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5 Volet organisationnel de l’activité

5.3 Les enjeux propres à l’organisation de l’activité

5.3.1 La forme du dialogue interreligieux

La typologie de Basset basée sur la forme du dialogue interreligieux s’intéressait à la portée, aux différents acteurs du dialogue ainsi qu’au lieu où il se déroule. Selon cette typologie, le cas à l’étude correspond à un dialogue local, touchant un public élargi et proposant des rencontres multilatérales. Nous utiliserons cette typologie comme guide afin d’isoler certains enjeux formels de l’organisation de l’activité.

5.3.1.1 La portée

Les dialogues interreligieux, comme nous l’avons vu, peuvent avoir une portée plus ou moins localisée dans un milieu culturel et sociétal. Sur ce point, il ne fait aucun doute que les 12 heures de spiritualité sont ancrées dans la ville de Québec ; par tradition d’abord, vu l’historique de l’évènement, mais également par l’horizon social de l’activité auquel s’est attaché le comité d’organisation. Le refus de faire venir des « vedettes » pour attirer l’auditoire, la mise en valeur des réseaux de chacun des organisateurs et la promotion de l’activité par les canaux locaux traduisent un souci de rester bien ancrés dans le milieu de la ville de Québec à une échelle assez restreinte pour ne pas prendre le risque d’être soumis à des logiques administratives susceptibles de pervertir les orientations du groupe (commandites, diplomatie, médias, etc.). L’orientation sociale de l’activité, de ce point de vue, est bien exprimée dans les termes du coordonnateur : « tant que dans l’histoire humaine on ne va réunir que des spécialistes, ça n’avancera pas […]. À quelque part, pour que les gens apprennent à se rencontrer, il faut qu’ils se rencontrent 140 ».

5.3.1.2 Les acteurs et leur niveau d’implication dans le dialogue

La complexité de l’activité des 12 heures de spiritualité réside principalement dans la superposition de trois niveaux d’implication distincts à l’activité, soit le niveau des organisateurs, celui des différents présentateurs et le niveau des participants libres. Chacun de ces niveaux de participation est soumis à ses propres normes de sélection et de limitation que nous décrirons brièvement.

140 Daniel Fradette, (2-39).

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Au niveau des organisateurs, nous avons mentionné que la participation au comité d’organisation se faisait strictement sur invitation. Le premier critère est évidemment l’intérêt envers l’activité et l’interreligieux en général. Outre cet intérêt commun, les invités sont généralement ciblés afin d’atteindre les objectifs de diversité au sein du groupe organisateur. La sensibilité des membres à une présence religieuse diversifiée, même si en fait elle est surestimée, semble avoir un double motif. D’une part, elle peut servir au sein du comité de modèle interreligieux, représentatif des objectifs de l’activité dans son ensemble. D’autre part, l’on s’attarde au poids décisionnel dans le comité afin d’éviter que plusieurs représentants d’une même tradition exercent une influence conjointe dans une direction précise141. Mentionnons également une présence

relativement récente des jeunes à la table d’organisation, le fruit d’invitations ciblées à cet effet142. L’enjeu

est double : un réel souci d’être plus représentatif de la pluralité de notre société et d’inclure la « jeunesse » dans une perspective de changement social, mais aussi la participation étudiante qui justifie l’implication du BVE de l’Université Laval (prêt de locaux, du matériel technique et financement des affiches). Il n’existe pas à proprement parler de critères limitatifs de la présence au comité, l’aspect sélectif des invitations présupposant au départ l’adéquation du nouveau membre, mais les organisateurs interrogés ont tenu majoritairement à souligner la dimension individuelle de chacune des présences autour de la table, écartant d’emblée toute personne qui s’y risquerait avec un « chapeau » de spécialiste ou tiendrait à faire valoir un titre quelconque. Il n’existe de fait aucune distinction (implicite ou explicite) autour de la table d’organisation entre les professionnels, les croyants ou les non-croyants. Il existe en outre un réel souci de laisser plus de place aux organisateurs dans le déroulement de l’activité, d’exploiter davantage leurs forces respectives et de les impliquer dans les différentes présentations.

Le second niveau de participation concerne les personnes proposant les différents ateliers en lien avec leur tradition spirituelle ou religieuse. Ce type de participation est également encadré par invitation basée sur différents critères : l’intérêt pour le dialogue et le partage encore une fois, mais aussi la proximité, la qualité de l’expérience proposée et la disponibilité. Si les orientations de l’activité privilégient l’intervention de simples croyants au niveau de ces ateliers, il n’est pas rare de voir les représentants officiels des traditions intervenir (rabbin, pasteurs, etc.). Les sélections des présentateurs sont fortement influencées par la tradition organisationnelle, et les propositions d’ateliers provenant des membres du comité organisateur sont officieusement priorisées.

Il peut exister certaines tensions au sujet de l’évaluation de la qualité des ateliers, certains privilégiant, par exemple, les ateliers de nature expérientielle au détriment d’activités plus narratives. Un membre du comité

141 Trois des personnes interrogées ont mentionné des expériences interreligieuses influencées par une surreprésentation

chrétienne trop influente.

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rappelait aux organisateurs en session d’évaluation143 que l’écoute et le témoignage ne sont pas exclus de

l’expérience spirituelle à proprement parler, mais tous ne sont pas de cet avis. Pour ce qui est des limitations aux invitations des présentateurs, il existait au sein du comité organisateur des positions clairement divergentes, particulièrement en ce qui a trait au cas limite employé lors des entrevues : celui de la scientologie. À savoir si des scientologues pourraient venir présenter un atelier, certains ont clairement mis de l’avant la nécessité de représenter une « vraie religion », d’autres, à l’inverse, ont mis de l’avant tout l’intérêt d’entrer en dialogue avec un groupe aussi controversé. Il existe cependant un critère implicite favorisant les dilemmes éthiques de ce genre : les places étant limitées généralement à neuf présentations et les « anciens » remplissant déjà plus de la moitié de ces places, les groupes qui sollicitent un espace d’expression, faute d’espace disponible, sont invités à participer en tant que participants libres afin de démontrer leur intérêt envers la pratique et l’activité dans son ensemble.

La participation libre constitue le troisième niveau de participation de l’activité. Il concerne toutes les personnes présentes dans la salle qui participent aux différents ateliers au courant de la journée. L’activité étant gratuite et libre d’accès, les participants libres varient essentiellement en fonction du réseau de distribution de l’information. Les réseaux des différents présentateurs représentent également une bonne proportion des participants libres. Les limitations au niveau de ce type de participation ne sauraient être d’un autre ordre que celui du maintien de la paix et du climat de respect, mais de telles restrictions n’ont jamais eu lieu.

5.3.1.3 Conséquences de la triple partition des participants

Cette triple structure au niveau de la participation possède l’immense avantage de proposer une expérience interreligieuse à la mesure du degré d’implication désiré par chacun des individus. Par contre, il y a perte d’uniformité au niveau des compétences et expériences propres à chacun et une certaine difficulté à promouvoir des orientations claires auprès d’individus ayant chacun leur propre conception du dialogue interreligieux. Les inégalités au niveau des compétences dialogales, par exemple, peuvent créer certaines tensions dans les cercles de dialogue qui regroupent tant des gens habitués à ce type d’exercice que des « nouveaux » qui y découvrent une tribune pour exprimer leur expérience religieuse. Une autre conséquence de cette triple partition est l’aspect « d’encliquage » qu’il peut donner aux groupes des organisateurs et présentateurs. La tradition et le fait que ces niveaux de participation regroupent des gens qui se connaissent peuvent donner l’illusion d’un groupe fermé qui pratique une activité interreligieuse devant un public, ce qui ne correspond définitivement pas aux orientations de l’activité.

143 Une session d’évaluation représente essentiellement une rencontre de comité d’organisation pour revenir de manière informelle

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5.3.1.4 Le milieu

Le milieu dans lequel se déroule l’évènement fut sujet à discussion sur plusieurs années au sein du comité d’organisation. L’activité, qui se déroulait traditionnellement à l’église Chalmers-Westley dans le centre-ville de Québec, s’est finalement déplacée à l’Université Laval en 2009, pour des raisons d’ordre technique, puisque le bâtiment devait subir quelques travaux incommodants. Le choix de la salle Marie-Guyart, comme nous l’avons vu, se justifiait par son accessibilité, mais également en raison de la relative neutralité confessionnelle des lieux. L’adaptabilité de la salle permettait, par exemple, d’accommoder le rabbin, qui autrefois refusait d’entrer à Chalmers-Westley. La mobilité confessionnelle d’une salle multi-culte permet à chacun, comme le dit le coordonnateur du comité, de se sentir « chez soi » :

Dans une rencontre interreligieuse comme ça, tu ne peux pas faire fi de l'environnement dans lequel tu es. Si t'es toujours dans le même (environnement) pis c’est toujours l'environnement de l'autre. Alors que ce qu'on veut faire comme expérience, c'est de faire que l'environnement, que tous soit l'autre (de manière égale). Que l’environnement ne soit la propriété de personne144.

L’adaptabilité de la salle Marie-Guyart répondait parfaitement au souci de neutralité religieuse avancé par le comité d’organisation.