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Masculinités et violences en contexte postcolonial: les jeunes hommes des quartiers populaires de Martinique

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Academic year: 2021

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1 UNIVERSITE TOULOUSE II – JEAN JAURES UFR, SCIENCES, ESPACE, SOCIETE DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE MASTER EN SOCIOLOGIE SPECIALITE MEDIATION, INTERVENTION SOCIALE, SOLIDARITE

Mémoire de recherche

MASCULINITES ET VIOLENCES EN CONTEXTE POSTCOLONIAL :

LES JEUNES HOMMES DES QUARTIERS POPULAIRES DE

MARTINIQUE

Directrice de recherche : Mme Françoise GUILLEMAUT Co-Directeur : M. Daniel WELZER-LANG

Arlette VAINQUEUR Septembre 2017

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2 UNIVERSITE TOULOUSE II – JEAN JAURES UFR, SCIENCES, ESPACE, SOCIETE DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE MASTER EN SOCIOLOGIE SPECIALITE MEDIATION, INTERVENTION SOCIALE, SOLIDARITE

Mémoire de recherche

MASCULINITES ET VIOLENCES EN CONTEXTE POSTCOLONIAL :

LES JEUNES HOMMES DES QUARTIERS POPULAIRES DE

MARTINIQUE

JAN NONM NONM ÉPI VIOLANS ANBA TAN LAPOTDÈYÈ –

LAKOLONI :

JENN JAN KAWTJÉ POPILÈ MATNIK

Arlette VAINQUEUR Septembre 2017

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3 COMMISSION D’EXAMEN

Mme Françoise GUILLEMAUT

Directrice de recherche – Maître de conférence associée Université Jean Jaurès – Toulouse II M. Daniel WELZER-LANG Co-directeur de recherche - Professeur Université Jean Jaurès – Toulouse II

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SOMMAIRE REMERCIEMENTS ... 6 PREAMBULE ... 7 INTRODUCTION ... 9 PARTIE 1 – LA MASCULINITE, UNE SOCIALISATION PARTAGEE ... 13 1. CONSTAT DE BASE ... 13

2. LA MARTINIQUE, UNE COLLECTIVITE SOCIALE AU PRISE AVEC L’(H)ISTOIRE QUI NE FINIT PAS . 18 3. LES JEUNES MARTINIQUAIS.E.S DANS UNE HISTOIRE SOCIALE A ECRIRE ... 22

PARTIE 2 – METHODOLOGIE : DES TERRAINS CONTRASTES ... 27

1. ENQUETES EXPLORATOIRES A TOULOUSE ... 27

2. L’OBSERVATION EN MARTINIQUE ... 33

3. LE DEROULEMENT DE L’OBSERVATION ET LES RAPPORTS DE GENRE ENTRE LES ENQUETE.E.S ET LA CHERCHEURE ... 40 PARTIE 3 - PROBLEMATIQUE : LA MASCULINITE ETUDIEE DANS UN ESPACE « D’OUTRE MER » ... 45 1. UNE LECTURE POSTCOLONIALE DE LA SOCIETE ... 45 2. L’INTERSECTIONNALITE ... 46 3. LA MASCULINITE DES HOMMES ... 47 4. LA VIOLENCE, LES VIOLENCES ... 53 PARTIE 4 – LA MASCULINITE DANS LES QUARTIERS POPULAIRES FACE A UN QUOTIDIEN CONTRAINT ... 61 INTRODUCTION ... 61 1. ACTEURS DE L’ESPACE PUBLIC ... 62 2. DISCRIMINATIONS ET STIGMATES ... 87 3. DES CITOYENS BIEN ENCOMBRANTS ... 100 4. ENTRE ETRE, DEVENIR ET AVENIR ... 110 CONCLUSION ... 119 BIBLIOGRAPHIE ... 126 ANNEXES ... 133 TABLE DES MATIERES ... 148

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6 « Tellement que, avec son studio portatif, Big Time, il pouvait, en même temps que blafflait le gros rythme, projeter, sur le mur, tout au fond de l’impasse, des clips de queens jamaïcaines, des défilés de mode et même des scènes réelles de cinéboule tournées aux States avec, en long et de travers, qui se débraillaient à mort, des bombes d’actrices aussi époustouflantes que Winona. Et même les gens de la télé, qui aimaient de temps en temps venir nous chatouiller une caméra sous les narines, histoire que l’on déballonne au reste du pays comment on s’arrangeait pour se contenter, sans jamais une révolte, d’une existence autant gavée de solitude et de misère, même eux, ils trouvaient que le

show de Big Time était de la pure délivrance. ALFRED ALEXANDRE, Les villes assassines, Editions Ecriture, 2001 »

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6 Remerciements

A Françoise Guillemaut, ma directrice de recherche pour avoir encadré mon travail et donné des références bibliographiques incontournables et fondamentales pour ma connaissance. Je lui dis merci encore plus fort pour sa disponibilité et son suivi indéfectible à distance, et ce même le week-end.

A Daniel Welzer-Lang pour m’avoir emmené sur le terrain des sciences humaines à comprendre la masculinité, les sexualités, les identités et discriminations sexuelles de manière aussi directe et efficace.

A mes enfants, Léone pour son aide à la relecture et à la mise en forme, Célia et Alexandre, pour leur soutien et leurs visites réconfortantes à Toulouse, sans oublier Alain, leur père et son épouse Manuella pour avoir pris mon relai auprès de Papa Roro, mon vieux papa, maintenant décédé.

A mes amies, Gil pour les retranscriptions, Céline pour la mise en relation avec des personnes ressources, Jocelyne et Line pour les encouragements et le soutien infaillible puis Véronique Gamess, pour le don de livres.

Aux maîtres d’œuvre de mon interconnaissance, Manuel Clérence et Fabrice Coulis qui m’ont ouvert les portes de leur réseau.

Aux professeur.e.s de l’équipe pédagogique, spécialement à Nathalie Chauvac, Stéphanie Mulot, Anita Meidani, Vincent Simoulin, July Jarty, … pour leurs enseignements et les merveilleux échanges.

A mes camarades de « promo » Master MIS 2014-2015, en particulier à Djogo, Bouba, Alexe, Delphine, Sonia, Samira pour avoir partagé les sueurs froides, les doutes, les rires, l’atelier Drag King et le froid assis.e.s sur le radiateur de la salle de cours, un hiver 2015. Aux enquêté.e.s de Toulouse et de Martinique.

A mon médecin, Marie-Chantal Emonide, à ma psychologue, Jocelyne Arnoux, sans oublier Jean-Jacques Dreuillhe, mon logeur de La Reynerie, pour m’avoir « rattrapée au vol ».

Et enfin à mes parents, papa Roro et manman Jeanne et à ma collègue Ozier qui n’ont pas eu le temps d’attendre le « papier ».

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7 Préambule

Le contexte socio-historique de l’émergence des études de genre et des masculinités et, ses prémisses en Martinique

La société française comme la plupart des sociétés modernes et dans une autre mesure la Martinique, est bouleversée par « une révolution anthropologique du genre (...), la transformation, sans précédent historique des relations entre les hommes et les femmes »1.

On peut souligner :

• La féminisation du salariat et l’autonomie subséquente acquise par les femmes • La scolarisation plus large des acteur.ice.s sociaux

• L’accès à la liberté sexuelle des femmes par l’usage de la pilule contraceptive ou par l’interruption volontaire de grossesse

• La modification de la cellule familiale et de la diversité des familles (nucléaire, monoparentale, homoparentale, élargie, recomposée, ...)

• La reconnaissance progressive du droit à l’égalité des minorités sexuelles (dépénalisation de l’homosexualité en 1982, le droit au mariage aux couples de même sexe en 2013...)

• Le changement perceptible de la masculinité chez les hommes par rapport aux générations antérieures

• L’accès lent mais « injugulable » des femmes dans les différents domaines de la vie publique (la présence massive des Martiniquaises dans la mobilisation de février 2009 contre la vie chère en Martinique est l’un des exemples)

Cette liste est loin d’être exhaustive. Ces phénomènes sociaux sont à l’œuvre et bouleversent de manière frappante, modérée ou juste frémissante ces sociétés. Une lame de fond se déploie avec la mobilisation des minorités -prises dans le sens de dominées- : des femmes, des féministes, des pro-féministes ainsi que les lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transgenres, transsexuelles, intersexes, mais aussi des racisé.e.s. Ces minorités sont discriminé-e-s pour leur identité sexuelle, leur orientation sexuelle, leur race2 ou leur

1 Daniel Welzer-Lang, Propos sur le sexe, Paris, Payot, 2014, p.9. 2

Ici, la race n’est pas une catégorisation biologique mais prise au sens sociologique, au sens de la construction sociale de la race. Elle désigne les effets de classification du racisme ou de la racialisation.

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8 origine ethnique. Ce mouvement s’accompagne d’un bouillonnement intellectuel et universitaire en France et en Martinique, qui interroge les représentations sociales, les rapports sociaux et le changement social en cours. Les secousses sont inéluctables dans les sociétés postcoloniales3 comme la Martinique, rattachées à la France où les effets de la colonisation ordonnancent la vie matérielle, idéelle et spirituelle.

Malgré la forte prégnance des valeurs judéo-chrétiennes et socio-raciales de la structure sociale, la question du genre touche la société martiniquaise, traditionnelle ou moderne, selon les domaines. Le rattachement aux institutions françaises et l’impact de la mondialisation influence ainsi le genre dans des tensions que provoquent les rapports entre classes sociales et entre groupes socio-raciaux.

Le genre est une construction sociale qui peut se définir comme un système qui divise la société en deux catégories de sexes : les femmes et les hommes. A ces catégories sont assignées des valeurs distinctes correspondantes : le féminin et le masculin. De plus, ce système établit une hiérarchie dans laquelle les hommes et le masculin dominent les femmes et le féminin. C’est cette hiérarchie des valeurs rattachées au sexe où le masculin domine le féminin que Françoise Héritier4 définit comme la valence différentielle des sexes, invariant partagé dans toutes les sociétés.

Les études sur le genre, par conséquent, prennent les femmes et les hommes en tant qu’objet d’étude, interrogent la bi-catégorisation des sexes, des valeurs « sexuées », des sexualités ainsi que les rapports sociaux de sexe qui font interagir les femmes et les hommes. Elles s’attachent aussi à analyser de manière distincte les rapports de genre dans les catégories de sexe, par exemple la hiérarchie homme-homme. De plus, elle interroge le genre dans le continuum femme-homme. C’est donc le cadre de notre recherche qui prend les hommes martiniquais comme objet d’étude à travers les dynamiques, les interactions et les valeurs qui lient les jeunes hommes à l’expression de la violence dans un contexte postcolonial.

3 Renvoie au processus de transformation ou de métamorphose que la colonisation ou l’impérialisme a opéré

dans les cultures, l’économie des pays colonisés. Voir chapitre Une lecture postcoloniale de la société.

4 Françoise Héritier, Masculin-Féminin 1. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, (Réédition

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9 Introduction

Je suis en activité depuis 25 ans dans une société d’HLM vieille de 44 ans. Elle loge à ce jour environ 30 000 locataires réparti.e.s dans environ 10 000 logements. Les 260 groupes d’habitations qui la composent - situés en milieu urbain, péri-urbain ou rural - couvrent quasiment toute la Martinique. Je tire donc ma connaissance du terrain de l’habitat social au travers de trois fonctions occupées successivement et relevant de l’intervention sociale.

• Conseillère sociale, en charge du traitement social des dettes de loyer, des conflits de voisinage et des relations avec les associations de locataires et de représenter l’organisme auprès des partenaires de la cohésion sociale.

• Chargée de clientèle, dont la mission est d’étudier les dossiers des demandeurs de logement, d’assurer l’accueil des nouveaux locataires et la réception des locataires demandeur.e.s d’un changement de logement.

• Chargée de relations sociales chargée d’accompagner les familles primo-locataires dans leur installation et leur intégration dans leur logement et leur environnement et aussi de d’accompagner le développement de la vie associative dans les cités. En fait, je m’intéresse au thème de la violence chez les jeunes hommes martiniquais parce que sur le plan sociétal, de nombreux faits divers n’ont de cesse de mettre en surbrillance des jeunes hommes auteurs de faits violents en particulier dans l’espace public et dans les groupes d’habitations. La proportion importante des violences sur les personnes et des vols avec violence dans le nombre général des crimes et délits renforce cette tendance dont les auteur.e .s sont aussi des adultes et/ou parfois des femmes.

Je suis interpellée donc par ce « climat », « cette ambiance » de violence sur plusieurs plans. Avant tout, en tant que femme, cisgenre5 et féministe. Les femmes en Martinique paient un lourd tribut à travers les brutalités physiques jusqu’à leur assassinat par leur partenaire : 25 tuées en 10 ans, pour exemple.

En tant que mère de deux filles (29 et 28 ans) et d’un garçon de 20 ans, j’éprouve beaucoup plus d’angoisse face aux sorties nocturnes de mon fils que quand il s’agissait de mes filles, et ce en particulier pendant périodes festives. De retour de soirée par exemple, il narre ses confrontations et ses stratégies pour se soustraire de la pression de ses pairs quant

5 Personne dont l’identité de genre se trouve en accord avec son sexe biologique et le genre identifié par son

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10 à la consommation massive d’alcool et de produits illicites, aux bagarres, à la prise de risques au volant, ... Et je constate qu’il est en danger parce qu’il est un homme.

En tant qu’habitante car je vis dans une cité de 200 logements situé à Fort-de-France dans un quartier qui est classé « chaud » par la police compte-tenu du nombre d’interventions qu’elle y opère.

Et enfin, je suis aussi interpelée dans ma pratique professionnelle en qualité d’intervenante sociale. Les bilans d’installation que j’effectue auprès des nouveaux et des nouvelles locataires font remonter une crainte d’agressions voire même de contacts avec les jeunes hommes. Sinon, je suis quotidiennement informée des situations lancinantes et régulières d’actes de violence et d’incivilités qui déstabilisent le personnel et inquiètent l’organisme.

Autre exemple, les concierges font souvent état de leurs difficultés d’intervention sur le terrain. La remontée quotidienne de leurs fiches de signalement, sorte de rapports d’ambiance dans les résidences, portent en grande partie sur les actions ou les activités des jeunes hommes avec notamment :

• Occupations obstructives voire agressives de certains espaces communs (cages d’escalier, halls d’entrée, bas d’immeubles, kiosque...)

• Altercations, rixes, règlements de compte

• Vrombissements intempestifs et assourdissants de moteur à toute heure du jour ou de la nuit.

• Incivilités voire même agressions contre les habitant.e.s et à l’égard du personnel dans et hors de leur temps de travail

• Consommation de produits toxiques licites et/ou illicites dans les parties communes • Stockage d’armes, de produits de contrebande et autres dans les gaines de sécurité • Braquage de conciergerie, ...

Les locataires, quant à eux-elles, dans leurs courriers ou leurs visites au siège de l’organisme, relatent et se plaignent régulièrement de faits similaires et d’actes d’incivilité perpétrés par leurs jeunes voisins entre autres. Cependant, je ressens dans le même temps une interprétation des faits dans un sentiment de sur-violence, comme si une dose supportable de faits serait dépassée ce qui provoque une peur, une susceptibilité irraisonnée face au moindre incident aussitôt qualifié de violent.

La récurrence des faits de violence de toute nature dans la société martiniquaise, en particulier perpétrés par les jeunes hommes dans l’espace public, l’onde émotionnelle

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11 qu’elle suscite, les comportements de rejet-replis des habitant.e.s ainsi que le sentiment d’impuissance de l’organisme, des associations et d’institutions m’ont vraiment poussée à m’interroger et à chercher à comprendre l’implication systématique de jeunes hommes dans les troubles de voisinage et de faits de violence dans l’espace social. Alors cernée, dans un espace rendu anxiogène, je veux d’une part, avoir des pistes de réflexions qui m’amènent à prendre du recul sur la quotidienneté. D’autre part, je cherche à comprendre plus largement la société martiniquaise, à comprendre pourquoi il y a tant de violences dans les rapports sociaux, dans l’espace public, dans les entreprises, dans les quartiers, dans les familles, dans l’expression de soi, entre personnes, entre jeunes hommes...

Je livre un extrait d’une scène dans un bus, illustrant l’onde circulaire de la violence mettant en scène un jeune homme dans un bus.

Le bus s’arrête à une station et laisse monter des passager-e-s, sept à huit personnes, puis démarre. Subitement, des cris et vociférations ! Un homme d’environ 25 ans, tend son index dans le visage de la conductrice de l’autocar. Il est en colère et l’accuse d’avoir démarrer sans attendre qu’il soit accroché à la barre. La conductrice rétorque et se répend en explications. Il l’accuse de démarrer systématiquement quand il monte, de chercher à le faire choir, de se moquer de lui. Il lui promet de lui faire sa fête car il en a marre de cette provocation. Il menace de la battre, de lui « casser la gueule ». Ses yeux sont exorbités. Il va et vient dans le véhicule. Il y a une telle tension dans le bus que l’on sent que le passage à l’acte est imminent, qu’il peut s’opérer un basculement. Les autres passager-e-s sont silencieux-ses. L’atmosphère est à peine supportable, sous la violence des propos et du risque de la situation.

Quelle relation existe-il entre les jeunes hommes et les violences en Martinique ? Qu’est-ce qui fait qu’ils semblent d’avantage impliqués dans les faits de violence perpétrés dans l’espace public ?

Aussi avais-je choisi de faire au départ un focus sur le terrain de l’habitat social qui est en lui-même à la fois un microcosme et une partie de la réalité sociale où s’exercent des violences dont la violence juvénile masculine. Cependant, j’ai vite étendue ma recherche sur les quartiers dits populaires en y insérant les cités compte-tenu des caractéristiques socio-économiques similaires des habitant.e.s et la continuité géographique des sites. C’est pour cette raison que j’utiliserai les données sociales, économiques et statistiques du quartier Place d’Armes afin d’étayer mon travail de recherche sur les quartiers populaires en général.

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12 Alors, quelles relations existent entre les jeunes hommes et les violences en Martinique ? Pourquoi les jeunes hommes semblent d’avantage impliqués dans les faits de violences perpétrées dans l’espace public en Martinique ?

Pour tenter de répondre à notre questionnement, nous commencerons dans la première partie de notre recherche, à nous intéresser à l’association apparente entre les hommes et la violence au travers de faits tirés de plusieurs espaces culturels et de leur incidence commune. L’histoire de la Martinique, la présentation sociologique d’un de ses quartiers populaires ainsi qu’une approche partielle de l’histoire de la jeunesse nous permettrons de circonscrire le contexte dans lequel est menée l’étude. Nous exposerons dans la deuxième partie, le déroulement de nos observations à Toulouse et en Martinique, à la rencontre des jeunes hommes et de jeunes femmes des quartiers populaires. Nous y ferons état des difficultés liées au sujet et au milieu de l’enquête, ainsi qu’au genre. La problématique abordera dans la troisième partie, le cadre théorique dans lequel une analyse postcoloniale et intersectionnelle accompagnée de concepts qui guidera notre compréhension de la réalité sociale. De nombreux thèmes composent la quatrième partie autour des résultats de notre recherche sur les masculinités et les violences dans les quartiers populaires et qui confirment nos hypothèses. Nous noterons dans la conclusion, les grandes lignes des résultats de l’enquête et suggérerons une approche intersectionnelle d’un travail de transformation sociale auprès des jeunes hommes des quartiers populaires reconnaissance.

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13 PARTIE 1 – LA MASCULINITÉ, UNE SOCIALISATION PARTAGÉE

1. Constat de base

Le contexte socio-spatial qui forme les quartiers populaires produit un effet grossissant et stigmatisant du fait du regroupement de ménages aux caractéristiques sociales et économiques communes et du fait de leur dévalorisation par la norme hétérosexuelle, androcentriste6 et viriarcale7. Ces ménages sont principalement composés de personnes

vivant seules et de familles monoparentales où les mères exercent l’autorité parentale. Ces dernières ne répondent pas aux critères dominants de la famille occidentale. Ces critères reposent sur une conception où la famille nucléaire (père-mère-enfant) et monogame demeure respectable comme Françoise Guillemaut8 l’analyse.

Les quartiers populaires sont constitués en majorité de ces personnes socialement et économiquement discriminées. La domination symbolique qu’elles subissent, rejaillit dans leurs rapports avec les autres et entraîne une hiérarchisation où les jeunes hommes sont au préalable discriminés parce que susceptibles d’être violents. Ces jeunes hommes dont il est question dans ma recherche sont en général, les fils de ces familles, et sont aussi autant objets qu’auteurs et/ou « acteurs » de violence extra et intra quartier.

Par conséquent, nous voudrions adopter une démarche compréhensive en interrogeant le rapport entre violence et masculinité ainsi que les rapports de domination à l’œuvre. Il faut reconnaître d‘une part, que l’entretien direct avec les personnes impliquées semble risqué physiquement ou relationnellement, en particulier s’il leur sont reproché des faits graves ou/et ayant entrainés une incarcération. D’autre part, même l’acte de rentrer en contact avec les auteur.e.s peut s’avérer difficile. La question de la violence en Martinique est un sujet sensible auquel se greffent souvent des questions de santé mentale, de toxicomanie et de trafic en tout genre. Notre genre, notre âge, notre milieu socio-professionnel et notre motivation peuvent être des freins et voire même être considérés comme une provocation. L’observation nous permettra d’en parler plus tard.

Néanmoins, nous avons a priori la conviction qu’en passant par notre interconnaissance de «jeunes», par notre connaissance des locataires, parents des « jeunes » impliqué.e.s et

6 Où les hommes et les valeurs masculines se trouvent au centre comme référence. Les femmes et les valeurs

féminines sont de fait rendues invisibles.

7 Concept qui définit la domination des hommes sur les femmes quel que soit leur statut (père ou non).

Nicole-Claude Matthieu, L’anatomie politique, Editions iXe, 2013, (1991), 267 pages.

8 Françoise Guillemaut, Un dispositif de sexe et de genre créolisé. L’exemple de la Guadeloupe et la Guyane.

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14 par notre réseau professionnel d’intervention, nous pourrions obtenir des accords et mener ces entretiens. Selon nous, chaque entretien vaudra son pesant d’or par sa singularité, qu’il s’agisse autant d’entretien long et approfondi ou d’entretien écourté voire « avorté ».

Afin de rentrer dans l’« ambiance » pour comprendre le contexte général, nous sommes parties des éléments d’information de premier niveau, tels qu’ils nous arrivent et présentant les faits de violence. Ces éléments partagés avec ce « nous » comprennent les acteurs et actrices sociaux dont la chercheuse que nous sommes.

1.1. Exemples de dispositifs performatifs dans l’information et dans le ressenti de la violence

Nous présentons deux exemples de dispositif médiatique et communicationnel : le quotidien France-Antilles et l’ONDRP, l’Observatoire National de la Délinquance et de la Réponse Pénale, pour traduire le contenu et l’impact de l’information comme action performative. C’est-à-dire que l’énonciation des actes de violence par ces dispositifs « légitimes ou légitimés » a une portée telle qu’elle produit de la violence par le fait même de les énoncer.

Le journal France-Antilles (FA), du groupe Hersant Media, le premier dispositif, est l’unique quotidien d’information de Martinique depuis 1964, dont voici une collection d’informations consultées le samedi 19 novembre 2016.

• FA du 14 novembre 2016 : « Retour aux assises pour deux meurtriers présumés » « pour vol avec violence ayant entraîné la mort » « d’un Martiniquais de 20 ans » et pour « port d’armes prohibées ».

• FA du 15 novembre 2016 : « Un véhicule de police pris pour cible » lors de l’interpellation d’un individu à Four à Chaux au Lamentin.

• FA du 18 novembre 2016 : « Une bagarre entre deux groupes de jeunes a dégénéré (...): deux victimes, âgées de 18 et 20 ans ont été grièvement blessées à l’arme blanche » dans une cité HLM à Trinité.

• FA du 18 novembre 2016 : « Interpellé pour envoi de cocaïne vers la France », 25 ans.

• FA du 19 novembre 2016 : « Passage en cours d’assise d’un jeune homme de 22 ans pour meurtre au couteau d’un congénère de 28 ans. »

• FA du 19 Novembre 2016 : « Violence à Four à Chaud : trois hommes écroués », de 23, 30 et 48 ans et un de 18 ans laissé en liberté, ...

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15 Dans cette présentation tacitement androcentrée, la catégorie homme est sous-entendue. Elle va de soi car il n'y a aucune indication qui laisse penser qu’il pourrait s’agir de femmes. Le substantif Jeunes permet au lectorat d’identifier la génération sans que la catégorie « jeune homme » ne figure. De plus, compte- tenu d’une « ligne de couleur »9-10 sociale, économique et spatiale, ils sont supposés Noirs. Les faits se déroulent à priori dans des quartiers populaires d’habitat spontané et/ou social.

L’accumulation de descriptions d’actes de violence, dans le quotidien sur une journée et voire pendant plusieurs jours pour un même évènement met des jeunes hommes des quartiers populaires au centre des violences interpersonnelles et de la délinquance en qualité d’auteurs et de victimes. Comme en croisade morale11, contre la violence et la délinquance, ces présentations posent par l’implicite une norme de déviance à combattre. Selon H. S. Becker, «la conséquence la plus évidente d’une croisade réussie, c’est la création d’un nouvel ensemble de lois. Avec la création d’une nouvelle législation, on voit souvent s’établir un nouveau dispositif d’institutions et d’agents chargés de faire appliquer celle-ci ». Du dispositif sécuritaire institutionnel et privé, la Police et les sociétés privées de sécurité en sont des bénéficiaires pour l’activité ou les dividendes qu’il génère.

En outre, cet effet de pilonnage de l’information par des faits divers accentue le sentiment d’insécurité par l’illusion créée d’un nombre exponentiel voire immaîtrisable d’actes de violence. L’INA (Institut National de l’Audiovisuel) vient observer qu’en 2012, la place des faits divers dans les journaux télévisés avait augmenté de 73% en dix ans dont un sur deux concernait les violences entre personnes12. De plus, le traitement de ces

phénomènes de violence s’était dépolitisé en passant progressivement de la rubrique politique au fait divers13.

L’autre dispositif, l’ONDRP est l’institution chargée d’établir des statistiques à partir des faits de crimes et de délinquance déclarés à la police et à la gendarmerie. Les « menaces de violences », les « violences crapuleuses », les « violences gratuites » et les « violences sexuelles » par exemple y forment la classification des violences aux personnes. La visée de cet organisme d’Etat est d’évaluer la réponse pénale apportée aux

9

William E. B Du Bois, Les âmes du peuple noir, (1903), Editions ENS rue d’ULM, 2004.

10Jean-Luc Bonniol, La couleur des hommes, principes d’organisation sociale : le cas antillais. Revue

ethnologie française, 1990. Article : le paradoxe de la couleur. Vol.10, n°4, p.410-418.

11 Howard S. Becker, Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, (1963). Traduction française, Editions

A. Métailié, Paris, 1985. P.179.

12 Communiqué de presse, INA Stat N° 33.du 17 juin 2013. http://www.institut-national-audiovisuel.fr/presse/pdf/904.pdf, consulté le 29/12/2016 .

13 Laurent Mucchielli, Violences et insécurité, Fantasmes et réalité dans le débat français, La découverte,

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16 violences déclarées. Cette présentation des chiffres de la délinquance dans le débat public participe à la nouvelle logique d’évaluation des politiques publiques, en terme d’efficacité par rapport aux priorités politiques et sécuritaires du moment. Elle nourrit l’argumentaire des médias qui citent généralement ces chiffres, en ne faisant pas état des enjeux et des mécanismes de sa production. C’est le cas du site Lintern@ute éditée par le groupe le Figaro qui relaie les données fournies par l’ONDRP, par départements, villes et nature des violences.

Ces dispositifs participent ainsi à la construction de la violence, en particulier celle des jeunes hommes comme phénomène social par l’immédiateté et la médiatisation de l’information. En Martinique, le sentiment de violence exprimé est démultiplié à la fois par l’effet quotidien du ressassement de l’information sur de la violence vraie ou non réelle, par l’interconnaissance relative liée à l’iléité14, (qui se rapporte aux caractères des relations humaines et des réseaux personnels sur une île) et par la connaissance sociale ou intuitive des actions de violence structurale et historique en Martinique.

Cependant comme François Dubet l’indique «il ne faudrait pas que cette "déconstruction" sommaire de la violence laisse accroire que les violences (...) n'existent pas, qu'elles ne sont qu'un fantasme, qu'une production idéologique et médiatique, ou (...). Il en est de la violence comme de l'insécurité en général. Elle désigne à la fois des conduites et des risques "réels", et une perception de ces risques qui ne les reflète pas15»et qui contribue à fabriquer la matérialité de la violence.

Pour aller plus loin encore sur la question de la violence et hommes, nous présentons des espaces sociaux tels que l’espace public et les prisons où le masculin est au centre.

1.2 L’espace public, un des lieux de l’expression de la violence masculine

En 2008, l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF) a pris le parti d’interroger en Martinique, des femmes et des hommes sur les violences interpersonnelles, dans les rapports de genre, subies dans les différents espaces de vie et nous permet de voir comment s’articulent les violences. Les femmes sont toujours victimes de la violence masculine, particulièrement par des agressions physiques et des atteintes sexuelles dans le couple. Ces dernières le sont aussi dans l’espace public. En effet,

14 Thierry Nicolas, « L’hypo-insularité », une nouvelle condition insulaire : l’exemple des Antilles françaises,

L’espace géographique, 2004/4, Tome 34, p. 329-341.

15

François Dubet, Introduction à la problématique de la violence, Cadis, EHESS, Université Paul Ségalen.

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17 « les menaces et agressions physiques sont (...) le fait des hommes, seuls ou en groupe : les neuf dixièmes des menaces et agressions physiques à l’égard des femmes sont le fait d’hommes seuls » dans l’espace public.

Les hommes sont-ils victimes de violence ? L’enquête précise dans ce cas que les deux cinquièmes des agressions commises à l’égard des hommes le sont par des hommes en groupe16 ». A ce jour, les statistiques ne donnent pas à connaître ces auteurs de violence sur le plan sociologique (leur âge, leur situation sociale et économique, par exemple). Pourquoi les hommes sont victimes de violence d’autres hommes ?

En décembre 2016, le New-York Times17 par exemple, décrit des fusillades à Chicago, lors du week-end prolongé du Memorial Day, dans lesquelles hommes sont impliqués à une majorité écrasante en tant que victimes. En trois jours : 64 personnes blessées par balle (8 femmes, 56 hommes). 6 en meurent. 52 des victimes sont Noires, 11 Hispaniques, 1 Blanche. Les quartiers concernés plus massivement sont le South et West Sides où la population est composée de Noir.e.s ou d’ Hispanique.s de manière prédominante. L’exemple de Chigaco rappelle, toute proportion gardée l’impact de cette violence sur la vie des hommes à l’échelle de la Martinique. Pourquoi retrouvons-nous des hommes massivement victimes de violence par armes ?

1.3. L’effectif carcéral masculin

Ann Oakley et Cynthia Cockburn respectivement sociologue et chercheure britanniques interrogent la présence carcérale masculine et « le coût du crime masculin ».

De juillet 2011 à juin 2012, les hommes représentaient 85% « du tiers de million de personnes trouvées coupables d’un délit passible de poursuite en Angleterre et dans le pays de l’Ecosse18». Ce qui entraîne pour leur garde, la construction de prisons et le salaire du personnel pénitentiaire et judiciaire représentant un coût financier sans compter l’évaluation de l’impact social et émotionnel.

En Martinique, en décembre 2009, la population carcérale était de 907 détenu.e.s dont 98,6 % d’hommes. Les 16-30 ans s’élevaient à 420, soit 46 % des détenu.e.s, dont 45

16 Elizabeth Brown et Nadine Lefaucheur, Les violences subies dans les différents espaces de vie en

Martinique, Pouvoirs dans la Caraïbe. Revue du CRPLC, no 17 (1 janvier 2012): 73‑107,

doi:10.4000/plc.863. P. 9.

17 New-York Times du 22Décembre 2016. http://www.nytimes.com/2016/12/22/us/chicago-gang-violence.html?mwrsm=Email&_r=0 Consulté le 29 décembre 2016

18 Ann Okley et Cinthia Cockburn, Le coût du crime masculin, Mars 2013 », OpenDemocracy, consulté le 30

octobre 2016, http://www.opendemocracy.net/5050/ann-oakley-cynthia-cockburn/le-co%C3%BBt-du-crime-masculin.

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18 mineur.e.s (chiffres de la PJJ de Martinique, du Centre pénitentiaire de Ducos et rapport du Sénat). Pourquoi les prisons du « monde » sont-elles prises d’assaut par les hommes ?

Qu’est-ce qui prédispose donc les hommes en Martinique à se trouver massivement incarcérés ? Quel lien y a t-il entre la violence et les hommes et plus précisément les jeunes ? Les violences interpersonnelles que nous définissons comme celles qui portent atteinte au corps et/ou au psychisme des personnes, mettant en jeu le couple acteur passif/acteur actif, ont-elles un signifiant dans l’ordre de la masculinité ?

2. La Martinique, une collectivité sociale au prise avec l’(H)istoire qui ne finit pas

Pour mener notre recherche et notre observation, nous présentons la naissance de la collectivité sociale de la Martinique au travers d’une lecture de l’histoire de la colonisation, du peuplement de la Martinique circonscrite par l’actualité sociale et économique postcoloniale.

L’objectif étant de situer dans leur contexte général la dimension historique, macro-sociologique, économique et sociale, les pratiques et représentations sociales qui se révéleront progressivement dans notre recherche. Dans un deuxième temps, nous inscrirons le quartier Place d’Armes au Lamentin dans sa réalité spatiale et socio-économique comme un exemple prototypique de quartier populaire.

2.1.De Matinino à la Collectivité de Martinique, de la colonie à la postcolonie

Appelée Matinino par les Kalina, ses premiers habitants, puis Ouanacaéra par les Caraïbes, la Martinique tire sa dernière dénomination de sa colonisation par les Européens en 1502. A partir de 1635, le massacre des habitant-e-s autochtones, la traite des Africain-e-s et leur mise en esclavage ainsi que le système de production esclavagiste « plantationnaire » son corolaire ont modelé un système social basé sur la violence de rapports sociaux où les individus, en fonction de leur place dans le système de production et de leur race19 sont divisés en catégorie de personnes ou en catégorie de meubles au sens juridique du terme. La société, composée racialement de Blancs, de Noirs et les Mulâtres, -catégorie intermédiaire raciale et économique issue du métissage - produit une hiérarchie raciale dans laquelle un groupe, les colons Blancs et les valeurs associées exercent leur

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19 suprématie et une domination sur un autre groupe asservi et dominé, les Noir.e.s, les esclaves.

Une dernière révolte d’esclaves les 22 et 23 mai 1948, à la suite de nombreuses autres met fin au système esclavagiste. Une nouvelle société prend forme au travers de nouveaux rapports de production. Cependant, les ancien-ne-s esclaves refusant pour la plupart les conditions de travail de la plantation se sont approprié-e-s des espaces intérieurs de l’île non défrichés donc souvent incultes et/ou quasi inaccessibles. Face au déficit de la main d’œuvre endogène, les planteurs, anciens propriétaires d’esclaves font appel à une immigration étrangère ; d’autres groupes ethniques provenant des régions du sud de l’Inde, les Tamouls de 1853 à 1885, ou d’Afrique, de la côte Ouest et particulièrement du Congo20 de 1857 à 1863, sont enrôlés sous contrat salarié pour l’activité agricole et industrielle dans les plantations de Martinique21. L’arrivée des Chinois-e-s (entre 1859 et 1860), des Syro-Libanais-e-s22 et celle des « Blan-frans »23 puis des « Métros », plus massive et récente vont contribuer au peuplement mosaïque actuel de la Martinique. Cependant, les stigmates de la période esclavagiste restent vivaces dans les rapports sociaux par une catégorisation sociale des individus en fonction de la couleur de leur peau. Le groupe social formé par les descendant.e.s des colons, appelé.e.s Béké, représente l’un des exemples de la violence de la racialisation des rapports sociaux que leur endogamie socio-raciale perpétue à côté de leur domination économique. La tripartition24 sociale de la société martiniquaise entre Béké, Noir.e.s et Mulâtres survit encore dans un continuum aux rapports sociaux de race.

Colonie pendant plus de trois siècles dont plus de deux sous le feu de la traite négrière et de l’esclavage, la Martinique devient un département français en mars 1946 suite au vote de la loi d’assimilation. Puis, en 2010, elle refuse la transformation de la Martinique en Collectivité unique d’Outre-Mer régit par l’article 74 et toujours par référendum, choisit la Collectivité de Martinique sous l’article 73 -qui comparativement à la première proposition- limite les prérogatives en terme d’autonomie par rapport à la France, la « Métropole ». Et c’est donc en décembre 2015 que disparaîtra la région mono- départementale et sera élue la première assemblée de la Collectivité de Martinique.

20 Jean-Claude Louis-Sydney, L’immigration Congo en Martinique, site de Tous Créoles.

21Jean Benoist,« Les Martiniquais. Anthropologie d'une population métissée. In: Bulletins et Mémoires de la

Société d'anthropologie de Paris, XI° Série. Tome 4 fascicule 2, 1963. pp. 241-432.

22

Jean Benoist, op. cit. pp. 241-432.

23 Ancien nom des « Métros », des Blanc.he.s de France. 24

Philippe Brunoteau, Le colonialisme oublié, De la zone grise plantationnaire aux élites mulâtres à la Martinique, Edition Du Croquant, Collection Terra, 2013, p. 315

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20 La Martinique fait partie de l’Archipel des Petites Antilles situé en Amérique centrale. D’une superficie de 1 128 km2 et d’une population de 392 291 habitant-e-s, elle est partagée en trois zones topographiques distinctes. Le Nord très montagneux, caractérisé par le volcan la Pelée, 1 297m d’altitude puis la Plaine du Lamentin au centre et enfin le Sud qui se distingue par un paysage plus vallonné.

Les risques naturels telles que les cyclones, les tremblements de terre ainsi que le volcanisme sont des facteurs de vulnérabilité qui se conjuguent à son économie peu florissante, issue de la colonie et particulièrement dépendante de la « Métropole ».

Ces échanges avec l’extérieur en 2013 par exemple, sont fortement déséquilibré et la moindre grève des salarié-e-s du port de Fort-de-France se répercutent sur l’approvisionnement des commerces et par voie de conséquences sur les ménages. Les importations s’élèvent à 1 104 millions d’euros quand l’exportation n’atteint que 57 millions d’euros25, ce déséquilibre s’inscrit comme les rapports sociaux de race en Martinique dans la continuité historique du Pacte Colonial. De plus, l’activité économique ainsi que les emplois sont principalement tournés vers le secteur tertiaire. La part des commerces, du transport et services divers dans la catégorie « établissements et entreprises » est 67,5%26..

La réalité économique de la Martinique a un impact sur le plan du marché du travail. En avril 2015, 53 144 demandeur-se-s d’emploi sont répertorié-e-s contre 709 offres d’emplois dont 41% sont des contrats de travail inférieurs à six mois27. Les femmes

sont plus touchées que les hommes. 6 610 sont des jeunes demandeur-e-s dont 49% sont faiblement qualifié-e-s (CAP ou BEP)28.

Le taux de chômage des demandeur-e-s d’emploi de moins de 30 ans atteint 48,50% et jusqu’à 63,7% si à la génération s’ajoute l’absence de diplôme29.

Sur le plan social, 22,8% de la population active est au chômage en 2013 et 86 044 personnes perçoivent le RSA (revenu de solidarité actif, ex-RMI et API)30 Ces personnes sont logées en nombre par les Entreprises Sociales de l’Habitat dont les critères d’attributions et leurs loyers sont définis ou encadrés par l’Etat en direction de ces

25 Insee, DOM Echanges extérieur en 2013, Source : Douane. 26 Ibd

27 STMT – Pôle emploi, Dares. Calculs des cvs, DIECCTE Martinique/ESE.

28 Jeunesse, chiffres-clé, CIDJ Martinique (2012 Pôle emploi, Service Statistiques, Etudes, Evaluations) 29Ibd

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21 personnes en situation précaire, ces inemployables, ces « vulnérables », ces désaffiliés, en résumé ces indigents valides et ces indigents invalides31.

2.2. Un quartier populaire, le quartier Place d’Armes

Le Lamentin est la deuxième commune de Martinique et terme de superficie (6 294 ha) après Fort-de-France, et abrite une population de 39 458 habitant-e-s. Place d’Armes, placé dans la périphérie immédiate de son centre bourg est l’un de ses vingt-et-un quartiers.

Nous nous appuyons sur les données chiffrées du quartier Place d’Armes car nous pensons qu’elles sont un indicateur sur le plan de la composition de la population, de l’activité et de la structure des ménages que nous pouvons projeter pour l’étude des quartiers populaires. Dans cette exposition, nous ciblons la tranche d’âge 18-25 ans car nous avons observé que les instituts ou organismes répartissent leurs données de manière différente, ce qui ne nous permet pas d’avoir des données par des tranches d’âge toujours homogènes.

Plusieurs cités dont « la Résidence du Square » et « Place d’Armes » sont insérées dans le quartier Place d’Armes qui compte 3 046 habitant-e-s soit 52 % de femmes et 48% d’hommes, en 201032. Les ménages du quartier sont composés en moyenne de 2,6 personnes.

Les femmes et les hommes de la tranche d’âge de 15 à 29 ans représentent respectivement 20% de la population totale du quartier et dans la tranche des 18-24 ans, 10,3%.

Le taux d’activité, c’est-à-dire la part de celles et ceux qui ont un emploi ou recherchent un emploi dans le quartier est de 30,9 % chez les femmes et de 38,8 % chez les hommes de 15 à 24 ans.

Le taux d’emploi auprès des femmes et des hommes de 15-24 ans s’élève à 17,9% et 10,9% respectivement soit 14,2% de la population totale de la même tranche d’âge. 24 % de la population active (15-64 ans) est au chômage. Ce chiffre est proche de celle de la population totale de Martinique.

Le taux d’activité et le taux d’emploi des femmes sont supérieurs à celui des hommes du quartier. Serait-ce lié à la proximité des entreprises de service, de l’offre

31 Roger Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995.

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22 d’emploi dans le care et/ ou la tendance observée de manière générale du taux de scolarisation moins élevé chez les hommes.

13 jeunes adolescent-e-s du quartier sont non scolarisé-e-s sur les 122 âgé-e-s de 15-17 ans et sur les 1791 que compte l’ensemble des quartiers de la commune33.

3. Les jeunes martiniquais.e.s dans une histoire sociale à écrire

3.1. Les « jeunes »

De prime abord, nous devrons nous éloigner du sens commun qui essentialise les jeunes d’un côté et de l’autre naturalise la violence chez les jeunes : « les jeunes sont violents ! ». De surcroît, c’est une naturalisation de genre qui s’adresse aux hommes, plus exactement aux jeunes hommes. Et dans ce dernier cas, cette naturalisation introduit l’idée que la violence serait un attribut masculin et que la génération, comme l’âge seraient de nature à singulariser la violence.

S’agissant de la jeunesse, pour l’INSEE, elle est une classe d’âge qui allait de 15 à 24 ans et maintenant de 15 à 29 ans : le prolongement du temps des études, l’entrée dans la vie professionnelle, le recul du départ de chez les parents ont bouleversé son approche sur le plan quantitatif. Quant à la Justice, dans son traitement judiciaire, elle divise en deux groupes ses justiciables : les personnes mineures, les moins de 18 ans et les autres, les personnes majeures. Cependant, sur le plan sociologique, elle est une catégorie construite socialement qui n’a pas toujours eu historiquement le même “âge”, ni les mêmes attributs. Elle est une catégorie arbitraire.

Olivier Galland définit lui la jeunesse, comme un “âge de la vie” conçu comme un passage de seuils sociaux symbolisés par la fin des études, le départ de chez les parents, l’entrée dans l’activité professionnelle, la mise en couple, la naissance du. de la premier.e enfant. Cependant, nous observons que le non passage des seuils sociaux peut allonger la phase « jeunes adultes » puisque par exemple, le chômage des jeunes personnes est accentué quand elles sont non diplômées et les oblige à demeurer chez leurs parents. Nous pouvons nous demander comment est symbolisé le passage des seuils sociaux quand les conditions citées par Olivier Galland ne sont pas présentes ou atteignables. Selon lui, il faut considérer que le processus de socialisation des jeunes personnes à travers la famille, l’école et les pairs contribuent à l’apprentissage de rôles sociaux permettant de préparer

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23 leur accès au statut d’adulte. Il nous semble intéressant d’ajouter que ces processus d’apprentissage et de socialisation vont aussi déterminer les rôles sociaux de genre et ce tout le long des “trois âges de la jeunesse” - adolescence, post-adolescence, “phase” jeunes adultes -34 et bien au-delà.

La notion de jeunesse comme celle d’enfance est apparue en Europe avec le développement de la riche bourgeoisie, de la baisse de sa fécondité et de l’émergence d’une pensée individualiste, alors que dans le même temps en Martinique, cette notion était absence dans le système plantationnaire contemporain. Elle y est apparue adossée aux mesures sociales et familiales consécutives à la rupture administrative engendrée par les lois de l’assimilation de 1946.

Par contre, la jeunesse n’est pas vue seulement comme une production historique mais aussi institutionnelle et culturelle35. Elle est encadrée par des structures et des agents, ces derniers formant la main gauche de l’Etat selon Pierre Bourdieu36, chargés de remplir les fonctions dites sociales. De même qu’elle partage des modes de vie communs par l’action divers médias (musiques, industries culturelles).

Dans son entretien avec Anne-Marie Métailié37, Bourdieu s’oppose à une conception homogène de la jeunesse. En fait, il pense que les champs sociaux, avec leurs « lois spécifiques de vieillissement » propres découpent les générations et lui permettent de démontrer ainsi que l’âge est une « donnée biologique socialement manipulée et manipulable ». « Le fait de parler des jeunes comme d'une unité sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente »38. Et il parle d’abord pour faire simple, de deux jeunesses pour montrer les diversités et les oppositions matérielles qui peut les éloigner mais en fait, reconnaît la multiplicité des situations entre elles. La jeunesse des cités HLM n’est pas non plus homogène. Même si les règles d’attribution de logements sélectionnent économiquement les locataires, parents des jeunes qui auront de fait, pour un grand nombre, le même « capital économique », ce n’est pas pour autant que le genre, le capital scolaire, le niveau réel des revenus, le statut d’occupant ou de locataire ne distinguent pas les locataires et les « jeunes » entre eux-elles. Cependant bien que

34 Olivier Galland, « Les jeunes », Paris, La Découverte, 2009. 35 Olivier Galland, « Les jeunes », Paris, La Découverte, 2009.

36 Pierre Bourdieu, « La démission de l’Etat », La misère du monde, Le Seuil, 1993, p.219-228.

37 Paru dans « Les jeunes et l’emploi », Paris, Association des âges, 1978. Voir Pierre Bourdieu, Questions de

sociologie, Edition de Minuit, 1984, p.143-154.

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24 l’intrication et la variabilité de ces composantes apportent des diversités de conduites individuelles, ils-elles partagent des conditions d’existence communes qui leur font partager en partie un même habitus39.

3.2. La socialisation

Le genre est le produit de socialisations continues, c’est-à-dire qu’il est intériorisé depuis l’enfance par l’action de processus continus. Il se renforce par des socialisations fixatrices simultanées ou consécutives. Et en ce qui concerne la masculinité, les instances telles que le groupe des pairs, le travail, l’armée, le sport, les jeux vidéo ou la pornographie... contribuent à l’apprentissage de conduites viriles dans la catégorie des hommes. Le genre est socialement construit car les « différences systématiques entre les hommes et les femmes ne sont pas le produit d’un déterminisme biologique »40.

La socialisation primaire construit profondément les individus dès l’enfance par l’éducation via différentes instances comme la famille, la parenté élargie, l’école, la crèche, le centre de loisirs ou de sport qui usent d’actions déterminées.Les pair-e-s contribuent aussi une socialisation dite horizontale, déjà à ce stade quand ils-elles évoluent au sein de groupes dans les lieux sociaux précités.

La socialisation secondaire, appelée aussi socialisation adulte consiste en des processus qui permettent d’incorporer un individu déjà socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de sa société, selon Muriel Darmon41. Nous citons à la suite de certains

auteurs ou de certaines pratiques, les syndicats, le travail et le couple42, les géto43, les

plas44 et la parentalité selon Jean-Claude Kaufmann comme des « dispositifs » de

socialisation secondaire qui remodèlent les individus dans de nouveaux mondes.

La socialisation s’accompagne aussi de processus non conscients et non formalisés par les « sociabilisateur-rice-s » et les « sociabilisée-e-s » qui entrent dans l’apprentissage et l’incorporation des normes et des pratiques de la société globale et locale. Selon Bourdieu,

39 Anne Jourdain, Sidonie Naulin, « La théorie de Pierre Bourdieu et ses usages en sociologie », Armand

Colin, Collection 128,Paris, 2011,2013.

40 L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait, A.Revillard, Introduction aux études sur le genre, De Boeck, 2ème

édition, 2013.

41 Muriel Darmon, La socialisation, Armand Colin 2ème édition, Collection 128, 2006, 2010. 42Peter Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, 1966, Albin Michel, 2012. 43 Traduction du créole martiniquais : Lieu de fortune couvert, plus ou moins fermé, approprié par un groupe

de jeunes hommes en général, non exposé directement au regard ; servant à la rencontre et aux pratiques sociales marginales.

44 Traduction du créole martiniquais : Partie d’un lieu ouvert, qui peut être couvert, approprié par un groupe

de jeunes hommes en général, peut être accessible par le regard ; servant à la rencontre, aux pratiques marginales ou non.

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25 « les injonctions sociales les plus sérieuses s’adressent non à l’intellect mais au corps comme l’essentiel de l’apprentissage de la masculinité et de la féminité tend à s’inscrire la différence entre les sexes dans les corps (...) sous la forme de manière de marcher, de parler, de se tenir (...)45», d’exprimer des émotions... Pour T. Bloss, l’intériorisation des normes sexuées se fait de manière silencieuse à travers les conditionnements sociaux qui produisent le genre.

3.3. La jeunesse et sa représentation en Martinique

La jeunesse de Martiniquaise n’a pas une histoire encore écrite mais des séquences d’actions sont retenues par différents auteur.e.s en fonction de leur discipline ou de leur objet d’études. La jeunesse en Martinique est plurielle par le fait du genre, de la classe socio-raciale et de l’action de ses membres dans la société. Cependant, nous avons fait le choix de circonscrire en son sein deux groupes qui sont signifiants pour notre étude des violences en contexte postcolonial. Nous avons donc repéré d’abord un groupe qui se caractérise sous une forme organisée, par une action engagée et/ou une action politique dans une période donnée. Puis un autre qui se distingue dans des actions « réactionnelles » de rage, spontanées et imprévisibles. Le premier groupe est auteur de nombreux faits qui marquent une histoire de la jeunesse, tel que l’engagement dans la Dissidence46. Sinon, il est à l’origine dans le contexte politique des années 1960-1980, de la création de plusieurs organisations dont l’association générale des étudiants martiniquais en France, AGEM47,

l’OJAM48, l’ALCPJ49. Ces organisations ont laissé dans leur sillage une frange de jeunes

mobilisés sur les questions postcoloniales et la relation de dépendance de la Martinique à la France.

Parallèlement, le deuxième groupe, provenant massivement des quartiers populaires a été à l’origine des évènements de décembre 195950, puis d’autres51 en 1992, 1993, 1994,

45 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p.168-169.

46 Pendant la seconde Guerre mondiale, alors qu’un blocus encerclait les deux îles, plus de deux milles cinq

cents jeunes femmes et jeunes hommes de Martinique et de Guadeloupe ont rejoint les forces Françaises libres afin de lutter contre les Allemands,.

47 Des étudiants martiniquais ont créé l’AGEM dans le but de former politiquement les intellectuel.le.s au

service de leur pays.

48 L’OJAM, Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique, créé en 1962. 49 ALCPJ, An lot chimen pou lajénès, créé en 1980.

50 Les évènements de Décembre 1959, ont duré trois jours, notamment durant la nuit, les 20-21 et 22

décembre de violents affrontements opposèrent des centaines de personnes, surtout des jeunes aux forces de l'ordre.Il firent 3 morts, des jeunes hommes.

51 De 1992 à 1994, échauffourées et saccages de magasins, à la suite des festivités du carnaval, le mercredi

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26 et 199852 décrits par André Lucrèce dans ses ouvrages53-54. Depuis, seule la grève de

février 2009 a fait apparaître les jeunes hommes principalement dans des activités de destruction de biens et de vols dans des magasins. Si l’élément déclencheur final semble différent d’une époque à l’autre, les surnuméraires réagissent par une rage qui conduit à des violences. Ces actions restées dans l’imaginaire collectif représentent-elles la jeunesse martiniquaise ? Contrairement aux actions du premier groupe quasiment inexistant actuellment, elles émergent dans de nouvelles mobilisations basées sur des activités non politiques et encore moins liées à la postcolonialité.

52 Transformation d’un conflit du travail où les forces de l’ordre sont intervenues en échauffourées avec des

jeunes hommes des quartiers environnants.

53. André Lucrèce, Société et Modernité, Essai d’interprétation de la société martiniquaise, L’autre

mer/Essais, 1994, p.70-71.

(27)

27 PARTIE 2 – METHODOLOGIE : DES TERRAINS CONTRASTÉS

Voulant privilégier une sociologie de terrain où priment l’interprétation et le point de vue des acteur.ice.s, nous faisons appel à une approche compréhensive de la sociologie, parce que d’une part elle tient compte des rapports sociaux intriqués qui placent les individus dans leur rôle d’acteurs avec leurs références et compétences à agir. D’autre part, elle nous oblige à éclaircir le sens, les motifs, ou les raisons que les acteur.rice.s donnent à leurs actions55. Pour se faire, nous utilisons des outils, tels que l’enquête

qualitative par entretiens, les entretiens de groupe, les observations directes et/ou participantes, les notes de notre journal de terrain.

1. Enquêtes exploratoires à Toulouse

Bien que notre objet d’étude se situe dans le contexte martiniquais, étant présente à Toulouse pour notre formation, nous avons fait le choix de débuter les enquêtes exploratoires auprès de « témoins privilégiés (…) ayant une bonne connaissance du sujet »56 soit quatre acteur.rice.s institutionnel.le.s et associatif.ve.s du quartier populaire de la

Reynerie dont un exerçant en Martinique. Ces entretiens ont été menés en face à face pour trois d’entre eux. A l’opposé, les « interlocuteurs utiles, (…) le public directement concerné »57 de Martinique qui ont été interrogés par téléphone : deux jeunes hommes,

depuis Toulouse.

Nous avons donc pu interroger des professionnel.le.s ainsi que des jeunes hommes intervenants ou usagers de l’espace public de quartiers populaires de Toulouse et de Martinique. Il en sortit un corpus pour l’étape de l’observation en Martinique.

Présentation du quartier en référence

La Reynerie constitue avec Le Mirail et Bellefontaine un ensemble de quartiers dénommé le Grand Mirail. Ces quartiers ont été conçus et réalisés à partir du projet de ville nouvelle porté par l’édilité toulousaine, dans la décennie 1960. Cependant bien que certaines étapes aient été franchies, la ville nouvelle n’est pas « sortie de terre ». Après être

55 Dictionnaire de la pensée sociologique, Dico Poche, PUF, 2005.

56 Luc Van Campenouhdt, René Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, Paris, (1995),

4ème édition. p.60

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28 entré dans les politiques de la ville dès le début des années 198058, aujourd’hui, le Grand

Mirail fait partie du contrat de ville 2015-2021, l’objectif étant toujours le renouvellement urbain des quartiers.

La population des jeunes personnes des trois quartiers est répartie différemment selon les sources : les 15-24 ans59 soit 15% et les moins de 17 ans60 soit 30,3%. Les moins de 26 ans61 représentent 14% des demandeur.e.s d’emploi, dont 47% de femmes et 52% d’hommes.

1.1.Les enquêtes exploratoires

Pour l’interrogation des acteur.rice.s, des entretiens semi-directifs ou semi-structurés ont été réalisés au travers de questions ouvertes. L’objectif était de permettre d’une part à l’enquêté.e d’aller le plus loin possible dans son discours qui pourra être étudié en tant que sources d’informations et/ou en tant que processus d’élaboration d’une pensée, et d’autre part de cadrer les questions dans le sens de la recherche62. A ce stade, notre grille

d’entretien a été assez ouverte car nous étions au stade du tâtonnement et elle a concerné une femme et cinq hommes.

1.1.1. Difficultés rencontrées

a) - Rentrer en contact avec des jeunes adultes hommes a été particulièrement difficile voire impossible puisque nos approches n’ont pas abouti à des entretiens. Le genre et l’âge nous semblent avoir constitué des obstacles. En effet, femme de 55 ans demandant à deux jeunes hommes inconnus un entretien pour une étude sur les conditions de vie des jeunes hommes a pu paraître douteux et comme une invitation à une familiarité, voire sexuelle ou maternelle. Nous avons pu aussi observé une demande de proximité et même le dévoilement d’une impatience quant au délai de mise en place de l’entretien chez l’un. La distance culturelle de génération ainsi que le non truchement de l’interconnaissance sont d’après nous une des raisons de cet échec. Mais, la gestion du rapport de genre dans lequel nous avions l’impression d’être engagée et d’avoir des obligations voire des comptes à

58 Marie-Christine Jaillet-Roman, Mohammed Zendjébil, le Mirail : Un projet de « quasi-ville nouvelle » au

destin de grand ensemble, Société française d’histoire urbaine, Histoire urbaine, 2006/3, n°17, p.85-98.

59 INSEE, 2015,

60 Contrat de ville, Toulouse-Métropole 2015-2020, Cahier n°2 : Cahiers territoriaux, juillet 2015 61 INSEE, 2015

62 Luc Van Campenouhdt, René Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, Paris, (1995),

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29 rendre peut être une autre raison. Mais au fond, nous avons surtout perçu, dans l’expression virile (impulsivité et impatience) de ce jeune homme comme une demande de reconnaissance et une fragilité dans le rapport avec nous. Etait-ce un rapport dominant-dominé au travers du genre et du niveau culturel ? Nous avons interrompu la relation enquêtrice-enquêté auprès de ces deux jeunes adultes hommes car nous avions du mal à nous positionner nous-même. Nous avons opté donc pour des entretiens à distance avec des jeunes de notre entourage vivant en Martinique.

b) - Parler à des jeunes adultes hommes qui utilisent un idiome partagé par leur génération en Martinique. Les entretiens se déroulent en créole et français, mais le créole parlé est différent de celui que nous parlons sur plusieurs plans. En fait, chez ces jeunes hommes, des mots nouveaux ou détournés de leur sens premier, des expressions anglaises à profusion voire le changement de structuration de la langue équivalent à entrer dans un espace linguistique parfois étranger. Cet idiome paraissait aussi en même temps en construction et fabriqué pendant l’entretien par ces jeunes hommes.

Par conséquent, nous tirons des enseignements de cette phase exploratoire :

• Tenir compte de l’interaction qui se joue dans le rapport social avec les interlocuteurs et d’en comprendre le sens, d’autant plus que notre objet d’étude rentre dans le cadre des rapports sociaux de genre et des masculinités.

• Tenir compte du décalage générationnel dans la linguistique créole. La proximité géographique et l’influence culturelle anglo-caraibéennes et africaines-américaines contribuent à cette métamorphose.

Nous pensons alors comme Françoise Guillemaut, c’est-à-dire assumer de mettre en avant la qualité sociale du recueil des données auprès des jeunes hommes des quartiers populaires : « la proximité et l’empathie permettent une approche plus authentique de la réalité des personnes, notamment si elles sont minoritaires, marginales ou illégitimes.»63

63 Françoise Guillemaut, Stratégies des femmes en migration : pratiques et pensées minoritaires, repenser les

marges au centre, Thèse pour le doctorat Sociologie et sciences sociales, janvier 2007. Université de Toulouse 2. P.17.

(30)

30

1.2.Les observations directes

1.2.1. Difficultés rencontrées

a) - Inadaptation climatique : nous n’avons pas pu observer l’espace public à cause des températures hivernales et de l’impossibilité de trouver des lieux d’observation à l’abri (La place de la Reynerie ou de Jean-Jaurès par exemple).

b) - Invisibilité des jeunes hommes dans l’espace à La Reynerie. Pour les voir, nous aurions du être introduite sur leurs « territoires », cage d’escaliers, hall ou bas d’immeuble. Aucun de nos contacts n’a répondu à notre demande de rencontre.

c) - Impossibilité d’observer à l’insu des acteur.rices car notre passage voire notre arrêt sur les sites est repéré du fait de notre sexe, de notre âge et de notre couleur de peau : impossibilité de se fondre dans l’espace avec les autres.

d) - Manque de temps pour créer une interconnaissance personnelle en vue d’une observation participante. Faire nos courses et même avoir droit au crédit à l’épicerie, aller chez le boucher et au marché, prendre un thé chaud sur la place presque tous les soirs sont des actions initiées qui à la longue auraient pu nous permettre d’être plus légitime dans l’espace. Cependant, nous sommes conscientes que compte-tenu de la présence rare des femmes dans les lieux des hommes, la réussite de cette entreprise aurait été incertaine.

1.3. Recueil des données empiriques

Toutefois, après avoir habité trois mois dans le quartier et fréquenté la place centrale de la Reynerie, nous pouvons tirer quelques traits des scènes, des attitudes, des échanges entre hommes, à partir des observations faites « en passant ».

• Place silencieuse : pas de cri, pas d’éclats de voix intempestifs, de voix fortes, absence de personnes alcoolisées, clochardisées.

• Relations : parmi les hommes beaucoup se saluent, s’embrassent et prennent des nouvelles. Présence rare de très jeunes hommes. Une certaine courtoisie se dégage. Quasi-absence de femmes.

• Commerces : marché, boucherie, épiceries ouvertes toute la semaine voire le dimanche et certains même le jour de l’an.

Des entretiens dans lesquels nous interrogions l’implication des jeunes hommes dans des situations de violence en tant qu’auteurs et/ou victimes dans l’espace public, nous avons relevé et sérié cinq thèmes qui amorceront ceux de notre observation en Martinique.

Références

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