• Aucun résultat trouvé

À un jeune homme

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "À un jeune homme"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Cahiers Claude Simon 

2 | 2006

Claude Simon, maintenant

À un jeune homme

Mireille Calle-gruber

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/ccs/476 DOI : 10.4000/ccs.476

ISSN : 2558-782X Éditeur :

Presses universitaires de Rennes, Association des lecteurs de Claude Simon Édition imprimée

Date de publication : 31 décembre 2006 Pagination : 63-64

ISBN : 9782914518895 ISSN : 1774-9425 Référence électronique

Mireille Calle-gruber, « À un jeune homme », Cahiers Claude Simon [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 20 septembre 2017, consulté le 14 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ccs/476

Cahiers Claude Simon

(2)

À un jeune homme

par Mireille CALLE-GRUBER

Avec Claude Simon disparaît le dernier grand écrivain du siècle, de ceux qui font de l’œuvre vie : à l’écart du bruit médiatique, il a vécu en littérature – « Bon qu’à ça », disait-il modestement, citant Beckett – et sondé le passage secret des grammaires de l’être.

Il est à jamais le cavalier éperdu de la route des Flandres, et depuis le loin, au bord du XXe siècle notre contemporain le plus aigu et le plus vigilant, il donne en partage l’inconnu, l’insu, l’insup- portable.

Claude Simon n’aura cessé de nous représenter que nous sommes toujours déjà les survivants de nous-mêmes, lui né de père mort à la première guerre, revenant non-mort de la seconde guerre sur les pas de la première, lui qui écrit comme peint le rescapé des camps Gastone Novelli, lui qui du râle de la mère mourante fait à l’écriture de l’existence une basse continue.

De l’âge du siècle presque, mais indignations et élans intacts, exi- geant justesse et rigueur, il est le plus jeune homme. Personne n’aura comme lui cheminé la langue dans tous les sens, pris à la fourche des mots et émotions, guetteur infatigable à la plus haute tour des phrases qui font vie-mort un espace traversable : « […] j’essayai de m’imaginer me persuader que j’étais un cheval, je gisais mort au

(3)

fond du fossé dévoré par les fourmis mon corps tout entier se chan- geant lentement par l’effet d’une myriade de minuscules mutations en une matière insensible et alors ce serait l’herbe qui se nourrirait de moi ma chair engraissant la terre et après tout il n’y aurait pas grand-chose de changé, sinon que je serais simplement de l’autre côté de sa surface comme on passe de l’autre côté d’un miroir où (de cet autre côté) les choses continuaient peut-être à se dérouler symé- triquement c’est-à-dire que là-haut elle continuerait à croître tou- jours indifférente et verte comme dit-on les cheveux continuent à pousser sur les crânes des morts […] » (La Route des Flandres).

C’est ainsi qu’il nous aura enseigné la lenteur hallucinée de l’écri- ture en ses transports métaphoriques, l’humilité de l’artisan, la main à l’œuvre, la peine et l’existence ailée de la littérature.

Je ne connais pas un écrivain moins complaisant, moins sensible à la flatterie, aux honneurs. Il avait accueilli le Nobel avec simplicité, en avait je crois reçu sérénité, pas plus pas moins, et jamais une assu- rance : il doutait toujours que son œuvre vaille de demeurer. Lui- même ne cessait de relire : Conrad, Dostoïevski, Michelet, Proust – Proust qu’il « faudrait déproustailler », m’avait-il écrit naguère avec humour, et malgré son admiration pour l’auteur de La Recherche.

Il n’a pas fini de mettre la lecture à l’épreuve, cet interminable phrasé simonien qui flue comme mascaret, avec l’omniprésence du participe présent révélateur des dépôts du temps. Le grand temps – passes de l’urgence et de l’éternité. Sous le signe des constellations nar- ratives (Orion, La Chevelure de Bérénice), il organise une architecture sensorielle pour la venue de la remémoration à quoi la littérature prête son théâtre subliminal : le monde-comme, le sujet-comme, le souffrir- comme. Chaque livre s’efforçant, unique chaque fois, à l’inlassable réancrage du vécu – la terre exorbitée, la vie exorbitante.

Il y a désormais à lire et relire Claude Simon, à refaire pas à pas les parcours têtus de l’écrivain, s’attendre à la croisée des mots. Avec lui, apprendre à s’y attendre : « Maintenant. Maintenant. Maintenant » (Le Jardin des Plantes).

Les yeux ne se ferment pas. La ligne, la lettre portent le regard : bleu.

CAHIERS CLAUDE SIMON N° 2

64

Références

Documents relatifs

Il s’agira de voir pourquoi Claude Simon, tout en passant par le stade des humanités contestées, en particulier dans La Route des Flandres, retrouve dans Histoire et La Bataille

Cependant, je crois que le plus difficile pour tous les membres de ma famille était la solitude, ou plus précisément le fait de constater combien Monique était seule, de savoir

Cette mesure était justifiée par le fait que, pour reconnaître une personnalité juridique, il fallait un enfant vivant et viable, et que dès lors il n’y avait pas lieu de

Le Désir Véritable d’un enfant peut donc tout à fait être le même, et donc. rencontrer le désir explicite que les parents vont projeter

Quand on fait des fouilles archéologiques, autour du squelette, on peut trouver des objets (pot, bijoux, coquillages, ..) mais en plus si on analyse au microscope la terre qui se

Ensuite le Seigneur leur a dit : “L’homme est maintenant devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal, il ne faut pas lui permettre de tendre la main pour

Conectores que catalizan la elección del poeta ante todas las posibilidades que el mundo y el universo ponen delante de sus sentidos para configurar su vida, de este modo su

Ses œuvres deviennent alors une grille de lignes noires délimitant des carrés et des rectangles de dimensions variables, formant des espaces de couleurs pures..