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CHAPITRE 4. CONFRONTATION ET NÉGOCIATION DE L’ESPACE DE

4.2 N ÉGOCIATION DE L ’ ESPACE DE CONSERVATION

4.2.1 Perceptions locales de la conservation environnementale

La conservation environnementale semble, au premier abord, reçue favorablement par les habitants de Río Lagartos, puisqu’ils considèrent que les visées de la Réserve ont quelque chose de positif à apporter à l’environnement local. Les gens mentionnent par exemple que les activités de conservation permettent de préserver la beauté de la région ou encore de protéger la flore et la faune, particulièrement les espèces qui sont « endémiques » ou en « danger d’extinction ». Les propos suivants résument bien le type de commentaire généralement émis par les habitants lorsque questionnés au sujet des initiatives de conservation présentes dans la région :

Es bueno. Esto de la iniciativa, es bueno.144 (A6)

Pues, yo lo veo muy bien. Sí, porque están ayudando todo.145 (A1)

Ayuda mucho, es bueno.146 (B13)

Yo pienso que la mayoría sí le gusta conservar el medio ambiente. Sí porque a todos mayormente, como lo digo, a los que ven que les sigue a los niños, les gusta mejorar el medio ambiente.147 (A7)

Plusieurs mentionnent aussi la fierté, le bonheur et la reconnaissance qu’ils ressentent de vivre dans un milieu protégé, qu’ils considèrent comme étant unique, regorgeant d’espèces particulières et doté d’un paysage singulier :

144 « C’est bien. Les initiatives [de conservation], c’est bien. » 145 « Bien, je le vois très bien. Oui, parce qu’ils aident tout. » 146 « Cela aide beaucoup, c’est bien. »

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« Je crois que la majorité des gens aiment conserver l’environnement. Oui parce que tous ceux qui, comme je dis, voient que cela suit aux enfants aiment améliorer l’environnement. »

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Es bonito, es precioso. Manglares, flamencos, todo eso.148 (A6).

Gracias a pequeñas reservas como son de aquí, pues, sobrevivimos y vivimos. Porque si no, si vamos acabando con todo, nosotros veríamos que vamos estar matando, lentamente. De cuando digamos nosotros darnos cuenta, ya la acabamos. Entonces ahorita, hay que darnos cuenta de tratar educar a nuestros hijos, para que nuestros hijos no hagan lo que nosotros hicimos, o como los padres no hicieron. Cuidar todo, estas zonas así, reservas. Es lo más importante, que es el medio ambiente. No solo cuidarlo. Si podemos plantar un árbol, es muy importante. Cuidar la basura, no contaminar, muy importante todas las cosas. Pues poco a poco me fui educando, me fui dando cuenta, cuidando todo lo que es eso.149 (B13)

Pues, te digo orgulloso. Orgulloso de la naturaleza, de los recursos naturales que tenemos. Es humilde, es tranquilo, no es un Cancún, no es un sitio turístico. Turístico que diga que tenga mucha infraestructura, pero está en un lugar tranquila, con unas bellezas naturales. Entonces, por eso estoy contento y orgulloso.150 (B16)

Ces passages portent à croire que la protection et la conservation de l’environnement local est perçue de manière positive par les résidents, puisqu’elles contribueraient à faire de la région un milieu de vie où il fait bon vivre, qui leur permettrait d’assurer la pérennité de l’environnement local pour les générations futures et qui les protègerait d’eux-mêmes. D’autres font aussi remarquer qu’il y aurait maintenant plus de touristes grâce aux projets de conservation mis en œuvre dans la région, soulignant le potentiel économique pouvant découler de la préservation des ressources et du paysage grâce au tourisme basé sur l’appréciation de la nature (l’écotourisme) :

148 « C’est beau, c’est précieux. Les mangroves, les flamants, tout ça. »

149 « Grâce à des petites réserves comme celle d’ici, bien, nous survivons et nous vivons. Parce que sinon, si

nous détruisons tout, nous verrons que nous serons en train de tuer, lentement. Par le temps qu’on s’en rende compte, déjà tout sera détruit. Donc en ce moment, il faut réaliser qu’on doit essayer d’éduquer nos enfants, afin que nos enfants ne fassent pas ce que nous avons fait, ou comme les parents ne l’ont pas fait. Prendre soin de tout, ces zones-là, les réserves. C’est ce qui est le plus important, l’environnement. Non seulement en prendre soin. Si nous pouvons planter un arbre, c’est très important. Faire attention aux déchets, ne pas polluer, c’est très importants toutes ces choses. Peu à peu, je me suis éduqué, je me suis rendu compte, j’ai fait attention à tout ça. »

150 « Eh bien, je te dis fier. Fier de la nature, des ressources naturelles que nous avons. C’est humble, calme,

ce n’est pas Cancún, ni un site touristique. Touristique, que dis-je, qui n’a pas beaucoup d’infrastructures, mais c’est un endroit tranquille, avec des beautés naturelles. Donc, pour cela je suis heureux et fier. »

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Hay más turistas. Yo creo que desde eso de la creación de la Reserva, porque no había tanto cuando llegamos acá. No había, no había tantos lancheros. Algunos. Y eso está creciendo.151 (A1)

Es bueno, nos ayuda bastante, muchísimo. Casi todo recae. Si metemos buenos proyectos, si metemos buenas alternativas, si generamos mucho turismo, ayudamos a la conservación, ayudamos a la protección del medio ambiente. Ayudamos, nos ayudamos económicamente con muchos turistas. Podemos generar muchos empleos. O sea, los proyectos sirven para eso.152 (B11)

Par ailleurs, les activités d’éducation environnementale mises en œuvre par les acteurs de la conservation sont aussi habituellement bien reçues par les habitants de Río Lagartos, plus particulièrement celles qui ciblent la jeunesse de la communauté. Ces activités, comme nous l’avons vu au Chapitre 3, incluent des campagnes thématiques, des ateliers animés ou encore des festivals et des évènements spéciaux pour ne nommer que celles-là, et visent à éduquer et sensibiliser les jeunes aux enjeux environnementaux locaux. Certains parents rencontrés ont mentionné par exemple que leurs enfants ont tenté de les sensibiliser à l’importance de ne pas pêcher les tortues de mer car elles sont une espèce en danger d’extinction, ou encore à bien disposer des déchets domestiques. Les activités en lien avec l’éducation environnementale semblent donc vues d’un bon œil par les résidents, jugeant qu’elles apportent à leurs enfants des connaissances intéressantes et utiles sur leur milieu, mais peut-être aussi parce qu’elles ne confrontent ou n’interfèrent pas réellement avec leurs préoccupations, leurs besoins quotidiens ou leurs pratiques dans l’environnement.

Ainsi, il semble que les résidents soient prêts à négocier l’espace de conservation, puisqu’ils y voient certains éléments positifs directs sur l’environnement local et leur qualité de vie. De la même manière, de nombreuses personnes interrogées considèrent que le changement de leurs propres pratiques engendre aussi des effets bénéfiques sur l’environnement. On remarque alors que certains comportements et habitudes de la

151 « Il y a plus de touristes. Je crois que depuis la création de la Réserve, parce qu’il n’y en avait pas autant

quand nous sommes arrivés ici. Il n’y en avait pas, il n’y avait pas autant de lancheros. Quelques-uns. Et cela est en croissance. »

152 « C’est bien, cela nous aide beaucoup, vraiment beaucoup. Tout revient. Si nous faisons de bons projets, si

nous créons de bonnes alternatives, si nous générons beaucoup de tourisme, nous aidons la conservation, nous aidons à la protection de l’environnement. Nous aidons, ils nous aident économiquement avec beaucoup de touristes. Nous pouvons générer plusieurs emplois. Les projets servent à cela. »

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population locale se transforment peu à peu, au profit d’autres qui sont plus « respectueux » de l’environnement.

On note par exemple qu’au cours des dernières années, des changements au niveau de la mairie ont eu lieu, notamment en ce qui a trait à la gestion des déchets domestiques des résidents. À ce titre, un dépotoir et un centre de tri pour la récupération ont été aménagés (situés sur la route entre San Felipe et Río Lagartos), en lien avec la campagne de sensibilisation « Por un Pueblo Limpio »153. Il s’agit là de mesures très bien reçues par les habitants, qui considèrent qu’elles permettent d’assainir le village et de lui donner une meilleure image (plus propre) aux yeux des visiteurs. Pendant cette même période, et afin de réduire le nombre de bouteilles d’huile à moteur (utilisées quotidiennement par tous les utilisateurs de lanchas) vides qui étaient rejetées n’importe où sans égard pour l’environnement local, la mairie a mis en œuvre une campagne de sensibilisation et de collecte de bouteilles vides : pour chaque sac de 50 bouteilles154 vides amassées, une bouteille neuve leur était remise. Bien que cette campagne ne se soit pas poursuivie à long- terme, on remarque qu’elle a contribué à modifier cette habitude puisque les résidents font à ce jour l’effort de jeter autant que possible leurs déchets aux rebus prévus à cet effet, comme l’expliquent ces personnes :

Estamos caminando. Hace dos tres años anteriores, la gente botaba su basura en cualquier lado. Y hoy todos están trabajando, tratar de cuidar el puerto, la recolección de basura.155 (B11)

Répondant : Botes de aceite había miles. Ahora no hay.

Épouse du répondant : Basura así, para que no contamina allá, al mar y la ría. Porque de antes, botaban el aceite, ves que está flotando allá en el mar. Ahorita no, se está cuidando mucho.156 (A1)

153 Campagne « Pour un village propre/salubre ». 154 Nombre approximatif avancé par mes informateurs. 155

« Nous avançons. Il y a deux ou trois ans, les gens jetaient leurs ordures partout. Et aujourd’hui tous sont en train de travailler, d’essayer de prendre soin du port, de la collecte des ordures. »

156 Répondant : « Des bouteilles d’huile il y en avait des milliers. Maintenant non. »

Épouse du répondant : « Des déchets comme ça, pour que ça ne pollue pas au-delà, jusqu’à la mer et la lagune. Parce qu’avant, les gens jetaient l’huile, tu vois que ça flotte là-bas dans la mer. Maintenant non, on y fait très attention. »

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Si la mairie a donc cherché à encourager et favoriser le changement de certaines pratiques jugées nocives pour l’environnement local, on peut conclure que cette situation témoigne d’une certaine volonté de répondre aux critiques formulées à l’égard des résidents par les acteurs de la conservation, qui ont beaucoup insisté au cours des dernières campagnes de sensibilisation sur le thème de la gestion des déchets domestiques. Du côté des résidents, le fait de bien collaborer sur cet aspect leur donne l’impression de faire leur part pour l’environnement local et ils en retirent une certaine satisfaction.

D’une manière générale, on remarque que ceux qui se positionnent le plus favorablement par rapport aux initiatives de conservation environnementale dans la communauté sont ceux qui s’y sont impliqués directement ou qui ont côtoyé les acteurs de la conservation, notamment certains membres des coopératives écotouristiques, des personnes qui ont participé au cours des dernières années au PROCODES et au PET, ou encore le personnel actuel ou passé de la Réserve et des associations civiles. Essentiellement, ces personnes ne critiquent ou ne questionnent pas ouvertement les acteurs de la conservation, leur travail et leurs façons de faire, mais cherchent plutôt à les défendre ou faire l’éloge de la Réserve et de leur travail pour l’environnement. Ces individus semblent donc se voir comme des alliés de la conservation et comme faisant partie de la solution aux enjeux environnementaux locaux. Cette perspective les mène à se distinguer et dissocier des autres Ríolagarteños, en ce qu’ils ont tendance à les dépeindre comme des gens qui n’ont pas encore pris conscience de l’importance et la nécessité de la conservation environnementale, contrairement à eux, qui auraient justement acquis cette conscience écologique et compris les consignes de conservation; comme l’expriment ces commentaires émis par des guides écotouristiques :

Aquí en Río Lagartos mucha persona no tiene consciencia. Mayormente los pescadores. Diario nosotros recogemos la basura. Y no lo vean, lo siguen haciendo.157 (B6)

Pues, hay gente consciente, y gente que no es consciente. La gente consciente es la que bota la basura o sus bote, lo que sea la basura dentro sus lanchas, lo agarra, la pone en el bote. La gente inconsciente es la que agarre y tira la basura

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« Ici à Río Lagartos beaucoup de gens n’ont pas conscience. Principalement les pêcheurs. Chaque jour nous recueillons des ordures. Et ils ne le voient pas, ils continuent de le faire. »

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en la ría. Y ya, estuvo flotando. Pero la mayor parte es consciente, un 80% consciente.158 (A5)

Hay personas grandes, por la verdad, que no son conscientes, tiran basura. Pero son pocos. Así es. No se puede hacer nada por ellos.159 (A7)

Pues, la gente no tiene esa cultura, quizás. Hay que pensar por el futuro.160 (B15)

La gente no tiene las nociones totales de una visión futura. ¿Qué es esto? Que por ejemplo 70% o 80% de las personas traen la mentalidad antigua de no hacer las cosas, nada más. El presidente está caminando, no muy bien, pero se va caminando, tratar de ayudar, de conservar el pueblo, para ir mejorando. Simple: la visión es ir mejorando.161 (B11)

La gente de Río Lagartos, si no hay pago por medio, no llevan los manos. Entonces, nosotros no podemos hacer nada. […] Si no hay pago por medio aquí como en Río Lagartos, no se pasa nada para restablecer al medio ambiente.162 (A6)

Ces divers passages indiquent que le fait de se positionner en faveur de la Réserve et des activités de conservation ou encore de considérer pour soi-même avoir acquis la conscience écologique deviennent peu à peu de nouveaux marqueurs de différenciation au sein de la communauté163. Certains des commentaires évoqués ci-haut sont d’ailleurs plutôt tranchants à l’égard de leurs pairs, traduisant même un certain mépris, basé sur le fait qu’ils considèrent les autres comme étant ignorants, entêtés ou égoïstes, contrairement à eux- mêmes, qui appliqueraient les consignes de conservation pour le bien-être de l’environnement, de la communauté et des générations futures. Il est intéressant de noter

158 « Bien, il y a des gens qui sont conscients, et des gens qui ne sont pas conscients. Les gens conscients sont

ceux qui jettent leurs déchets et leurs bouteilles d’huile, ce que sont les ordures dans leur lancha, ils les prennent et les mettent à la poubelle. Les gens inconscients sont ceux qui les prennent et les jettent dans la lagune. Et ça flotte. Mais la plupart sont conscients, à 80% conscients. »

159 « Il y a des adultes, en vérité, qui ne sont pas conscients, qui jettent leurs déchets. Mais ils sont peu. C’est

ainsi. On ne peut rien faire pour eux. »

160 « Bien, les gens n’ont pas cette culture, peut-être. Il faut penser à l’avenir. »

161 « Les gens n’ont pas une vision d’avenir. Qu’est-ce que c’est? Par exemple 70% ou 80% des personnes

font les choses avec la mentalité ancienne, sans plus. Le président chemine, pas très bien, mais il chemine, essaie d’aider, de conserver le village, afin de continuer d’améliorer. C’est simple : la vision est d’aller en améliorant. »

162 « Les gens de Río Lagartos, s’ils ne sont pas payés, ils ne lèvent pas les bras. Donc, nous ne pouvons rien

faire. […] Si les gens ne sont pas payés ici comme à Río Lagartos, il ne se passe rien pour restaurer l’environnement. »

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que le thème de la disposition des déchets est un élément récurrent dans ces interventions, indiquant que ces personnes récupèrent certains aspects du discours de l’espace de conservation pour souligner leurs propres savoirs et acquis par rapport à l’environnement.