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Pêche, conservation et écotourisme : continuités et transformations dans les rapports socio-environnementaux à Río Lagartos, Réserve de la biosphère Ría Lagartos, Yucatán, Mexique

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Texte intégral

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Pêche, conservation et écotourisme

Continuités et transformations dans les rapports

socio-environnementaux à Río Lagartos, Réserve de la biosphère

Ría Lagartos, Yucatán, Mexique

Mémoire

Catherine Leblanc

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Catherine Leblanc, 2018

(2)

Pêche, conservation et écotourisme

Continuités et transformations dans les rapports

socio-environnementaux à Río Lagartos, Réserve de la biosphère

Ría Lagartos, Yucatán, Mexique

Mémoire

Catherine Leblanc

Sous la direction de :

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iii

RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur l’expérience d’insertion d’une communauté côtière, celle de Río Lagartos, à une aire protégée, la Réserve de biosphère Ría Lagartos (RBRL), Yucatán, Mexique. L’auteure utilise l’approche de la production et de la construction sociale de l’espace pour comprendre, d’une part, comment les habitants du village et les acteurs de la conservation construisent leur rapport à l’environnement et, d’autre part, comment l’introduction de la RBRL influence et transforme la relation que les résidents entretiennent avec leur milieu.

On retrouve à Río Lagartos une configuration particulière de l’espace, où les relations entre les acteurs et les différentes activités économiques qu’ils ont développées historiquement sont étroitement liées et s’articulent aux transformations socio-économiques qui ont eu cours simultanément dans le reste de l’état du Yucatán. Malgré l’instabilité indéniable des pêcheries artisanales dans la région, la pêche continue de jouer un rôle clé dans la consolidation de la communauté et demeure à ce jour le vecteur principal des relations socio-environnementales locales et un élément structurant de la vie quotidienne.

Depuis sa création en 1979, la RBRL, quant à elle, marque l’organisation sociale de la communauté et induit des transformations dans la façon dont les habitants appréhendent, utilisent et ont accès à l’environnement. Bien que les acteurs locaux ne rejettent pas entièrement certains éléments de la conservation, ceux-ci sont interprétés différemment selon les individus et se voient contestés, questionnés ou négociés, parfois appropriés ou voire même intégrés par ces acteurs. Ainsi, de nouveaux discours, pratiques et savoirs par rapport à l’environnement local émergent de cette nouvelle logique. De même, de nouveaux groupes d’acteurs apparaissent, notamment les guides écotouristiques, qui adoptent de manière instrumentale les discours environnementaux afin de mettre de l’avant leurs propres intérêts. Ainsi, les marqueurs de pouvoirs traditionnels sont progressivement remplacés par de nouveaux marqueurs, comme la capacité de s’approprier et manipuler les discours sur l’environnement promus par les acteurs de la conservation.

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iv

ABSTRACT

This thesis examines the integration experience of a coastal community, that of Río Lagartos, within a protected area, the Ría Lagartos Biosphere Reserve (RBRL), Yucatán, Mexico. Basing its approach on the social production and construction of space, it strives to understand, on the one hand, how the residents and the Reserve’s employees and collaborators each build their relationship to the environment and, on the other hand, how the RBRL influences and transforms the relationship the residents have with their environment.

In Río Lagartos there is a particular configuration of space in which the relations between the social actors and the different economic activities they have developed historically are closely linked and relate to the socio-economic transformations that have taken place simultaneously in the rest of the State of Yucatán. Despite the undeniable instability of artisanal fisheries in the region, fishing continues to play a key role in community consolidation and remains the main vector of local socio-environmental dynamics and a structuring element of everyday life.

Since it was founded in 1979, the RBRL has influenced the social organization of the community and has led to changes in the way people understand, use and have access to the environment. Although the residents do not completely reject some elements of environmental conservation, these are interpreted differently by individuals and are challenged, questioned or negotiated, sometimes appropriated, or even integrated by these actors. Thus, new discourses, practices and knowledge with respect to the local environment emerge from this new logic. Similarly, new groups of actors are emerging, in particular ecotourism guides, which adopt environmental discourses in an instrumental way only to put forward their own interests. Thus, traditional markers of power within the community are gradually being replaced by new markers, such as the ability to appropriate and manipulate environmental discourses promoted by conservation actors.

(5)

v

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

LEXIQUE ... ix

LISTE DES ACRONYMES ... xi

AVANT-PROPOS ... xii

INTRODUCTION ... 1

LE RÉGIME DE CONSERVATION GLOBAL ... 1

LA CONSERVATION ENVIRONNEMENTALE AU MEXIQUE ... 5

PLAN DU MÉMOIRE ... 8

CHAPITRE 1. APPROCHE CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIE ... 11

1.1. L’ANTHROPOLOGIE ET LES AIRES PROTÉGÉES ... 11

1.1.1 La néolibéralisation de la nature : quand la nature devient un nouveau capital à exploiter ... 13

1.1.2 L’écotourisme : vers une nouvelle forme de valorisation économique de la nature ... 16

1.1.2.1Définitions et principales caractéristiques de l’écotourisme ... 17

1.1.2.2Un regard anthropologique critique sur l’écotourisme ... 19

1.2. LA PRODUCTION ET LA CONSTRUCTION SOCIALE DE L’ESPACE ... 22

1.2.1 Le lieu et le paysage ... 24

1.2.2 L’espace ... 27

1.2.3 Capacité d’agir et expérience engagée des acteurs ... 29

1.3. PROPOSITION DE RECHERCHE ... 32

1.4. ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE ... 34

1.4.1 Méthodologie du projet ... 34

1.4.2 Axes de recherche ... 36

1.4.2.1Portrait historique et contemporain de la communauté de Río Lagartos .... 36

1.4.2.2Les discours véhiculés sur l’environnement ... 37

1.4.2.3Les pratiques quotidiennes des acteurs locaux ... 38

1.4.2.4Les rapports sociaux-environnementaux et de pouvoir ... 39

1.4.3 Techniques d’enquêtes ... 41

1.4.3.1L’observation participante et les entretiens informels ... 41

1.4.3.2Les entrevues semi-dirigées ... 43

1.4.3.3La recherche documentaire ... 45

(6)

vi

CHAPITRE 2. DE LA PÊCHE À LA CONSERVATION EN MILIEU CÔTIER :

REGARD HISTORIQUE ET CONTEMPORAIN SUR LA COMMUNAUTÉ DE RÍO

LAGARTOS ... 47

2.1 LE YUCATÁN : MILIEU GÉOGRAPHIQUE ET ÉVOLUTION SOCIO-ÉCONOMIQUE DE L’ÉTAT 48 2.2 LE DÉVELOPPEMENT DE LA RÉGION CÔTIÈRE DU YUCATÁN : UN PROCESSUS DE PRODUCTION ET DE CONSTRUCTION SOCIALE DE L’ESPACE ... 51

2.2.1 L’espace de subsistance : marginalisation et abondance des ressources ... 52

2.2.2 L’espace de pêche : l’âge d’or des régions côtières yucatèques ... 54

2.2.3 L’espace de conservation : protection environnementale et valorisation économique de l’environnement par l’écotourisme ... 61

2.3 CONSTITUTION ET ORGANISATION SOCIALE DE LA COMMUNAUTÉ DE RÍO LAGARTOS .... 65

2.3.1 Situation géographique et histoire du village ... 66

2.3.2 Transformations dans l’appropriation et l’utilisation de l’espace local ... 68

2.3.2.1L’espace de subsistance ... 68

2.3.2.2L’espace de pêche ... 70

2.3.2.3L’espace de conservation : La Réserve de biosphère Ría Lagartos ... 73

2.3.3 Composition spatiale et sociale actuelle de la communauté de Río Lagartos . 74 2.4 PROBLÉMATIQUE ACTUELLE DANS LE CONTEXTE DE LA PÊCHE : CONTINUITÉ ET INSTABILITÉ ... 79

2.4.1 La pêche : moteur économique de Río Lagartos et axe central de la vie quotidienne ... 80

2.4.2 L’état des pêcheries artisanales à Río Lagartos : un futur incertain ... 85

2.5 CONCLUSION ... 89

CHAPITRE 3. LA CONSTRUCTION D’UN ESPACE DE CONSERVATION : LA RÉSERVE DE BIOSPHÈRE RÍA LAGARTOS ... 91

3.1 CONTEXTE DE CRÉATION DE LA RÉSERVE DE BIOSPHÈRE RÍA LAGARTOS ... 91

3.2 LES ACTEURS DE LA CONSERVATION ENVIRONNEMENTALE ... 96

3.3 RELATIONS ENTRE LES ACTEURS DE LA CONSERVATION ET LES RÍOLAGARTEÑOS ... 101

3.4 LES MÉCANISMES DE LA CONSERVATION ENVIRONNEMENTALE ... 105

3.4.1 Protection, suivi environnemental, recherche et surveillance : l’application des principes de conservation ... 106

3.4.1.1Protection, suivi environnemental et recherche ... 106

3.4.1.2Zonage du territoire et usages de l’environnement ... 106

3.4.1.3Surveillance des activités des populations locales ... 109

3.4.1.4Respect des consignes de conservation et sanctions... 112

3.4.2 Éducation environnementale et participation communautaire ... 114

(7)

vii

3.4.2.2Programa de Empleo Temporal (PET) ... 120

3.5 CONCLUSION ... 123

CHAPITRE 4. CONFRONTATION ET NÉGOCIATION DE L’ESPACE DE CONSERVATION ... 125

4.1 LA CONSTRUCTION SOCIALE DE L’ESPACE À RÍO LAGARTOS ... 125

4.1.1 Approches de l’environnement des acteurs de la conservation ... 126

4.1.2 Approches locales de l’environnement ... 128

4.1.3 La dégradation environnementale et ses causes ... 131

4.2 NÉGOCIATION DE L’ESPACE DE CONSERVATION ... 134

4.2.1 Perceptions locales de la conservation environnementale ... 135

4.2.2 Appropriation des discours et des pratiques de la conservation ... 141

4.2.3 Rôle et place des acteurs locaux dans la conservation environnementale .... 145

4.3 CONCLUSION ... 150

CHAPITRE 5. L’ÉCOTOURISME : ENTRE REJET ET ACCEPTATION DE L’ESPACE DE CONSERVATION ... 152

5.1 LE TOURISMEÀ RÍO LAGARTOS : UNE ALTERNATIVE ÉCONOMIQUE POUR LA COMMUNAUTÉ? ... 152

5.1.1 Du tourisme à l’écotourisme : le développement de l’activité touristique à Río Lagartos ... 153

5.1.2 D’un tourisme local à international : saisons touristiques à Río Lagartos .... 156

5.1.3 Flamants roses et « baño maya » : l’offre touristique à Río Lagartos ... 157

5.1.4 Fonctionnement légal ... 160

5.1.5 Organisation du travail et rapports sociaux : coopératives sur fond de compétition de de tensions ... 160

5.2 VISIONS DE L’(ÉCO)TOURISME ... 167

5.2.1 Perspectives des acteurs de la conservation ... 167

5.2.2 Perspectives des différents groupes d’acteurs de la communauté ... 171

5.3 LA PRATIQUE DE L’ÉCOTOURISME : LA CRÉATION DES « GUIDE ÉCOTOURISTIQUES » ET DE LA « CONSCIENCE TOURISTIQUE » ... 175

5.3.1 Création d’un nouveau groupe d’acteurs et d’utilisateurs de l’environnement : les guides écotouristiques ... 175

5.3.2 La « conscience touristique » : regard des acteurs de la conservation ... 181

5.4 TRANSFORMATION DES RELATIONS SOCIO-ENVIRONNEMENTALE ET DES RAPPORTS DE POUVOIR À TRAVERS LA PRATIQUE DE L’ÉCOTOURISME ... 186

5.4.1 Transformations dans l’accès, l’utilisation et la gestion de l’environnement187 5.4.2 Participation à l’espace de conservation ... 192

(8)

viii

5.4.3 Création d’un nouveau paysage local : un village pittoresque et des espèces

charismatiques ... 196

5.4.4 L’écotourisme : un nouveau marqueur social et de pouvoir à Río Lagartos . 199 5.5 CONCLUSION ... 203

CONCLUSION ... 205

LES AIRES PROTÉGÉES ET L’ÉCOTOURISME : UN PHÉNOMÈNE DE NÉOLIBÉRALISATION DE LA NATURE ... 206

LA COMMUNAUTÉ DE RÍO LAGARTOS : UNE CONFIGURATION PARTICULIÈRE DE L’ORGANISATION SOCIALE ET DE L’ESPACE LOCAL ... 207

LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA RÉSERVE DE BIOSPHÈRE RÍA LAGARTOS ET LA « CULTURE DE LA CONSERVATION » ... 208

L’ESPACE DE CONSERVATION DE LA RBRL : APPARITION DE NOUVEAUX RÉFÉRENTS ET DE NOUVEAUX MARQUEURS DE DIFFÉRENCIATION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ ... 211

RÍO LAGARTOS, UNE COMMUNAUTÉ EN CHANGEMENT ... 214

BIBLIOGRAPHIE ... 216

ANNEXES ... 233

ANNEXE 1–LISTE DES ENTREVUES RÉALISÉES EN 2006 ET 2008 ... 233

ANNEXE 2–FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ... 235

ANNEXE 3–CARTE DES AIRES ÉTATIQUES ET FÉDÉRALES DU YUCATÁN ... 238

ANNEXE 4–SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU VILLAGE DE RÍO LAGARTOS ... 239

ANNEXE 5–CARTES DE LA RÉSERVE DE LA BIOSPHÈRE RÍA LAGARTOS ... 241

ANNEXE 6–ZONAGE DE LA RÉSERVE DE LA BIOSPHÈRE RÍA LAGARTOS ... 242

ANNEXE 7–PHOTOS ASSOCIÉES AU CHAPITRE 3 ... 243

ANNEXE 8–QUELQUES INFRASTRUCTURES TOURISTIQUES À RÍO LAGARTOS ... 247

(9)

ix

LEXIQUE

alijo Petite embarcation non motorisée utilisée comme embarcation satellite

d'une lancha (lors de la pêche au poulpe par exemple)

antiguos Se réfère aux anciens

baño maya Bain maya : qui consiste à s’enduire le corps d’argile et de boue aux « vertus thérapeutiques »

buceo La pêche en plongée

buzos Désigne les plongeurs en mer, qui font la pêche en plongée

cabaña Petits logements touristiques construits à partir de ciment et parfois de

bois

caracol Mollusque à coquille, coquillage

cayucos Embarcation modeste à cale de bois

cenote Puits naturel d’eau douce relié à d’autres puits formant un système

hydrique souterrain complexe particulier à la péninsule du Yucatán

centro (el) Désigne le centre du village

ceviche Plat traditionnel mexicain à base de poisson cru et mariné avec du jus

d’agrumes

chalana Petite embarcation non motorisée, voir alijo

charchas de sal Bassins de sel

chit Espèce de palmier (Thrinax radiata)

cobro de derecho Perception de droits d’entrées

compadrazgo Système de parrainage et de « parenté sociale »

compadre Parrain dans le système de « parenté sociale », les femmes sont des

comadres

de duro En dur (pour une maison faite de parpaings par exemple)

ejidatario Membre d’un ejido

ejido Propriété foncière collective attribuée à un groupe de paysans dont ils

ont l’usufruit

entrada (la) Désigne l’entrée du village

escama Écailles littéralement - par extension signifie « poissons à écailles » et

se réfère à la saison propice à la pêche de ces derniers

féria Festivité locale

flamenquero Guide (éco)touristique à Río Lagartos; nom dérivé du flamant rose

ganadero Dédié à l’élevage de bétail

hacendado Personne propriétaire ou gérante d’une hacienda

hacienda Type d’exploitation agricole de grande envergure qui comprend

plusieurs bâtiments, et qui a été héritée de la colonisation espagnole

henequén Un agave dont les feuilles fournissent une fibre qui sert à fabriquer de

la corde

henequenera Relatif au henequén, se dit par exemple de la région yucatèque

dominée jusqu’aux années 1970 par la culture du henequén

huano Espèce de palmier (Sabal japa)

jimbas Longues tiges de bambou au bout desquelles pendent des filins munis

d’appâts pour la pêche au poulpe

(10)

x

lancha (lanchas) Embarcation munie d’un moteur hors-bord faite de fibre de verre et

mesurant de cinq à sept mètres de longueur

lanchero Personne ou guide (éco)touristique qui conduit une lancha

leña Bois de chauffage

loncheria Cantine

malecón Promenade de front de mer; quai, jetée ou mur épais construit dans la

mer, la plage ou le port

maquiladora Usine de sous-traitance appartenant à des capitaux étrangers

spécialisée dans la confection et l’assemblage de vêtements, et dont le produit fini ou semi-fini est destiné à l’exportation

maxquil Petit crabe utilisé comme appât dans la pêche au poulpe

milpa Forme d’agriculture sur brûlis itinérante issue de la tradition maya qui

combine la culture du maïs, du haricot et de la courge

municipio Division politique et administrative qui couvre une portion de territoire

et qui peut compter plusieurs localités

nortes (los) Vents du nord qui annoncent et engendrent du mauvais temps

ojo de agua Puit d’eau douce naturel (cenote) à ciel ouvert

palapa Petite structure généralement construite avec du bois et des feuilles de

palmier pour servir d’abris, et souvent utilisée comme une structure d'accueil de touristes

permisionario Individu ou groupe qui possède des permis de pêche à titre personnel

(hors des coopératives). Ces permissionnaires sont des entrepreneurs privés qui emploient des pêcheurs pour opérer sous ces permis.

posada Auberge ou établissement touristique plus rudimentaire

principal (la) Désigne la rue principale du village

ranchero(s) Propriétaire de ranch où se pratique l’élevage bovin

rancho(s) Ranch où se pratique l’élevage bovin et/ou l’agriculture

ría (la) Appellation familière pour désigner la lagune Ría Lagartos

Ríolagarteño Habitant de Río Lagartos

socio(s) Membre d’une coopérative

(11)

xi

LISTE DES ACRONYMES

ALENA Accord de libre-échange nord-américain

ANP Aires naturelles protégées

CBD Convention sur la diversité biologique

CINVESTAV Centro de Investigación y de Estudios Avanzados del Instituto Politécnico Nacional

CONAGUA Comisión Nacional del Agua

CONANP Comisión Nacional de Áreas Naturales Protegidas CONAPESCA Comisión Nacional de Acuacultura y Pesca

DEDD Décennie des Nations Unies pour l’éducation au service du développement durable

DOF Diario oficial de la federación GEF Global Environment Facility GPS Global Positioning System INE Instituto Nacional de Ecología

INEGI Instituto Nacional de Estadística y Geografía

ISYSA Industria salinera de Yucatán

LGEEPA Ley General del Equilibrio Ecológico y la Protección al Ambiente MAB Man and Biosphere

NyC Niños y Crías

ONG Organisation non-gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies PET Programa de Empleo Temporal

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement

PPY Pronatura Península de Yucatán

PROCODES Programa de Conservación para el Desarrollo Sostenible PROFEPA Procuraduría Federal de Protección al Ambiente

RBRL Réserve de la biosphère Ría Lagartos

SAGARPA Secretaría de Agricultura, Ganadería, Desarrollo Rural, Pesca y Alimentación

SEDESOL Secretaría de Desarrollo Social

SEDUE Secretaría de Desarrollo Urbano y Ecología

SEMARNAT Secretaría de Medio Ambiente y Recursos Naturales SEMARNAP Secretaría de Medio Ambiente, Recursos Naturales y Pesca

SEPESCA Secretaría de Pesca

SSS Sociedades de solidaridad social

UADY Universidad Autónoma de Yucatán

UICN Union internationale pour la conservation de la nature

(12)

xii

AVANT-PROPOS

J’aimerais d’abord exprimer toute ma gratitude envers la communauté de Río Lagartos, qui m’a si chaleureusement accueillie lors de mes deux séjours. À la famille Cauich, merci de m’avoir hébergé mais surtout d’avoir fait de moi votre hija. Ces mois passés en votre compagnie, à partager votre quotidien, nous ont permis de développer de riches amitiés. Armando, tu es un homme digne d’être le pillier de ta famile et un pêcheur hors-pair. Mechi, tu fais la meilleure bouffe. Ever. Guillermo, Tony et Adrían, mis hermanitos, vous m’avez tellement diverti pendant mon séjour! Vous m’avez donné un petit avant-goût de ce que c’est que d’avoir aujourd’hui mes propres petits monstres! À quand la prochaine

guerra de popotes?! À tous les autres qui ont été généreux de leur personne et de leur temps

parce qu’ils avaient à cœur mon travail et leur communauté, un grand merci. Mes remerciements vont aussi aux employés de la Réserve et à ses collaborateurs pour avoir participé à cette étude. Esther, ma chère amie, mon terrain de 2008 n’aurait pas été le même sans toi! Je ne verrai plus jamais les pamplemousses de la même façon, et avec toi je partage la question existentielle suivante : qu’est-il arrivé à Moton?!

Je ne peux passer sous silence tout le support, l’aide, les conseils et l’encouragement de Pascal, mon amoureux et complice de terrain en 2006. Je lui dois beaucoup. Ma chère Félixe et mon petit Éloi, ce mémoire vous est dédié, car je crois qu’il est important d’aller au bout des choses quand on y croit, même lorsqu’on est découragé et abattu. Je remercie aussi ma famille et mes précieux amis et amies, qui m’ont soutenue tout au long de mon parcours de maîtrise.

Je tiens aussi à exprimer ma plus grande reconnaissance à ma directrice de recherche, Sabrina Doyon, qui m’a prise sous son aile et m’a accompagnée depuis le baccalauréat. Merci d’avoir cru en moi et de m’avoir donné plusieurs opportunités de projets et de travail. Merci aussi à Marie-France Labrecque et Catherine Sabinot d’avoir accepté d’évaluer et de commenter ce mémoire. Merci aux collègues du DKN-2469 et particulièrement à mes homonymes; ce fut un réel privilège de partager le processus d’écriture du mémoire avec vous!

(13)

xiii

Enfin, je remercie le Conseil de la Recherche en Sciences Humaines (CRSH), le Bureau International de l’Université Laval et l’Office Québec-Amériques pour la jeunesse (Projet Praxis), pour leur soutien financier.

(14)

1

INTRODUCTION

Devant la reconnaissance de la crise environnementale globale, de nombreuses stratégies ont été mises en œuvre pour pallier la dégradation des ressources naturelles et préserver les « derniers bastions de la nature », notamment par l’établissement d’aires protégées. Ces dernières constituent aujourd’hui les pierres angulaires de pratiquement toutes les stratégies de conservation nationales et internationales. Ce travail de maîtrise se veut une ethnographie portant sur l’expérience d’insertion d’une communauté côtière, celle de Río Lagartos, à une aire protégée, la Réserve de biosphère Ría Lagartos (RBRL), Yucatán, Mexique. Elle utilise l’approche de la production et de la construction sociale de l’espace pour mieux comprendre, d’une part, comment les habitants de la communauté construisent et négocient leur rapport à l’espace côtier, et d’autre part comment ce rapport est marqué par la mise en place de la RBRL. Non seulement la création de la Réserve a-t-elle mené à une réorganisation de l’espace physique des populations locales touchées et à des changements dans l’utilisation et la gestion des ressources et du territoire, mais elle contribue également à transformer les rapports sociaux, économiques et politiques entre les membres de la communauté. Cette recherche pose ainsi un regard anthropologique critique sur la conservation de l’environnement – plus particulièrement les aires protégées et l’écotourisme – et sur ses implications matérielles et symboliques dans le rapport que l’homme entretient avec son environnement.

Les paragraphes qui suivent positionnent le sujet d’étude dans un contexte plus général, celui de la conservation de l’environnement et des mécanismes en découlant, d’abord au niveau global, puis au Mexique et, plus particulièrement, dans la Péninsule du Yucatán, la RBRL et le village de Río Lagartos.

Le régime de conservation global

La Convention sur la diversité biologique (CBD), traité international adopté lors du Sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992, définit le terme « aire protégée » comme étant une « aire géographique déterminée qui est désignée ou règlementée et gérée afin de répondre aux objectifs spécifiques de conservation » (CBD 2016). Une autre définition

(15)

2

généralement acceptée dans les cercles conservationnistes est celle fournie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – une des plus grandes organisations environnementales et une référence mondiale en matière de protection de l’environnement – qui décrit l’aire protégée comme étant « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés »1 (Dudley 2008: 10). Puisqu’il existe une diversité de termes à travers le monde pour décrire les aires protégées, l’UICN a élaboré un cadre global pour définir ce que constitue une aire protégée et catégoriser ces espaces en fonction de leurs objectifs de gestion2 et du degré d’intervention humaine permis. Cette nomenclature est reconnue et privilégiée par de nombreux acteurs, dont les instances internationales telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU) ainsi que par des gouvernements nationaux, comme étant la norme internationale pour définir, classer et enregistrer les aires protégées. Mais malgré le fait que les aires protégées peuvent être gérées suivant des approches très différentes – allant des sites strictement protégés à des approches moins restrictives – leur mise en place possède un dénominateur commun : elle vise à préserver ces espaces de l’interférence humaine et des processus de développement autant que possible.

Depuis les années 1980, le nombre d’aires protégées s’est considérablement accru – une tendance qui s’observe au niveau mondial – et ce de manière exponentielle. Toutefois, l’intensité avec laquelle elles sont créées est sans précédent depuis les années 1990; une impulsion largement stimulée par l’introduction de nouveaux référents internationaux dans les politiques environnementales tels que la « biodiversité » et le « développement

1 La définition la plus couramment citée dans la littérature est celle de l’UICN datant de 1994, qui définit les

aires protégées comme étant « une portion de terre et/ou de mer vouée spécialement à la protection et au maintien de la diversité biologique, ainsi que des ressources naturelles et culturelles associées, et gérée par des moyens efficaces, juridiques ou autres » (Dudley 2008: 5). Cette définition a été sujette à un processus de consultation et de révision par la Commission Mondiale pour les Aires Protégées (CMAP) et l’UICN. La nouvelle définition a été introduite en 2007 au cours d’une réunion sur les catégories à Almeria en Espagne (Dudley 2008).

2 Ces catégories sont : Catégorie Ia : Réserve naturelle intégrale; Catégorie Ib : Zone de nature sauvage;

Catégorie II : Parc national; Catégorie III : Monument ou élément naturel; Catégorie IV : Aire de gestion des habitats ou des espèces; Catégorie V : Paysage terrestre ou marin protégé; Catégorie VI : Aire protégée avec utilisation durable des ressources naturelles. Pour plus de détails concernant les objectifs de gestion et les caractéristiques de chaque catégorie, se rapporter à Dudley (2008).

(16)

3

durable », par la mise en place d’outils pour encadrer et gouverner les aires protégées, par de nouvelles sources de financement et par la consolidation d’un important réseau d’acteurs pour la promotion de la conservation. Cette période charnière correspond aussi à celle associée à la montée du néolibéralisme (Brockington et al. 2008).

Entre 1986 et 1996 seulement, l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique Latine ont vu le nombre d’aires protégées croître de 60 % dans leurs régions, totalisant 5 200 décrets de création (Breunig 2006). En 1993 seulement, soit l’année suivant la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (à Río de Janeiro en 1992), cette augmentation s’est chiffrée à 10 % (Breunig 2006). En date de 20103

, il y avait déjà plus de 120 000 aires protégées établies à travers le monde, alors que près de 14 % de la surface terrestre bénéficiait de l’une ou l’autre forme de protection (IUCN 2010). Ce pourcentage excède aujourd’hui les recommandations internationales qui ont été faites lors du Quatrième Congrès mondial des parcs à Caracas en 1992, lesquelles proposaient une cible à atteindre de 10 %. Ainsi, au cours des 40 dernières années, l’ensemble mondial des aires protégées est passé de la taille du Royaume-Uni à celle de l’Amérique du Sud (Dudley 2008). Cet enthousiasme représente certes un engagement considérable de la part des gouvernements nationaux de toutes parts pour la conservation des milieux naturels et de la biodiversité et une préoccupation importante pour l’état actuel et futur de l’environnement. Pour Dudley (2008), il s’agit « presque certainement [du] plus vaste et [du] plus rapide changement conscient d’aménagement du territoire de toute l’histoire » (2008: 2).

Les réserves de biosphère constituent des terrains d’études fort pertinents pour illustrer les complexités, difficultés et défis associés à la conservation de la biodiversité par les aires protégées, et notamment les dynamiques et transformations socio-environnementales résultant de leur implantation. Essentiellement, les réserves de biosphère combinent trois fonctions complémentaires : la conservation des espèces, écosystèmes, paysages et ressources génétiques; le développement économique et social des populations locales; et le

support logistique pour soutenir et encourager les activités de recherche, d’éducation, de

3

Pour assurer la cohérence entre l’année du terrain de recherche (2008) et les statistiques présentées tout au long de ce mémoire, j’ai choisi de présenter les données relatives à cette période.

(17)

4

formation et de surveillance continue4 (UNESCO 1996). La réserve de biosphère se distingue donc des autres modèles de conservation en ce qu’il reconnaît et gère la présence de populations humaines au sein de son territoire protégé – contrairement à d’autres figures de protection comme le parc national qui exclut à toute fin pratique la présence humaine – et ce par le biais d’un système de zonage qui permet d’arrimer les objectifs de conservation à ceux du développement (UNESCO 1996).

Si la question de l’utilisation des ressources par les populations locales fait partie intégrante de l’approche de la réserve de biosphère, il en est de même pour ce qui est de l’inclusion et de la participation des populations locales. Ces dernières sont aujourd’hui appelées à jouer une part active dans les processus décisionnels et la gestion durable des ressources et du territoire; cette participation vise par conséquent à susciter l’appui et l’engagement des communautés locales envers les activités de conservation (UNESCO 1996). Le développement du concept de réserve de biosphère reflète donc les transformations démocratiques qui ont eu lieu à l’échelle globale au cours des années 1990; les méthodes participatives et les besoins de développement économique étant maintenant vus comme des composantes cruciales à l’atteinte des objectifs de conservation à long-terme. Bien que l’approche des réserves de biosphère semble au niveau discursif mieux adaptée aux besoins des populations visées par de tels projets, plusieurs auteurs et de nombreuses études de cas viennent plutôt questionner les conflits et les enjeux que provoque leur mise en place. Ces éléments seront d’ailleurs traités en profondeur dans le présent mémoire.

Afin de pallier aux besoins de développement socio-économique des populations vivant à l’intérieur de réserves de biosphère, plusieurs approches participatives sont préconisées, notamment la pratique de l’écotourisme. Le créneau écotouristique se présente comme une avenue prometteuse pour promouvoir le développement socio-économique tout en répondant aux buts associés à la conservation de l’environnement, car ces projets reposent sur la prémisse qu’ils ne menacent pas l’intégrité économique, sociale, culturelle ou environnementale à long terme de la région de destination (Gray 2003). Cette activité constitue une réponse rêvée aux écueils du tourisme de masse et aux besoins de

4 Pour plus de détails concernant l’historique et l’évolution du concept de réserve de biosphère, se référer aux

travaux pionniers de Michel Batisse (1982, 1986, 1990, 1996), à Smardon et Faust (2006) et à la Stratégie de Séville (UNESCO 1996).

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développement économique des économies les plus faibles. Le modèle de l’écotourisme est donc très peu remis en question par les acteurs qui le promeuvent et constitue l’une des activités par laquelle la conservation est la plus justifiée et légitimée (Brockington et al. 2008).

La conservation environnementale au Mexique

Le Mexique est reconnu par la communauté internationale comme étant un pays doté d’une grande biodiversité, laquelle représenterait dans les faits près de 10 % de la flore et de la faune de la planète, et comprendrait entre 10 % et 20 % des espèces endémiques mondiales (Breunig 2006; Sóberon et al. 1996). Les aires protégées constituent donc l’outil privilégié par l’État mexicain pour conserver ses écosystèmes naturels, de même que son patrimoine culturel. La loi mexicaine définit les aires protégées comme étant « las zonas del territorio nacional y aquéllas sobre las que la nación ejerce su soberanía y jurisdicción, en donde los ambientes originales no han sido significativamente alterados por la actividad del ser humano o que requieren ser preservadas y restauradas y están sujetas al régimen previsto en la presente Ley »5 (Gobierno de México 1988). Essentiellement, la politique environnementale mexicaine est guidée par les consignes internationales en matière de développement durable et de conservation environnementale, marquée par le phénomène de convergence des politiques et des dispositifs institutionnels sectoriels qui s’observe à l’échelle globale6. Les années 1990 reflètent bien ces tendances alors que le pays s’engage

dans la voie néolibérale et institutionnalise au même moment la conservation environnementale en faisant valoir la protection de la diversité biologique au sein de sa structure bureaucratique.

Ainsi, sous l’impulsion des discours et recommandations internationales souscrivant aux prérogatives du développement durable, la décennie 1990 a certes été une période foisonnante quant à la création d’aires protégées. Pendant cette période, le pays double ce

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« Les régions du territoire national et celles sur lesquelles la nation exerce sa souveraineté et sa juridiction, où l'environnement d'origine n'a pas été significativement modifié par l'activité humaine ou a besoin d'être préservés et restaurés et est soumis aux règles prévues dans la présente Loi. »

6 Pour plus de détails sur le contexte historique de la politique environnementale du Mexique, et plus

particulièrement l’évolution de la gestion des aires protégées depuis la deuxième moitié du XIXe

siècle, se référer à Simonian (Simonian 1995), et LeBlanc et al. (LeBlanc et al. 2015).

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nombre, passant de 67 aires protégées en 1985 à 110 en 1998 (Breunig 2006). Bien que le Président Cardenas (1934-1940) ait établi un nombre record d’espaces protégés lors de son administration, la taille de ces aires est incomparable à l’ampleur des dimensions que l’on retrouve depuis la moitié des années 1990. Breunig (2006) indique que si la taille moyenne d’une aire protégée en 1936 faisait 320 km2

, la moyenne en 1994 était de 2 620 km2. En date de 2010, il existait 174 aires protégées de juridiction fédérale au pays, couvrant une superficie de 253 848,18 km2 équivalant à plus de 12 % du territoire national (CONANP 2010a). Ces aires naturelles sont réparties selon les catégories suivantes : 1) 41 Réserve de biosphère; 2) 67 Parcs nationaux; 3) cinq Monuments naturels; 4) huit Aires de protection des ressources naturelles; 5) 35 Aires de protection de la faune et de la flore; et 6) dix-huit Sanctuaires (CONANP 2010a).

La Péninsule du Yucatán, située à l’extrême sud-est du pays et comprenant les états du Campeche, du Yucatán et du Quintana Roo, constitue un espace où l’on note de plus en plus la présence de projets de conservation, plus particulièrement dans ses environnements côtiers et marins. En effet, la création d’aires protégées semble être vue comme une solution aux problèmes sociaux, économiques et politiques affectant ces régions (Doyon et

al. 2010; Doyon et Sabinot 2015a). Par ailleurs, les caractéristiques géographiques,

topographiques et climatiques propres à la Péninsule, de même que certaines pratiques traditionnelles d’utilisation et de gestion des ressources, ont rendu possible l’apparition et la pérennité d’un large éventail de paysages et d’habitats et d’une grande biodiversité (Smardon et Faust 2006). Devant la menace de la destruction environnementale, il est promu que ces richesses devraient être contenues dans des aires protégées. Au niveau de la juridiction fédérale, on dénombrait en 2010 huit réserves de biosphère, huit parcs nationaux et six aires de protection de la faune et de la flore, couvrant 34 827,05 km2 et équivalant à plus de 20 % du territoire de la Péninsule (CONANP 2010a). Il est aussi à noter que plus de la moitié de ces 22 aires protégées ont été créées au cours des années 1990, reflétant par le fait même les tendances globales (CONANP 2010a).

Pour sa part, la RBRL a été établie en 1979 sous l’appellation de Zone de refuge

faunistique, justifiée par la nécessité de « protéger les écosystèmes naturels dégradés par

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son titre actuel de Réserve de biosphère. Puis, en 2004, cette dernière a été intégrée au Programme Man and Biosphere (MAB) de l’UNESCO. Située sur la frange littorale au nord-est de l’état, la Réserve comprend à l’intérieur de son périmètre la lagune Ría Lagartos ainsi que quatre localités : San Felipe, Río Lagartos, Las Coloradas et El Cuyo. Les habitants vivent traditionnellement d’activités de subsistance, principalement de la pêche côtière artisanale. L’agriculture, l’élevage bovin et le commerce constituent des activités économiques de second plan. Plus récemment, l’industrie touristique s’est développée, particulièrement à Río Lagartos, et dans une moindre mesure à San Felipe et El Cuyo. L’exploitation du sel prédomine à Las Coloradas; la Industria Salinera de Yucatán (ISYSA) étant l’une des plus importantes compagnies d’extraction de sel au Mexique. D’autres pratiques traditionnelles, telles que l’extraction des ressources forestières ainsi que la chasse et la pêche de certaines espèces, ont été encadrées et limitées – voire même interdites – par l’administration de la Réserve car elles sont jugées incompatibles avec la conservation mais persistent malgré tout. Les enjeux relatifs aux usages sociaux des ressources et du territoire sont donc très présents et seront traités plus en détails dans le mémoire.

Bien que plusieurs études en sciences sociales traitent des aires protégées dans le contexte de la Péninsule du Yucatán (Andrews et al. 1998; Azcárate 2006; Berlanga et Faust 2007 ; Chuenpagdee et al. 2002; Córdoba y Ordoñez et al. 2004; Doyon et al. 2008b, 2010; Doyon et Sabinot 2011, 2012, 2014, 2015a; Fraga et Jesus 2008; García-Frapolli et al. 2009; Haenn 1999; Jamin 2004; LeBlanc 2015; Méndez-Contreras et al. 2008; Sabinot et Doyon 2014; Smardon et Faust 2006; Young 1999a), très peu d’études abordant les rapports socio-environnementaux dans la communauté de Río Lagartos sont disponibles, mis à part les travaux pionniers de l’anthropologue mexicaine Julia Fraga (1999, 2004, 2006; Fraga et Paré 1994; Fraga et al. 2008a), qui abordent de manière générale la région de la RBRL mais aussi le village de Río Lagartos. Ses écrits ont traité principalement de la pêche dans une perspective de genre (1999), des transformations socioéconomiques qui ont marqué les régions côtières du Yucatán (Fraga 2004; Fraga et Paré 1994) et plus particulièrement les pêcheries yucatèques (Fraga et al. 2008a), ainsi que les enjeux et conflits sociaux provoqués par la mise en place de la RBRL (2006). Quant à ce plus récent article (2006), les données qui y sont présentées datent de 1997. Ce mémoire constitue donc

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une mise à jour des données disponibles sur le village (LeBlanc 2015), en plus de procurer un éclairage nouveau sur les thèmes de la conservation environnementale et de l’écotourisme dans la communauté de Río Lagartos.

Le village de Río Lagartos est le plus peuplé des quatre faisant partie de la RBRL. Le village s’est modernisé considérablement par rapport à d’autres communautés de la région depuis les années 1970 notamment grâce à la consolidation et l’essor de l’activité de la pêche. Le village a depuis vu sa population croître de beaucoup par la migration interne, totalisant plus de 2000 habitants aujourd’hui (INEGI 1971). La pêche constitue à ce jour le moteur économique du village et son port est le plus important des quatre localités faisant partie de la Réserve. Plus récemment, l’industrie touristique s’est développée et tente tant bien que mal de s’imposer comme activité productive à long-terme pour pallier les nombreux problèmes affectant depuis les années 1990 le secteur des pêches dans la région, secondée par le développement d’une économie de service. Dans le contexte de la conservation environnementale, mais aussi à cause de l’essoufflement des pêcheries dans la région, le secteur du tourisme et de l’écotourisme est appelé à prendre de l’importance pour les habitants de Río Lagartos au cours des prochaines années.

Plan du mémoire

Ce mémoire est divisé en cinq chapitres qui, dans leur ensemble, posent un regard anthropologique critique sur les phénomènes liés à la conservation de l’environnement. De manière générale, ce mémoire cherche à comprendre comment les habitants de la communauté de Río Lagartos ont construit historiquement leur rapport à l’espace côtier; puis, comment ce lien particulier est marqué par la mise en place plus récente de la RBRL, laquelle fait émerger des tensions et des enjeux de pouvoir quant à l’utilisation et la gestion des ressources et du territoire.

Le premier chapitre précise les orientations conceptuelles et méthodologiques dans lesquelles s’inscrit la présente recherche. Tout d’abord, les deux thèmes centraux de ce mémoire – la conservation et l’écotourisme – feront l’objet d’une revue de littérature, afin d’aborder de manière critique les enjeux sociaux traversant ces activités dans le contexte

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plus large de la néolibéralisation de la nature. Ensuite, il sera question de l’approche théorique qui a guidé le cheminement de cette recherche. Plus précisément, le cadre analytique de la production et de la construction sociale de l’espace est mis à profit afin de comprendre dans la suite du mémoire comment les habitants de Río Lagartos construisent et négocient leur rapport à l’environnement à travers leurs discours et pratiques quotidiennes. Cette avenue théorique permet aussi de mettre en lumière les enjeux de pouvoir et les inégalités inhérentes au régime de nature imposé par la Réserve. Enfin, ce chapitre aborde en profondeur la méthodologie, les stratégies de recherche et les techniques d’enquêtes qui ont été privilégiées dans le cadre de cette étude.

Le deuxième chapitre est consacré à la contextualisation du lieu d’étude, afin de comprendre les transformations passées et actuelles qui ont façonné l’espace matériel et symbolique de la communauté de Río Lagartos. Il sera question, plus précisément, de la manière dont ses résidents se sont approprié leur environnement à travers le temps; et comment ces derniers, dans un contexte plus récent de transformations socio-économiques et de dégradation environnementale, tissent des liens avec l’espace qu’ils occupent et l’investissent de sens à travers leurs discours et leurs pratiques. Les activités productives telles que la pêche et l’écotourisme seront abordés plus en profondeur, de même que la mise en place de la RBRL. De manière générale, ce chapitre vise à rendre compte, dans une perspective historique et contemporaine, des diverses constructions socioculturelles et des transformations socioéconomiques qui ont configuré les rapports socio-environnementaux au Yucatán, mais aussi dans la communauté de Río Lagartos, et qui structurent la vie des habitants.

Dans le troisième chapitre, il sera question du processus de construction de l’espace de conservation par la RBRL. Une attention sera portée au contexte de création de la RBRL, des groupes d’acteurs qui s’y sont greffés au fil du temps, et de la nature des relations entre la population locale et les acteurs de la conservation. Puis, les principes et mécanismes sur lesquels la RBRL s’appuie seront analysés afin de mieux comprendre comment elle affecte plus particulièrement les questions d’accès, d’utilisation et de gestion de l’environnement. La question de la confrontation et négociation de l’espace de conservation sera analysée au quatrième chapitre. Ce chapitre propose d’explorer la dimension symbolique de l’espace,

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du lieu et du paysage, et ce, principalement auprès des divers groupes d’acteurs impliqués de près ou de loin dans la conservation, l’écotourisme et la pêche. Ainsi, une attention particulière est portée aux discours que tiennent ces acteurs face à l’environnement. Ce chapitre cherche d’une part à comprendre comment l’espace est perçu et vécu par ces divers groupes d’acteurs; et d’autre part, ce chapitre s’intéresse à la manière dont l’introduction de nouveaux phénomènes et référents globaux dans la région à l’étude influencent et transforment les discours des acteurs locaux.

Enfin, le cinquième et dernier chapitre cherche à comprendre de quelles manières le développement de l’écotourisme contribue à transformer les relations socio-environnementales et les rapports sociaux et de pouvoir au sein de la communauté. Il abordera le développement de l’activité touristique au village de Río Lagartos ainsi que l’organisation du travail et les rapports sociaux entre les coopératives et les membres. Les différentes visions de l’écotourisme véhiculées au niveau local seront également analysées, ainsi que les pratiques des guides écotouristiques. Enfin, ce chapitre cherche à comprendre comment la pratique de l’écotourisme fait émerger des contradictions au sein de la dynamique locale en plus d’être une source de tension, de confrontation et de rivalité entre les différents usages des ressources côtières.

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CHAPITRE 1.

APPROCHE CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIE

Ce chapitre s’attache à préciser les orientations conceptuelles et méthodologiques de la recherche et se divise en trois parties principales. Dans un premier temps, je présenterai les contributions, débats et réflexions entourant les thèmes des aires protégées et de l’écotourisme apportés par le champ des études en anthropologie, afin de circonscrire ces phénomènes plus en détails. Nous verrons plus particulièrement que ces derniers s’inscrivent directement dans les processus associés à la néolibéralisation de la nature. Puis, l’approche de la production et de la construction sociale de l’espace sera présentée – en passant par les concepts de lieu, de paysage et d’espace – laquelle nous permettra de comprendre dans ce mémoire comment les habitants de Río Lagartos construisent et négocient leur rapport à l’environnement, et comment ce lien particulier est marqué par la mise en place plus récente de la RBRL. Enfin, la dernière partie sera consacrée à la formulation de la proposition de recherche, de même qu’à la méthodologie du projet, aux techniques d’enquêtes qui ont été adoptées pour la cueillette des données ainsi que les considérations éthiques de la recherche.

1.1. L’anthropologie et les aires protégées

Bon nombre d’études anthropologiques ont traité de la question de la conservation environnementale dans une perspective critique. Les effets sociaux, économiques et politiques qui découlent de la mise en place des aires protégées sont au centre des préoccupations de ces travaux. Ces études soulignent, d’une part, que les aires protégées constituent des lieux de pouvoir où se rencontrent, se confrontent et se négocient divers significations, visions et représentations de l’environnement; et qu’elles engendrent, d’autre part, des injustices, enjeux et conflits quant à l’accès, l’utilisation et la gestion des ressources et du territoire (Brockington et al. 2008; Brockington et Igoe 2005; Ghimire et Pimbert 1997; Haenn 2000; Haenn et al. 2007; Haenn et Wilk 2006; Orlove et Brush 1996; West 2006; West et Brockington 2006; West et al. 2006). La mise en place d’aires protégées a donc des effets mitigés et variés sur les populations visées par de tels projets.

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Dans certains cas, elles peuvent aller jusqu’à provoquer l’expulsion et le déplacement de populations locales entières (Agrawal et Redford 2009; Brockington et Igoe 2006; Ghimire 1994). Des auteurs ont montré qu’en expropriant ces populations, elles les déplacent aussi symboliquement en les effaçant de l’histoire, comme dans le cas du Parc National de Yellowstone (Brockington et al. 2008). D’autres ont aussi mis en évidence comment les sites de conservation constituent des lieux de résistance et de contestation pour les populations locales (Holmes 2007). L’approche de type « top-down » qui prévaut dans la gestion des aires protégées est souvent mise en cause pour expliquer l’origine des tensions émergeant entre les acteurs locaux et ceux associés aux espaces de protection (employés, gestionnaires de projet, organisations non-gouvernementales (ONG), chercheurs, etc.). Le manque de communication entre les différentes parties prenantes et la faiblesse des mécanismes de participation locale sont donc symptomatiques de cette approche et font en sorte que les besoins et les intérêts des populations locales ne sont généralement pas suffisamment pris en compte.

D’autres études ont aussi souligné que les aires protégées contribuent à la marginalisation socio-économique des populations locales, en modifiant par exemple l’accès à certaines ressources, en interdisant et criminalisant certaines pratiques traditionnelles, ou en privatisant des espaces autrefois communs et partagés (Brockington et al. 2008; Igoe 2006). Dans certains cas, elles ont aussi entraîné des modifications dans les stratégies de subsistance locales, introduisant de nouvelles activités économiques comme l’écotourisme ou des projets intégrés de développement (Duffy 2008a; Duffy et Moore 2010; Vivanco 2001). S’il est vrai que certains bénéfices peuvent être retirés de ces activités, souvent formulés en termes de formations techniques, d’éducation environnementale et d’opportunités économiques, ces derniers n’apportent pas d’avantages immédiats comme le ferait un usage direct des ressources naturelles (Kent 2003). Enfin, d’autres ont aussi fait valoir que la création d’aires protégées est une façon pour l’État d’affirmer sa souveraineté et d’étendre son pouvoir sur des territoires marginaux qui échappaient jusqu’alors à sa visibilité (Beltrán Costa et al. 2008). Ces espaces agissent alors comme figure politique et outil de gestion territoriale car elles établissent de nouvelles juridictions et normes qui conditionnent l’usage de l’espace.

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Loin d’être exhaustive, cette brève revue des écrits anthropologiques sur la question des rapports socio-environnementaux dans le contexte de la conservation environnementale met en évidence le fait que la mise en place d’aires protégées façonne les dynamiques locales de manière particulière en réorganisant l’espace des populations locales dans lesquelles elles s’insèrent et induit des transformations dans les rapports sociaux, économiques et politiques entre les membres de ces communautés. La conservation est donc un vecteur de changement social. La présente étude de cas s’inscrit en continuité avec ces travaux énumérés précédemment et cherche à comprendre comment les aires protégées produisent et configurent l’espace sur les plans matériels et symboliques; et comment elles affectent en retour les relations sociales et de pouvoir entres les différents groupes d’acteurs, de même que leurs relations et interactions avec l’espace qu’ils occupent. Dans ce qui suit, nous verrons de quelle manière la conservation environnementale est ancrée dans l’idéologie néolibérale, et comment cette dernière rend légitime la création d’aires protégées.

1.1.1 La néolibéralisation de la nature : quand la nature devient un nouveau capital à exploiter

L’institutionnalisation des politiques de conservation à l’échelle globale doit être comprise dans le cadre plus ample du changement de modèle économique et politique qui s’est mis en place à partir des années 1980 et qui atteindra son apogée vers le début des années 1990 au lendemain de la fin de la Guerre Froide. Pour plusieurs anthropologues, la prolifération simultanée du nombre d’aires protégées pour la conservation de la biodiversité et l’expansion de l’idéologie néolibérale reflète la convergence des objectifs conservationniste et capitaliste, et sont vus comme des processus qui se renforcent mutuellement (Breunig 2006; Brockington 2008; Brockington et Duffy 2010; Brockington et al. 2008; Igoe et Brockington 2007; Igoe et al. 2010; West et Brockington 2006; West et al. 2006). L’idéologie qui sous-tend le néolibéralisme promeut, entre autres choses, la diminution du rôle de l’État et de ses dépenses dans les subventions et programmes sociaux, la décentralisation de ses pouvoirs, la privatisation des territoires et des ressources, et le partenariat public-privé. Mais plutôt que d’aborder le néolibéralisme comme une structure monolithique, une entité distincte ou un rouleau compresseur, Igoe et Brockington (2007) et Castree (2008) préfèrent utiliser le terme « néolibéralisation » pour parler d’un ensemble de

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processus globaux qui affecte de manière multiple et variée les localités dans lesquelles il s’insère.

Ainsi, si certains expliquent la prolifération du nombre d’aires protégées par la mouvance environnementaliste prenant racine au début des années 1970 en réaction aux menaces et dommages socio-environnementaux causés par les excès du capitalisme, d’autres y voient plutôt un phénomène de néolibéralisation de la nature. Duffy le décrit brièvement comme étant « a process whereby non-human phenomena are increasingly subject to market-based systems of management and development » (2008b: 327). Dans ce processus, les politiques, pratiques, idées et valeurs de l’idéologie néolibérale sont appliqués au domaine de la conservation, où la nature devient alors un « capital » à exploiter. Par conséquent, la meilleure manière de résoudre les problèmes environnementaux et de conserver l’environnement est par la voie du développement économique (McAfee 1999). La conservation environnementale est ainsi instrumentalisée pour assurer la création de nouveaux espaces matériels et symboliques pour l’expansion et la reproduction du capitalisme global (Brockington et Duffy 2010).

L’une des manifestations les plus flagrante de la néolibéralisation de la nature est lorsque l’on y regarde le rôle grandissant du secteur privé, tant dans le financement des initiatives de conservation que dans son appui aux mécanismes de gestion participative (Brockington

et al. 2008). Également, la mise en place d’aires protégées s’inscrit dans un processus de

décentralisation des structures administratives et décisionnelles. La décentralisation, en tant que mécanisme de gouvernance ou orientation politique, est généralement vue dans les institutions internationales comme une démonstration des principes de bonne gouvernance, de démocratisation et d’efficacité politique (Doyon et al. 2010; Fraga et al. 2008b). Sa mise en place repose sur l’idée que l’État est souvent trop présent, corrompu et inefficace; mais son retrait permettrait, outre une meilleure efficacité administrative, que s’étende davantage le libre-marché de façon à améliorer les conditions socio-économiques des populations (Doyon et al. 2007; Igoe et Brockington 2007). Les aires protégées représentent de nouvelles unités administratives qui répondent aux intérêts d’institutions transnationales et d’organisations internationales prenant le relais de l’État pour la gestion des ressources et des territoires. Ces initiatives de conservation, les organisations et les institutions qui les

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promeuvent impliquent donc l’insertion de nouveaux acteurs dans ces espaces protégés, dans le contexte où l’État délègue ses pouvoirs et se désinvesti de secteurs où il était traditionnellement présent.

La décentralisation des pouvoirs de l’État s’accompagne donc d’une forte croissance du secteur des associations civiles et des ONG, qui acquiert une importance de plus en plus grande au sein des projets de conservation. Certains éléments de la gestion environnementale, autrefois sous la responsabilité d’organismes et d’agences nationales, étatiques et municipales, sont alors transférés à ces organismes non-gouvernementaux. Ces derniers participent activement à la promotion des aires protégées, à leur gestion, à leur financement et aux activités que l’on y retrouve (éducation environnementale, formation des populations locales, recherche, etc.). En plus d’appuyer la conservation, ils promeuvent aussi la démocratisation, notamment à travers des approches de gestion communautaire et de participation sociale. Toutefois, il importe de situer ces groupes et de les analyser au sein des logiques néolibérales, car ils n’évoluent pas dans un contexte apolitique dénué d’intérêts (Fisher 1997). Bien que ces groupes affirment agir dans l’intérêt des populations locales, ces dernières sont souvent instrumentalisées pour justifier la conservation ou la rendre acceptable (Brockington et al. 2008). Ces groupes environnementaux incarnent des intérêts globaux et se positionnent dans des structures et des rapports de pouvoir particuliers, contribuant à leur tour à modifier les rapports sociaux et de pouvoir au niveau local.

Enfin, le phénomène de la néolibéralisation de la nature contribue à introduire de nouvelles formes d’instrumentalisation et de valorisation de l’environnement, ce que plusieurs réfèrent à « la marchandisation de la nature » (Brockington et al. 2008; Campbell et al. 2007; Duffy 2008b; Duffy et Moore 2010; McAfee 1999; West et Carrier 2004). Il s’agit d’un processus par lequel « capitalism expands its reach to offer nature the opportunity to pay for itself on the global market » (McAfee 1999, dans Gray 2003: 114). Dans cette perspective, les ressources naturelles, les paysages et certaines espèces sont intégrés au marché et transformés en biens commercialisables afin d’être vendus sous différentes formes; généralement en tant qu’images, produits et destinations (Breunig 2006; Duffy 2008b).

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À ce titre, l’écotourisme est l’un des domaines d’application les plus exemplaires de cette stratégie de valorisation économique de l’environnement dans le contexte de la conservation, car il cristallise l’ensemble de l’approche néolibérale par la voie du développement durable. Il est l’une des activités par laquelle la conservation environnementale est la plus justifiée et légitimée, basé sur la prémisse que la nature peut être conservée et même sauvée grâce à sa valeur marchande puisque des individus sont prêts à payer pour voir et faire l’expérience de certains milieux naturels (Campbell et al. 2007; Duffy 2008b; Gray 2003; McAfee 1999; Vivanco 2001). Dans ce qui suit, je présenterai les principes qui sous-tendent cette activité et les discussions issues du champ d’études critiques en anthropologie sur la question. Nous verrons que l’écotourisme cadre avec le paradigme du néolibéralisme et qu’il ne remet pas en question l’ordre politique, économique et social existant, bien que ce type de développement ne soit pas exempt de contradictions.

1.1.2 L’écotourisme : vers une nouvelle forme de valorisation économique de la nature

Le « tourisme durable », le « tourisme responsable », le « tourisme vert » ou encore l’« écotourisme » sont quelques-uns des nombreux termes utilisés pour décrire ces nouvelles niches touristiques qui se présentent comme des alternatives au tourisme de masse. Comme la plupart de ces noms laissent entendre, ces types de tourisme dits « alternatifs » cherchent à s’agencer au concept de développement durable. Toutefois, l’applicabilité et l’intégration de cette notion au tourisme demeurent encore aujourd’hui un sujet de discorde, car elle est vue comme un concept « valise » qui possède autant de significations qu’il y a d’intérêts et de pratiques qui s’affichent « durables ». Comme l’explique McKercher (1993) « the widespread support the term enjoys, therefore, may simply reflect the ease with which it can be appropriated by the supporters of various ideologies to perpetuate and legitimate their own views » (dans Rubiliack 2006: 46). L’écotourisme ne remet donc pas en question l’idée du développement, mais plutôt les stratégies par lequel il est mis en œuvre.

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Présenté comme une panacée, ce créneau touristique s’est imposé de manière accélérée depuis les années 1990 en tant que stratégie de diversification de l’offre touristique et des économies locales, de conservation environnementale, d’intégration et de participation des populations locales, d’éducation et de sensibilisation environnementale, et comme outil de valorisation économique de la biodiversité et des milieux naturels afin d’assurer le financement des aires protégées (Duffy 2008b; Honey 1999). Activité promue par un vaste réseau d’acteurs, la rhétorique de l’écotourisme intègre les principes du développement durable et des méthodes participatives. En ce sens, l’écotourisme est une activité qui s’insère aisément dans les types de développement généralement associés aux aires protégées. En somme, l’attrait pour sa pratique réside dans son habileté à servir les besoins d’intérêts divers (Campbell 2002; Gray 2003). Toutefois, de par la multiplicité des parties prenantes impliquées dans le développement d’initiatives écotouristiques, ainsi que de par la nature diverse et parfois contradictoire des buts et objectifs poursuivis, l’écotourisme et les processus qui le sous-tendent invitent à une lecture attentive des caractéristiques de cette activité.

1.1.2.1 Définitions et principales caractéristiques de l’écotourisme

Les principales définitions de l’écotourisme se trouvent généralement issues d’ouvrages de conservation de la nature et des guides pratiques de développement de l’écotourisme (Boo 1990; Ceballos-Lascurain 1996). Cette activité possède plusieurs définitions, mais aucune ne semble être adoptée de façon unanime. L’écotourisme est donc difficile à circonscrire, car il renvoie à une pléthore d’intérêts et d’activités qui ne relèvent pas toujours du même ordre. Toutefois, il existe tout de même, parmi ces nombreuses définitions, un certain consensus sur les caractéristiques principales du concept. Les travaux pionniers de Ceballos-Lascurain donnent une première définition de l’écotourisme comme étant un « voyage calme et non contaminateur des espaces dont l’objectif est d’étudier et de contempler les paysages, les animaux et les plantes sauvages, ainsi que les manifestations culturelles (actuelles et passées) que l’on peut retrouver dans ces espaces » (Orams 1995 : 4, dans Chaboud et al. 2004). Cette définition, qui résume l’objectif original de l’écotourisme, englobe aussi les aspects généralement mentionnés chez les auteurs contemporains. Il s’agit en somme d’une activité tournée vers l’appréciation de la culture et

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de la nature – ou de l’observation de quelques éléments spécifiques de ce milieu – dans des sites peu ou faiblement transformés sous l’action de l’homme, et dont la particularité est de minimiser les perturbations environnementales habituellement associées à l’activité touristique de masse.

Plus récemment, les discussions académiques et à l’international entourant l’écotourisme se sont orientées vers les liens entre l’écotourisme et les populations locales, faisant écho aux débats concernant l’approche d’exclusion sociale et politique des communautés qui prévalait alors. Une définition plus récente fournie par Ceballos-Lascurain (1996: 20), d’ailleurs reprise par l’UICN, reflète cette position; l’écotourisme y étant décrit comme un « voyage et visite environnementalement responsable dans des espaces naturels relativement calmes dans le but d’apprécier la nature (et n’importe quelles fonctions culturelles accompagnantes – tant passées que présentes), qui promeuvent la conservation, créent de faibles impacts et participent activement à l’amélioration socio-économique des populations locales ». L’écotourisme est donc présenté comme une solution aux besoins économiques, d’intégration et d’autonomisation des populations locales grâce à leur participation dans l’élaboration et la gestion de projets écotouristiques. D’une part, cette pratique cherche à contribuer au bien-être des populations locales en créant et distribuant des revenus parmi celles-ci. Cela leur permettrait en principe de contrôler davantage les questions et enjeux qui les concernent et d’utiliser ces revenus pour l’achat de biens et la construction d’infrastructures, concourant ainsi à la prospérité à long-terme de la communauté (Honey 1999). D’autre part, il est promu que cette activité devrait s’opérer à petite échelle, ce qui contribuerait, l’on suppose, à renforcer la prise en charge de la gestion locale des ressources et à l’« empowerment » de ces communautés (Gray 2003).

Parallèlement, l’écotourisme permettrait aussi de renforcer les buts associés à la conservation. Dans cette perspective, on suppose que si les gens sont davantage sensibilisés à l’environnement et qu’ils retirent un profit de la conservation par le biais d’activités à caractère durable, ils seront plus enclins à modifier leurs pratiques et protéger et valoriser leur milieu afin de protéger cette source de devises (Stronza 2007; Uddhammar 2006; Young 1999a). L’écotourisme se présente aussi comme une activité économique alternative à celles jugées destructrices par les promoteurs de la conservation. Enfin, l’écotourisme est

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