l’écologie de la restauration (l’écotoxicologie, bioremédiation) ; — l’écologie industrielle ;

— les services assurés par les écosystèmes ¹.

Chacun de ces domaines va permettre aux mouvements de protection de l’environnement de venir y puiser les informations utiles pour défendre une cause. De la sorte, des mouvements se créent localement qui s’opposent à l’État, aux chasseurs, aux industriels, aux politiques au nom d’un intérêt plus général, basé principalement sur le loisir et l’hédonisme, mais aussi sur le respect des écosystèmes et de la biodiversité, face à une conception pro-ductiviste. Carrières, industries, autoroutes, lignes TGV, barrages ne se font pas sans concertations ni manifestations. Nous y reviendrons en abordant l’enjeu de mener des politiques environnementales.

Dans les années quatre-vingt-dix nous assistons à la montée en puissance de l’expertise associative, en tant que contre-expertise des ingénieurs de l’État. Le savoir mobilisé est intellectuel et s’appuie sur des réseaux. Proté-ger la nature est d’abord perçu comme un enjeu de connaissances qui va aller en se modélisant : guides méthodologiques, états des lieux, diagnostics, scé-narios, orientations de l’aménagement du territoire ². L’écologie acquiert sa légitimité scientifique. Pour produire un discours audible sur une rivière, il faut avoir des connaissances en biologie, hydrologie, écologie, géographie, sociologie, urbanisme, etc. La rivière n’est plus un cours d’eau, elle devient un système aquifère ou hydraulique ou hydrosystème. La rationalité tech-nique et scientifique, propre à la Modernité, triomphe sous le recours à cette technicisation des termes qui n’est pas sans lien avec la montée de la société du risque évoquée plus haut (Ewald, Duclos). L’écologie produit des textes, des propositions, des lois qui impliquent des contrôles et des réponses techniques. Si nous restons sur l’exemple de l’eau, celle-ci fait l’objet d’une réflexion sur des solutions techniques de désalinisation ou de trans-fert vers des bassins. Autre cas, la gestion des déchets porte davantage sur leur recyclage que sur des modes de production ou de consommation qui les réduiraient, et ce dans la mesure où recycler coûte cher à l’environnement (usage d’énergie fossile, émission de carbone).

L’écologie a permis aux savants de conserver leur place. Les « éco-conseillers » remplaceront bientôt les « écologistes » qui en valorisant leurs

. Jean-Marie P, C’est vert et ça marche ! Paris, Fayard, .

. Cf. Les Cahiers de l’agriculture, Élevage extensif et territoires, Montrouge, John Libbey Eurotext, vol. , n , .

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 L’appel de l’environnement

savoirs de manière utilitaire font des relations nature-culture un enjeu tech-nique, comme cela fut le cas durant les deux siècles précédents. Il est alors possible de parler de « ruse de la technique ¹ » et de son retour : la tech-nique, objet d’une fascination ancestrale continue à transformer le réel, ou du moins à agir sur nos relations sociales. Ainsi elle permettrait de réduire les déchets, de rendre l’atmosphère plus respirable, ce qui reste un leurre si l’on considère que le débat écologique ne doit pas porter sur la réparation des milieux de vie mais sur leur préservation. La technologie reste un miracle qui ne va pas suffire à réduire nos émissions de CO₂. Seule une modification de nos habitudes de consommer et de produire peut changer la donne, d’où l’idée de réformer la société chez les écologistes.

Il revient à la sociologie de considérer les conséquences sociales des proces-sus écologiques. Le social est contraignant, c’est pour cette raison que, selon la règle établie par Durkheim, le sociologue explique le social par le social. Or, l’écologie profonde voudrait que l’homme n’agisse plus qu’au regard de la pro-tection des espèces et des espaces. La thématique de la Deep Ecology ², fondée dès  par Arne Naess, conçoit les objets de l’environnement indépendam-ment de la présence des hommes. Il est possible de penser que ce sont les écosystèmes qui devraient contraindre le social à s’adapter, afin de les préser-ver. Le danger pour la sociologie serait de ne pas conserver d’autonomie au social mais d’imposer une morale pour la vie en société ³. On touche ici à une dimension idéologique. La sociologie de l’environnement n’a pas pour voca-tion l’écologie : elle interroge des pratiques et des inspiravoca-tions à tendances écologiques qui se greffent dans l’interaction sociale. Elle soulève des ques-tions sociales qui touchent au cœur des problématiques sociologiques : la

coopération, la solidarité, la responsabilité, les choix de consommation, l’égalité, la justice, la santé, l’éducation, la morale, la socialité qui sont aussi des

ques-tions politiques, économiques et philosophiques. Dans ce sens une sociolo-gie de l’environnement peut être entendue comme un révélateur de ce qu’une société privilégie à un moment donné en terme de culture et comment ses acteurs y adhèrent ou non.

. La constitution de l’écologie nouvelle discipline du social

Nous pourrions prêter à l’environnement l’habit du social car il nous entoure. Ses acceptations semblent sans bornes. L’environnement naturel

. Jacques E, Le Système technicien, Paris, Le Cherche-Midi, .

. Arne N, Écologie, communauté et style de vie, Paris, Dehors-Éditions MF,  (). . Marcel J, Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontières, Paris, C.N.R.S., .

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

n’a pas de frontières : il est l’espace qui nous borde (les campagnes et les villes proches) et celui qui ouvre les frontières (l’air, l’eau, la terre). Il est aussi ce qui nous relie les uns aux autres car nous traversons des espaces, nous y livrons des discours et des pensées, nous habitons dans des murs et nous y grimpons comme dans des arbres ! La métaphore sociale de l’environ-nement pourrait se poursuivre. En retraçant le parcours de l’écologie mili-tante nous voyons que l’environnement constitue des ressources, des entre-prises de valorisation et de destruction, des ouvrages, de la résistance et des conflits, toute une réflexion sur notre culture et notre manière « d’habiter le monde » (Heidegger).

Sociologie et écologie

Dans les années  les sociologues appliquent des notions écologiques aux populations des villes : mobilité, territoire, quartier, aire. Plusieurs ten-dances se dessinent. La première est incarnée par l’École de Chicago, à l’ori-gine de la notion d’écologie urbaine. Au début du  siècle il ne s’agit pour-tant pas de préserver la nature mais d’étudier les interactions entre des pra-tiques urbaines et les modes de vie des quartiers en fonction de la popula-tion associée. L’analyse des processus d’agrégapopula-tion ou de ségrégapopula-tion sont au cœur de la problématique des villes. Citons Robert Ezra Park autour des « aires naturelles », mais aussi Georg Simmel à propos de la mentalité urbaine, Louis Wirth sur le comportement des minorités citadines qui s’inscrivent dans une « tradition sociologique ». Ernest Burgess analyse la ville de Chi-cago en fonction de l’expansion de ses aires, selon des modalités migratoires associées à l’intégration professionnelle des habitants. L’École de Chicago a su démontrer « la naturalisation des logiques urbaines [...] destinée à se dégager d’une vision politique et institutionnelle de la ville ¹ » mais elle a aussi analysé les relations existantes entre l’habitat et l’emploi profession-nel occupé, ou encore, dans la tradition américaine, elle a mené une réflexion socioculturelle plus ancrée sur l’ethnicité.

Aujourd’hui, la sociologie urbaine propose de comprendre la ville à par-tir de ses territoires, enjeux de mobilités, et de ses interactions, suggérant une recomposition des liens sociaux. La ville manifeste les aspirations des citadins ², dont le désir de nature peut être perçu comme une illustration contemporaine. Henri Lefebvre en développant un « droit à la ville ³ » engage . Hervé M et Jean-Marc S, La Ville. Territoires, logiques, défis, Paris, Ellipses, , p. .

. Paul-Henry C D L, Pour une sociologie des aspirations : éléments pour des

perspectives nouvelles en sciences humaines, Paris, Denoël, .

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 L’appel de l’environnement

une réflexion plus générale sur l’émergence d’une société urbaine, soumise à l’emprise capitaliste (le règne de la marchandise). Les monuments et les quartiers sont une manière « d’apprivoiser » la ville, de lui donner une centra-lité ¹. Des politiques de planification se dessinent derrière l’usage de l’espace, notamment en matière d’habitat et d’architecture. L’image de la rue laisse place à une poétique de la ville (Sansot) et des nouvelles formes de vie (musi-ciens, S.D.F. qui sont porteurs d’identité pour eux-mêmes, mais aussi ins-tigateurs d’une dynamique de quartiers ²) que nous retrouvons dans une sociologie urbaine contemporaine, tandis que s’esquisse une « sociologie de la ville » confrontée aux évolutions du monde urbain et à la gouvernance, ou une sociologie « dans la ville » privilégiant ses divisions (par exemple la « gentrification », les lotissements, les banlieues).

La ville se pense toujours dans son environnement : l’aménagement des espaces verts, des quartiers, des zones commerciales, la circulation des pié-tons et des véhicules, la rénovation du centre historique ou de lieux stra-tégiques (espaces d’animation ou d’insertion, Maison pour Tous, café res-taurants, artisanats). Aujourd’hui, une très forte mobilité due notamment à l’intensification des moyens de communication caractérise nos sociétés, de telle sorte que nous serions tenter de réduire l’espace urbain à ses activités temporelles, voire à privilégier la ville dans sa globalité, telle une « méta-pole ³ » ou à l’établir comme un « non-lieu ⁴ ». Le citoyen consomme de l’espace sous l’effet de la mondialisation et de ses flux. Pourtant, comme le soulignent Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal :

Appréhender la vie des individus urbanisés suppose de prendre en considé-ration les différentes échelles spatiales concrètes à travers lesquelles ils se définissent et, partant, entrent en relation les uns avec les autres ⁵.

À côté, L’environnemental art américain des années cinquante met en scène des objets dans le cadre de l’american way of life évoqué par Frédéric Mon-neyron ⁶. La connotation est toujours spatiale mais intègre une dimension

. Raymond L, L’Espace en question, Paris, Anthropos, .

. Citons à Montpellier quelques lieux typiques : le quartier des Beaux-Arts et le Festival des Fanfares chaque année durant le mois de juin ; le Polygone menant à la Comédie parsemé de sans-abris sollicitant les passants à tout moment de la journée et de l’année ; Figuerolles et ses racines populaires.

. François A, Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob, .

. Marc A, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, .

. Jean-Marc S et Hervé M, Sociologie urbaine, Paris, Armand Colin, , p. .

. Frédéric M, Au cœur des États-Unis. Mythes, imaginaires et fictions, Paris, Michel Houdiard, .

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Chapitre premier. — Sociologie de l’environnement 

architecturale que l’on pourra retrouver en France au niveau de l’école des Beaux-Arts de Paris ¹. Progressivement, le glissement s’opère vers la pro-duction d’espaces favorables à une politique de l’aménagement du territoire qui devient une catégorie de l’action publique renvoyant à un espace orga-nique, perceptible et symbolique ². L’environnement est abordé comme un milieu de vie affectant ceux qui y vivent pour former une ambiance, ambiente, en langue portugaise. Dès lors, la démarche politique consiste à insérer des images symboliques dans les lieux traversés ou habités (aménagements paysagers des aires d’autoroutes, verdure dans les ronds-points, plantation d’arbres sur les aires de stationnement). Aujourd’hui, la notion d’empreinte écologique tente d’élargir le fonctionnement écologique d’une ville ³, com-prise en terme d’énergie et de flux ayant de la sorte des répercutions sur le climat, l’atmosphère et la biodiversité. Chaque ville est par exemple en mesure d’associer à un mode de vie (consommation, production, transports) une charge de déchets (rejet de CO₂, encombrements, énergies dépensées et capacités de recyclage). L’écologie urbaine trouve un écho politique favo-rable en réfléchissant sur le développement des villes et leur impact en terme d’empreinte écologique, en étant en particulier attentive à la croissance de la population et à ses besoins. La construction d’infrastructures, de bâtiments, de logements, ou d’usines peut se faire à condition d’être mise en relation avec les écosystèmes ⁴. Tel est du moins le principe retenu qui figure notam-ment dans le développenotam-ment durable. Sauf que la biodiversité contenue dans les écosystèmes, forêts et océans, n’est par exemple pas prise en compte ⁵.

La sociologie environnementale américaine se situe dans la lignée de l’École de Chicago et de l’écologie urbaine qui souhaitaient appliquer aux communautés humaines les concepts de l’écologie, pour expliquer les prin-cipes d’occupation de l’espace et les compétitions entre les communautés. Elle est le fait notamment de deux sociologues reconnus, Dunlap et Catton qui en  lancent l’étude de la société et son environnement physique. But-tel en  préconisera une approche plus dialectique qui donnera naissance à la sociologie écologique ⁶.

La sociologie canadienne s’incarne avec la sociologie proposée par Jean-Guy Vaillancourt largement inspirée des américains. Il propose le concept . Fabio L R, « Habiter la hype city », in L’homme postmoderne de M. Maffesoli, François Bourin Éditeur, Paris, , p. -.

. Ali A A (dir.), op. cit. p. .

. François L, Sauver la ville. Écologie du milieu urbain, Paris, Sang de la Terre, . . Agenda , Grenelle de l’Environnement en France, rapport Bruntland.

. Yanni G, op. cit., p. .

. Fred B, « Sociologie et environnement : la lente maturation de l’écologie humaine », Revue internationale des sciences sociales, n , , p. -.

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