Notre société est celle de la contradiction. Il apparaît opportun de se saisir des outils proposés par les sociologues travaillant dans cette optique. L’écolo- gie se heurte à cette société contradictoire. Ainsi comment penser la durabi- lité dans une culture instantanéiste, comment maîtriser ses ressources sans renoncer à consommer dans le cadre d’une culture technologique et métabo- liste, comment parvenir au bonheur en sachant que des espèces se meurent ? Les performances de la technique s’accompagnent d’une odeur d’obsoles- cence ¹. La modernité a su développer le processus industriel en pensant qu’il allait contribuer à améliorer le sort économique et social des hommes. C’est pour partie réussi. La maîtrise de l’énergie a transformé les sociétés. Le niveau de développement proposé aujourd’hui est élevé et satisfait aux objectifs de loisir et de consommation, même si une partie de la population Atlas marocain. Sous nos yeux se dessine l’image d’une modernité impitoyable pour le petit village qui va y perdre sa sociabilité. www.festival-autrans.com en date du décembre .
. Vincenzo S, Joie tragique. Les Formes élémentaires de la vie électronique, Paris, C.N.R.S., .
Conclusion. L’éco-citoyen : enfin prêt ?
en est toujours exclue. Aujourd’hui ce modèle est pourtant mis en cause. Les valeurs changent avec l’histoire. Selon le point de vue écologiste, si l’on veut poursuivre l’optique du bonheur, il faut changer les mentalités en réformant l’économie et en s’attaquant au problème énergétique (la fameuse transi- tion écologique). Ainsi émane le désir de vivre autrement dans nos sociétés que sous le règne du capital et de l’énergie. Pour cela, économistes et éco- logistes veulent faire de la croissance verte une nouvelle culture renouant avec le bonheur des hommes, bâtie cette fois-ci non pas sur les espoirs for- gés par le développement industriel mais dans le cadre d’une société atten- tive à son environnement. Les économistes le savent, pour eux, la nature n’est pas sacrée, elle porte simplement des valeurs vitales qui dépassent le cadre évoqué de l’émotion ou de l’affectivité. Pourtant, c’est la base de toute vie sociale. L’affectivité donne le ton à la culture et participe au savoir vivre dans un monde préoccupé. Par exemple qui supporterait aujourd’hui d’ache- ter sa voiture sans climatisation, alors qu’elle est très polluante et consom- matrice d’énergie ? Mais le consommateur est pourtant attentif à la norme environnementale et au fabricant, peut-être même ne fera-t-il pas fonction- ner sa climatisation par souci économique, il ouvrira alors ses vitres ce qui augmentera sa consommation en carburant.
La question posée par la sociologie et l’écologie est bien celle de savoir com- ment vivre dans la contradiction ? Il existe un chemin, nous dit Michel Maffe- soli qui n’a pas de but, par où l’on entre « sans progresser ¹ » mais qui permet d’intégrer le passé dans le présent, voire dans l’avenir (la régrédience). Il existe des contradictions fondatrices en écologie qui se résolvent dans le quotidien. Ainsi consommer vert reste du ressort de l’idéologie capitaliste, mais cela est- il si gênant dans la mesure où d’autres peuvent aussi en tirer un bénéfice (des populations, des espèces, des végétaux). Ainsi « sans être dupe du jeu, tout un chacun joue le jeu du monde, joue le monde comme jeu ² ». Une sociologie des déchets, ou l’art de manger permet de comprendre l’alliance contradic- toire qui existe entre la nature et la technique. Cette alliance se forme dans les méandres du quotidien et a pour vecteur l’imaginaire. Selon les principes de la dialogique nous ne devons pas nous séparer de notre environnement.
La « médiance » proposée par la « pensée paysagère » d’Augustin Berque introduit la complémentarité entre les deux versants de l’être humain : sa moitié animale, individuelle et sa moitié médiale, collective et subjective . Michel M, La Passion de l’ordinaire. Miettes sociologiques, Paris, C.N.R.S., , p. .
L’appel de l’environnement
dans l’espace et le temps ¹. Ainsi le « milieu se construit dans sa relation avec le sujet, sujet qui se construit lui-même dans sa relation avec le milieu ² ». Nous pouvons aussi songer à la perspective hologrammatique proposée par Edgar Morin ³ : le tout est dans la partie qui elle-même contient le tout, qui d’un point de vue sociologique nous permet de lier les approches holistique et individualiste. Nous sommes en prise avec notre environnement.
La reliance est une voie privilégiée par la sociologie du quotidien, qui à travers quelques gestes symboliques, une pensée mythique, une ambiance sociale nous montre un chemin, celui du bien-vivre au lieu du bien-être, ce dernier étant trop ancré dans une logique du bonheur à conquérir. Ainsi nous pouvons revenir sur les idéaux proposés par la modernité : maîtrise, responsabilité, égalité. Ils sont toujours présents dans nos sociétés. Nous les retrouvons à l’œuvre, en particulier dans la réflexion écologique sur les condi- tions d’un développement durable ou soutenable. Justice, démocratie, éga- lité sont toujours dans l’air du temps, mais il existe une différence essentielle aujourd’hui dans la mesure où il ne s’agit pas de conquérir des espaces mais de participer, de s’imprégner de l’environnement pour donner naissance à la sensibilité écologique de type postmoderne qui réenchante notre monde. Les émotions, les convictions sont des facteurs de socialité qui permettent d’ancrer les individus dans des choix de vie complémentaires mais aussi sou- vent contradictoires, tels l’usage du smartphone dans la nature. Cette syner- gie devient possible par la faculté des individus à s’accommoder, à se perce- voir dans un environnement tantôt hostile, nauséabond, laid, tantôt favo- rable et, dans ce cas, c’est parce que cet environnement est vecteur de socia- lité. Il nous rappelle le lien ancestral que des hommes ont eu à la terre et à la nature. Alors, même si ce lien est parfois orchestré par la société capitaliste et s’évade de la problématique écologiste, sans lui la question de la nature n’aurait peut-être tout simplement pas lieu. Il faut alors privilégier l’écoso- phie sur l’écologie. L’ambiance esthétique, la sensibilité organique, décrites par Michel Maffesoli nous rappelle notre participation émotionnelle, aux autres avant tout. Étudier l’ambiance sociale permet de prendre en compte l’environnement sensible des lieux, les conduites perceptives et les activités sociales engagées. L’important est la « raison des sens », ou ce qui est vécu est le plus important, où les formes du vivre-ensemble sont fondatrices de socialité, là où se rencontrent les différents cercles de la vie sociale propo- sés par Simmel. La vie est ici dans l’interaction entre le social et l’environ-
. Augustin B, Médiance, de milieux en paysages, op. cit. . Augustin B, La Pensée paysagère, op. cit., p. .
. Edgar M et Jean-Louis Lemoigne, L’Intelligence de la complexité, Paris, L’Harmattan, .
Conclusion. L’éco-citoyen : enfin prêt ?
nement, dans les plis de la nature, dans le terroir. Les mentalités ne peuvent évoluer que si les pratiques qui y sont associées sont vécues et ressenties de l’intérieur. Alors la société peut être réformée (voire même doit être réfor- mée) d’un point de vue institutionnel et économique. Heidegger, dans Être
et temps, nous a introduit à la vision d’un individu concret « l’être-là », mais
aussi « l’être-jeté », « l’être-ensemble », « l’être-en-avant-de-soi ». Dans cette optique certains propos de Jonas peuvent rester éclairants. « Un individu concret, tel qu’il s’appréhende à lui-même de l’intérieur ¹ ». Jonas souhaite aller plus loin, dépasser la dynamique individuelle de l’être-là, déborder du cadre phénoménologique pour poser la relation de l’homme au monde en tant qu’être-là, dans ce monde : que doit-il faire face à une nature en péril ? Passer à l’acte à travers des pratiques qui disent le lien nécessaire entre émo- tion et action.
Les pratiques écologiques par leur ancrage dans la sociologie du quotidien expriment ce qui culturellement touche les individus. Même si les hommes ne sont pas décidés à révolutionner leur mode de vie, ils restent à l’écoute. En ce sens, la sociologie de l’environnement reste un sujet par excellence propice à la réflexion sur le quotidien qui n’a pas de frontières et qui rassemble. La localité, l’être-ensemble, le sens de la communauté (Gemeinschaft) sont des termes centraux pour l’écologie profonde ; or ce sont ces mêmes termes qui fondent la trame sociologique pour donner à l’écologie sa consistance et sa résonance sociale. Des espaces liés à des pratiques au sein desquelles retentit un esprit. Il existe ainsi une « homologie figurative ² » entre le décor proposé par l’écologie et son appropriation par la collectivité.
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