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Les 12 heures de spiritualité : une pratique de dialogue interreligieux dans la ville de Québec

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Academic year: 2021

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Les 12 heures de spiritualité

Une pratique de dialogue interreligieux dans la ville de Québec

Mémoire

Frédérique Bonenfant

Maîtrise en sciences des religions

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Les 12 heures de spiritualité

Une pratique de dialogue interreligieux dans la ville de Québec

Mémoire

Frédérique Bonenfant

Sous la direction de :

Monique Cardinal

(3)

III

Résumé

Sur la scène internationale contemporaine ainsi que dans les médias, la pratique du dialogue interreligieux est souvent présentée comme un gage de paix sociale. De nombreuses initiatives internationales, nationales et locales ont vu le jour depuis la création du premier parlement mondial des religions de Chicago en 1893. Dans la ville de Québec, depuis les 40 dernières années, certaines initiatives de dialogue interreligieux ont été proposées par des regroupements religieux ou laïques. Depuis l’an 2000, une activité annuelle regroupe la plupart des promoteurs du dialogue interreligieux de la ville de Québec : les 12 heures

de spiritualité. Cette journée thématique regroupe des représentants d’une dizaine de communautés

religieuses de la ville de Québec autour d’activités de dialogue interreligieux et de partage de traditions. Cette étude de cas propose l’analyse détaillée du fonctionnement de cette activité afin d’en dégager les principaux enjeux, tant au niveau organisationnel qu’au niveau de la participation du grand public. En combinant les points de vue théorique et emic, cette recherche aborde les particularités d’une telle pratique interreligieuse dans le contexte spécifique de la ville de Québec.

(4)

IV

Table des matières

Résumé ... III Table des matières ... IV Liste des figures : ... VIII Remerciements ... IX

Introduction ... 1

1 Histoire du dialogue interreligieux et son contexte théorique ... 6

1.1 Introduction ... 6

1.1.1 L’émergence ... 6

1.1.2 L’Église catholique ... 7

1.1.3 Le dialogue fin 20e- début 21e siècle ... 8

1.2 Quelques définitions ... 8

1.2.1 Dialogue ... 9

1.2.2 Dialogue interreligieux ... 9

1.2.3 Le religieux insaisissable ... 10

1.3 Typologies du dialogue interreligieux ... 11

1.3.1 Typologie de l’Église catholique ... 12

1.3.2 Triple typologie de Jean-Claude Basset ... 13

1.4 Problématique et hypothèses de recherche ... 21

2 Questions méthodologiques ... 22

2.1 Approche socio-anthropologique ... 22

2.2 Étude de cas ... 22

2.3 Le cas des 12 heures de spiritualité ... 23

2.4 Les volets de recherche ... 24

2.4.1 Considérations éthiques de la recherche ... 24

2.4.2 Le comité d’organisation de l’activité ... 25

2.4.3 Point de vue historique de l’activité ... 26

2.4.4 L’activité des 12 heures de spiritualité ... 27

2.4.5 L’expérience des participants ... 28

2.5 L’analyse des données ... 29

3 Les 12 heures de spiritualité ... 31

(5)

V 3.2 Accessibilité ... 32 3.3 Comité organisateur ... 33 3.3.1 Composition du comité ... 33 3.4 Lieux ... 34 3.5 Momentum ... 35 3.6 Diffusion ... 35 3.7 Financement ... 36 3.8 Participation ... 36 4 Historique ... 38

4.1 Cultures des regroupements au sein du comité organisateur ... 38

4.1.1 Initiatives et changement Canada (ICH Canada) ... 39

4.1.2 Le Carrefour d’Animation et de Participation à un Monde Ouvert (CAPMO) ... 40

4.1.3 Les bahá'ís ... 41

4.1.4 L’Église Unie du Canada ... 42

4.1.5 Le Bureau de la vie étudiante de l’Université Laval ... 43

4.2 Naissance de l’activité ... 44

4.2.1 Le Sommet des Amériques ... 44

4.2.2 Pour un monde plus humain ... 44

4.3 Développement de l’activité et modifications ... 46

4.3.1 Évènement ... 46

4.3.2 Le comité ... 46

4.3.3 Changements d’orientation ... 47

5 Volet organisationnel de l’activité ... 48

5.1 La composition du comité organisateur ... 48

5.2 Le dialogue interreligieux vu par les membres du comité ... 50

5.2.1 Définition ... 50

5.2.2 Un partage inter-spirituel indépendant de la parole ... 51

5.2.3 La partition des sphères spirituelles et profanes ... 51

5.2.4 Dialoguer pour soi ou pour nous? ... 52

5.2.5 Conceptions de l’altérité : un dialogue fait sur la différence ou la similarité? ... 52

5.2.6 Questions de tendances ... 53

5.3 Les enjeux propres à l’organisation de l’activité ... 54

(6)

VI

5.3.2 La nature du dialogue interreligieux ... 58

5.3.3 Les différents niveaux d’implication dans le dialogue ... 61

5.4 Conclusion sur les enjeux organisationnels ... 64

6 Analyse du volet participatif de l’activité ... 65

6.1 Portrait de la participation à l’évènement ... 65

6.1.1 Profil des participants ... 66

6.1.2 Identité religieuse ... 66

6.2 Le dialogue interreligieux vu par les participants ... 68

6.2.1 Spirituel, pas religieux ... 69

6.2.2 Croire ou ne pas croire au dialogue interreligieux ... 69

6.2.3 Les intérêts ... 71

6.2.4 Relations interreligieuses et tension de l’altérité ... 71

6.2.5 Les tendances selon la typologie de Basset ... 73

6.3 La participation aux 12 heures de spiritualité et ses différents enjeux ... 74

6.3.1 L’expérience interreligieuse et ses limites ... 75

6.3.2 Autres enjeux organisationnels mentionnés par les participants ... 77

6.4 Conclusion sur l’analyse du volet participatif ... 79

7 Contexte socio-culturel de la ville de Québec ... 81

7.1 Québec en chiffres ... 81

7.2 Québec et l’Église catholique ... 81

7.3 Le contexte socio-culturel de la ville vu par les participants et organisateurs ... 83

7.3.1 La culture religieuse des Québécois ... 83

7.3.2 L’indifférence au religieux ... 84

7.3.3 La montée de l’immigration ... 85

7.4 Quelle expérience interreligieuse pour la ville de Québec? ... 86

Conclusion ... 88

Bibliographie ... 92

Annexe I : Feuillet d’information ... 97

Annexe II : Formulaire de consentement ... 98

Annexe III : Canevas d’entrevue ...100

Annexe IV : Liste des catégories d’analyse ...102

Annexe V : Programmation de l’activité 2013 ...103

(7)

VII

Annexe VII : Communiqué de presse 2013 ...105

Annexe VIII : Tableau de la typologie de forme du dialogue interreligieux (Basset) ...106

Annexe IX : Tableau de la typologie de nature du dialogue interreligieux (Basset) ...107

Annexe X : Tableau de la typologie des enjeux du dialogue interreligieux (Basset) ...108

(8)

VIII

Liste des figures :

Figure 1 : Typologie selon la forme du dialogue interreligieux ... 15

Figure 2 : Typologie selon la nature du dialogue interreligieux ... 18

Figure 3 : Typologie selon les enjeux du dialogue interreligieux ... 20

Figure 4 : Organisateurs ayant fait l’objet d’une entrevue ... 26

Figure 5 : Participants ayant fait l’objet d’un entretien semi-directif ... 29

Figure 6 : Durée d’implication des organisateurs ... 34

Figure 7 : Orientations des principaux organisateurs ... 54

(9)

IX

Remerciements

La présente recherche de terrain fut effectuée avec le support et la collaboration de nombreux acteurs de la ville de Québec, que nous tenons à remercier pour le partage de leurs précieuses réflexions, leur disponibilité et leur intérêt envers notre projet de recherche. Au cours des années d’étude, certains de ces acteurs sont devenus de véritables amis qui ont largement contribué à la poursuite du projet, tant par leur implication affective qu’intellectuelle. Nous tenons entre autres à remercier chaleureusement l’ensemble des membres du comité d’organisation de l’activité des 12 heures de spiritualité, qui nous ont permis, à la clôture de cette recherche, de nous impliquer dans l’organisation de cette activité qui nous tient à cœur. Nous tenons également à remercier notre directrice de recherche, Monique Cardinal, pour sa patience et son soutien, ainsi que nos proches, amis et parents. Deux personnes chères nous auront quitté au cours de cette recherche : Bernard Lebeller, qui restera une source d’inspiration inestimable, et surtout notre père, François Bonenfant, qui n’aura malheureusement pas vu le fruit de son soutien inconditionnel.

(10)

1

«

Pas de survie sans ethos planétaire.

Pas de paix mondiale sans paix religieuse.

Pas de paix religieuse sans dialogue entre les religions. »

Hans Küng1

Introduction

Le dialogue interreligieux, pris dans son sens large, représente actuellement un certain engouement, pour ne pas dire une mode, tant à l’échelle internationale qu’au niveau des initiatives régionales et locales. Nous devons cette observation non seulement à l’augmentation officielle des pratiques interreligieuses sur ces différents plans, mais également, comme le fait remarquer l’historienne Delphine Dussert-Galinat, à la modification du discours général sur l’interreligieux depuis les années 1980. Cette période, qu’elle nomme l’ère du « dialogue revendiqué 2» (1980-2000), constitue un véritable changement de paradigme en vue de

s’adapter aux défis croissants de la modernité. Réservé jusqu’alors aux initiatives théologiques, évangéliques ou sociales, le dialogue interreligieux réclame maintenant un espace sur la place publique et rejoint de nouveaux acteurs, à commencer par les médias et les politiciens, mais également un spectre élargi de chercheurs. Comme illustration de ce changement de paradigme, nous pouvons observer par exemple la notoriété croissante et la sortie de l’ombre du Parlement mondial des religions3 ou encore la

campagne d’image publique du Pape François visant à faire la promotion du développement d’une « culture de l’interreligieux » à l’échelle mondiale. Depuis la dernière décennie, l’exemple de la mobilisation de la droite chrétienne aux États-Unis, ou encore, sur un versant plus sombre, les attentats du 11 septembre 2001 et la montée de l’islamisme radical, ont permis un retour de la conscience de la puissance mobilisatrice de la religion et de son potentiel destructeur. La recherche d’outils afin de préserver la paix sociale a pris depuis une ampleur inégalée. Le dialogue interreligieux et sa pratique s’inscrivent au cœur de cette dynamique.

Cette popularité croissante du dialogue interreligieux appelle, à la base, toujours plus de recherches académiques afin d’en éclairer les fondements, l’historique et les développements à venir dans cet univers

1 H. KÜNG, Projet d’éthique planétaire, la paix mondiale par la paix entre les religions, Paris, Seuil, 1991.

2 D. DUSSERT-GALINAT, Le dialogue interreligieux. Entre discours officiels et initiatives locales, Rennes, Presses universitaires de

Rennes, (coll. Sciences des religions), 2013, p. 209.

3 La première édition de cet évènement d’envergure internationale eut lieu en 1893 à Chicago. Une seconde édition eut lieu en

1993 pour fêter le commémoratif du centenaire, et depuis, les éditions ne cessent de gagner en popularité : 1999 (7 000 participants), 2004 (9 000 participants), 2009 (10 000 participants).

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2

relativement récent. Ces recherches foisonnent depuis les années 1980, et prennent une teinte légèrement différente au cours des dernières années avec la montée de dynamiques interreligieuses thématiques telles que l’on peut observer dans les courants féministes, écologiques ou encore fortement politisés.

Permettons-nous de proposer trois considérations majeures en faveur du développement de la recherche en matière de dialogue interreligieux, qui écartent également l’hypothèse d’une mode passagère. Primo, la croissance soutenue de la diversité religieuse, non seulement à l’échelle globale, mais prise dans une perspective individuelle : chaque individu est maintenant inscrit dans un monde de plus en plus ouvert (du moins dans les pays occidentaux) où la proximité des autres religions fait partie intégrante de la réalité sociale, que ce soit par la proximité physique qu’ont rendue possible les migrations internationales ou par les connexions virtuelles et le libre accès aux informations extérieures via les médias sociaux. Ces situations génèrent, de manière intentionnelle ou non, le même type de réactions que l’on retrouve à toutes les époques où les religions se sont rencontrées (replis identitaires, violences, syncrétismes, déculturation…). Le dialogue interreligieux se présente actuellement comme une réponse sociale aux défis occasionnés par la proximité de l’altérité religieuse et comme outil privilégié au maintien de la paix. Encore faut-il prouver son efficacité pour répondre à ces besoins.

La seconde considération témoigne des modifications internes propres aux principales religions, ayant pour objectif le dépassement des attitudes colonialistes, l’ouverture à l’altérité et la construction d’un discours visant à promouvoir la bonne entente entre les religions. Nous avons suivi ce processus au sein de l’Église catholique depuis Vatican II jusqu’aux sommets de l’attitude interreligieuse atteints par la démarche du Pape François; mais nous pouvons trouver également un travail de fond effectué au sein d’autres grandes traditions, comme par exemple les initiatives provenant du bouddhisme tibétain opérées par le Dalaï Lama ou celles d’acteurs musulmans tels que le cheik Bentounès4. De l’intérieur même de ces grandes traditions

religieuses se construit lentement l’attitude d’ouverture et le souci d’entrer en dialogue avec les autres. Cette construction nécessite l’apport de diverses approches de recherche en matière de dialogue interreligieux.

La dernière considération concerne davantage la réponse des sociétés laïques à l’accroissement de la diversité religieuse via le développement, par exemple, des modèles de gestion sociale de la diversité, des débats entourant la question de la laïcité, de l’éducation religieuse à l’école ou de la place du religieux dans l’espace public. Ces questions et débats suscitent beaucoup d’intérêt actuellement au niveau académique.

4 Voir entre autres Khaled BENTOUNÈS, Pour un islam de paix. Actes de la conférence internationale tenue les 12 et 13 janvier

2001 à Paris à l'initiative de l'association terres d'Europe, avec la collaboration du programme Les routes de la foi de l'UNESCO

(12)

3

Le dialogue interreligieux, en tant qu’outil de gestion de la diversité, constitue un élément central de certaines de ces recherches5.

Le dialogue interreligieux constitue donc un sujet de recherche dont on pourrait difficilement se passer. Pour plusieurs, c'est le dialogue même qui semble inévitable. Un livre de Raimon Panikkar porte d’ailleurs ce titre : De l’inévitable dialogue. Dieu, Yahweh, Allah, Bouddha6… Pour ce théologien, réelle figure de proue

chez les penseurs de l’interreligieux, le dialogue des religions est devenu inévitable sur le plan individuel, humain, et au niveau des religions instituées. Inévitable sur le plan individuel parce que « l’homme n’est pas un individu, une monade, mais plutôt une personne, un faisceau de relations. Et les relations humaines exigent le dialogue7 ». Inévitable aussi pour les religions elles-mêmes; nous aurions tort d’oublier si

rapidement qu’elles se sont historiquement constituées les unes par rapport aux autres. Inévitable enfin pour l’histoire humaine, afin de construire à l’échelle planétaire ce que Panikkar nomme une « écosophie », une attitude dialogique avec la Terre elle-même. Ce dernier point est visible particulièrement dans le développement récent des mouvements interreligieux axés sur la dimension écologique de la « relation à l’autre8 ».

Nous ajouterons à ce constat de nécessité inspiré par Panikkar une quatrième dimension, mythique cette fois, fortement influencée par les travaux de Raphaël Liogier sur la religion globale9. Les constats sur la

montée de l’individualisme dans les sociétés post-modernes, y compris en matière de religion, ne suffisent pas selon Liogier à rendre compte des observations contradictoires concernant la montée incessante d’une conscience plus globale d’unité, au-delà des frontières, au-delà des différences entre les individus. Ces deux pôles opposés, individualisme et globalisme, il les met en scène à l’intérieur du grand mythe

individuo-global dans lequel nous baignons actuellement sans trop nous en rendre compte. Un tel mythe nécessite

des lieux d’expression privilégiés, et nous voyons personnellement, dans les pratiques de dialogue interreligieux, l’expression typique du mythe où s’inscrit l’individu centré sur la construction de soi à l’intérieur d’un monde global et diversifié. En bref, nous voyons dans les discours actuels sur l’interreligieux l’expression du mythe individuo-global décrit par Liogier, ce qui constitue selon nous une avenue de recherche fort prometteuse pour réfléchir à notre siècle dans son ensemble. Raimon Panikkar affirmait

5 Comme exemple outre-Atlantique prenons les travaux du Conseil de l’Europe : Des dieux dans la ville. Le dialogue interculturel

et interreligieux au niveau local, Strasbourg, éd. Conseil de l’Europe, 2007.

6 R. PANIKKAR, L’inévitable dialogue. Dieu,Yahweh, allah, Bouddha…, traduit de l’italien par Dominique Raoul-Duval (L'Incontro

indispensabile: Dialogo delle Religioni, Milano, Jaca Book, 2001) Paris, Relié poche, (coll. Sagesse), 2003.

7 R. PANIKKAR, L’inévitable dialogue…, p. 12.

8 Par exemple, pensons au projet d’éthique planétaire d’Hans KÜNG : Projet d’éthique planétaire, la paix mondiale par la paix

entre les religions, Paris, Seuil, 1991. Voir également le triple colloque organisé par la Soka Gakkai de France en 2005, destiné

à établir les bases d’une éthique de l’environnement nourrie par le dialogue interreligieux : Laurent DERVIEU (dir.), Dialogues

interreligieux pour une éthique de l’environnement, Paris, L’Harmattan, 2006.

9 Le principal ouvrage sur cette question : R. LIOGIER, Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale?, Paris,

(13)

4

également que le vent du dialogue interreligieux, bien plus qu’être une simple mode, représentait en soi une nouvelle manifestation de l’esprit religieux10.

Il serait possible de classer les recherches actuelles en matière de dialogue interreligieux en deux branches générales selon le milieu dont elles sont issues. Nous retrouvons, dans un premier temps, les recherches provenant du milieu théologique et pratique. Elles regroupent les recherches sur l’expérience interreligieuse, les témoignages, l’évaluation des pratiques, les classifications des différents types de dialogue, etc. La construction du discours interne des religions et autres organismes interreligieux est basée sur l’ensemble de ces travaux visant à catégoriser les pratiques de dialogue interreligieux, les évaluer et les justifier dans le contexte qui leur est propre. Comme exemple, mentionnons au niveau francophone les travaux de Panikkar, de Jean-Claude Basset et de Geneviève Comeau. L’autre versant de la recherche s’intéresse au dialogue interreligieux en tant que phénomène de société. Nous y retrouvons l’historiographie du mouvement, l’étude sociologique d’initiatives particulières, les contextes de réception ou encore les recherches sur l’instrumentalisation de l’interreligieux, par exemple. Force est de constater que, malgré la bonne volonté de chacun, la recherche dans le domaine reste influencée par les catégories d’insiders et d’outsiders, s’interrogeant d’une part sur l’expérience de l’individu et d’autre part sur l’impact social d’une telle pratique.

Le présent mémoire tente de se situer à la frontière de ces deux catégories, en s’employant à jeter un éclairage sur la relation entre les participants et les organisateurs d’un dialogue interreligieux, entre la pratique elle-même et le contexte socio-culturel où elle s’inscrit. La recherche combine les observations de points de vue emic et etic concernant l’organisation, la participation et la réception d’une initiative interreligieuse québécoise en particulier : les 12 heures de spiritualité.

Constituée en une étude de cas, cette recherche offre un aperçu contemporain sur les modalités d’une des rares pratiques interreligieuses se déroulant dans la ville de Québec. Le peu d’initiatives locales en la matière suffit à expliquer les lacunes au niveau des recherches sur les pratiques de dialogue interreligieux en contexte québécois. Outre l’expérience considérable de l’ancien Institut interculturel de Montréal11 (IIM)

et la longue histoire du dialogue islamo-chrétien développé à l’Université Laval, toutes deux maintenant terminées, les initiatives interreligieuses bien qu’elles existent, restent encore peu documentées dans le contexte montréalais. Quant au contexte de la ville de Québec, elles sont pratiquement inexistantes.

10 R. PANIKKAR, L’inévitable dialogue…, p. 69.

11 Anciennement Centre Monchanin (1963-1990), ce centre d’activité et de recherche-action au rayonnement international était

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5

Nous souhaiterions, au mieux, offrir aux différents acteurs locaux et régionaux en matière de dialogue interreligieux quelques pistes de réflexion concernant la pratique du dialogue interreligieux dans le contexte de la ville de Québec. À la base, cependant, cette étude de cas est destinée aux différents acteurs impliqués de près ou de loin dans l’activité des 12 heures de spiritualité. Elle sera en mesure, idéalement, de fournir des pistes de réflexion concernant l’organisation et la réception de cette activité annuelle (sur une vue diachronique), ou encore des pistes de réflexion critique sur l’expérience vécue au sein de l’équipe d’organisation ou simplement lors de la participation à l’évènement (vue synchronique). Dans les années qui suivirent la cueillette des données nécessaires à l’élaboration de cette recherche (2012-2014), notre implication personnelle au sein de l’équipe organisationnelle témoigne d’un réel souci d’orienter les recherches subséquentes vers des dynamiques de recherche collaborative destinées à répondre aux besoins concrets du milieu étudié.

(15)

6

1 Histoire du dialogue interreligieux et son

contexte théorique

1.1 Introduction

L’omniprésence des pratiques de dialogue interreligieux autour du globe est parfois susceptible de nous faire oublier la relative nouveauté du phénomène. Bien que les relations interreligieuses en soi remontent à l’Antiquité, leurs formes semblent avoir oscillé au fil des siècles entre la confrontation, la coexistence, la conversion ou l’inculturation sans jamais entrer dans une relation dialogale12. Cette nouveauté se présente

comme une réponse à ce que le pasteur et théologien suisse Jean-Claude Basset a nommé « la crise de l’interreligieux 13», caractérisée par l’émergence du village planétaire de McLuhan14 et la crise des valeurs

de la société occidentale.

1.1.1 L’émergence

Les chercheurs s’entendent généralement pour pointer le premier Parlement mondial des religions de Chicago (1893) comme étant la « pierre d’achoppement15 » du dialogue interreligieux, ou du moins sa

naissance symbolique. Si l’évènement eut un effet inédit sur la scène des relations interreligieuses, « la gâchette16» fut tirée par le Swami Vivekananda lors de son discours d’ouverture, exprimant pour la première

fois un idéal de rencontre à la hauteur des aspirations modernes :

I do not come to convert you to a new belief. I want you to keep your own belief. I want to make a Methodist a better Methodist ; The Presbyterian a better Presbyterian ; The Unitarian a better Unitarian. I want to teach you to live the truth, to reveal the light within your own soul 17.

Les portes ouvertes à Chicago, définitivement d’avant-garde, attendront cependant la fin des deux guerres mondiales avant d’être franchies. La période entre la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945) et le début

12 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux. Chance ou déchéance de la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1996, p. 26. Aussi Marianne

MOYAERT, « Interreligious Dialogue » in Understanding Interreligious Relations, ed. D. CHEETHAM, Oxford University Press,

2013, p. 193. Le dialogue entre les religions a cependant eu son heure de gloire comme genre littéraire dans l’antiquité, (le plus célèbre étant le Dialogue avec Tryphon), et ces dialogues ne sont pas tous polémiques. La question à savoir s’ils reflétaient une réalité pratique est cependant encore débattue par les spécialistes. J.-C. BASSET en fait un simple « précurseur du dialogue

interreligieux, à une époque où l’on ne pouvait qu’imaginer et non réaliser de telles rencontres », Dialogue interreligieux, p. 18. Pour d’autres avis sur la question, voir Sébastien MORLET, Les dialogues adversus Iudaeos. Permanences et mutations d’une

tradition polémique, (coll. Études Augustiniennes), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2013, p. 21-42.

13 J.-C. BASSET, « Enjeux du dialogue interreligieux. Sept propositions en guise de test », Autre temps. Les cahiers du

christiannisme social, numéro 27, 1990, p. 30-37.

14 Terme employé pour exprimer le contexte de globalisation, M. MCLUHAN, The Gutenberg Galaxie, London, Routledge, Kegen

Paul, 1967.

15 M. MOYAERT, « Interreligious Dialogue » … p. 193-195.

16 « The trigger » dans Leonard SWIDLER, « The History of Religious Dialogue », The Wiley-Blackwell Companion to

Inter-Religious Dialogue, edited by Catherine CORNILLE, Oxford-Malden, Wiley-Blackwell, 2013, p. 6.

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7

du concile Vatican II (1962) fut marquée par une certaine refonte des relations interreligieuses18, pour

laquelle nous pouvons relever quelques facteurs d’influence19.

L’époque des Lumières, pour préparer le terrain, avait fait la promotion de nouvelles valeurs telles que la liberté, le respect et la tolérance mais surtout l’égalité, condition essentielle à l’élaboration d’un véritable dialogue. À cette même époque des voix s’étaient levées pour faire la critique du colonialisme européen et par la bande les pratiques d’évangélisation qui en sont héritières. Sur les racines des Lumières se développera une toute autre manière de considérer l’autre dans le respect de sa religion. En tant qu’évènement historique influent, nul doute que l’horreur de la shoah galvanisa les volontés de restructurer les relations entretenues par les représentants des différentes religions, particulièrement en ce qui concerne l’Église catholique. La conception de l’autre s’étant déjà modifiée considérablement, le contexte de la globalisation est venu accélérer le processus et réaliser dans les faits ce qui s’était préparé en esprit : « the

religious other is no longer an abstract figure but is seen in all her concreteness as neighbour, colleague, friend, spouse, etc20

Mais plus encore, Leonard Swidler parle d’un véritable changement de paradigme (paradigm shift21)

concernant notre conception de la vérité et de la réalité, une révolution copernicienne de l’interreligieux tel que l’avait décrit John Hicks22. D’une vérité fixe, immuable et unique nous aurions basculé au cours du 20e

siècle, notamment avec l’influence nouvelle de l’herméneutique, vers une vérité essentiellement relationnelle : contextualisée, élaborée en dialogue avec le monde et l’autre. L’idée que « nobody knows

everything about anything23» devient pour certains le présupposé épistémologique moderne justifiant le

dialogue, même au niveau complexe des religions.

1.1.2 L’Église catholique

Ce nouvel esprit se diffusa au sein de l’Église catholique, qui repensa l’ensemble de ses relations aux autres, au monde, aux autres religions. Nous en voyons la trace, entre autres, dans les réflexions ayant animé le second concile Vatican (1962-1965). Au cours des derniers mois de Vatican II, l’Église publia sa

Déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes (Nostra Aetate, 1965) qui

révolutionna la manière dont l’Église se comporte avec les autres religions : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières

18 Delphine DUSSERT-GALINAT, Le dialogue interreligieux. Entre discours officiels et initiatives locales, 2013, Presses universitaires

de Rennes, p. 27-107.

19 M. MOYAERT, « Interreligious Dialogue » … p. 195-199. 20 M. MOYAERT, « Interreligious Dialogue » … p. 198.

21 Concept de T.S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion (coll. Champs / 791), 2008 (1re éd.1962). 22 J. HICKS, God Has Many Names, London, Macmillan, 1980, p. 70-71.

23 L. SWIDLER, « The History of Inter-Religious Dialogue », The Wiley-Blackwell Companion to Inter-Religious Dialogue,

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8

d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoi qu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes 24». À partir de cette déclaration, près de 600 000 catholiques seront invités à entrer en dialogue

avec les croyants d’autres confessions. L’investissement de l’Église catholique fera accroître considérablement l’institutionnalisation des pratiques interreligieuses, surtout en Occident.

1.1.3 Le dialogue fin 20

e

- début 21

e

siècle

L’institutionnalisation des pratiques de dialogue permettra le développement au niveau national et international d’importants réseaux judéo-chrétiens, islamo-chrétiens, chrétiens-bouddhistes, etc. Quelques grandes initiatives internationales marqueront également les esprits : la première grande Conférence mondiale des religions pour la paix (Kyoto, 1970), la première rencontre d’Assise (1986) organisée par le Pape Jean-Paul II, la création en 1995 du programme de dialogue interreligieux de l’UNESCO, etc.

Au cours des années 1990, l’interreligieux devint un champ de recherche en lui-même, et nous voyons apparaître de nombreux ouvrages sur la question, tant du point de vue théologique que sociologique, de nombreuses études de cas ainsi que des revues spécialisées.

Les rebondissements dans l’univers interreligieux se firent de plus en plus en relation directe avec les crises politiques et sociales (conflits, immigration, etc), particulièrement à la suite des attentats du 11 septembre 2001, qui eut l’effet pour les communautés musulmanes d’un impératif au dialogue. Les initiatives internationales de dialogue interreligieux prirent également la tangente des mobilisations pour la paix, pour le respect des droits humains et pour le respect de l’environnement. Nous assistons à un certain retour du religieux sur la place publique, rendu attrayant de par sa dimension interreligieuse. L’instrumentalisation et la politisation des pratiques de dialogue interreligieux font désormais partie des nouveaux éléments à l’étude dans le domaine25.

1.2 Quelques définitions

Affirmer que le dialogue interreligieux est d’une relative nouveauté présuppose une conception précise de ce qu’est un dialogue. L’usage courant fait généralement référence à un simple entretien entre deux personnes26. Cette définition réductrice ne tient pas compte des multiples dimensions qui caractérisent le

24 Nostra Aetate, 2, 1965,

[http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html] (consulté le 05-11-2014).

25 Voir entre autres : Anne-Sophie Lamine, « Mise en scène de la "bonne entente" interreligieuse et reconnaissance », Archives de

sciences sociales des religions, 50e Année, numéro 129, La République ne reconnaît aucun culte (Jan. - Mar., 2005), p. 83-96.

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9

dialogue moderne en comparaison avec les autres formes de communications verbales comme le débat ou la simple discussion.

1.2.1 Dialogue

Il existe une multitude de définitions du dialogue, mais nous ne retiendrons pour les besoins de ce présent travail, que celle proposée par Jean-Claude Basset, qui comporte en soi assez d’éléments pour lancer la réflexion sur le sujet. Jean-Claude Basset dénote quatre principales caractéristiques propres au dialogue27 :

une rencontre entre personnes, un échange de paroles, la réciprocité, l’altérité et les enjeux qui lui sont propres. Dans ses termes, le dialogue serait un « échange de paroles et écoute réciproque engageant deux ou plusieurs personnes, à la fois différentes et égales 28». Le dialogue est d’abord un échange entre des

personnes (non entre des idéologies ou institutions) et pas nécessairement restreint à deux individus. Il est la manifestation de deux ou plusieurs parole, pensée) qui se rencontrent sur un pied d’égalité. Le préfixe , que l’on interprète à tort comme « dual », signifie plutôt « à travers ». Le dialogue, étymologiquement, parle d’un chemin à suivre; il contient à la fois l’idée de séparation et celle de son franchissement, ce que la théologienne Marianne Moyaert identifie comme étant la dimension éthique du dialogue : « ethically speaking, dialogical reciprocity points to openness for difference and otherness. There

is an ethical prohibition against reducing the other to the known and the familiar 29». L’altérité, lorsqu’elle est

respectée, crée l’espace à franchir entre les participants. La réciprocité, quant à elle, insiste sur le fait qu’ils sont tous en cheminement les uns vers les autres. Mais ce qui distingue encore plus le dialogue des autres pratiques d’échange selon J.-C. Basset, c’est l’enjeu qu’il sous-entend30. Qu’il soit de nature pédagogique,

philosophique ou même thérapeutique, l’enjeu du dialogue expose la personne au risque de devoir changer sa manière de penser ou de vivre.

1.2.2 Dialogue interreligieux

Appliqué au champ du dialogue interreligieux, le dialogue de J.-C. Basset devient un « échange de paroles et écoute réciproque engageant sur un pied d’égalité des croyants de différentes traditions religieuses 31».

Le dialogue devient interreligieux dès lors qu’il implique des croyants de différentes traditions motivés par leurs convictions religieuses. Le dialogue œcuménique en est une espèce particulière ; il « s’enracine dans la foi commune des chrétiens en Jésus Christ, et vise la réconciliation entre les églises32 ». Un

thème « religieux » ne saurait qualifier à lui seul un dialogue interreligieux, pas plus que la simple

27 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux… p. 24-27. 28 Idem, p. 25.

29 M. MOYAERT, « Interreligious Dialogue »… p. 205. 30 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux… p. 25. 31 Idem, p. 27.

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10

participation de personnes de différentes confessions religieuses. Ces deux limites mettent en lumière toute l’importance de ce qui doit être mis en jeu : les convictions religieuses des participants, leur vision cosmologique, leur horizon de sens, etc.

1.2.3 Le religieux insaisissable

Cela pose la délicate question de savoir qu’est-ce qui est « religieux » au juste ? Peu de gens acceptent de plonger tête première dans le casse-tête polysémique du terme « religieux ». Relation aux êtres surnaturels (Tylor, 1871), au sacré (Durkheim, 1912), au numineux (Otto, 1923), un système symbolique de sens (Geertz, 1966), une vision du monde (Luckman, 1967), etc. La liste peut être très longue, et le contournement de la question est courant en sciences sociales.

L’Institut interculturel de Montréal33 a débattu durant de nombreuses années la question de savoir s’il

désirait traiter de l’interculturel ou de l’interreligieux34. Le choix de dénomination fut justifié, entre autres, par

le refus de cautionner la dualité culturel/religieux alimentée au fil des siècles, selon l’avis des fondateurs, par une pensée occidentale et chrétienne. Le « religieux » ferait trop souvent référence « au Dieu suprême et à la relation de l’homme à ce dernier, bref à ce qui réfère à la foi en Dieu 35». Ce qui a pour effet de

soustraire au dialogue les personnes de conviction panthéiste, athéiste ou encore animiste, qui elles-mêmes ne se reconnaissent pas dans l’appellation « religion ». L’IIM employait, à l’image de ses utilisateurs, les termes « voies de salut », way of life36, ou encore « cosmovisions » afin de décrire ce que

les personnes viennent mettre en jeu dans leur pratique de dialogue, des enjeux considérés comme culturels. Cette distinction nous rappelle le fait que, bien que l’on puisse considérer que certaines cultures soient areligieuses, les religions dont témoignent les croyants restent toujours essentiellement culturelles, parce qu’indissociables du contexte culturel qui les baigne.

Une autre option serait, à l’image de J.-C. Basset, de circonscrire le religieux à partir de ce qui appartient à une tradition religieuse donnée37. En d’autres termes, laisser le soin aux religions de définir leur propre

champ. Là encore, s’excluent naturellement tous les croyants qui ne se reconnaissent pas dans l’appellation « religion », mais également l’ensemble toujours grandissant des personnes de la catégorie « believing

without belonging 38» ou encore spiritual but not religious (SBNR). Nous retrouvons à l’inverse des groupes

33 Anciennement Centre Monchanin (1963-1990).

34 R. VACHON, « L’IIM et sa revue. Une alternative interculturelle et un interculturel alternatif », Interculture, cahier numéro 135,

1998.

35 Idem, p. 52. 36 Idem, p. 57.

37 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux… p. 27.

38 G. DAVIE, La religion des Britanniques de 1945 à nos jours, trad. de l’anglais par Christopher Sinclair (Religion in Britain since

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11

qui revendiquent le statut de religion alors que le reste de la communauté leur refuse l’appellation. Tel est le sort de nouveaux mouvements religieux (NMR) tels que l’Église de scientologie, comme nous le verrons au cours de cette présente recherche.

La sociologue des religions Danièle Hervieux-Léger raconte avec humour qu’Henri Desroches débutait son cours de sociologie des religions avec cette mise en garde : « Gardez-vous de définir la religion : prenez comme objet religieux ce que la société désigne elle-même comme tel 39 ». Il est certain qu’en ce qui

concerne notre étude de cas, cette prudence épistémologique est de mise. Nous avons, personnellement, une préférence pour l’utilisation du terme « interconvictionnel » en référence à ce qui est décrit traditionnellement comme étant interreligieux, et ce pour deux principales raisons. Primo, le terme « interreligieux » exclut à notre avis les convictions de type humaniste et athée qui sont représentées au sein des 12 heures de spiritualité depuis ses débuts. Secundo, la conviction reporte le critère de validité sur la personne elle-même et non sur une quelconque autorité extérieure, ce qui représente mieux les pratiques populaires et laisse le soin aux différents acteurs de se définir eux-mêmes.

Cela étant dit, il convient de considérer le fait que chacun des acteurs qui font l’objet de cette recherche possède, de manière implicite ou explicite, une conception de ce qui est ou n’est pas religieux, ce qui est ou n’est pas un dialogue interreligieux. L’usage du terme « interreligieux » pour qualifier les pratiques observées sur le terrain est le reflet des expressions employées par les acteurs eux-mêmes.

1.3 Typologies du dialogue interreligieux

Les dernières décennies témoignent d’une réelle augmentation des pratiques interreligieuses organisées, tant au niveau quantitatif qu’au niveau de la diversité des pratiques40. Ce nouvel état de fait exige une

compréhension accrue des styles et formes de dialogues interreligieux possibles, ne serait-ce qu’afin de mieux comprendre quels types de dialogue sont plus susceptibles de produire les fruits escomptés. Nous relèverons deux principales typologies du dialogue interreligieux : celle mise de l’avant par le document

Dialogue et annonce41 du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et celle de Jean-Claude Basset.

La typologie issue du document Dialogue et annonce est reprise par plusieurs chercheurs s’intéressant au dialogue interreligieux, et ce, peu importe leur affiliation avec la perspective spécifique de l’Église catholique. Cette typologie se retrouve donc à orienter l’organisation d’une grande proportion des pratiques

39 Anecdote racontée par D. HERVIEUX-LÉGER dans « Faut-il définir le religieux? Questions préalables à la construction d'une

sociologie de la modernité religieuse », Archives des sciences sociales des religions, numéro23/1, 1987, p. 24.

40 Pour une cartographie récente de ces pratiques, voir [http://peacemap.kaiciid.org/#page=intro] (consulté en 02-2016). 41 Dialogue et annonce. Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Évangile, 19 mai 1991.

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de dialogues interreligieux, tant au niveau local qu’international, en raison principalement du dynamisme catholique en la matière42.

C’est cependant la triple typologie du pasteur Jean-Claude Basset43, plus complète à notre avis, qui servira

de base à l’élaboration de notre grille d’analyse des caractéristiques du dialogue interreligieux. Sans pour autant contredire la partition proposée par l’Église catholique, la typologie proposée par Basset semble susceptible de couvrir un spectre plus large des pratiques interreligieuses, offrant non seulement des caractéristiques précises mais également des limites conceptuelles facilement identifiables. La typologie recouvre les principales caractéristiques des pratiques de dialogue, mais également certaines caractéristiques des différents acteurs; une distinction entre l’activité et l’expérience des participants difficile à élaborer à partir de la typologie catholique. La théorie de Basset présente également l’intérêt d’être inconnue des différents acteurs sur le terrain de cette étude de cas, garantissant, par exemple, l’absence d’influence sur les choix organisationnels du comité organisateur.

1.3.1 Typologie de l’Église catholique

Le document Dialogue et annonce est une instruction du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux de l’Église Catholique faisant la promotion des principaux repères pour la pratique du dialogue interreligieux. Il fut initialement inspiré par un texte de 1984 publié par le Secrétariat pour les non-chrétiens, Attitude de

l’Église catholique devant les croyants des autres religions, qui faisait déjà une distinction entre quatre types

de dialogue interreligieux : le dialogue de vie, le dialogue des œuvres, le dialogue des échanges théologiques et le dialogue de l’expérience religieuse.

Le dialogue de vie concerne les actions quotidiennes des personnes qui s’efforcent de vivre harmonieusement dans un contexte de pluralité religieuse. Il fait référence aux pratiques de bon voisinage et aux initiatives spontanées d’échanges entre personnes de traditions culturelles et religieuses différentes. Dans le contexte anglophone, ce type de dialogue est qualifié généralement de grass root dialogue. Le dialogue des œuvres regroupe principalement les initiatives où la collaboration interreligieuse est mise au profit d’une cause commune. Le document Dialogue et annonce mentionne principalement la cause du développement intégral et de la libération totale de l’homme, l’humanité étant, selon cette perspective, l’ultime base commune sur laquelle fonder le dialogue. Le dialogue des échanges théologiques regroupe des spécialistes qui cherchent à approfondir la connaissance de leurs traditions religieuses respectives au travers des échanges avec des représentants d’autres traditions. Quant au dialogue de l’expérience

42 Depuis Vatican II, le document Nostra Aetate oriente la position de l’Église envers les autres religions et recommande les

pratiques de dialogue interreligieux.

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religieuse, il concerne le partage des « richesses spirituelles » issues de pratiques de prière ou de contemplation, et une certaine communion basée sur le partage d’une quête.

Cette typologie est suffisamment éclairante si on la replace dans son contexte d’élaboration, c’est-à-dire dans l’optique de faire la promotion des pratiques interreligieuses et guider les différents acteurs de l’Église dans l’organisation d’activités de dialogue interreligieux. Elle s’avère cependant insuffisante lorsqu’il s’agit d’explorer en profondeur les différents éléments susceptibles de caractériser ces pratiques, tels que la structure de l’évènement, les objectifs collectifs et les motivations individuelles des participants par exemple.

1.3.2 Triple typologie de Jean-Claude Basset

J.-C. Basset propose en fait une seule et même typologie, mais élaborée selon trois niveaux d’observation touchant la forme, la nature et les enjeux du dialogue interreligieux. À chacun de ces niveaux correspond une typologie basée sur des critères suffisamment précis pour nous fournir une grille d’observation et d’évaluation des pratiques de dialogue interreligieux.

1.3.2.1 La forme du dialogue

La forme d’un dialogue interreligieux fait référence à la structure plus ou moins organisée de l’évènement, sa portée, ses acteurs et le milieu où il s’inscrit. Les différentes caractéristiques qui intéressent Basset seront réparties en majorité selon une série d’opposés : dialogue local/dialogue international, dialogue restreint/dialogue élargi ou encore dialogue bilatéral/dialogue multilatéral.

Un dialogue sera considéré local dans la mesure où il réunit des croyants issus d’un même environnement socio-culturel, correspondant généralement à une même aire géographique. La connaissance commune du contexte permet ainsi d’ancrer le dialogue dans des faits concrets et son réalisme débouche plus facilement sur des actions dans le milieu de vie. À l’autre bout du spectre, les rencontres à portée internationale sont souvent l’apanage de spécialistes plus ou moins éloignés de la réalité concrète des croyants, et la barrière de la culture et du langage devient inévitablement un enjeu pour la qualité du dialogue.

Le dialogue pourra être considéré restreint ou élargi selon le nombre d’individus impliqués ou touchés par l’activité, ainsi que leur niveau d’implication personnelle dans le dialogue. Les dialogues restreints engagent des personnes qui se connaissent et se reconnaissent personnellement, c’est-à-dire au niveau de la personne et non au niveau du titre ou de la fonction. L’exemple type est représenté par les échanges entre deux partenaires d’un couple interreligieux. Le dialogue prend la forme d’un cheminement, basé sur une relation de confiance réciproque. La dynamique des groupes et les relations interpersonnelles entre les

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participants deviennent alors des enjeux de réussite du dialogue. À l’inverse, un dialogue sera considéré élargi lorsque les individus ne se connaissent pas personnellement et que le sujet discuté vienne à l’emporter sur la relation interpersonnelle. La forme prise par les dialogues élargis correspond davantage aux présentations successives de traditions religieuses (communication d’informations, échange de pratiques, échange de philosophie), aux débats entre quelques représentants ou aux formules questions-réponses avec une assistance.

Le dialogue sera considéré bilatéral s’il implique deux traditions particulières, multilatéral s’il en touche davantage. Le nombre restreint de traditions engagées a l’avantage de permettre une recherche approfondie sur quelques aspects précis, le développement historique des traditions étant un sujet de prédilection pour ces types de dialogues. Les comités interreligieux de forme bilatérale foisonnent et l’Église catholique semble y accorder beaucoup d’intérêt, comme en témoignent les nombreux groupes islamo-chrétiens, judéo-chrétiens ou chrétiens-bouddhistes que l’on retrouve tant au niveau local qu’à l’international. Les dialogues bilatéraux ont cependant tendance à favoriser la polarisation des positions au lieu de la recherche des similarités entre les religions. Les pratiques multilatérales sont moins propices aux échanges en profondeur et se restreignent souvent à une série de monologues ayant comme fondement la bonne entente et une humanité partagée de tous.

S’ajoutent à ces tendances l’évaluation de la complexité de l’organisation, autrement dit sa spontanéité, et quelques autres critères tels que la représentativité des acteurs du dialogue, l’officialité des propos échangés et le rôle que jouent les organisateurs au sein de l’activité. La figure 1.1 illustre les différents types de formes, présentées selon leur degré de complexité organisationnelle44.

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15 Figure 1 : Typologie selon la forme du dialogue interreligieux

Tel que le constate Jean-Claude Basset, les deux pôles du degré de structuration constituent également les limites structurelles de ce que l’on peut nommer dialogue interreligieux :

« Dans la pure spontanéité il n’y a plus de dialogue mais un bavardage ou un échange de propos à bâtons rompus […]. À l’opposé il ne saurait y avoir de dialogue de systèmes, mais juxtaposition et comparaison, à la manière de l’étude comparée des religions […]. Le dialogue se situe donc entre la personne et l’institution, entre l’anarchie et la structure, entre la liberté et la fidélité; il ne saurait se passer ni du facteur personnel, ni de la référence à des traditions et des communautés religieuses45.

1.3.2.2 Nature du dialogue

Au-delà d’une typologie basée sur des distinctions de formes, nous retrouvons également une classification des types de dialogues interreligieux basée sur leur nature. Les quatre dimensions fondamentales des phénomènes religieux décrites par le spécialiste anglais des religions Michael Pye dans son livre

Comparative Religion, soit les actes religieux, les groupes religieux, les concepts religieux ainsi que les

états de conscience religieux46 ont ainsi inspiré à Basset quatre catégories de croyants en fonction de leur

rôle et responsabilités particulières : le laïque est associé aux actes religieux, le prêtre prend en charge les communautés, le théologien travaille sur les concepts et les moines se consacrent à la vie spirituelle. À ces

45 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux…, p. 324.

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quatre catégories de croyants Basset fait correspondre quatre idéaux-types47 de dialogue interreligieux : le

dialogue des laïcs, celui des prêtres, celui des théologiens et celui des moines.

Le dialogue des laïcs concerne tous ceux qui sont considérés des « non-professionnels » de la religion. Il regroupe des croyants sur la base d’une humanité partagée et d’une responsabilité commune vis-à-vis les enjeux de société qui constituent généralement l’horizon de ce type de dialogue. Les participants sont davantage caractérisés par leur engagement social commun que par leur appartenance religieuse respective, ce qui donne un style plutôt unanime aux discussions : « l’accent est mis sur les points de convergence plutôt que de divergence ; cela au prix d’une approche assez superficielle de la réalité, avec un parti pris pour le champ éthique plutôt que dogmatique 48». Ce type de dialogue vise avant tout la bonne

entente et la collaboration des croyants pour la prise en charge de problèmes sociaux, que ce soit au niveau local (ségrégation, cohabitation…) ou international (environnement, paix, justice…). Comme éléments propres à ce type de dialogue notons une présence marquée des femmes et de représentants des traditions humanistes ou athées.

Le dialogue des prêtres regroupe des représentants à la tête de différentes communautés religieuses. Le terme « prêtre » doit être compris comme un idéal-type incluant des dirigeants tels que les imams, pasteurs, rabbins, etc. Construit sur la base de l’appartenance religieuse et communautaire, ce dialogue met facilement en lumière les divergences et incompréhensions réciproques, ce qui en fait une des formes les plus prudentes et délicates. Pour dépasser les simples visites protocolaires et les discours apologétiques successifs, les participants doivent normalement s’investir sur plusieurs rencontres, ne serait-ce que pour trouver un vocabulaire fonctionnel commun. Le style de ce dialogue se décrit selon les termes de Basset comme « particulier », faisant référence au fait que chaque participant, dû à son rôle de représentant, reste avant tout figé à l’intérieur de sa propre tradition. Il s’agit d’un dialogue très concret, tourné davantage vers les pratiques des communautés que les éléments théologiques qui les inspirent. Ces dialogues visent essentiellement le changement à long terme des mentalités des croyants, l’éducation au respect de la différence ou la réparation d’injustices afin de favoriser une meilleure coexistence des communautés. Le dialogue des théologiens est probablement le type de dialogue dont on entend le plus parler, celui qui correspond le plus à l’image que s’en font les néophytes. Il regroupe les spécialistes des religions autour de questions doctrinales, théologiques ou philosophiques. Construit sous une forme discursive, à l’image de la

disputatio scholastique, le dialogue cherche à développer des concepts et vocabulaires communs afin

d’approfondir la compréhension de la pensée religieuse de chacun. Basset emploie l’expression du

47 À la manière de Weber.

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17

développement « d’une sorte d’espéranto interreligieux49 ». Il va sans dire que l’intérêt envers ce type de

dialogue est proportionnel à l’importance qu’une religion accorde au développement d’une théologie structurée, ce qui fait de l’Église catholique la championne organisatrice des dialogues de théologiens. Ces pratiques semblent attirer davantage les spécialistes des religions comparées que les théologiens à proprement parler, mais leur popularité est grandissante tant au niveau local qu’international.

Le quatrième et dernier dialogue type décrit par Basset est celui des moines, expression regroupant l’ensemble des individus en quête spirituelle, les « explorateurs du potentiel spirituel » propre à chaque tradition, qu’ils soient effectivement moines, ascètes, sadhus, yogis ou encore sufis. Le point de départ du dialogue est assurément l’expérience intérieure et vise l’enrichissement de la vie spirituelle de chacun des acteurs tout comme la communion au-delà des idées distinctes. Les mots, concepts et rituels sont abordés non pas comme une fin, mais plutôt comme des moyens donnant accès à une expérience plus fondamentale. Comme le dit Basset, « il n‘y a pas de dialogue des moines en dehors d’une quête existentielle 50». L’utilisation de mots est un mal nécessaire à la compréhension mutuelle, mais le recours

aux pratiques silencieuses, méditations, prières et contemplation caractérise principalement ces dialogues. Par opposition à la structure du dialogue des théologiens, celui des moines est plutôt intuitif et inspiré par les découvertes et intérêts des participants. Quelques grands pionniers du dialogue monastique ont grandement contribué à la popularisation des pratiques interreligieuses par la publication de témoignages inspirants, pensons à Henri Le Saux ou au frère Monchanin51.

La figure 2 résume la typologie avancée par J.C. Basset basée sur les différentes natures du dialogue interreligieux. Cette classification recoupe celle de l’Église catholique dont nous avons parlé précédemment, et constitue à elle seule une typologie suffisamment éclairante pour alimenter une bonne réflexion sur les pratiques interreligieuses. Elle permet entre autres d’illustrer avec davantage de précision une autre limite naturelle du dialogue interreligieux : celle du langage. Selon cette conception, il ne saurait y avoir à proprement parler de dialogue lorsqu’à un extrême, l’expérience intérieure des moines ne s’exprime pas à travers le langage, et à l’autre extrême, l’action des laïcs ne se base plus sur une démarche réflexive partagée dans la parole. Le dialogue se situe donc entre l’action et la contemplation.

49 Idem, p. 334.

50 J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux…, p. 339.

51 L’abbé Jules MONCHANIN (1895-1957), surnommé Swami PARAMARUBYANANDA, fut l’un des grands pionniers du dialogue

hindou-chrétien. Le prêtre catholique originaire de France fonda dans les années cinquante un petit ermitage (ashram) dans le sud de l’Inde avec le moine bénédictin Henri LE SAUX (1910-1973). Les deux ermites sont considérés comme des figures exemplaires

(27)

18 Types (Basset) Dimensions (Pye) Laïcs (Actes religieux) Prêtres (Communauté religieuse) Théologiens (Concepts religieux) Moines (États de conscience religieux)

Base Humanité Pratique Doctrine Expérience

Horizon Société Communauté Pensée Spiritualité

Style Unanime Particulier Discursif Intuitif

Visée Collaborer Coexister Comprendre Communier

Figure 2 : Typologie selon la nature du dialogue interreligieux

La typologie de nature décrite par Basset possède cependant le défaut d’un vocable fortement influencé par le christianisme. Afin de neutraliser l’appartenance religieuse des termes, nous nous contenterons de faire référence aux idéaux-types à travers leurs principales caractéristiques, soit leur base, leur horizon, leur style ou leur visée. Nous parlerons donc, en référence au dialogue des laïcs par exemple, d’un dialogue à base humaniste, à l’horizon social ou encore d’un dialogue à visée collaborative.

1.3.2.3 Enjeux du dialogue

Une troisième typologie est proposée par Jean-Claude Basset, concernant cette fois les enjeux du dialogue interreligieux. Le terme « enjeux » est à comprendre dans le sens restreint de ce que les participants sont prêts à mettre en jeu à l’intérieur d’une rencontre interreligieuse, non comme les objectifs et visées tels que décrits dans la typologie de nature développée précédemment. Les enjeux concernent donc davantage le degré d’ouverture des participants et le niveau de risque qu’ils sont prêts à prendre afin de développer un dialogue satisfaisant au cours de la rencontre. Un spectre des différentes « tonalités » du dialogue interreligieux fut finalement développé par Basset en fonction des différents enjeux que les participants sont prêts à engager lors du dialogue, allant du dialogue intra-religieux jusqu’au dialogue infra-religieux.

Dans un premier temps, insistons sur le fait que la pratique du dialogue, et ce de façon générale, implique inévitablement l’enjeu principal de la communication réciproque. Pour qu’une communication verbale devienne dialogue, les participants doivent à la fois sortir de leur propre mutisme et s’ouvrir à l’autre par une écoute attentive. Nous trouvons donc, à la limite du spectre du dialogue interreligieux, une zone de dialogue infra-religieux, où le participant ne s’ouvre pas en tant que croyant, mais participe de manière détachée aux échanges d’idées sur des thèmes plus ou moins religieux. Tels sont les discussions des spécialistes des religions, pour qui la neutralité scientifique, selon Basset, restreint l’accès au dialogue interreligieux comme

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19

tel. À l’autre bout du spectre nous retrouvons une sorte d’ultra-communication, là où l’expérience de communion ne peut plus se traduire en mots.

Entre ces deux extrêmes du spectre du dialogue interreligieux nous pouvons opérer une certaine classification des pratiques à partir des enjeux concernés. En reprenant encore les quatre dimensions fondamentales des phénomènes religieux de Michael Pye, Basset distingue quatre types d’enjeux propres au dialogue interreligieux : la compréhension, la coopération, le témoignage et la communion. La compréhension s’applique aux concepts religieux; la coopération constitue les actes religieux; le témoignage concerne les groupes religieux, et la communion concerne les états de conscience religieux. La compréhension comme enjeu nous rappelle la fonction essentiellement éducative du dialogue interreligieux : le dialogue sert à mieux comprendre l’autre dans sa réalité, construire un vocabulaire commun et faire découvrir sa propre tradition aux autres. Sans cet intérêt minimal pour le partage des idées le dialogue interreligieux est voué à l’échec.

L’enjeu de la collaboration pose un équivalent pratique à l’enjeu de la compréhension théorique, en l’arrachant à la sphère conceptuelle pour l’ancrer dans le concret. Les participants s’engagent à briser leur isolement et à dépasser les limites des comportements exclusivistes et extrémistes ; ils doivent s’exposer à rencontrer l’autre et lui faire une place. Basset décrit deux principaux volets que peut prendre cette collaboration, soit entre les communautés en vue d’un agir social, mais également les simples invitations inter-commununautaires pour les célébrations, les échanges, un certain vivre-ensemble.

L’enjeu du témoignage est plus délicat et conduit parfois les acteurs à une interprétation erronée des intentions des autres participants. Il fait référence au fait que l’implication dans un dialogue interreligieux, à un certain niveau, devient également un témoignage de foi qu’il n’est souvent pas facile de distinguer des prétentions missionnaires ou prosélytes de certaines religions. D’un autre côté les participants doivent s’exposer aux « risques » de conversion, ou du moins au risque de fragiliser certains aspects de leur foi en l’exposant aux questions des autres participants. Le témoignage de la foi fait entrer la pratique du dialogue interreligieux dans la sphère de l’acte religieux comme tel.

L’enjeu de la communion ajoute un degré supplémentaire d’implication par une recherche commune de la vérité. Cette recherche intérieure de la vérité dans le dialogue interreligieux, que Raimundo Panikkar52

nomme le dialogue intrareligieux53, est susceptible de « transformer le face-à-face […] en côte-à-côte de

pèlerins qui partagent leurs connaissances et leurs expériences, dans l’espoir d’arriver plus sûrement à

52 R.PANIKKAR, Le dialogue intrareligieux, Paris, Aubier, 1985. 53 En un seul mot chez cet auteur.

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20

leurs destinations, par les voies qui sont les leurs54 ». Les pratiques de dialogue interreligieux qui engagent

cette quête commune dépassent le spectre de l’expérience religieuse pour faire entrer la pratique du dialogue dans la sphère de l’expérience existentielle.

Figure 3 : Typologie selon les enjeux du dialogue interreligieux

Il est donc possible d’observer une certaine gradation dans le niveau d’implication des participants, mise en lumière par les quatre principaux enjeux décrits précédemment. Basset ira jusqu’à donner un nom différent aux pratiques dialogiques selon les enjeux qu’elles interpellent. Nous en trouvons la synthèse55 dans la

figure 3. Le dialogue inter-religieux, c’est-à-dire entre les personnes de différentes religions56, est un

dialogue d’idées et de croyances destiné à la compréhension mutuelle. Ajoutons-y l’aspect pratique de l’agir et nous retrouvons le dialogue communautaire voué à la coopération. L’implication supplémentaire du témoignage de foi le transforme en dialogue inter-confessionnel, une expérience proprement religieuse, puis en expérience existentielle à travers le dialogue intra-religieux lorsque nous y ajoutons cette recherche commune de la vérité à travers la communion.

54 J.-C. BASSET, Dialogue interreligieux… p. 348. 55 Issu de J.-C. BASSET, Le dialogue interreligieux…p. 349.

Figure

Figure 2 : Typologie selon la nature du dialogue interreligieux
Figure 3 : Typologie selon les enjeux du dialogue interreligieux
Figure 4 : Organisateurs ayant fait l’objet d’une entrevue  2.4.3  Point de vue historique de l’activité
Figure 5 : Participants ayant fait l’objet d’un entretien semi-directif
+3

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