• Aucun résultat trouvé

6 Analyse du volet participatif de l’activité

6.1 Portrait de la participation à l’évènement

Le défi concernant l’évaluation de la participation réelle à ce type d’activité avait déjà fait l’objet d’une remarque dans les commentaires méthodologiques : puisque l’activité est libre d’accès, les différents participants circulent beaucoup au cours de la journée et l’équipe d’organisation ne tient pas de registre d’inscription. L’estimé de la participation globale à l’édition 2013 provenait de la distribution des petites fleurs autocollantes à l’accueil (63 personnes excluant le comité d’organisation). Une évaluation plus détaillée de la participation fut élaborée à partir d’arrêts sur image provenant de l’enregistrement vidéo de l’activité de 2013. Les deux cercles de dialogue organisés au cours de la journée permettent une vue d’ensemble des différents participants. Le cercle dirigé par Initiatives et changement contenait davantage de participants155, soit environ 35 personnes. Sur les 35 personnes identifiées, 60% étaient des femmes. Pour

une idée de la partition générationnelle, le classement des participants en trois grandes catégories d’âge reflète la participation suivante : 23% pour les moins de 35 ans, 28% pour les 35-55 ans et 46% pour les 55 ans et plus. Nous avons donc une légère surreprésentation des femmes, que nous retrouvons particulièrement à l’intérieur du groupe des personnes âgées de 55 ans et plus. La partition de

155 La participation semble s’accentuer légèrement entre le dîner et le souper, moment où nous retrouvons ce cercle en particulier

66

l’appartenance religieuse n’était malheureusement pas possible à partir des données recueillies, mais nos notes d’observation de l’activité mentionnaient une grande proportion des participants rattachés aux réseaux du CAPMO et d’Initiatives et changement, qui sont généralement de confession chrétienne. Il s’agit d’ailleurs d’un élément relevé par certains participants : « j’avais l’impression qu’on était plus des chrétiens, pour ne pas dire catholiques parce que je suis pas sûre, qui accueillaient à tour de rôle différentes communautés 156».

L’analyse de l’expérience des participants fut cependant davantage élaborée à partir des entrevues semi- directives avec les personnes mentionnées au deuxième chapitre157.

6.1.1 Profil des participants

Les participants interrogés ont témoigné de relations interreligieuses variées, bien qu’elles soient nettement inférieures à celles observées chez les organisateurs. La majorité des personnes sont d’origine québécoise et seulement quelques-unes parmi celles-ci ont mentionné les voyages comme une composante importante de leurs expériences interreligieuses.

Les participants et présentateurs ont souvent développé leurs connaissances sur les autres religions de manière autodidacte par la lecture et l’audition de conférences, ou en participant à des activités interreligieuses comme les 12 heures de spiritualité, une tournée des lieux de culte de la ville de Québec ou des ateliers interreligieux organisés par des communautés (bahá'íe, Église Unie, etc.). Des personnes plus « aventureuses » telles que Claude ont le courage d’aborder directement des gens d’autres religions pour les emmener prendre un café et discuter autour du sujet de leurs croyances. Les participants sont des gens curieux et pour la plupart ouverts à la diversité, sauf peut-être deux exceptions : une haine du catholicisme dans un cas, et l’autre des propos désobligeants à l’égard du rabbin de Québec, des Brahma Kumaris ou des immigrants musulmans. L’implication communautaire semble plutôt le dénominateur commun des personnes interrogées. Plus de la moitié de ces personnes ont fréquenté le CAPMO à un moment ou à un autre, plusieurs sont impliquées dans des réseaux confessionnels et nous retrouvons même un certain penchant pour l’implication au niveau de l’écologie.

6.1.2 Identité religieuse

Le principal point d’intérêt surgissant à l’analyse du portrait des participants concerne la fluidité de leur identité religieuse. Bien que cette identité ait été énoncée clairement pour toutes les personnes interrogées dans les documents de préparation à l’entrevue, en écoutant les entretiens l’on réalise que cette dernière

156 Lucie, (1-21). 157 Figure 5, p. 29.

67

devient floue ou complexe et mérite d’être insérée dans un récit de vie plus complet. Fait encore plus intéressant, cette observation ne concerne que les participants libres : les participants ayant fait une présentation mentionnaient une identité religieuse précise et conforme aux informations données préalablement à l’entrevue.

En ce qui concerne les participants libres, dans leurs termes les identités chrétiennes, catholiques et athées deviennent plus difficiles à cerner : « citoyenne du monde puis enfant de Dieu158 », « croyant, mais à

quoi? 159», « chrétienne pratiquante160 », etc. L’une peut se déclarer catholique et fréquenter régulièrement

une église évangélique; l’autre se dire athée, apostasié même, et être engagé dans plusieurs groupes catholiques. Certains témoignent de parcours sinueux en réaction avec leur culture religieuse d’origine : d’autres de conversion, d’apostasie, de butinage, etc. Certains feront une distinction entre la perception extérieure et leur propre identité, tel que Myriam l’exprime : « comment je me considère? Ben je suis catholique. Officiellement, en fait, je suis perçue comme catholique. [L’interviewer] Et toi tu te perçois

comment? Pas catholique. Je me perçois athée. Peut-être plus animiste161 ».

De manière générale, l’identification religieuse représente un emprisonnement dont les participants ne sont pas satisfaits. Pour beaucoup, les religions s’entremêlent et convergent vers un point commun, les pratiques leur semblent interchangeables afin de stimuler une vie spirituelle qu’ils distinguent nettement des religions, tel que nous le verrons.

Ce constat reflète bien la particularité de l’étude du religieux en contexte de modernité que décrit Danièle Hervieu-Léger :

On s’intéresse de plus en plus aux processus de décomposition et de recomposition des croyances qui donnent un sens à l’expérience subjective des individus. On s’attarde alors sur la singularité des constructions croyantes individuelles, sur leur caractère malléable, fluide et dispersé, en même temps que sur la logique des emprunts et réemplois dont font l’objet les grandes traditions religieuses historiques. À travers la thématique du «bricolage», du «braconnage» et autres «collages», on s’engage progressivement dans la voie d’une nouvelle description du paysage croyant de la modernité162.

La fluidité des identités religieuses observées n’est pas sans conséquences sur la pratique du dialogue interreligieux, particulièrement dans un contexte communautaire et ouvert tel que représente les 12 heures

de spiritualité. De manière générale, les différents présentateurs mettent en scène lors de l’activité une

identité religieuse clairement définie, possédant un contenu de croyances et des pratiques qui lui sont

158 Lucie, (1-4). 159 Claude, (1-6). 160 Évasion, (1-9). 161 Myriam, (1-1).

68

propres, et ce malgré les incitatifs du comité d’organisation pour axer les présentations sur l’expérience subjective des présentateurs. Que devient alors le dialogue interreligieux, avec son principe de réciprocité, lorsque les deux partis sont si décalés quant à la définition de leur identité religieuse? L’expérience tend alors vers la juxtaposition des présentations devant un public passif, autrement dit, elle tend au spectacle. De manière insidieuse, le participant n’ayant pas d’identité religieuse précise peut se sentir disqualifié de l’échange interreligieux faute d’avoir un produit défini (certains diront objectif) à partager. C’est aussi ce que suggère l’observation sur l’ensemble des trois niveaux de participation, puisque la gradation de l’implication (de simple participant au comité organisateur) semble être proportionnelle à la précision de l’identité religieuse, à quelques exceptions près. Les seules mentions du plaisir d’offrir à l’autre le meilleur de sa spiritualité, que ce soit au niveau d’un contenu théorique ou des pratiques, valeurs ou autres proviennent des entrevues effectuées avec les présentateurs ou les organisateurs.

Même si dans leurs discours les participants libres semblent considérer la réciprocité comme une condition au dialogue interreligieux, leur comportement au cours de l’activité et le récit de leur expérience laisse croire qu’ils considèrent n’avoir rien à offrir aux différents participants présentateurs au cours de l’évènement, et tout à apprendre d’eux. Nous avons nommé cette attitude celle du voyeur, qui contrairement au spectateur se retire volontairement de la relation. À l’inverse, l’observation sur le terrain suggère que les présentateurs peuvent parfois se comporter comme s’ils avaient tout à offrir de leur tradition sans pourtant prendre le temps de recevoir de la part des autres participants. Nous y retrouvons une attitude cette fois de professeur. L’effet « spectacle », comprenant un présentateur et un spectateur sans interaction, représente selon nous un obstacle majeur dans l’expérience interreligieuse des participants lors de l’activité des 12 heures de

spiritualité.