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Un fonds social

Dans le document L'appel de l'environnement (Page 58-63)

Les différents discours ou récits tenus sur l’environnement évoquent direc- tement la dévastation de la nature (faune, flore, eau, air) et ses atteintes (pêche, chasse, déchets, pollution, bruits) qui donnent naissance à des cam- pagnes d’information, à une médiatisation des catastrophes, enfin à une remise en cause de nos modes de production et de vie. Pierre Lascoumes nous explique comment l’environnement s’est ainsi construit selon des pro- cédures de transcodage : naturaliste-anecdotique (en faveur de la défense du cadre de vie), politico-événementiel (écologie militante), économico- technique (rationalisation des décisions) pour donner naissance à des politiques environnementales. Celles-ci sont traversées par des lignes de

. Patrick W, Éloge de la confiance, Paris, Belin, . . Serge M, Réenchanter la nature, op. cit.

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force qui s’interpénètrent. Les politiques décident des choix de protection, d’investissement, de classement, en fonction des aspirations de la société civile (les citoyens) et des producteurs, dont les agriculteurs et industriels font figure de proue. Ils sont accusés de polluer : ce qui donne naissance à des expertises et la place pour la controverse. L’exemple le plus connu concerne celui du réchauffement climatique. Face aux rapports alarmants des années , notamment celui du GIEC (Groupe d’experts intergouver- nemental sur l’évolution du climat mis en place en ), porté par plus de six cents chercheurs incriminant l’activité humaine au fondement du réchauf- fement, des voix se sont élevées chez les spécialistes en climatologie, des « sceptiques » quant aux paramètres utilisés, aux moyens mis en œuvre, aux zones ayant fait l’objet de mesures et qui viendraient largement minorer l’impact de l’homme sur le climat. Des intérêts économiques portés par de puissants lobbies viennent renforcer cette controverse : d’un côté des com- pagnies pétrolières, de l’autre le développement des énergies renouvelables sont des exemples de cet enjeu.

C’est dans ce cadre que prend place l’intention démocratique. Face à des biens environnementaux, il est délicat de faire une analyse quantitative de leur utilité ¹. Le paysage par exemple est le même pour tous, mais tous ne vont pas l’apprécier de la même manière car ils n’en ont pas le même usage. L’analyse économique répugne à accorder des préférences à certains acteurs considérés comme des consommateurs, car le principe d’équité ne leur semble pas respecté. Ils ont également du mal à apprécier la valeur des biens environnementaux car leur base reste monétaire. On pourrait dire qu’un paysage n’a pas de prix sauf pour celui qui l’exploite (tourisme vert, agriculture, carrières). Très vite, la pensée du paysage incarnée par les médias, notamment à travers l’usage de photographies, de reportages ciné- matographiques et télévisuels devient cynique ². Elle introduit du marketing vert et tente de le vendre. Nous nous éloignons alors des considérations éco- logiques. Le problème demeure : préserver la nature tout en conciliant des intérêts commerciaux. Ce n’est pas de la dégradation dont il est alors ques- tion mais de la réglementation ³ d’activités humaines, agricoles, industrielles et de loisir au sein de milieux menacés par l’action de l’homme. Ainsi, le lit- toral pour être protégé doit d’abord être aménagé et mis en valeur (loi du littoral du  janvier ). La chasse est également un espace sensible dans lequel il faut protéger les intérêts des chasseurs et les espèces menacées de

. Sylvie G et Stéphane L (dir.), op. cit. . Augustin B, La Pensée paysagère, op. cit. . Pierre L, op. cit., .

 L’appel de l’environnement

disparition. Les conflits ne se résolvent jamais mais donnent naissance à des réglementations qui régulent les hostilités. Nous pouvons y voir des formes de participations ordinaires ayant le mérite de proposer le débat. C’est sur ce point que nous pouvons introduire un enjeu majeur porté par la sociologie de l’environnement : l’intention démocratique, qui est aussi source de santé sociale.

C’est dans le fait d’adhérer à des valeurs collectives que la mobilisation devient possible. En protégeant des intérêts collectifs, c’est le cadre de vie immédiat qui est mis en avant, l’action devient immédiate et spontanée plus que systématique ¹. Les associations générales et les O.N.G. savent aujour- d’hui mobiliser les outils administratifs et s’adresser aux politiques (associa- tions de défense pour la faune et la flore par exemple) ; tandis que les asso- ciations plus locales sont des veilleuses, mais bénéficient d’une implantation politique (leurs membres sont souvent des élus).

Ceux qui sont concernés directement par les questions environnemen- tales restent des acteurs de terrain : agriculteurs, chasseurs, randonneurs, consommateurs. Leurs propos sont souvent novateurs ou expérimentateurs. Ils sont ainsi auteurs et détracteurs de débats qui se situent dans un cadre démocratique de gouvernance pour se monter en association, en produc- teurs labellisés, en industriels protégés par des lobbies.

Lorsqu’Hannah Arendt parle d’« idéal démocratique », elle met en avant l’idée de représentation du politique, qui soit en accord avec les désirs du peuple et ceux qui les représentent. L’écologie renouvelle cet idéal en invo- quant les liaisons qui doivent exister entre l’environnement naturel et la société. La problématique écologique propose une « transfiguration du poli- tique » (Maffesoli) qui nous laisse entrevoir des sentiments mobilisant des émotions. Souvenons-nous du Pacte écologique proposé par Nicolas Hulot en  : il faisait appel aux racines de l’humanité, à ce qui nous lie à notre terre et que nous devons sauvegarder. Il y a donc bien l’ancrage d’une rai- son sensible dans la cause écologique pour un retour à une vision plus démocratique des décisions concernant l’environnement. L’écologie tente de mobiliser l’âme du peuple.

La sociologie de l’environnement s’enracine dans une sociologie générale (des pratiques, des symboles, des institutions, des structures) dont l’écolo- gie est la grande inspiratrice, tant dans ses représentations que dans son institutionnalisation. J’insisterai davantage lors du chapitre  sur les pra- tiques qui, à mon sens, constituent une dynamique sociale insuffisamment explorée aujourd’hui au profit des dimensions institutionnelles de l’écologie,

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comprises en terme de politiques publiques et sociales. L’intention de ce premier chapitre était de saisir l’esprit d’une sociologie de l’environnement en regardant comment la société s’en était emparée : politiques de santé, poli- tiques éducatives sur fonds de nature, tentative d’institutionnaliser le débat dans un rapport conflictuel entre acteurs et militants, introduction d’une économie verte. Il faut aussi rappeler l’assise imaginaire de l’environnement : les symboles qui l’habitent dont ceux liés à la nature et à la santé. Si l’envi- ronnement est englobant c’est parce qu’il est perçu prioritairement sous le prisme des objets de la nature. Ce sont bien les éléments naturels qui éta- blissent les liens avec les territoires (sous forme de paysage et de culture) et la santé (à travers des éléments ressources dont l’alimentation et l’identité). Nous comprenons pourquoi l’écologie est devenue reine.

Nous avons conservé pour le chapitre suivant un trait saillant de la socio- logie et de l’écologie, la critique de la modernité et de ses supports : déve- loppement par la production et la consommation, prospérité et bonheur en vertu d’une idéologie progressiste. Sujet rebondissant où se situe l’âme de la Modernité. Toute réflexion sociologique ou écologique se retrouve sans objet ni contexte si nous n’y intégrons pas cette critique.

Chapitre

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