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Images des droits du patient au miroir de la Convention européenne pour les droits de l'homme et la biomédecine

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Images des droits du patient au miroir de la Convention européenne pour les droits de l'homme et la biomédecine

MANAI-WEHRLI, Dominique

MANAI-WEHRLI, Dominique. Images des droits du patient au miroir de la Convention

européenne pour les droits de l'homme et la biomédecine. In: Werro, Franz. L'européanisation du droit privé : vers un code civil européen . Fribourg : Editions universitaires, 1998. p.

113-127

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14422

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(2)

IMAGES DES DROITS DU PATIENT

AU MIROIR DE LA CONVENTION EUROPÉENNE POUR LES DROITS DE L'HOMME ET LA BlOMÉDECINE

par Dominique MANA!

Professeure à l'Université de Genève

Introduction

La santé est un nouveau chantier intellectuel, un domaine privilégié pour le juriste qui s'interroge quant à l'européanisation des dispositions du Code ci- vil suisse régissant les droits du patient. Un champ d'interrogations privilégié pour deux raisons.

Premièrement, parce que le contexte scientifique de cette seconde moitié du XX' siècle avec ses applications sur l'être humain est en pleine mutation.

M. Jean Bernard résume bien cette évolution quand il écrit que nous som- mes témoins de deux révolutions qui ont transformé le destin des hommes:

une révolution thérapeutique, qui «concerne la médecine, ou plus exacte- ment, l'éthique de l'application des progrès récents au traitement et à la pré- vention des maladies", et une révolution biologique qui «donne à l'hom- me ... trois maimses essentielles: maîtrise de la reproduction, maîtrise de l'hé- rédité, IDal"trise du système nerveux

»'.

Or ces découvertes n'ont pas que des implications scientifiques ou médica- les; enes touchent tous les aspects de la vie de l'individu: la vie privée ( iden- tité génétique de l'individu, données médicales), la vie farniliale ( procréation artificielle) et la' vie sociale (accès aux soins, confidentialité des données mé- dicales notamment au regard de l'emploi, des assurances, .. ).

Si. bien que victimes de leur succès, les technologies de la vie et de 1. santé sont, paradoxalement, à l'origine d'un nombre croissant de problèmes éthi- ques et juridiques nouveaux.

Il est dès lors particulièrement intéressant d'examiner comment le droit civil se fait l'écho de ces innovations et dans quelle mesure il parvient à les gérer.

Deuxièmement, le domaine de la santé présente le grand privilège d'expli- citer le socle éthique commun à l'Occident en le verbalisant juridiquement.

En effet, les Etats européens ont abouti, en 1996, pour la première fois à un consensus quant à un ensemble de valeurs attachées à l'être humain. Ce socle éthique a été codifié dans un texte international intitulé « Convention euro- péenne pour les droits de l'homme et la biomédecine », qui affirme et précise les droits de l' individu face à la science.

1 BERNARD J. , lA bioirhique. F1ammarion. Paris. 1994. p. 13.

113

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D'emblée, les observateurs ont été sensibles à la portée et à l'enjeu de cet accord international.

Plusieurs commentaires soulignent l'événement dès la parution du projet, dont voici les plus significatifs: « Bioéthique, naissance de la première Con- vention internationale »'; ou encore « La première Convention européenne de bioéthique ou la reconnaissance de valeurs communes au service de la per- sonne humaine »J; enfin « le projet de convention de bioéthique du Conseil de l'Europe: l'espoir d'une protection élevée des droits de l'homme

,,4.

n

est donc particulièrement opportun de mettre en regard les principes de cette Convention avec les dispositions plus classiques de notre droit civil.

Pour ce faire, il convient de présenter d'abord la portée juridique de la Con- vention puis de focaliser l'attention autour de trois droits du patient qui nous paraissent fondamentaux et qui ont connu un grand développement en Suisse ces dernières années, afin de les confronter aux dispositions de la Convention.

J. Portée de la Convention

A. Sa genèse

La Convention pour les droits de l'homme et la biomédecine a été adoptée le 19 novembre1996. Sa gestation aura duré dix ans.

En effet, déjà en 1987, les instances du Conseil de l'Europe expriment la nécessité d'élaborer un instrument juridique commun sur la biomédecine et la biologie humaine.

En 1991, le Comité des ministres charge le CAHBI (Comité d'experts ad hoc pour la bioéthique) d'élaborer une convention - cadre qui serait ouverte aux Etats non membres, et qui énoncerait des normes générales pour la pro- tection de la. personne humaine dans le contexte des sciences biomédicales.

En mars 1992, le CAHBI, devenu le CDBI ( Comité directeur sur la bio- éthique), constitue un groupe de travail chargé de l'élaboration d'un avant- projet de convention.

L'avant_projet sera rédigé en 1994, et en juillet de la même année, le Co- mité des ministres transmet ce document (document 7124) à l'Assemblée parlementaire. Celle-ci émet un avis le 8 février 1995 (avis nO 184 sur le pro- jet de convention de bioéthique).

Cet avant-projet a été critiqué, notamment parce qu'il autorisait la recher- che scientifique non seulement sur des personnes incapables de consentir même si elle n'a pas d'effet thérapeutique direct sur la personne concernée, mais aussi sur des embryons.

Le CDBI remanie le projet et rend une nouvelle version en juin 1996.

Et le 19 novembre 1996, le Comité des ministres, comprenant quarante Etats membres, a adopté ce texte. Seules l'Allemagne, la Belgique et la Pologne se sont abstenues. La Convention entrera en vigueur dès que cinq Etats, incluant au moins quatre Etats membres du Conseil de l'Europe, l'auront ratifiée.

2 Forum du Conseil de l'Europe, septembre 1994.

3 DUTorr B., in Famille et Droit, Mélanges offerts par la Faculté de droit de Fribourg à B.

Schnyder, Editions universitaires, Fribourg, 1995, pp. 173 S5.

4 HENNAU-HUBLEr CH., Revue du droit de la santé, 1995 -1996, nO 1, pp. 25 S5.

114

(4)

Soulignons que la Suisse a joué un rôle très actif dans l'élaboration de cette Convention.

B. Ses objectifs

Ce qui caractérise avant tout cette Convention, c'est qu'elle formule explici- tement une approche européenne conunune des questions biomédicales, en mettant au centre de ses préoccupations la primauté de l'humain sur tout autre intérêt scientifique.

Il a donc fallu une décennie pour constituter une approche européenne, pour trouver le dénominateur commun, le point d'entente entre toutes les sen- sibilités historiques, culturelles, politiques, religieuses et philosophiques.

Le but de la Convention est d'intégrer un certain nombre de principes gé·

néraux susceptibles de recueillir un consensus. ' .

Comme le rappelle son préambule, cette Convention se situe dans le pro- longement d'autres conventions internationales protectrices de la personne, telles que la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948; la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fon- damentales du 4 novembre 1950; le Pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966; la Convention pour la protection de l'indi- vidu à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981.

Elle spécifie, dans le domaine des applications de la biologie et de la mé- decine, les principes internationaux concernant la dignité de l'être humain et les droits fondamentaux de la personne.

Ces principes sont les suivants: le respect de la dignité humaine, la protec- tion de l'intégrité de l'individu, la non,commercialisation du corps humain et de ses organes, le consentement libre et éclairé de la personne concernée, l'interdiction de toute forme de discrimination, le respect de la vie privée et de la confidentialité des données à caractère personnel, la limitation de l'in- tervention génétique à des motifs diagnostiques et thérapeutiqlles.

Réduites à l'essentiel, ces règles révèlent le souci d'assurer un équilibre entre le principe prédominant du respect des droits de la personne et la possi- bilité de mener la recherche scientifique. Ce faisant, elles visent toute inter- vention de la part d'un professionnel de la santé (art. 4) et concernent de fait tous les patients, que la Déclaration de l'OMS associe à toute « personne, malade ou non, ayant recoun; aux services de santé »'.

C. Ses destinataires

Il s'agit d'une convention - cadre; en d'autres termes, les dispositions de la Convention ne sont pas directement applicables en droit interne, et les parti- culiers ne peuvent pas les invoquer pour affirmer leun; droits.

L'effectivité de ces dispositions dépend de la volonté des Etats et de leur intégration dans les législations internes.

, Déclaration sur la promntion des droits des patients en Europe. OMS, 28 novembre 1994.

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Toutefois, le mérite de cette Convention est de constituer un standard mini- mum, un instrument de référence, voire un critère d'adaptation du droit in- terne des parties contractantes.

Dans tuus les cas, eUe œuvre pour une harmonisation des législations euro- péennes.

Son apport est, dès lors, indéniable pour nous, car elle codifie des principes dont les contours ne sont pas toujours clairement délimités.

En effet, en Suisse, il n' y a pas de droit spécifique concernant le patient. Si bien que les règles juridiques se rapportant à l'activité médicale sont disper- sées dans plusieurs domaines du droit, constitutionnel, civil, pénal, public cantonal ~ puisque la santé publique est du ressort des cantons - au gré des intérêts mis en cause.

De surcroît, la'source des droits du p.atient est d'origine jurisprudentielle.

En effet, c'est à partir du droit constitutionnel non écrit à la liberté person- nelle que le Tribunal fédéral a affirmé ses principaux droits, à savoir le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique qui implique le droit à l' autodétermina- tion, le droit à une information adéquate, le droit au respect de la sphère pri- vée, le droit de déterminer le sort, de son corps après la mort, et plus récem- ment le droit aux soins appropriés'.

En droit privé, c'est principalement par le biais de la capacité civile(art. 16, 18 et 19 CC) et de la protection de la personnalité, garantie par les articles 27, 28 ss CC, que le droit civil se soucie du patient.

Aussi bien l'intégrité corporelle que la sphère privée sont qualifiées de biens de la personnalité et sont, à ce titre-là, susceptibles de constituer l'objet d'un droit dont la maîtrise revient à son titulaire et dépend ainsi de son apti- tude à exercer cette maîtrise.

n

Le droit à l'autodétermination

Le premier des droits qu'il nous semble utile d'examiner est le droit à l'auto- détermination, qui implique celui de formuler des directives anticipées.

A. Ses conditions

En Suisse, les droits du patient sont perçus essentiellement dans une perspec- tive défensive.

En effet, tout acte médical est considéré a priori, par le mécanisme juridique de la fiction, comme une atteinte à un bien de la personnalité. De surcroît, cette fiction s'accompagne d'une présomption: toute atteinte est présumée illicite, sauf s'il existe un motif justificatif, tel que le consentement de la personne con- cernée, un intérêt prépondérant privé ou public, ou la loi (art. 28 al. 2 CC).

Dans le domaine de la santé, c'est principalement le consentement du pa- tient qui légitime les actes médicaux. Par son consentement, il manifeste sa volonté de rétablir sa santé. Et inversément, nu! ne peut contraindre une per- sonne à entreprendre un traitement contre son gré.

, ATF 121 1367-368.

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Pour que cet acte de volonté soit valable juridiquement, c'est-à-dire pour qu'il joue son rôle de légitimation d'un acte thérapeutique, il doit émaner d'un patient apte à consentir ou refuser un traitement.

Cette aptitude dépend de la capacité de discernement (an. 16 CC) et n'im- plique pas le plein exercice des droits civils.

De l'article 16 CC, il découle que la capacité de discernement consiste en l'aptitude à apprécier correctement une situation et à agir en fonction de sa volonté. De sorte que pour conclure qu'une personne est incapable de discer- nement, il faut qu'elle remplisse les deux conditions prévues par la loi, à sa- voir l'absence de la faculté d'agir raisonnablement provoquée par une cause légale Geune âge, maladie mentale, faiblesse d'esprit, ivresse, autres causes semblables).

Les deux conditions sont cumulatives: si une seule est remplie, la personne est capable de discernement.

Ce n'est donc pas le contenu ou la rationalité de la décision qui est évalué, mais seulement la capacité à comprendre la situation, à savoir la narme de la maladie, les différentes possibilités de traitement, ainsi que les conséquences de l'acceptation ou du refus.

L'aptitude à choisir est le seul critère de validité de la décision du patient.

En général, la capacité de discernement est présumée chez tous les adultes.

Elle est donc admise en principe.

Par ailleurs, la capacité de discernement est une notion relative, elle doit être évaluée au moment précis où l'on requiert la manifestation de volonté du patient.

Si le patient adhère à l'avis du médecin, le droit à l'autodétermination et l'intérêt thérapeutique sont convergents. La question de sa capacité de discer- nement ne se posera même pas, puisque aucun indice ne nous permet de dou- ter du bien-fondé de la présomption.

Par contre, si le comportement de la personne soulève des doutes sur ses facultés parce qu'elle prend une décision contraire à son intérêt thérapeuti- que, on ne peut plus présumer sa capacité de discernement. Il convient donc de procéder à un examen concret de cette capacité.

Ainsi, le seul moyen de faire prévaloir l'intérêt thérapeutique au détriment de la décision du patient, c'est de démontrer son incapacité de discernement.

Tant que le patient est capable de discernement, il a le droit d'accepter ou de refuser un traitement, même si son·refus est déraisonnable. C'est le prin- cipe d'autodétermination qui prévaut, reléguant le principe de bienfaisance, et donc l'intérêt thérapeutique, au second plan.

B. Exercice anticipé du droit à l'autodétermination

Ce droit à l'autodétermination est essentiel en droit suisse, à telle enseigne que la jurisprudence puis quelques législations cantonales ont admis récem- ment que son exercice pouvait même être anticipé.

Les directives anticipées sont les dispositions que le patient a prises alors qu'il était capable de discernement; elles déploiront leurs effets quand celui- ci deviendra incapable de discernement. Ainsi, au moment où ses souhaits

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doivent être exécutés, il est devenu incapable. li y a donc nécessairement un décalage temporel entre le moment où la volonté s'est manifestée et le mo- ment où elle est exécutée.

li convient de distinguer deux situations.

a) Lorsque la volonté exprimée antérieurement porte sur un refus de traite- ment, en dehors de tout contexte de fin de vie, la décision médicale met en jeu, d'une part, le respect de la volonté du patient et, d'autre part, son in- térêt thérapeutique.

Au plan juridique, c'est le droit à l'autodétermination du patient qui prime, pour autant qu'il ne mette pas sa vie en danger (art. 27 al. 2 CC; 19 et 20 CO). Le patient a un droit au refus de traitement, et ce droit peut être exercé de façon anticipée.

b) Si le patient formule un testament biologique, par lequel, lorsque son état sera considéré comme désespéré, il refuse tout acharnement thérapeutique . ou toute mesure de prolongation artificielle de la vie, la sitoation est alors

celle d'un contexte en fin de vie.

Aussi bien la doctrine que la jurisprudence affinnent que toute personne a un droit de se déterminer au sujet de sa propre mort, ce qui implique le droit de refuser des mesures médicales et le droit d'exiger des soins pallia-

. " 1 ws.

Se pose alors la question de la force contraignante des directives antici- pées.

Au plan cantonal, plusieurs lois ont admis dans les années 1990 soit la force contraignante du testament biologique, donc exclusivement dans un contexte de fin de vie (Atgovie, Lucerne, Zurich et tout récemment Berne'), soit plus largement la validité des directives anticipées, incluant donc le refus anticipé de traitement (explicitement Genève et dans le Valais; implicitement Neuchâtel·).

Néanmoins, au plan fédéral, aucune loi spécifique ne règle la question des directives anticipées. La doctrine les intègre dans les articles 27 et 28 CC.

Aujourd'hui, la doctrine ·admet que le testament biologique n'est pas con- traire à l'article 27 alinéa 2 CC.

Sa validité dépend de la capacité de décision du patient au moment de sa déclaration, en particulier de son discernement .

. Mais une difficulté surgit, une difficulté spécifique aux directives antici- pées: celle de savoir si la personne était apte à exprimer une volonté, puisque le médecin chargé d'exécuter les souhaits n'est en général pas présent au mo- ment où le patient les a formulés'o.

7 REuSSER K., Patientenwilk und Sterbebeistand, Schultbcss, Zurich, 1994, p. 177.

8 Argovie: Gesundheil$gesetz du 10.11.87, § 54; Lucerne: Verordnung über die kantonalen Heila1LJtalten du 17.12.85. § 55; Zurich: Gesundheitsgesetz du 6.9.87; Ordonnance du conseil ex«utif bernois, en vigueur dès le 1.9.97.

9 Genève: Loi concernant les rapports entre membres des professions de la sanœ et patients du 6.12.87, art. 5 al. 3 du 18.5.96; Valais: Loi sur la santt du 9.2.96. art. 20 - 21; Neuchlitel: Loi de santt du 6.2.95. art. 25 al. 2 et 35 al. 2.

10 A Genhe,lors de la discussion de l'adoption de fart. 5 al. 3, un amendement a 6té proposé selon lequel les directives anticip6!s doivent être contresign6es par Je médecin traitant attestant la capacit6 de discernement de son patient au moment de la d6claratioD. Cet amendement fut refusé.

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,i .• . 6. , . J... ;,r

Le courant doctrinaire majoritaire pr!sume la capacité de discernement. Le médecin doit donc respecter cette volonté, à moins que les circonstances dé- montrent qu'elle ne correspond plus à la volonté actuelle du patient.

Tandis que le courant minoritaire de la doctrine pose des exigences plus élevées et propose une appréciation différenciée de la capacité selon l'expé- rience subjective de la vie en question. Ainsi, un testament biologique qui ne repose sur aucune expérience personnelle de la mort atténuerait son caractère contraignant, dans la mesure où les éléments essentiels qui composent la dé- cision, à savoir la souffrance et l'information sont souvent absents au mo- ment oil le patient exprime sa volonté. Le testament biologique ne serait donc pas contraignant, mais constituerait seulement un indice de la volonté du pa- tient.

Pour notre part, eu égard à la compleXité juridique susmentionnée, à la gra- vité médicale de la situation en fin de vie et en même temps du respect du droit à l'autodétermination, il nous semble loisible de considérer que les di- rectives anticipées constituent un indice de la volonté actuelle du patient qui doivent être, à ce titre-là, suivies, sauf si le médecin se trouve en présence d'indices de volonté mauifestement contraires.

C. Limites à l'exercice du droit à l'autodétermination

Si le patient est incapable de discernement, et que son état nécessite une in- tervention urgente, c'est le principe de bienfaisance qui devient déterminant.

Le médecin dispose alors d'une grande liberté d'appréciation, mais seule- ment lorsque des intérêts vitaux immédiats diJ patient sont en cause.

Le médecin agit alors selon l'intérêt thémpeutique, conformément à la ges- tion d'affaires pour autrui (art. 419 CO). Son acte sera justifié par l'état de nécessité (art. 52 CO) et le consentement du patient est alors présumé".

Le droit cantonal ne s'écarte pas de cette solution 12.

D. Confrontation avec la Convention

A l'instar du droit suisse, le droit à l'autodétermination du patient est le noyau dur de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine qui fait apparaître l'autonomie du sujet dans ses relations avec les professionnels de la santé.

La Convention rappelle la règle fondamentale du consentement libre et éclairé du patient (art. 5) et n'exige pas pour autant que le consentement soit explicite et spécifique, comme le proposait l'Assemblée parlementaire.

Aucune intervention ne peut en principe être imposée à quiconque sans son consentement. L'individu est libre de donner ou· refuser son consentement.

Il BUCHER E., Die Ausübung der Personlichlœitrechte, insbesondere die Pers(jnlichU.it~chte

lUS Patiente" ais SchrankLn des iirztlichen Tatigkeit. Zurich. thèse, 1956. p. 167.

12 Neuchâtel: Loi de santé du 6.2.95, an. 25 al. 2 et 3; Valais: Loi sur la santé du 9.2.96, art 33 al. 2 et 3; Jura: Loi sanitaire du 14 décembre 1990, art. 26 al. 3; Genève: Loi concemaot les rapports entre membres des professions de la santé et patients. du 6.12.87, art. 5 aL 4.qui n'auto- rise l'intervention du médecin que lorsqu'elle est vitale.

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Lorsque le refus est contraire à l'intérêt thérapeutique, la protection de la santé du patient ne constitue pas un motif justifiant une intervention contre son gré.

Cependant, la Convention ne propose aucun critère pour évaluer la capa- cité à consentir.

Quant aux directives anticipées, l'article 9 de la Convention prévoit que les souhaits précédemment exprimées seront pris en compte.

La formulation vague des «souhaits précédemment exprimées au sujet d'une intervention médicale» ne se réduit donc pas au testament biologique, mais inclut aussi le refus de traitement en dehors d'un contexte en fin de vie.

Par ailleurs, l'article 9 implique qu'ils n'ont pas de valeur contraignante, puisqu'ils ne seront pas nécessairement suivis. Il incombe au praticien, dans la mesure du possible, de s'assurer que ces souhaits sont toujours valables et s'appliquent à la situation présente.

Sur ce point, la Convention demeure très floue et ne fournit aucune ligne de conduite claire.

Enfin, en cas d'urgence, si le consentement du patient ne peut pas être ob- tenu, le Convention énonce que le médecin est habilité à procéder « à toute intervention médicale indispensable pour le bénéfice de la santé de la per- sonne concernée» (art. 8). Ainsi comme en droit suisse, la Convention auto- rise, au nom du principe de bienfaisance, des interventions dans l'intérét thé- rapeutique du patient, mais seulement si elles sont indispensables; s'agit-il d'une limitation aux interventions vitales?

. m.

Le droit à l'InfnnnatioD

Le second droirfondarnental du patient est le droit à l'information.

A. Etendue de ce droit

Pour pouvoir se prononcer en toute connnaissance de cause, le patient doit être informé de l'ensemble des éléments qui l'amèneront à prendre une déci- sion éclairée. C'est ainsi qu'est né à la charge du médecin un devoir d'infor- mation à l'égard du patient.perçu comme un partenaire actif.

Il s'agit de la clé de voûte du consentement du patient, puisque c'est grâce aux données médicales que le patient pourra décider.

Ce droit à l'information est, en Suisse, une création jurisprudentielle. La reconnaissance de ce droit n'est pas récente, puisque déjà en 1940, le Tribu- nal fédéral l'a affirmé explicitement

l'.

Mais c'est seulement depuis un peu plus de quinze ans que l'absence ou l'insuffisance d'explications est suscepti- ble d'entraîner la responsabilité du médecinl'. Et en 1982, le Tribunal fédéral a admis la responsabilité du soignant pour défaut de consentement éclairél'.

Depuis, l'importance de l'information a été rappelée à maintes reprises. Le Tribunal fédéral considère que l'information médicale fait partie des obliga-

l'

ATF 66 il 34. arrêt du 20.2.194().

l' ATF lOS il 284.

l'

ATF 108 il S9.

amt

du 12.1.1982.

120

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tions professionnelles générales du thérapeute que «celui -ci agisse en vertu d'un contrat de droit privé ou en qualité de fonctionnaire ou employé de l'Etat »'6.

Aussi, le médecin doit-il donner tous les éléments utiles à la bonne com- préhension de son état par le malade, qui lui permettront de faire les choix thérapeutiques adéquats.

Quant à la déterruination de 'l'étendue du droit à l'information, elle s'est faite progressivement.

De J'évolution de la jurisprudence, il en résulte que les explications doi- vent porter sur les points suivants: diagnostic, pronostic, traitement ( nature, durée, risques- excepté les risques minimes - alternatives thérapeutiques, coQt du traitement, conduite thérapeutique).

Le critère de l'étendue de l'information est ce que le patient comprend;

seule une commuuication individualisée répondant aux exigences personnel- les et à la situation concrète du destinataire, rend effectif le droit à l'autodé- terruination.

Par ailleurs, aucune forme spécifique n'est requise. Néanmoins, une infor- mation exclusivement écrite serait insuffisante, dans la mesure où elle ne per- met pas de tenir compte des particuJaritées des attentes du patient. Ainsi, le dialogue reste la modalité essentielle.

Ce droit à l'information comporte deux exceptions: l'exception thérapeuti- que d'une part, et le refus de savoir, d'autre part.

B. L'exception thérapeutique

Appelé aussi parfois «privilège thérapeutique» dans la mesure où il conso- lide le statut social du médecin, il s'agit d'une exception au droit à l'informa- tion.

Elle habilite le médecin à taire, dans des conditions très restrictives, toute information susceptible de nuire à la santé du patient. il appartient au seul médecin d'apprécier les risques d'une information complète et de la limiter, le cas échéant, à ce que le patient peut supporter.

Affirmée pour la première fois par le Tribunal fédéral en 1979", cette ex- ception thérapeutique est fortement critiquée par la doctrine qui l'a qualifie de paternalisme médical, alors que l'information aux proches est perçue comme une violation du secret professionnel".

'6 ATF 117 lb 197 = Nf 1992 1 pp. 214. 216. n fonde cc devoir g~néral aÙ,si bien dans le droit de la personnalité (an. 27 et 28 CC) que dans le droit ~nal (an. 123 CP); dans le droit des contrats (art. 97 et 328 CO) Iigissant la relation patient privé et m~ecin. et dans le droit public que les cantons ont Uicté sur les droits et devoirs des patients, et qui mentionne explicitement cette obligation.

11 ATF 105 n 284. 287; le TF consi~re toutefois que l'infonnation doit!tre donnée aux person- nes affective,""nt proches du malade (p. 288).

18 MElSEl.. H.P., ~ Die arztliche AufkHirungspflicht », in Droits des pati~nJs - quel diagnostic ? Berne, 1984, pp. 162 S5; GUIU.OD O .•

u

consentement lclairé du patient, autoditermination ou pal<rnalisme, Neuchâtel, 1986, pp. 189 ss; EIsNER B .. Die Auj/dlirungspflicht des Arues, Verlag Hans Huber, Berne. 1992, pp. 183 58.

" ' -'"

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C. Le droit de ne pas savoir

Lorsque le patient refuse de savoir et donne son consentement à une interven- tion sans avoir été infonné au sujet de sa nature, de son déroulement et de ses conséquences, cette attitude pose un grave problème, dans la mesure où, pour légitimer une atteinte à l'intégrité corporelle, le consentement doit être éclairé; si tel n'est pas le cas, l'acte médical demeure illicite.

C'est pourquoi aussi bien une partie de la doctrine19 que la jurisprudence20 refusent d'admettre la validité d'une renonciation totale à l'information. De sorte que; pour satisfaire son obligation professionnelle, le médecin doit en un premier temps infonner le malade, en un second temps, si le patient refuse d'écouter ou ne pose aucune question, il doit tenir compte de cette renoncia- tion et s'abstenir de fournir de plus amples explications.

Par ailleurs, la doctrine" exige, à juste titre, une renonciation expresse, afin que la passivité ne soit pas associée à un refus tacite de savoir.

D. Confrontation avec la Convention Deux dispositions sont consacrées au droit à l'infonnation.

- L'article 5 alinéa 2 prévoit que l'intéressé doit avoir obtenu «préalable- ment une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques» afin d'exprimer valable- ment sa volonté.

Le rapport explicatif mentionne que l'infonnation doit être fonnulée dans un langage compréhensible par la personne qui va subir l'intervention. Par ailleurs, l'énumération des éléments d'infonnation mentionnée à l'article 5 alinéa 2 n'est pas exhaustive, en particulier les alternatives thérapeutiques ainsi que le coOt de l'intervention seront en principe communiqués ainsi que toute demande d'information complémentaire exprimée par le pa- tient".

La Convention rie prévoit aucune fonne particulière pour cette infonna- tion.

- Par ailleurs, l'article JO alinéa 2 prévoit que toute personne a un droit à

~ l'information recueillie sur sa santé».

Ce droit de savoir s'étend au diagnostic, au pronostic, ou à tout autre élé- ment pertinent concernant sa santé".

Nous le voyons, le droit suisse est non seulement confonne mais aussi plus explicite dans l'étendue du devoir d'infonnation pour obtenir un consente- ment éclairé, puisqu'il exige une information sur les alternatives thérapeuti- ques et sur le cont de l'intervention.

19 GUIUOD O., op. cil. p. 186; ElSNER B., op. cil., p. 182; MANAJ D.,« Le devoir d'information du médecin», Médecine et Hygiine. 17 mai 1995, n° 2072, pp. 112955.

2ll ATF 105 Il 284. 287.

21 GUIUOD O., op. cit., p. 181: ElSNER B., op. cit., p. 182.

Il Rapport explicatif à la ConVl!nlion pour la protection des droits de l' homme et de la dignité de l'être humain à /' égard du applications de la biologie et de la médecine, Direction des Affaires

~diques, Strasbourg. janvier 1997. pp. 10 - 11.

Rapport explicaJij. p. 16.

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Quant à l'article 10 alinéa 2, il accorde à toute pen;onne un droit·de ne pas savoir, ce qui n'invalide pas le consentement. . . , ,

Enfin l'article 10 alinéa 3 admet que la loi nationale puisse prévoir, dans l'intérêt du patient, des restrictions à l'exercice du droit à l'information, ac- ceptant ainsi que le médecin taise à titre exceptionnel une partie de l'informa- tion ou en tout cas ne la délivre qu'avec ménagement par« nécessité·théra- peutique

,,24.

IV. La protection du patient Incapable

Le troisième droit fondamental est la protection du patient incapable, en par- ticulier quand l'intervention n'est pas faite au bénéfice de son intérêt direct.

A. La représentation

Lorsque la personne est incapable de discernement, de façon passagère ou durable, elle ne peut pas manifester valablement sa volonté. La protection du patient incapable est a10n; assurée soit par le médecin lui-même, soit par un représentant (légal ou privé).

En effet, si l'intervention est urgente, le médecin agit selon l'imérétthéra- peutique du patient (419 CO).

Si tel n'est pas le cas et que l'incapacité est durable, le médecin s'adresse à l'autorité tutélaire pour que celle-ci désigne un représentant.

Lorsque le patient a un représentant, ce dernier est habilité à prendre des décisions concernant sa santé.

En effet, la doctrine et la jurisprudence admettent généralement que le droit de consentir ou de refuser un traitement est un droit strictement person- nel sujet à représentation".

Ainsi, le consentement doit être recueilli auprès du représentant de l' inca- pable de discernement.

Le consentement n'est valablement donné que s'il est libre et éclairé, Pour pouvoir se prononcer, le représentant du patient doit être informé. Le recours à une décision de substitution est, selon le Tribunal fédéral, un « moyen de rééquilibrer les rapports entre patients et médecins et de prévenir l'exercice abusif du pouvoir médical

» '.. .,

C'est ainsi que le représentant n'exerce pas son propre droit de la pen;on- nalité, il remplit une fonction pour un patient incapable de se protéger lui- même. fi est donc à ce titre-là habilité à consentir ou refuser un acte médical à la place du patient mais pour le compte de celui-ci. fi ne décide pas selon son bon vouloir mais seulement dans l'intérêt objectif du patient.

Aussi le représentant légal d'un mineur incapable de discernement doit-il décider selon l'intérêt de l'enfant (art. 272, 276, 301 - 303 et 318 CC). fi en

24 Rapport explicatif, p. 17,

2.'lATF 114 la 362, 364; STEl11..ER M .. Droit civil, représentation et protection l'adulte.-Edi~

tions universitaires, Fribourg, 3e éd., ) 992. 148, p. 36; BUCHER A., Personnes physiques

et

pro-

tection de la personnJJlirl. Bâle et Francfort-sur-le-Main, 1995, 3e éd., § 178, p. 58.

26 ATF 1141. 363.

123

(13)

va de même du tuteur ou du curateur d'un adulte incapable de discernement:

en vertu de son pouvoir d'assistance personnelle et patrimoniale, le représen- tant à la compétence de consentir ou de refuser un acte médical ,dans l'intérêt du représenté (art, 367 al, 1,406 al. 1 et 407 CC).

La justification de l'intervention médicale réside alors dans, la volonté hy- pothétique du patient27Il s'agit du consentement que le patient aurait certai- nement donné s'i! avait été capable de discernement, consentement que le re- présentant légal peut déduire des circonstances détenninantes après avoir fait une pesée des avantages et des inconvénients"'.

C'est pourquoi seul l'intérêt du patient autorise le recours à une décision de substitution.

B. Limites au pouvoir de représentation Le pouvoir du représentant connw"t des limites,

En cas de conflit entre le refus de traitement de la part du représentant lé- gal et l'intérêt thérapeutique du représenté, le médecin peut dénoncer le com- portement à l'autorité tutélaire (art. 420 CC).

En l'état actuel de la législation, le conSentement des autorités de tutelle en matière médicale n'est pas exigé (art. 367 al. 3, 421 - 422 CC).

Pour une partie,de la doCtriJle29, il s'agit d'une lacune (art. 1 al. 2 CC), car ces questions de droit médical n'ont vraiment surgi que durant ces dernières années. Or ,il serait nécessaire pour la protection d'un patient incapable de discernement d'exiger le consentement d'une autorité supérieure, autorité tu- télaire:,ou autorité de Surveillance des professions de la santé, lorsque l'inter- vention est délicate d'un point de vue médical et entraîne une atteinte grave à l'intégrité corporelle.

C'est pourquoi la doctrine'" et la jurisprudence montrent certaines réticen- ces quant à la représentation pour des atteintes graves à l'intégrité physique.

Aussi, la doctrine unanime et la jurisprudence excluent~lIes toute repré- sentation pour une stérilisation.

C: Confrontation avec la Convention

La Convention européenne contient un article 6 comprenant cinq alinéas sur la protection des personnes incapables de discernement, ne s'appliquant pas aux personnes souffrant d'un trouble mental" dont la protection est prévue à l'article 7.

L'article 6 prévoit 'une règle générale selon laquelle les interventions sur une personne n'ayant pas la capacité de consentir (majeur ou mineur) doivent remplir.les trois conditions suivantes:

- procurer un Mnéfice direct sur la personne concernée;

Z7 HONSEU. H .. Handbuch des Arztrechts, Schulthess, Zurich, 1994, p. 162, ,. JdT 1992 pp, 214, 220 ·221.

29 TD.OER p .. ' La protection de la personnalité et la tutelle », RDT, 1988, pp, 142-143,

30 Cf. BUCHER A .. op, cit" §528, p, 141.

(14)

- obtenir l'autorisation du représentant, d'une autorité ou d'une personne'oU instance désignée par la loi nationale, après infonnation adéquate; , '.

- l'avis du mineur doit être pris en considération, en fonction de son âge ou son degré de matunté; la personne majeure IDcapable de consentir doit être associée à la procédure d'autorisation

Nous le voyons, la protection de l'incapable est plus large qu'en droit suisse, puisqu'elle passe par un système d'autorisation qui n'est pas réducti- ble, comme en Suisse, à la représentation. De surcroit, l'incapable est associé à la prise de décision.

Par ailleurs, l'article 6 alinéa 1 prévoit deux dérogations, qui sont inconce- vables en droit civil suisse, dans la mesure où l'intervention est dans l'intérêt d'un tiers et non dans l'intérêt du représenté.

a) La première dérogation concerne la recherche menée sur des personnes in- capables de consentir (art. 17).

En principe une telle expérimentation peut être effectuée si sept conditions cumulatives sont remplies:

- elle respecte le principe de la subsidiarité (en d'autres termes, il n'existe pas de méthode alternative à la recherche sur des êtres humains d'efficacité comparable [art. 17 al. 1 litt. i et 16 litt. il et elle ne peut pas être effectuée avec une efficacité comparable sur des sujets capables d'y consentir [art.

17 al. llitt.üil);

- elle respecte le principe de la proportionnalité (les risques encourus par la personne ne sont pas disproportionnés par rapport aux bénéfices potentiels de la recherche [art. 17 al. 1 litt. i et 16 litt. iil);

- la personne est informée de ses droits et des garanties prévues par la loi pour sa protection (art. 17 al. 1 litt. i et 16 litt. iv);

- le projet de recherche a été approuvé par l'instance compétente, aprés exa- men de sa pertinence scientifique et éthique (art. 17 al. 1 litt. i et 16 litt.

ili);

- l'autorisation prévue à l'article 6 a été accordée par écrit (art. 17 al. 1 litt.

iv);

- pas d'opposition de la personne concernée art. (17 al. 1 litt. v);

- en principe, un bénéfice direct pour la santé de la personne concernée est exigé (art. 17 al. 1 litt. ii); sau/(art. 17 al. 2) si: 10 la recherche procure une bénéfice à d'autres personnes de la même catégorie d'âge ou souffrant de la même maladie; et si 20 la recherche ne présente pour la personne qu'un risque minimal et une contrainte minirna1e.

Bien que contraire aux principes du droit fédéral, cette dérogation n'est pas tout à fait étrangère à la Suisse, car pour l'étude de certaines maladies le re- cours à des patients incapables de discernement est incontournable.

Les directives ASSM' " dont la portée n'est certes pas juridique mais que certaines législations cantonales ont reprises32, prévoient que les recherches sur des personnes incapables de discernement ne sont admises qu'avec l'ac- cord du représentant légal et seulement lorsqu'elles ne peuvent pas être réali- sées pour des raisons médicales sur des personnes capables de discernement.

JI Directives pour la recherche expérimenta1e sur l'être humain. 5 juin] 997.

32 Cf. Genève, Loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients, art. 6.

125

(15)

Par ailleurs, les recherches qui ne visent pas un but thérapeutique sont ex- cues si elles risquent de porter préjudice à l'incapable de discernement". De surcroît, le projet doit être approuvé par une commission d'éthlque pour la recherche expérimentale.

La Convention se situe ainsi dnns la ligne des principes' énonCées par l'ASSM et non de ceux qui ressortent de notre droit civil.

h) La seconde dérogation à l'intérêt thérapeutique du patient est prévue à l'article 20 alinéa 2: le prélèvement exceptionnel de tissus régénérables (foie, rate, poumons) sur des personnes incapables de consentir.

Ce prélèvement exceptionnel est possible si cinq conditions cumulatives sont remplies:

- s'il n' y a pas de donneur compatible jouissant de la capacité de consentir;

- si le receveur est apparenté génétiquement au donneur en ligne collatérale (frère ou sœur);

- le don est de nature à préserver la vie du receveur (principe de la propor- tionnalité);

- l'autorisation prévue à l'article 6 a été donnée par écrit;

- le donneur potentiel ne s'y oppose pas.

En droit suisse, à défaut de législation fédérale spécifique, le Conseil fédé- ral a mis en consultation, en août 1996, un projet d'article 24 decies Cst. qui confère à la Confédération la compétence de légiférer en ce domaine.

Toutefois, plusieurs/ois cantona/es ont adopté des dispositions sur le pré- lèvement d'organes mais toutes interdisent le prélèvement sur une personne incapable de discernement".

A l'inverse, les directives ASSM sont plus souples mais floues: elle proscri- vent en principe le prélèvement sur une personne incapable de discernement, à l'exception de tissus régénérables dont le prélèvement comporte peu de ris- ques, pour autant que celui-ci se limite à une transplantation aux parents de sang les plus proches et serve à prévenir un danger pour la vie ou une atteinte grave à lasanté du receveur (pt. B 3)".

Ainsi, contrairement au droit suisse, la Convention tolère des prélèvements sur des personnes incapables de discernement.

v.

Pour conclure

Au terme de notre analyse, trois constats méritent d'être soulignés.

Premièrement, la Convention formule des principes de base pour protéger l'individu contre des intérêts qui se trouvent en dehors de lui (la recherche, la société) et consacre la primauté de l'être humain.

33 Plusieurs lois cantonales ordonnent que la rechercbe sur une personne incapable de discerne- ment n'est licite que si elle procure un ~néfice direct (Jura: Loi sanitaire du 14. 12. 1990. an. 30 al. 2; Neuchâtel: Loi de santé, art. 28 al. 4; Tessin: Legge sulla promozione delle salure e il coordinamenlo sQnÎrario du 18. 4. 89, an. 11 al. 3); de surcroit, les lois neuchAteloisc et tessinoise exige le consentement écrit du représentant légal.

34 Tel est le cas en Argovie: Gesundheitsgesetzdu 10. 11.87, § 52; Neuchâtel: Loi de santé du 6.

2. 95, art 30 al. 1; Tessin: Legge sulla promozione della salute e il coordinamento sanitario du 18.4.89. an. l~ al. 3; Valais: Loi sur la santé du 9. 2. 96, an. 47 al. 1.

35 Directives médico-éthlques pour les transplantations d'organes du 8 juin 1995.

126

(16)

En cela le droit suisse se trouve en accord avec ces principes sUpranatÎQ-' naux, dans la mesure où il fait du droit à l'autodétermination la clé de voQle légitimant les interventions médicales, et où les limites à ce droit sont très restreintes.

Deuxièmement, s'agissant des questions plus controversées du droit de la santé, telles que la force contraignante des directives anticipées, ou l'excep- tion thérapeutique ou encore le refus de savoir, les principes affinnés aussi bien par la Convention que par le droit civil suisse nous apparaissent, dans les trois cas, flous.

Certes, la Convention les reconnaît explicitement et les admet d'une façon générale. Elle n'énonce, toutefois, aucune condition matérielle de leur exer- cice.

Par exemple, l'exception thérapeutique doit-elle s'accompagner d'une in- formation aux proches; ou le refus de savoir doit-il être explicite et admis après tentative d'information ?

La Convention ne nous donne aucune réponse, et la doctrine suisse est po- larisée.

Par ailleurs, suite à la confrontation du droit suisse avec les principes pré- cis et détaillés de la Convention, la protection des personnes incapables de discernement prévue par le droit civil apparait à la fois insuffisante et trop sonunaire.

Insuffisante, car la protection n'est assurée que par le médecin en cas d'ur- gence, ou par le représentant du patient. Aucune autre autorisation n'est requise.

Trop sommaire, car la décision de substitution ne peut être prise que dans l'intérêt direct du patient, excluant ainsi toute intervention dans l'intérêt de tiers quelle qu'elle soit, fût-elle peu invasive.

Troisièmement, dans l'hypothèse d'une ratification helvétique de cette Convention, la Suisse serait obligée de codifier les principes applicables aux droits du patient, qui pour la plupart sont en dehors de la loi et n'ont été éla- boré que par la jurisprudence.

C'est pourquoi leurs contours en droit suisse sont bien incertains.

Les articles 27, 28 ss CC devraient être complétés par une protection spéci- fique du corps humain en situation thérapeutique.

Paradoxalement, les premiers s'avèrent les derniers: alors que notre Code civil de 1907 fut le premier en Europe à intégrer dans la loi la protection des

« intérêts personnels ,,(ancien art. 28), la protection du patient privé est aujourd'hui, en Suisse, en grande partie l'affaire du juge.

Certes nous sommes loin du risque du « gouvernement des juges» décrié par l'Ecole de l'exégèse.

Néanmoins, la « démocratie témoin» de Deuis de Rougemont, ce précurseur de la constroction européenne selon le modèle fédératif helvétique, perd de son rayonnement novateur et opte pour le pragmatisme de la jurisprudence.

Si bien que nous avons, en Suisse, un système à deux vitesses concernant les droits du patient:

- d'une part les patients des hôpitaux publics dont les droits sont garantis par les lois cantonales;

- et d'autre part les patients privés dont les droits sont élaborés par les juges.

L'harmonisation européenne ne devrait-elle pas être précédée d'une har- monisation au niveau national ?

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