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CHAPITRE 4. CONFRONTATION ET NÉGOCIATION DE L’ESPACE DE

4.2 N ÉGOCIATION DE L ’ ESPACE DE CONSERVATION

4.2.2 Appropriation des discours et des pratiques de la conservation

Bien que les discours que tiennent certains habitants sur l’environnement divergent des définitions et catégorisations promues par la RBRL, on constate en revanche que d’autres résidents du village ont commencé à s’approprier des éléments du discours de la conservation lorsqu’ils se réfèrent à l’environnement. Cette nouvelle tendance s’applique particulièrement à l’endroit des personnes qui – au cours de la dernière décennie – ont entretenu des liens plus étroits avec les acteurs de la conservation que les autres résidents de la communauté, notamment grâce à leur implication directe dans des activités de conservation (reforestation, collecte de rebus, cours de formation sur la faune et la flore locale, etc.), ou encore à leur participation aux divers projets des PROCODES ou PET. Par l’entremise de leur engagement dans ces activités, ces individus ont été exposés à maintes reprises aux discours de la conservation et s’y sont peu à peu familiarisés, acquérant au fil du temps un bagage de connaissances et de savoirs sur l’environnement, lesquels correspondent en plusieurs points à ceux valorisés et diffusés par l’espace de conservation. D’une manière générale, on constate que ces personnes voient d’un bon œil les initiatives de conservation présentes dans la région. On remarque également que, lorsque questionnés sur leurs définitions de l’environnement ou encore sur son état, ces gens incluent dans leur réponses des notions propres au domaine de la conservation environnementale, soulignant l’importance de le protéger et prônant par exemple l’éducation environnementale ou encore le reboisement, comme en témoignent ces extraits d’entrevues auprès de pêcheurs et guides écotouristiques de la communauté :

Pues el medio ambiente es que la otra parte media ya se acabó. […] Pero yo me doy cuenta que para que tu hijo pueda cuidar otro medio ambiente que nos queda, es parte de nosotros, educarlos. Decirlo ¿sabes qué? Hay que cuidar esto, no hay que contaminar. No hay que arrancar los árboles. Hay que cuidar la basura. Tratar, desde chico sale educándolos a ello, y decirlos ¿sabes qué? Este, es lo único que nos queda de tierra. No hay donde, y tenemos que cuidarlo. Eso

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es la parte del medio ambiente, cuidarlo porque realmente nos queda poco.164 (B13)

Yo siento que el factor más importante para este tema [en parlant de la

dégradation environnementale], es la educación ambiental. Y ir profundizando

hasta no sé dónde para que la gente pueda entender y hacer entender a los hijos que es un buen futuro de tener algo bonito porque estamos viviendo en un lugar muy bonito. La educación ambiental sería un punto clave.165 (B11)

Hay una deterioración del medio ambiente. Se debe de reforestar, se debe de sembrar árboles. Sí, porque los manglares, la mayoría de los manglares se desarrollaron donde hay lo que es el agua dulce y el agua salada. Entonces, si no hay agua dulce, no más hay salada, ese manglar se va, ya se dañó. Y si no viene el agua dulce, se va seguir muriendo. Lo que falta es sembrar más árboles, nuevos. Hacer flujos de agua dulce para que ya se reproduzcan los manglares, se reforesten.166 (B13)

El medio ambiente es el recurso natural, para todos. Y es lo que queremos dejar para el futuro, como a nuestros hijos. No queremos un lugar contaminado ya para nuestros hijos, ¿no?167 (A5)

Il est intéressant de voir que ces derniers commentaires auraient très bien pu être entendus de la bouche même des acteurs de la conservation, montrant que certains individus de la communauté ont un plus grand rapport de proximité avec le domaine de la conservation et, par conséquent, s’expriment en récupérant les notions propres à la conservation et qui sont diffusées par la Réserve et ses collaborateurs. Toutefois, dans d’autres occasions, les réponses en lien avec l’environnement paraissent plutôt décousues ou incohérentes, puisque

164 « Bien l’environnement, en fait, c’est qu’il y en a déjà une partie d’épuisée. […] Mais je me rends compte

que pour que ton enfant puisse prendre soin de l’environnement qui nous reste, c’est notre rôle de les éduquer. Leur dire : « Tu sais quoi? Il faut que tu prennes soin de ça, il ne faut pas contaminer. Il ne faut pas abattre les arbres. Il faut faire attention aux déchets ». Essayer, depuis leur tout jeune âge, les éduquer et leur dire : « Tu sais quoi? Ça c’est tout ce qui nous reste de terre. Il n’y a rien ailleurs et nous devons en prendre soin. C’est l’environnement, il faut en prendre soin parce qu’il ne nous reste réellement que très peu. »

165 « Je sens que le facteur le plus important concernant ce thème [en parlant de la dégradation

environnementale], c’est l’éducation environnementale. Et approfondir jusqu’à je ne sais où pour que les gens

puissent comprendre et faire comprendre à leurs enfants que c’est un bon futur que d’avoir quelque chose de beau parce que nous vivons dans un lieu très beau. L’éducation environnementale serait un point clé. »

166 « Il y a une détérioration de l’environnement. On doit reboiser, on doit semer des arbres. Oui, parce que les

mangroves, la majorité des mangroves se développent là où il y a de l’eau douce et de l’eau salée. Donc, s’il n’y a pas d’eau douce, il ne reste plus que de la salée, et ce palétuvier s’en va, il est déjà endommagé. Et si l’eau douce n’arrive pas, il va continuer à mourir. Ce qu’il faut c’est planter plus d’arbres, des nouveaux. Créer des flux d’eau douce afin que le reproduisent les mangroves, se reboisent. »

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« L’environnement c’est la ressource naturelle, pour tous. Et c’est ce que nous aimerions laisser pour l’avenir, comme à nos enfants. Nous ne voulons pas d’un lieu pollué pour nos enfants non? »

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les gens tentent de répéter systématiquement les propos entendus auprès de ces acteurs, sans nécessairement les comprendre ou les maîtriser, comme le démontre cet extrait un peu inconsistant :

El medio ambiente... Pues, yo pienso que el medio ambiente es el medio donde nosotros vivimos. Como te puede decir... Quizás más mantener, más limpiar nuestro pueblo donde vivimos. No botar basura. Educar al turista, de que pues, llevan cosas en la playa o algo, no dejarlo en la playa para que todo no está contaminado. A veces, si tú llevas, hay turistas que llevan sabritas y vasos, y a veces botan allá. Y el viento a veces se lo saca al mar, y todo eso está contaminando el medio ambiente.168 (B15)

S’il est donc vrai que certains éléments de l’espace de conservation réussissent à s’infiltrer dans les discours des Ríolagarteños, il en est de même pour ce qui est de leurs pratiques dans l’environnement. À ce titre, plusieurs personnes ont expliqué les efforts qu’ils mettent en œuvre pour « être écologique » et protéger l’environnement local : ils font attention de ne pas jeter leurs bouteilles d’huiles vides à la mer ou dans la ría pour éviter de contaminer l’eau, ou encore se sont munis de moteurs écologiques pour la pratique de la pêche et de l’écotourisme (obtenus en partie grâce à des crédits du SEMARNAT). D’autres mentionnent que de manière générale, ils ont modifié leurs habitudes liées à la disposition de leurs déchets domestiques (ne les jettent plus n’importe et/ou ne les brûlent plus), certains ont planté des arbres sur leur terrain ou encore ont participé à des projets de reforestation et de collecte d’ordures de la Réserve afin d’améliorer l’aspect du village et de la région, et ce à travers les projets rémunérés du PROCODES et du PET. Enfin, d’autres cherchent à respecter davantage les consignes émises par la Réserve en ce qui a trait à la coupe d’arbre et à la chasse par exemple. Pour ces résidents, le fait d’avoir modifié leurs habitudes ou d’en avoir acquis de nouvelles au cours des dernières années est vu comme étant positif pour le bien commun du village.

Ainsi, si l’on constate que les habitants ont commencé à incorporer certains aspects de la conservation à leurs discours et qu’ils ont modifié certaines de leurs pratiques, il est par

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« L’environnement… Bien, je crois que l’environnement c’est le milieu dans lequel on vit. Comment pourrais-je te dire… Peut-être maintenir davantage, garder plus propre notre village où nous vivons. Ne pas jeter les ordures. Éduquer les touristes, que s’ils apportent des choses à la plage, de ne pas les laisser à la plage pour ne pas que tout soit pollué. Parfois, quand tu amènes [des touristes], il y a des touristes qui apportent des croustilles et des verres, et parfois ils les jettent là-bas. Et le vent les sort dans la mer, et tout cela est en train de contaminer l’environnement. »

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contre important de noter que ces nouveaux comportements ne correspondent pas nécessairement à une profonde préoccupation pour la conservation environnementale, et encore moins aux enjeux cruciaux qui les concernent au quotidien, notamment le déclin des pêcheries artisanales locales. En effet, bien que les Ríolagarteños reconnaissent que la pêche traverse actuellement une période critique charnière – laquelle induit des conséquences socio-économiques négatives et contribue à la dégradation des conditions de travail des pêcheurs – leurs préoccupations pour cette activité vitale ne ressortent que très peu lorsqu’il s’agit de les articuler à une stratégie de conservation environnementale. Il semble donc que les opinions véhiculées par les habitants au sujet de la conservation, de même que les comportements « écologiques » qu’ils ont adoptés, s’inscrivent dans le cadre discursif utilisé par la Réserve et sont, par conséquent, déliés des propos qu’ils tiennent sur leur situation précaire en lien avec la problématique halieutique actuelle et la dégradation de l’environnement local. L’apparition de ces discours à saveur « environnementaliste » semble par le fait même être un nouveau moyen par lequel les habitants tentent d’entrer en relation et d’établir un dialogue avec les représentants de l’État et les acteurs de la conservation; adaptant leur discours et pratiques au cadre de référence de l’espace de conservation environnemental. Ces constats viennent appuyer l’idée qu’il existe un rapport de pouvoir au niveau de la légitimité du discours de la conservation au détriment des discours locaux.

De la même manière, nous pouvons également questionner les raisons qui motivent certains habitants de Río Lagartos à prendre part aux projets PROCODES et PET. Est-ce par réel souci pour l’environnement et la conservation ou encore une marque d’appréciation pour le travail de la Réserve? Selon ce qu’indiquent mes observations, il semble que les habitants n’adoptent pas pour autant les logiques de l’espace de conservation; c’est plutôt la nécessité ou l’intérêt économique qui est au centre de leur démarche. En effet, dans le contexte de précarité et d’instabilité économique qui prévaut actuellement, ces projets représentent une source de revenu appréciable lors de périodes creuses et offrent ainsi une nouvelle alternative ou opportunité économique pour les villageois. Ces éléments peuvent ainsi nous porter à croire que certains résidents de la communauté instrumentalisent ou manipulent parfois les discours et les pratiques qui appartiennent au monde de la conservation afin de servir leurs propres intérêts et ainsi répondre à leurs besoins. Cet aspect de la négociation

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de l’espace de conservation sera abordé plus en détails au chapitre suivant, cette fois à la lumière de l’exemple du développement de l’activité écotouristique à Río Lagartos.

4.2.3 Rôle et place des acteurs locaux dans la conservation environnementale