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Droits de l'homme et environnement

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Droits de l'homme et environnement

FLÜCKIGER, Alexandre

FLÜCKIGER, Alexandre. Droits de l'homme et environnement. In: Hertig Randall, Maya &

Hottelier, Michel. Introduction aux droits de l'homme . Genève : Schulthess, 2014. p.

606-620

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:46314

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Chapitre 2 : Droits de l’homme et environnement 1

Introduction : une relation ambivalente

Les relations entre les droits de l’homme et l’environnement sont à la fois évidentes et pos- siblement antagonistes.

Les droits de l’homme ne cessent en effet pas de s’appliquer en présence d’une atteinte environnementale. Le droit à la vie est aussi durement touché lorsqu’un décès résulte du tir d’une balle que de l’explosion d’une poche de méthane dans une décharge publique. La liberté d’expression demeure tout autant valide pour juger un discours pointant l’activité polluante d’une entreprise. La liberté d’information donne accès tout aussi bien aux docu- ments publics généraux qu’aux informations environnementales.

Un environnement décent est de ce point de vue indispensable à la pleine jouissance des droits fondamentaux des individus : vivre au milieu d’immondices, boire de l’eau souillée, respirer un air pestilentiel portent atteinte à la santé, la vie et la dignité des individus2. La Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Déclaration de Stockholm, 1972) témoigne de cette approche anthropocentrique :

Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même. (préambule) L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. (article 1er)

Les ambitions du droit de l’environnement vont en revanche au-delà. Selon certains, la nature peut avoir des droits et devrait être protégée en tant que telle, indépendamment de son utilité ou de son besoin pour l’être humain. La Charte mondiale de la nature (ONU, 1982) l’illustre, en exigeant le respect de la nature en soi :

« La nature sera respectée et ses processus essentiels ne seront pas altérés. » (article 1er)

L’ordre juridique assurera dans cette perspective la biodiversité, l’intégrité des paysages naturels et des étendues sauvages, la conservation des ressources ou la dignité des êtres vivants, indépendamment de l’impact sur l’espèce humaine. Alors que dans la première perspective, la nature doit être protégée pour protéger l’être humain, le point de vue éco- centrique exige de protéger la nature avec, possiblement, pour conséquence une protec- tion des humains. Une variante plus radicale de ce mouvement, qualifié d’écologie pro-

1 Que Mme Francesca Magistro, assistante au Département de droit public de la Faculté de droit de l’Université de Genève, soit remerciée pour sa relecture attentive et ses fructueux commentaires.

2 Ci-dessous, I.

Alexandre Flückiger

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I. La protection de l’environnement par les droits de l’homme classiques fonde3, va jusqu’à admettre dans certains cas une protection même au détriment du développement de l’espèce humaine, par exemple en exigeant sa dépopulation4. L’être humain n’occupe pas une place centrale sur la planète qui l’autoriserait à coloniser son environnement naturel et à l’asservir à ses propres fins5.

Octroyer des droits fondamentaux aux organismes vivants, qu’il s’agisse d’espèces ani- males et végétales, et à leur milieu physique (biotope) demeure, on le voit, un chantier bien plus controversé que la protection de l’environnement par les droits de l’homme classiques. La question est profondément philosophique : peut-on accorder des droits

« humains » aux « non-humains »6 ou faut-il viser une voie plus consensuelle en concevant un droit de l’homme à un environnement sain et écologiquement harmonieux7 ?

I. La protection de l’environnement par les droits de l’homme classiques

Les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme ne font généralement pas une référence explicite à l’environnement, qu’il s’agisse de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, de la CEDH de 1950, de la Charte sociale européenne de 1961, ou des Pacte I et Pacte II de 19668. Depuis les années 1970 toutefois, la question de la protec- tion de l’environnement par les droits de l’homme a été abondamment traitée dans la doc- trine internationaliste qui en a démontré l’interdépendance9. Elle s’est frayée un chemin

3 Gérald Hess, Ethiques de la nature, Paris 2013, p. 340 ss.

4 Sur la thématique de la surpopulation comme facteur de pression écologique, voir Alexandre Flückiger, Limiter la population pour protéger l’environnement et garantir une occupation ration- nelle du territoire : une intuition enjôleuse à l’épreuve des droits fondamentaux, PJA 2014, p. 165 ss ; Ian Angus, Simon Butler, Too Many People ? Population, Immigration, and the Environmental Crisis, Chicago 2011, p. 83 ss.

5 Sur l’éco- et le biocentrisme comparé à l’anthropocentrisme, voir par exemple Paul Wapner, Living through the End of Nature : The Future of American Environmentalism, Cambridge Mass. 2010, p. 64 ss, avec références citées. Plus détaillé sur les différentes postures morales en éthique environ- nementales, voir Hess (note 3), p. 116 ss, qui recense les cinq postures principales suivantes : théo- centrisme, anthropocentrisme moral, pathocentrisme, biocentrisme et écocentrisme.

6 Ci-dessous, II.B.

7 Ci-dessous, II.C.

8 Conseil de l’Europe, Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement, 2e éd., Strasbourg 2012, p. 11. Le CEDS et le CDESC ont toutefois déduit un droit à un environnement sain dans le droit à la santé contenu tant dans la CSE que dans le Pacte I (ci-dessous I.A. et I.B. in fine). Dans les instru- ments régionaux, on peut également citer la CADHP et le Protocole de San Salvador pour le système américain (ci-dessous, II.C.).

9 Voir par exemple Paul W. Gormley, Human Rights and Environment : The Need for International Co-operation, Leyden 1976, et les références citées in : Günther Handl, Human Rights and Pro- tection of the Environment : A Mildly « Revisionist » View, in : Antonio Augusto Cançado Trindade

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dans les organes des Nations Unies10 puis a essaimé dans la pratique des tribunaux régio- naux des droits de l’homme. On se limitera à présenter ici la situation dans le Conseil de l’Europe11.

A. L’Organisation des Nations Unies

Le fait que les atteintes environnementales puissent porter conséquence à la jouissance des droits de l’homme a été reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU en 1968 déjà lorsque celle-ci constatait « la détérioration continue et de plus en plus rapide de la qua- lité du milieu humain […] sur la condition de l’homme, son bien-être physique, mental et social, sa dignité et ses possibilités de jouir des droits fondamentaux de l’homme »12. Comme on l’a vu en introduction, le constat est repris dans la Déclaration de Stockholm de 1972.

Le droit à la santé prévu dans le Pacte I (article 12 [2] lettre b) exige que les Etats prennent des mesures pour « l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle ». Il a été interprété par le Comité des droits économiques, sociaux et cultu- rels comme englobant « les mesures visant à assurer un approvisionnement suffisant en eau salubre et potable et en moyens d’assainissement élémentaires ; et les mesures visant à empêcher et réduire l’exposition de la population à certains dangers tels que radiations ou produits chimiques toxiques et autres facteurs environnementaux nocifs ayant une incidence directe sur la santé des individus»13. On soulignera que le Comité qualifie l’ar- ticle 12 (2) lettre b de « droit à un environnement naturel et professionnel sain»14. Le droit à la santé prévu dans la Convention relative aux droits de l’enfant15 demande de tenir compte « des dangers et des risques de pollution du milieu naturel » lors de la four- (éd.), Human Rights, Sustainable Development and the Environment, San José de Costa Rica 1992, 117–142, p. 117.

10 Ci-dessous II.C.

11 Ci-dessous, I.B. Sur la pratique de la Comm. ADHP, de la Comm. IDH et de la Cour IDH, voir Donald K. Anton, Dinah L. Shelton, Environmental Protection and Human Rights, Cambridge 2011, p. 577 et 351 ss ; Knox John H., Rapport de l’Expert indépendant chargé d’examiner la ques- tion des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, Rapport préliminaire, A/HRC/22/43, 2012, nº 24.

12 Résolution 2398 (XXIII) de 1968 portant convocation de la Conférence de Stockholm, préambule.

13 Observation générale nº 14, § 15 (2000), disponible sur http://www1.umn.edu/humanrts/esc/french/

general_comments/14_gc.html. Voir dans le même sens l’Observation générale nº 15, § 8 : « L’hy- giène du milieu, en tant qu’élément du droit à la santé consacré à l’alinéa b du paragraphe 2 de l’ar- ticle 12 du Pacte, implique qu’il soit pris des mesures, sans discrimination, afin de prévenir les risques pour la santé dus à une eau insalubre et toxique ».

14 Observation générale nº 14, § 15.

15 RS 0.107 ; sur la question de la CDE et des changements climatiques, voir Christine Bakker, Children’s Rights Challenged by Climate Change : Is a Reconceptualization Required?, in : Federico Lenzerini, Ana Vrdoljak (éd.), International Law for Global Common Goods: Normative Perspective on Nature, Culture and Human Rights, Oxford (à paraître 2014)

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I. La protection de l’environnement par les droits de l’homme classiques niture « d’aliments nutritifs et d’eau potable » dans le cadre de la lutte contre la maladie et la malnutrition (article 24 [2] lettre c).

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes16, assure aux femmes le droit de « bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne […] l’assainissement » (article 14 [2] lettre h).

Enfin, le Conseil des droits de l’homme a jugé que les mouvements et les déversements illégaux de substances et déchets dangereux menaçaient les droits à la vie et à la santé17 et que les changements climatiques avaient des incidences sur les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau, au logement et à l’autodétermination des peuples18.

B. Le Conseil de l’Europe (Convention européenne des droits de l’homme, Charte sociale européenne)

Depuis le milieu des années 1990, le sujet a gagné plus largement en intérêt sous l’impul- sion d’une jurisprudence créatrice de la Cour européenne des droits de l’homme articu- lée essentiellement autour du droit à la vie (article 2 CEDH) et au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (article 8 CEDH)19. Le Comité européen des droits sociaux lui a plus récemment emboîté le pas dans la concrétisation du droit à la santé (article 11 CSE).

Alors que la Cour EDH a constaté une violation du droit à la vie dans peu de cas (cou- lées de boue20 ; explosion de méthane dans une décharge21, inondations22), elle a reconnu plus fréquemment une violation du droit à la vie privée en rapport avec les émissions nocives ou la gestion déficiente de déchets23, les émissions nocives ou les activités dan-

16 RS 0.108.

17 Conseil des droits de l’homme, Résolutions 9/1, 12/18 et 18/11 ; voir aussi CDH, Résolution 2005/15.

18 Résolutions 7/23, 10/4 et 18/22. Sur les effets d’une dégradation de l’environnement sur le droit à l’alimentation, voir Conseil des droits de l’homme, Résolutions 7/14, 10/12 et 13/4. Sur le droit au logement qui comprend « la possibilité de vivre dans un environnement exempt de pollution de l’air, de l’eau et de la chaîne alimentaire » (Déclaration du Rapporteur spécial sur le logement convenable, au Sommet mondial sur le développement durable, Johannesburg, 30 août 2002). Sur les effets du changement climatique, voir également Haut-Commissariat aux droits de l’homme (A/HRC/10/61) ; Déclaration conjointe des titulaires de mandat des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme sur la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (Copenhague, 7–18 décembre 2009).

19 Sur la jurisprudence de la Cour EDH au sujet du droit à un environnement sain, voir Katharina Braig, Umweltschutz durch die Europäische Menschenrechtskonvention, Bâle 2013.

20 Cour EDH, Boudaïeva c. Russie, nº 15339/02, 20 mars 2008, Rec. 2008.

21 Cour EDH, Öneryıldız c. Turquie (GC), nº 48939/99, 30 novembre 2004, Rec. 2004-XII.

22 Cour EDH, Kolyadenko c. Russie, nº17423/05, 28 février 2012.

23 Station d’épuration des eaux et de traitement des déchets d’une tannerie (Cour EDH, López Ostra c.

Espagne, nº 16798/90, 9 décembre 1994, série A nº 303-C) ; fumier devant la porte et sous les fenêtres d’une habitation (Cour EDH, Surugiu c. Roumanie, nº 48995/99, 20 avril 2004) ; émissions nocives

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gereuses d’usines24 et de mines25, le bruit provenant d’établissements26 ainsi que les nui- sances sonores et olfactives dues à la circulation routière27.

La Cour a déduit de ces droits non seulement une obligation de respect mais a également imposé aux Etats des obligations positives d’agir pour assurer une prévention efficace et une protection effective28. Elle a ainsi pu sanctionner le défaut de mise en œuvre de la législation environnementale29, talon d’Achille récurrent du droit de l’environnement.

La Cour a également découvert des droits environnementaux procéduraux dans les droits à la vie et à la vie privée : obligation de procéder à des études d’impact sur l’environne- ment30 et obligation d’informer les citoyens à leur demande lorsque le droit à la vie ou à la vie privée est menacé31. La Cour n’a en revanche pas (encore) reconnu une obligation positive d’information spontanée sur la base de la liberté d’expression (article 10 CEDH)32, d’une usine de stockage et de traitement de déchets (Cour EDH, Giacomelli c. Italie, nº 59909/00, 2  novembre 2006, Rec. 2006-XII) ; nuisances olfactives causées par une décharge (Cour EDH, Brânduşe c. Roumanie, nº 6586/03, 7 avril 2009) ; non-ramassage de déchets urbains (Cour EDH, Di Sarno c. Italie, nº 30765/08, 10 janvier 2012).

24 Usine chimique (Cour EDH, Guerra c. Italie [GC], nº 116/1996/735/932, 19 février 1998, Rec. 1998- I) ; aciérie (Cour EDH, Fadeïeva c. Russie, nº 55723/00, 9  juin 2005, Rec. 2005-IV ; Cour EDH, Lediaïeva c. Russie, nº 53157/99, 53247/99, 53695/00 et 56850/00, 26 octobre 2006) ; usine de plomb et de zinc (Cour EDH, Băcilă c. Roumanie, nº 19234/04, 30 mars 2010).

25 Mine d’or (Cour EDH, Taşkın c. Turquie, nº 46117/99, 10 novembre 2004, Rec. 2004-X ; Cour EDH, Öçkan c. Turquie, nº 46771/99, 28 mars 2006 ; Cour EDH, Lemke c. Turquie, nº 17381/02, 7 juin 2007 ; Cour EDH, Tătar c. Roumanie, nº 67021/01, 27 janvier 2009) ; mine de charbon (Cour EDH, Dubetska c. Ukraine, nº 30499/03, 10 février 2011).

26 Boîte de nuit (Cour EDH, Moreno Gómez c. Espagne, nº 4143/02, 16 novembre 2004, Rec. 2004-X) ; club informatique et de jeux vidéo (Cour EDH, Mileva c. Bulgarie, nº 43449/02, 21475/04, 25 novembre 2010).

27 Cour EDH, Deés c. Hongrie, nº 2345/06, 9 novembre 2010 ; Cour EDH, Grimkovskaya c. Ukraine, nº 38182/03, 21 juillet 2011.

28 Voir par exemple Öneryıldız c. Turquie (note 21), § 89 ; Boudaïeva c. Russie (note 20), § 129 ss ; Tătar c. Roumanie (note 25), § 88.

29 Dans la majorité des affaires ayant conduit à une violation de l’article 8, le problème ne résultait pas de l’absence de législation mais du défaut des autorités à la faire respecter (Conseil de l’Europe [note 8], nº 37) : voir par exemple station d’épuration sans autorisation (López Ostra c. Espagne [note 23]) ; activités industrielles illégales ou en violation des normes environnementales nationales exis- tantes (Taşkın et autres. c. Turquie [note 25] ; Fadeïeva c. Russie [note 24]).

30 « [M]ême si la Cour n’a pas encore utilisé l’expression «étude d’impact environnemental (EIE)» pour décrire l’aspect procédural de l’article 8, » elle « semble exiger de plus en plus que des EIE soient menées pour satisfaire aux critères d’évaluation énoncés » (Conseil de l’Europe [note 8], nº 93 se référant à Tătar c. Roumanie [note 25], § 112). Voir également Giacomelli c. Italie (note 23), § 94–95 ; Grimkovskaya c. Ukraine (note 27), § 67 ; Dubetska c. Ukraine (note 25), § 143.

31 Guerra et autres c. Italie (note 24), § 53 ; Öneryıldız c. Turquie (note 21), § 90 ; Boudaïeva c. Russie (note 20), § 131.

32 La Cour a laissé entrevoir une ouverture à ce propos : voir Cour EDH, Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie, nº 37374/05, 14 avril 2009, § 35 ss ; voir aussi Cour EDH, Österreichische Vereinigung zur Erhaltung, Stärkung und Schaffung c. Austriche, nº 39534/07, 28 novembre 2013, § 41 : « Howe-

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I. La protection de l’environnement par les droits de l’homme classiques mais a pu admettre dans ce contexte un droit de s’exprimer de manière critique justifié par des motifs environnementaux33. Si la Cour a appliqué d’autres droits procéduraux en lien avec le droit à un procès équitable et à l’accès à un tribunal (article 6 CEDH) et celui à un recours effectif (article 13 CEDH)34, elle a fait un pas de plus en fondant le droit d’ac- cès à un tribunal également sur les articles 2 et 8 CEDH35, créant un droit d’accès plus large que celui de l’article 6 CEDH36. Elle n’a toutefois admis le droit d’accès à un tribu- nal aux organisations de défense de l’environnement que si les actions de ces dernières visent à protéger l’intérêt patrimonial de leurs membres, mais pas nécessairement si elles ne défendent qu’un intérêt public général (en l’espèce la protection de l’environnement)37. La Cour s’est également aventurée sur le terrain du droit pénal de l’environnement en constatant une violation du droit à la liberté et à la sûreté qui définit les conditions de détention et d’arrestation (article 5 CEDH), en s’inspirant du droit européen et interna- tional38.

Enfin, la Cour a précisé, depuis les années 1980 déjà, que la garantie de la propriété (article 1 du Protocole nº1) pouvait être légitimement restreinte pour des motifs envi-

ver, in Társaság a Szabadságjogokért – which concerned a request for access to information by a non- governmental organisation for the purposes of contributing to public debate – the Court noted that it had recently advanced towards a broader interpretation of the notion of the « freedom to receive information » and thereby towards the recognition of a right of access to information (cited above,

§ 35). »

33 Cour EDH, Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, nº 24699/94. 28 juin 2001, Rec. 2001-VI, nº 32772/02, 4  octobre 2007 et 30  juin 2009, Rec. 2009 ; Cour EDH, Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, nº 57829/00, 27 mai 2004, § 40 ss ; Cour EDH, Steel et Morris c. Royaume-Uni, nº 68416/01, 15 février 2005, Rec. 2005-II, § 89.

34 Conseil de l’Europe (note 8), chapitre VI, avec arrêts commentés.

35 Taşkın c. Turquie (note 25), § 119 ; Grimkovskaya c. Ukraine (note 27), § 69 ss.

36 « Les droits prévus aux articles 2 et 8 n’exigent pas que l’issue de la procédure judiciaire soit décisive pour les droits du requérant ni qu’il y ait le risque d’un grave danger » (Conseil de l’Europe (note 8), nº 109, se référant à Öçkan c. Turquie (note 25), § 39 et 44 et à Tătar c. Roumanie (note 25),

§ 88 et 119).

37 Cour EDH, Gorraiz Lizarraga c. Espagne, nº 62543/00, 27 avril 2004, Rec. 2004-III, § 46 et 47.

38 Le déversement massif d’hydrocarbures par des navires justifie l’arrestation, la détention et l’impo- sition d’une caution importante en raison des dommages écologiques causés (Cour EDH, Mangou- ras c. Espagne [GC], nº 12050/04, 28 septembre 2010, Rec. 2010, § 86–88).

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ronnementaux39, à condition d’indemniser le propriétaire40 en principe41. Elle n’a en revanche pas admis le droit au maintien des biens dans un environnement agréable42 ; jurisprudence peu cohérente qui demanderait à être coordonnée avec celle de l’article 8 où la Cour reconnaît largement des atteintes lorsque le requérant est domicilié dans un environnement hostile.

La Cour, en revanche, a refusé de voir une violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (article 3 CEDH) dans le cas d’une personne obli- gée de vivre durant quelques années dans une zone polluée à douze mètres d’une station d’épuration produisant des émanations nocives43.

Le droit à la protection de la santé (article 11 CSE) demande aux Etats de prendre des mesures visant notamment à éliminer les « causes d’une santé déficiente ». Le Comité européen des droits sociaux a interprété cette disposition comme garantissant, explicite- ment, un « droit à un environnement sain »44 en jugeant que les mesures visant à éliminer les « causes d’une santé déficiente » pouvaient très bien résulter « d’atteintes à l’environne- ment telles que la pollution »45. Appliquée à la pollution de l’air résultant de la l’exploita- tion de mines de lignite pour la production d’électricité, il a jugé que la Grèce avait violé ce droit à la santé46. Lorsque l’électricité est produite par des centrales nucléaires, l’Etat a l’obligation de prévenir les risques auxquels sont exposées les communautés vivant dans les zones à risque et protéger leur population contre les retombées des accidents

39 Cour EDH, Sporrong et Lönnroth c. Suède, nºs 7151/75, 23 septembre 1982, Série A 52; Cour EDH, Gillow c. Royaume-Uni, nº 9063/80, 24 novembre 1986, Série A 109 ; Cour EDH, Erkner et Hofauer c. Autriche, nº 9616/81, 23 avril 1987, Série A 117 ; Cour EDH, Allan Jacobsson c. Suède, nº 10842/84, 25 octobre 1989, Série A 163 ; Cour EDH, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, nº 12742/87, 29 novembre 1991, Série A 222, § 57 ; Cour EDH, Kapsalis et Nima-Kapsali c. Grèce, nº 20937/03, 23 septembre 2004, (déc.), partie « en droit » § 3 ; Cour EDH, Fredin c. Suède, 18 février 1991, nº 12033/86, Série A 192, § 48 ss ; Cour EDH, Hamer c. Belgique, nº 21861/03, 27 novembre 2007, Rec. 2007-V, § 79.

40 Si l’intérêt à la protection de la nature et des forêts est reconnu, l’article 1 du Protocole nº 1 est violé en l’absence d’indemnisation des requérants (Cour EDH, Turgut c. Turquie, nº 1411/03, 8 juillet 2008, § 91 ss ; voir également Cour EDH, Satir c. Turquie, nº 36192/03, 10 mars 2009, § 33–35). Voir également Cour EDH, Papastavrou c. Grèce, nº 46372/99, 10 avril 2003, Rec. 2003-IV, § 22–39 ; Cour EDH, Z.A.N.T.E. – Marathonisi A.E. c. Grèce, nº 14216/03, 7 décembre 2007, § 50–52.

41 Pas de violation malgré l’absence d’indemnisation dans le cas d’un ordre de démolition de résidences construites sur le littoral, sans droit de propriété ni autorisation d’occupation du domaine public maritime (Cour EDH, Depalle c. France [GC], nº 34044/02, 29 mars 2010, Rec. 2010 et Cour EDH, Brosset-Triboulet c. France [GC], nº 34078/02, 29 mars 2010).

42 Taşkın c. Turquie (note 25), partie « En droit ».

43 López Ostra c. Espagne (note 23), § 60.

44 CEDS, Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme c. Grèce, nº 30/2005, 6 décembre 2006,

§ 195.

45 Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme c. Grèce (note 44), § 202.

46 Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme c. Grèce (note 44), § 221. Sur ce cas, voir Conseil de l’Europe (note 8).

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II. Les limites de la protection de l’environnement par les droits de l’homme nucléaires à l’étranger mais qui produisent des effets dans le pays sur le fondement de l’ar- ticle 11 CSE47. Enfin, toujours sur la base du droit à la santé, les Etats doivent interdire l’amiante et les produits en contenant48 et obliger les propriétaires à vérifier la présence d’amiante dans leurs bâtiments et si besoin à les défloquer49 .

On retiendra des pratiques précédentes qu’il n’est nullement question de protéger la nature en tant que telle50. On ne saurait en tenir rigueur puisque ni la CSE, ni la CEDH ne protègent l’environnement en soi mais bien l’être humain d’abord ; ce qui constitue le cœur des traités sur les droits de l’homme. On admettra ainsi avec le Conseil de l’Europe que ces deux textes « s’intéressent donc moins à l’environnement qu’à ses effets sur l’in- dividu. »51

II. Les limites de la protection de l’environnement par les droits de l’homme

A. Les limites structurelles des droits de l’homme

Le prisme des droits de l’homme classiques est sans conteste pertinent pour protéger l’être humain contre les pollutions qui l’affectent (écologie « grise »). Il demeure cependant trop réducteur pour répondre aux défis environnementaux contemporains. Ne protégeant l’environnement que par ricochet dans l’intérêt de l’être humain, et non la nature en tant que telle52, il laisse en chemin les paysages sauvages, les habitats naturels d’espèces ani- males et végétales ou la diversité biologique (écologie « verte »)53.

La protection par les droits de l’homme exige traditionnellement un intérêt individuel pour agir en justice : à savoir un intérêt de l’être humain, et non l’intérêt en soi d’entités non humaines. La qualité pour agir fera en principe défaut lorsque la personne n’est pas directement touchée dans sa santé, sa vie privée, son domicile ou sa propriété, lorsqu’elle n’est pas plus affectée que d’autres ou lorsque l’atteinte n’est pas scientifiquement prou- vée : tous les habitants d’une ville polluée peuvent-ils recourir contre la pollution atmos- phérique due à la circulation routière ? La consommation d’aliments contenant des OGM nuit-elle effectivement à la santé ? Mon droit à la santé, à ma vie privée ou à mon domi-

47 Conclusions XV-2, volume I, Danemark/ France, article 11, § 3, « Réduction des risques liés à l’envi- ronnement ».

48 Conclusions XVII-2, volume II, Portugal, article 11, § 3, « Réduction des risques liés à l’environne- ment ».

49 Conclusions XVII-2, volume II, Lettonie, article 11, § 3, « Réduction des risques liés à l’environne- ment ».

50 La Cour EDH l’a précisé explicitement (Fadeïeva c. Russie [note 24], § 68).

51 Conseil de l’Europe (note 8), p. 16.

52 Voir la jurisprudence de la Cour EDH ci-dessus, I.B.

53 Sur cette distinction entre écologie grise (qualifiée de « brune » dans le texte anglais) et verte, voir Wapner (note 5), p. 208 s.

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cile est-il vraiment touché par la disparition du gecko à queue foliacée ou du peuplier noir ?

La conception fondamentalement anthropocentrique des droits de l’homme tend à sous- estimer structurellement les préoccupations de la nature54. Il n’est pas étonnant dès lors que le droit de l’environnement ait été érigé en branche autonome, distincte des droits de l’homme, jusqu’à conférer dans certains cas des droits à la nature55 . Un autre courant éco- logiste tend en revanche à réintégrer l’environnement naturel dans le giron des droits humains en proposant de passer du droit de l’environnement à un droit fondamental à l’environnement56 .

B. Les droits de la nature

La variante la plus radicale a consisté à conférer des droits à la nature et, tirant un paral- lèle avec les droits de l’homme fondé sur la dignité humaine, à donner même un droit à la dignité de tous les êtres vivants57. L’être humain n’occupe pas une place privilégiée dans le cosmos, car notre espèce n’est pas distincte des autres formes de vie. Ce mouvement est illustré en droit américain par la fameuse opinion dissidente du juge Douglas dans un arrêt de la Cour suprême en 1972 concernant le projet de développement par Walt Disney d’un complexe touristique dans une vallée glaciaire sauvage en Californie (Mineral King Valley). Les entités naturelles devraient être autorisées à recourir devant la justice pour

assurer leur propre préservation et devenir de véritables parties au procès à la place même d’un individu :

Contemporary public concern for protecting nature’s ecological equilibrium should lead to the con- ferral of standing upon environmental objects to sue for their own preservation. See Stone, Should Trees Have Standing? - Toward Legal Rights for Natural Objects, […]. This suit would therefore be more properly labeled as Mineral King v. Morton. Inanimate objects are sometimes parties in lit- igation […] So it should be as respects valleys, alpine meadows, rivers, lakes, estuaries, beaches, ridges, groves of trees, swampland, or even air that feels the destructive pressures of modern tech- nology and modern life.58

Ce courant écologiste a été également reconnu par l’ONU en 1982 dans la Charte mon- diale de la nature59 puis ravivé récemment sous la forme d’une proposition de rédiger une Déclaration sur les droits de la Terre nourricière (Mother Earth), qui inscrirait le droit à

54 Sur la critique anthropocentrique, voir par exemple Handl (note 9), p. 138 s.

55 Ci-dessous, II.B.

56 Ci-dessous, II.C.

57 La Constitution fédérale suisse demande à l’Etat fédéral de respecter la dignité de la créature (« dignità della creatura »/ « Würde der Kreatur »/ « dignitad da las creatiras », improprement traduit en français par « intégrité des organismes vivants ») dans le cadre du génie génétique dans le domaine non humain (article 120 Constitution fédérale suisse). Sur ce thème, voir Christoph Errass, 20 Jahre Würde der Kreatur, Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins 2013, 187–232.

58 Sierra Club v. Morton, 405 U.S. 727 (1972), opinion dissidente de W. Douglas.

59 Voir ci-dessus, Introduction.

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II. Les limites de la protection de l’environnement par les droits de l’homme la vie de la Terre nourricière et des autres êtres vivants, y compris le droit à une vie propre (sans pollution) de ceux-ci, le droit à la régénération de la biocapacité et le droit à l’har- monie et à l’équilibre avec la nature60. L’Assemblée générale, considérant que « certains pays reconnaissent les droits de la nature dans le cadre de la promotion du développe- ment durable » vient d’estimer en 2012 qu’« il est nécessaire de promouvoir l’harmonie avec la nature »61. Parmi ces pays, on compte en particulier l’Equateur dont la Constitu- tion de 2008 confère la qualité de sujet de droit à la nature62.

Attribuer des « droits » aux plantes, aux paysages ou aux animaux ne permettra jamais d’échapper totalement à la critique anthropocentrique puisque notre système juridique est une institution humaine. De tels droits resteront des droits « des hommes » (législa- teurs, constituants, juges, Etats) à ce que d’autres êtres humains (avocats et leurs clients) défendent les intérêts de la nature, même si les recourants n’y trouvent qu’une motivation idéale. Les droits de la nature, ainsi conçus, n’auront en outre jamais de portée autonome.

Ils auront les contours de ce que les hommes se représentent comme étant « naturel », et cette représentation variera en fonction des lieux et des époques. La nature a-t-elle une volonté propre ? Est-on sûr qu’elle « veuille » être préservée ? Et même si tel était le cas, sur une planète aujourd’hui déjà intégralement colonisée par l’espèce humaine, la survivance d’espaces naturels exige, paradoxalement, une intervention humaine extensive63. Enfin, les « lois » de la nature peuvent être cruelles, tant en son sein, à l’exemple du chaton qui s’amuse avec sa proie avant de la croquer, qu’envers les humains, à l’exemple des catas- trophes naturelles contraignant l’Etat à prendre des mesures légitimes de protection contre l’environnement pour assurer le droit à la vie, à la santé, au domicile ou à la pro- priété des habitants. En réalité, celui qui demande de conférer des droits aux entités natu- relles estime que son intérêt personnel à défendre ceux-ci n’est pas aussi direct, utilitaire et égoïste que dans le système des droits fondamentaux classiques. Sa motivation à proté- ger la planète des pollutions ou des bulldozers peut être tout aussi bien récréative qu’es-

60 Conseil économique et social, Étude sur la nécessité de reconnaître et respecter les droits de la Terre nourricière, E/C.19/2010/4, distribué le 18 septembre 2009, Annexe.

61 Harmonie avec la nature, Résolution 67/214, du 21 décembre 2012 ; disponible sur http://harmo- nywithnatureun.org

62 « Las personas […] son titulares y gozarán de los derechos garantizados en la Constitución y en los instrumentos internacionales. La naturaleza será sujeto de aquellos derechos que le reconozca la Constitución. » (article 10 Constitution de 2008 ; voir également articles 71 ss). Sur un cas d’applica- tion, voir Erin Daly, Ecuadorian Exemplar : The First Ever Vindications of Constitutional Rights, Review of European Community & International Environmental Law 2012, 63–66. Cette disposition n’a cependant pas empêché l’Equateur d’autoriser en 2013 l’exploitation de pétrole dans le parc national du Yasuni, une forêt tropicale d’une extrême biodiversité (Michel Damian, Mauvaise nou- velle pour le climat et les peuples de l’Amazonie équatorienne : l’abandon du projet Yasuni-ITT de gel du pétrole en terre, Natures Sciences Sociétés 2013, 428–435.

63 Sur la nature comme représentation sociale et création humaine, voir Wapner (note 5), p. 133 ss.

Sur l’intense nécessité de gestion (humaine) des espaces naturels, voir idem, p. 142 ss. Sur la coloni- sation extensive de notre planète, voir idem p. 115.

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thétique, romantique, poétique, mystique ou religieuse64. Le recourant n’a pas à prouver un impact direct et scientifiquement établi sur sa vie ou sa santé. Octroyer des droits à la nature implique dès lors non seulement d’élargir la qualité pour agir à des organisations environnementales ou à chacun, quitte à introduire une action populaire65, mais égale- ment de diminuer les standards de preuve lorsque les causalités ne sont pas totalement certaines, en application du principe de précaution.

C. Vers un droit fondamental à un environnement sain et écologiquement harmonieux

Si les conceptions philosophiques qui se cachent derrière ces différentes visions de l’éco- logie diffèrent, le système juridique s’est chargé de les réconcilier pragmatiquement en instaurant progressivement un droit fondamental à un environnement qualifié tantôt de sain, de respectueux de la santé, de salubre, de sûr, de propre à assurer le bien-être de cha- cun, de propice au développement, de viable, de durable, d’écologiquement équilibré, etc.

Si un tel droit est largement reconnu au niveau constitutionnel sur le plan national66, aucun accord au niveau mondial n’y fait une référence explicite à ce jour67. Régionale- ment, il s’est progressivement développé depuis sa consécration dans la CADHP de 1981 (article 24)68. La Cour EDH, pourtant, « ne reconnaît pas expressément le droit à un envi- ronnement sain et calme »69, en dépit de sa jurisprudence florissante, et malgré l’interpré-

64 Sur ce dernier point, voir le Forum on Religion and Ecology dirigé par John Grim et Mary Evelyn Tucker ; http://fore.research.yale.edu.

65 Sur ces différents modèles, voir par exemple Alexandre Flückiger, Charles-Albert Morand, Thierry Tanquerel, Evaluation du droit de recours des organisations de protection de l’environne- ment, Berne 2000, p. 57 ss et 80 ss.

66 Pour une liste détaillée, voir David Boyd, The Right to a Healthy Environment : Revitalizing Cana- da’s Constitution, Vancouver 2012, p. 53 ss ; Knox (note 11), nº 13. Mais pas en Suisse sur le plan fédéral : Vincent Martenet, Le droit à un environnement sain : de la Convention européenne des droits de l’homme à la Constitution fédérale ?, in : Alain Papaux (éd.), Biosphère et droits fondamen- taux, Genève 2011, 137–156, p.  145  ss ; Pierre Moor, Anne-Christine Favre, Alexandre Flückiger, « Introduction » in :Pierre Moor, Anne-Christine Favre, Alexandre Flückiger (éd.), Commentaire de la Loi sur la protection de l’environnement (LPE), Berne 2010, nº 3 ; sur le plan cantonal, voir l’article 19 de la nouvelle constitution genevoise : « Toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain. »

67 Knox (note 11), nº 14. On notera que le CDESC a déduit un droit à un environnement sain dans le droit à la santé contenu dans le Pacte I (voir ci-dessus note 8).

68 Knox (note 11), nº 13 ; Mohamed Ali Mekouar, Le droit à l’environnement dans le système régio- nal africain de protection des droits de l’homme, in : Loïc Robert, Stéphane Doumbé-Billé (éd.), L’environnement et la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles 2013, 149–168, p. 150 s. Voir par exemple l’article 11 du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, du 17 novembre 1988 ou le CEDS qui a déduit un droit à un environnement sain dans le droit à la santé contenu dans la CSE (voir ci-dessus note 8).

69 Cour EDH, Hatton c. Royaume-Uni (GC), nº 36022/97, 8 juillet 2003, Rec. 2003-VIII, § 96.

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II. Les limites de la protection de l’environnement par les droits de l’homme tation évolutive qu’elle fait de la CEDH70. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Eu- rope a dès lors recommandé en 2009 d’élaborer un protocole additionnel sur le droit à un environnement sain71. La proposition a été rejetée par le Comité des Ministre en 201072. Le contenu du droit à un environnement sain (appellation fréquemment utilisée pour le résumer73) est pourtant controversé. La notion d’environnement sain, respectueux de la santé, salubre ou de propre le rattache très étroitement aux droits humains existants (droit à la santé ou à la vie), alors que le qualificatif de durable ou d’écologiquement équilibré lui confère une portée propre et nouvelle assez proche, dans ses effets, aux droits de la nature. Comme l’environnement naturel peut être parfois très malsain pour l’homme, confié à des juges écologiquement peu sensibles, le droit à un environnement sain pour- rait par exemple justifier l’asséchement de marais de grande valeur écologique mais abri- tant des moustiques responsables de la transmission de la malaria.

Il n’apporterait aucune valeur ajoutée s’il devait se limiter à regrouper sous un chapeau commun la dimension environnementale des droits de l’homme classiques tant substan- tiels que procéduraux74. Pour que le droit fondamental à un environnement sain ne soit pas une coquille vide, il devrait dès lors aller au-delà de la protection conférée par les droits de l’homme classique afin de préserver efficacement, aujourd’hui et pour les géné- rations futures, la biodiversité, le climat, les paysages, la fertilité du sol, les ressources naturelles ou le patrimoine génétique des animaux, des végétaux et autres organismes.

Pour être effectif, un tel droit devrait, s’inspirant des conséquences procédurales de l’oc- troi de droits à la nature, largement ouvrir la qualité pour agir en justice pour que l’envi- ronnement puisse être intrinsèquement défendu et diminuer les exigences en matière de preuve des dommages afin d’être en mesure d’agir préventivement.

Afin qu’il puisse constituer une véritable synthèse entre la dimension environnementale des droits de l’homme classiques et l’approche en termes de droits de la nature, un tel droit devrait refléter, dans sa terminologie également, les deux pôles de l’intérêt individuel et collectif à la protection de l’environnement. Développer un droit fondamental à l’envi- ronnement sain et écologiquement harmonieux permettrait d’assurer une protection de la

70 Depuis l’arrêt Cour EDH, Tyrer c. Royaume-Uni, nº 5856/72, 25 avril 1978, Série A 26, § 31 : « la Convention est un instrument vivant à interpréter […] à la lumière des conditions de vie actuelles. »

71 Recommandations 1883 et 1885 (2009) de l’Assemblée parlementaire.

72 Réponse adoptée par le Comité des Ministres le 16 juin 2010 lors de la 1088e réunion des Délégués des Ministres (CM/AS[2010]Rec1883–1885 final).

73 Voir par exemple Knox (note 11), nº 12.

74 Sur cet argument, voir Alan Boyle, Human Rights and the Environment: Where Next ?, The Euro- pean Journal of International Law 2012, 613–642, p. 616 : « Making explicit in a declaration or pro- tocol the greening of existing human rights that has already taken place would add nothing and cla- rify little » ; Dinah Shelton, Human Rights and Environment: Past, Present and Future Linkages and the Value of a Declaration, Nairobi 2009, p. 30, qui demande un « extensive lawmaking » plutôt qu’un simple « restatement ».

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dignité de l’être humain tout en garantissant de manière harmonieuse le respect de la nature pour elle-même.

On en déduira que la Cour EDH n’a pas (encore définitivement) franchi le pas vers un droit à un environnement sain et écologiquement harmonieux puisqu’elle refuse de pro- téger la nature en tant que telle75 et qu’elle ne reconnaît pas la qualité pour agir des orga- nisations dans l’intérêt général de l’environnement76. Certes un assouplissement récent de la qualité de victime en rapport avec l’application du principe de précaution pourraient donner à penser qu’une évolution, voire un revirement implicite de jurisprudence, est en cours77. Cela provoquera un problème de légitimité si le protocole à la CEDH sur le droit à un environnement sain ne devait persister à ne pas aboutir dans l’hypothèse où cette évolution jurisprudentielle devait se confirmer.

Un tel droit présente l’intérêt de donner un signal symbolique et juridique fort dans les pesées d’intérêts que les tribunaux, les parlements et les Etats sont amenés à faire en pré- sence de projets à incidences environnementales. Il est particulièrement nécessaire pour assurer un contrepoids solide à la mesure des enjeux économiques lorsqu’il sera mis en balance avec les autres droits fondamentaux, en particulier la liberté économique et la garantie de la propriété78. Il est particulièrement important pour consolider la dimension écologique du principe du développement durable, puisque la mise en balance des trois pôles écologiques, économiques et sociaux ne s’opère, en pratique, pas nécessairement en faveur de l’environnement79.

Enfin, le droit fondamental à un environnement sain et écologiquement harmonieux ne peut être qu’un moyen parmi d’autres dans l’instrumentaire des politiques publiques envi-

75 Fadeïeva c. Russie (note 24), § 68.

76 Ci-dessus, Introduction.

77 Tătar c. Roumanie (note 25), § 109 et 120, où la mention du principe de précaution est explicite; Di Sarno c. Italie (note 23), où la mention est implicite comme le montre l’opinion d’une juge à la Cour EDH : « Der Gerichtshof entwickelt vorliegend mit der Erweiterung der Figur der «activité dange- reuse» […] eine materiell dem Vorsorgeprinzip gleichgestellte Rechtsfigur, die in Zukunft in vielen Bereichen […] zur Anwendung kommen wird. » (Helen Keller, Luca Cirigliano, Grundrecht- liche Ansprüche an den Service Public : Am Beispiel der italienischen Abfallkrise, Droit de l’environ- nement dans la pratique 2012, 831–853, p. 831, 833 et 842).

78 Sans que la CEDH ne contienne ni un droit conventionnel à la liberté économique, ni celui à un envi- ronnement sain, l’intérêt au développement économique a pu l’emporter sur la protection de l’envi- ronnement (aéroport : Cour EDH, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, nº 9310/81, 21 février 1990, Série A 172 ; feux d’artifice : Cour EDH, Zammit Maempel c. Malte, nº 24202/10, 22 novembre 2011).

De même, le respect de la propriété l’a parfois emporté sur la protection de l’environnement (Cour EDH, Papastavrou c. Grèce, nº 46372/99, 10 avril 2003, Rec. 2003-IV, § 36 ss). Le cas est plutôt rare (voir Conseil de l’Europe [note 8], p. 72).

79 Alexandre Flückiger, Le développement durable en droit constitutionnel suisse, Droit de l’envi- ronnement dans la pratique 2006, 471–526, p. 474 ; Jorge E. Viñuales, The Rise and Fall of Sustai- nable Development, Review of European, Comparative and International Environmental Law 2013, 3–13), estimant que ce principe est impuissant à contribuer à une mise en œuvre efficace du droit de l’environnement global.

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Conclusion ronnementales. Le juge, en particulier constitutionnel ou conventionnel, joue un rôle important pour favoriser la mise en œuvre du droit écologique existant, comme l’exemple de la jurisprudence de la Cour EDH le montre. Il n’est pourtant pas l’acteur le mieux placé, ni techniquement ni légitimement, pour fixer des standards de protection spécifiques pour définir l’« harmonie écologique »80. Il doit nécessairement laisser une grande marge d’appréciation aux autorités pour agir. Le constat se vérifie en particulier pour les atteintes diffuses, les dommages incertains et les conséquences globales : quelle personne, quelle entreprise, quel Etat poursuivre lorsque j’estime que le réchauffement climatique, ou que la surconsommation des ressources dans les pays développés couplée à la croissance éco- nomique et démographique, violent mon droit à un environnement sain et écologique- ment harmonieux par exemple ?

Une réponse coordonnée entre Etats, mettant en branle tous les outils juridiques, écono- miques, techniques, éducatifs, persuasifs ou même artistiques, s’impose dans le cadre d’une politique publique ambitieuse de protection de l’environnement.

Conclusion

Protéger l’environnement par le biais des droits de l’homme est une voie particulièrement pertinente pour renforcer la mise en œuvre des réglementations écologiques. Les études en psychologie sociale ont montré que les individus étaient généralement plus enclins à modifier leur comportement si la mesure est prise dans leur intérêt particulier que dans l’intérêt général81. Montrer que l’on est touché dans sa santé, son bien-être ou même sa vie par des comportements écologiquement irresponsables est probablement plus parlant qu’une simple référence à l’intérêt général de la planète.

L’approche a pourtant ses limites. Elle ne permet pas de prendre en compte convenable- ment les intérêts de la nature en soi. Pour ce faire, le catalogue des droits de l’homme exis- tants doit être complété. Il peut l’être en conférant directement des droits à la nature (variante extrême) ou en adoptant un nouveau droit fondamental à un environnement sain et écologiquement harmonieux (variante modérée).

Dans tous les cas de figure, le droit de l’environnement ne peut que bénéficier de l’apport des droits de l’homme. L’effet de synergie qui en résulte montre que l’intérêt à l’harmonie est non seulement écologique mais aussi juridique !

80 Anne Peters, Menschenrechte und Umweltschutz : Zur Synergie völkerrechtlicher Teilregime, in : Peter G. Kirchschläger, Thomas Kirchschläger (éd.), Menschenrechte und Umwelt, Berne 2008, 215–

229, p. 227.

81 MarYam G. Hamedani, Hazel Rose Markus, Alyssa S. Fu, In the Land of the Free, Interde- pendent Action Undermines Motivation, Psychological Science 2013, 189–196, 189 ss (le constat vaut cependant pour les Américains de souche européenne, et non de souche asiatique, en particulier dans un exemple de durabilité environnementale).

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Bibliographie

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Loïc Robert, Stéphane Doumbé-Billé (éd.), L’environnement et la Convention euro- péenne des droits de l’homme, Bruxelles 2013.

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Introduction aux droits de l’homme

Sous la direction de

Maya Hertig Randall

Michel Hottelier

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