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CHAPITRE 3. LA CONSTRUCTION D’UN ESPACE DE CONSERVATION :

3.4 L ES MÉCANISMES DE LA CONSERVATION ENVIRONNEMENTALE

3.4.2 Éducation environnementale et participation communautaire

3.4.2.2 Programa de Empleo Temporal (PET)

Le second mécanisme sur lequel compte la Réserve pour susciter la participation des résidents à la conservation et contribuer à réduire la pauvreté et la marginalisation de la communauté de Río Lagartos est le Programa de Empleo Temporal (PET). Ce programme d’aide financière est dédié aux hommes et femmes de plus de 16 ans, et est distribué uniquement lors des saisons creuses ou en temps de crise économique, et ce en échange de travail accompli. L’aide versée consiste en une paye quotidienne équivalant à 99 % du salaire minimum journalier. Compte-tenu des spécificités et des objectifs sectoriels du

124 « L’élaboration d’un programme de formation sur le tourisme alternatif et la conservation des ressources

naturelles, dirigé envers les prestataires de services touristiques. »

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SEMARNAT – et auquel est rattachée la CONANP – le PET relatif à ce ministère sert essentiellement à « stimuler et promouvoir des actions et des projets en lien avec la conservation environnementale et à favoriser la protection, la gestion et la restauration des écosystèmes, générant ainsi des occupations économiques alternatives temporaires qui contribuent à améliorer la qualité de vie des habitants vivant dans les aires protégées » (CONANP 2009a). Ainsi, tout comme le PROCODES, il constitue un outil pour répondre aux objectifs stratégiques que s’est fixée la Réserve en lien avec le développement socio- économique des communautés et à promouvoir la mise en place de pratiques productives alternatives qui correspondent aux valeurs et aux idées de la conservation environnementale. Pour cet employé de la RBRL, il s’agit également d’une manière de rendre réceptifs les habitants à la mentalité de la conservation : « Los empleos temporales, mucha gente se apunta. Entonces, es una manera de participación porque al momento de hacerlo y acercarse para pedir empleos a nosotros, están abriendo su mente a la conservación. Inclusivo ahorita igual los pescadores en las cooperativas se acercan a pedir apoyos, empleos acá y todo. Entonces ya igual ahí están reconociendo a la Reserva. »126 (B16)

Dans la pratique, les projets du PET prennent souvent la forme de travaux de maintenance et de réfection du village (Annexe 7); par exemple le nettoyage des déchets à la plage, sur le malecón ou dans la lagune, l’exécution de travaux de peinture divers, la réparation de quais, etc. D’autres emplois temporaires peuvent consister en des campagnes de reboisement au sein du territoire protégé. Contrairement au PROCODES, les activités à réaliser ne sont pas des idées proposées par les habitants de Río Lagartos mais plutôt par la Réserve et la mairie locale. Les offres d’emplois temporaires sont par la suite affichées à la mairie locale, et les personnes intéressées doivent soumettre leur candidature et justifier leur demande. Dans les faits, ce ne sont pas toutes les candidatures qui seront retenues, puisque le nombre d’emplois offerts est fixé en fonction de l’enveloppe budgétaire dont bénéficie le SEMARNAT annuellement.

126 « Les emplois temporaires, plusieurs personnes s’inscrivent. C’est donc une manière de participer, parce

qu’au moment de le faire et de venir nous demander du travail, ils s’ouvrent l’esprit à la conservation. Y compris maintenant aussi les pêcheurs des coopératives qui viennent demander de l’appui, des emplois ici. Donc ils sont en train de reconnaître la Réserve eux aussi. »

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La Réserve et les organismes non-gouvernementaux estiment que la participation de la communauté de Río Lagartos aux activités en lien avec la conservation environnementale s’est améliorée depuis les années 1990, et qu’un changement de pratiques face à certaines mesures imposées par la Réserve s’est aussi effectué :

Pues, igual por la gente de la comunidad, ha mejorado bastante. Sí, porque igual ahorita mucha gente viene acá, viene acá y te pregunta “Oye, ¿qué se necesita para hacer mi casa. ¿Tengo que pedir un permiso?”, y ya vienen a platicar qué es lo que necesitan, qué es lo que quieren, si lo pueden hacer. Si no lo pueden hacer, donde pueden conseguir, y ya. Y de allí un poco como que ya, ya la gente ya sabe que hay una reserva y que hay que cuidarla.127 (B16)

Aquí de antes talar el mangle era bien común. Pero después de los 2 huracanes que han tocado aquí, se han dado la cuenta que gracias al manglar ha resistido mucho, el impacto es menos. Entonces ya la gente empieza agarrar la conciencia, ¿no? Empiezan a ver el beneficio que tiene la cobertura de mangle. Entonces ya como que ya dicen “bueno, es importante el mangle. […] El aspecto que está mejorando es que la gente está más consiente, la gente ve por ejemplo a la CONANP, a la dirección de la Reserva ya como una estancia que hay que tomar en cuenta. Ya no es ignorancia pura.128 (B9)

Par contre, les propos de certains acteurs de la conservation donnent à penser que la conscience profonde de la conservation environnementale qu’elle tente d’inculquer n’est pas encore pleinement atteinte, comme en témoigne cet échange avec un employé de Réserve :

Nada más están pensando egoístamente en ellos, viven ellos en el presente. No están pensando en el futuro de sus hijos, de sus nietos y las personas que más adelante vengan y todo. Entonces una cosa que yo siempre les he dicho en lo

127 « Bien, même pour les gens de la communauté, ça s’est pas mal amélioré. Oui, parce que maintenant

plusieurs viennent ici, ils viennent ici et te demandent : "Qu’est-ce que ça prend pour faire ma maison? Dois- je demander un permis?" Et ils viennent discuter de ce qu’ils ont besoin, de ce qu’ils veulent, s’ils peuvent le faire. S’ils ne peuvent pas le faire, où est-ce qu’ils peuvent obtenir ce dont ils ont besoin. Et à partir de là, les gens savent déjà qu’il y a une réserve et qu’il faut en prendre soin. »

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« Avant, couper le palétuvier était bien commun ici. Mais depuis les deux ouragans qui nous ont touchés, ils se sont rendu compte que grâce aux mangroves, ça a beaucoup résisté, l’impact est moindre. Donc les gens commencent déjà à prendre conscience, non? Ils commencent à voir l’avantage d’une couverture de palétuviers. Donc ils disent : "bon, c’est important le palétuvier. […] L’aspect qui s’améliore c’est que les gens sont plus conscients, les gens voient par exemple la CONANP, la direction de la Réserve comme une instance qui doit être prise en compte. Ce n’est plus l’ignorance pure. »

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personal a mis amigos allá, ahí en el puerto, de que no sean egoístas, que piensan a los demás, y menos agarrar para ustedes.129 (B16)

De la même manière, cet employé de NyC estime que les Ríolagarteños ne voient pas l’impact à long terme de leurs pratiques environnementale puisque les conséquences ne sont pas tangibles dans leur vie : « Yo que soy de ese lugar, lo que veo es que la gente está tan familiarizada con los recursos que no ve el impacto. […] Tienen que ver un impacto, tiene que ser para la gente de aquí, tiene que ser palpable. A futuro, no lo ve. »130 (B9)

3.5 Conclusion

Il a été question dans ce chapitre du processus de construction sociale de l’espace de conservation de la RBRL. En effet, nous avons vu comment il s’est graduellement mis en place et a été progressivement définit par l’État depuis 1979. Les statuts de cet espace ont ainsi varié dans le temps, ainsi que ses priorités et les organismes, agences, ministères et institutions liées à son financement, son administration et ses activités. Par ailleurs, une attention particulière a été portée aux discours et aux pratiques des acteurs de la conservation en lien avec l’environnement.

À travers l’examen des principes et des mécanismes de conservation, nous avons pu constater que la manière de diviser et gérer l’espace local depuis la création de la RBRL a été redéfinie en fonction des valeurs et des savoirs de la conservation environnementale. Les acteurs de la conservation ont donc le pouvoir d’imposer une nouvelle forme de territorialisation de l’espace. Le nouveau découpage de l’environnement qu’elle suppose – lequel sépare, divise, délimite et catégorise l’espace – sert à encadrer, contrôler et modeler les activités qui y prennent place. Cette nouvelle configuration de l’espace est fondée sur le principe que la meilleure façon de conserver l’environnement est d’empêcher les humains de l’occuper, de l’utiliser ou de l’exploiter.

129 « Ils ne font que penser égoïstement, ils vivent dans le présent. Ils ne pensent pas au futur de leurs enfants,

de leurs neveux et aux personnes qui viennent après eux. Donc une chose que je dis toujours, en privé à mes amis là-bas, ici dans le port, c’est qu’ils ne soient pas égoïstes, qu’ils pensent aux autres, et moins à tout garder pour eux. »

130 « Moi qui suis de cet endroit, ce que je vois c’est que les gens sont si familier avec les ressources qu’ils ne

voient pas l’impact. […] Ils doivent voir un impact, ça doit être pour les gens d’ici, ça doit être tangible. Ils ne regardent pas l’avenir. »

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Ainsi, la RBRL incarne certaines valeurs et idées concernant la nature; ce qu’elle est, ce qu’elle représente, et surtout, la place de l’homme dans celle-ci. Pour parler de cette vision qui est inhérente à la majorité des projets de conservation environnementale actuels dans le monde, plusieurs réfèrent à l’idée de la « nature sauvage » (wilderness) (Brockington et al. 2008; Campbell et al. 2007; West 2006; West et Brockington 2006; West et al. 2006). Ce paradigme dresse une distinction claire entre les catégories de nature et de culture, et valorise par le fait même un environnement duquel l’homme ne fait pas partie, tant conceptuellement que physiquement. Puisqu’il y est extérieur, son seul rôle possible est alors celui d’observateur.

La rhétorique et l’application des principes de la RBRL renforce ainsi cette représentation particulière de la nature en créant et en circonscrivant des espaces qui doivent être exempts d’influence humaine autant que possible; par exemple en excluant la présence d’établissements humains à certains endroits ou en prohibant ou limitant l’accès et l’utilisation de diverses ressources. Cette façon d’appréhender le rapport à l’environnement produit un effet de pouvoir et agit comme un nouveau cadre de référence dans la région à l’étude, lequel cherche d’une part à s’imposer aux espaces, lieux et paysages spécifiques afin de les redéfinir et les rendre conformes à cette vision de la nature sauvage; et d’autre part à structurer les relations socio-environnementales des Ríolagarteños. Cette façon de voir et catégoriser le monde détermine en définitive quelles sont les relations souhaitables et appropriées entre les résidents de Río Lagartos et l’environnement, et celles qui sont inadéquates. Dans ce nouvel espace de conservation, les habitants sont désormais contraints à se conformer à ce modèle, ce qui, comme nous avons pu le constater dans ce chapitre, induit des transformations quant à l’accès, l’utilisation et la gestion de l’environnement. Pour poursuivre cette réflexion, il sera question dans le chapitre suivant de la façon dont les logiques et les principes véhiculés par les acteurs de la conservation sont reçus et intégrés par les habitants de Río Lagartos.

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